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Date : 20221121


Dossier : IMM-8306-21

Référence : 2022 CF 1593

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 novembre 2022

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

ALBERT CONTEH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Albert Conteh, est un ressortissant de la Sierra Leone. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision, en date du 8 septembre 2021, par laquelle un agent des visas [l’agent] de la Section des visas du Haut-commissariat du Canada à Accra, au Ghana, a rejeté sa demande de permis d’études. L’agent n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour, ainsi que le prévoit le paragraphe 216(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, en se fondant sur l’objet de sa visite, sa situation d’emploi actuelle, les perspectives d’emploi limitées dans son pays de résidence, ainsi que ses biens personnels et sa situation financière.

[2] Le demandeur affirme que l’agent a omis d’examiner et d’analyser les éléments de preuve comme il se devait, et qu’il a, par conséquent, rendu une décision qui n’est pas justifiée à la lumière du dossier. De plus, il prétend que l’agent a omis de fournir une justification à l’égard de ses présomptions et qu’il s’est livré à des conjectures. Enfin, le demandeur soutient que l’agent n’a pas abordé la question de ses liens familiaux à la Sierra Leone.

[3] Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II. Question en litige et norme de contrôle

[4] La seule question dont la Cour est saisie est celle de savoir si la décision est raisonnable.

[5] Quand elle procède à un contrôle suivant la norme de la décision raisonnable, la Cour doit établir si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 85‑86 [Vavilov]). Il incombe au demandeur de démontrer que la décision est déraisonnable : Vavilov, au para 100.

III. Analyse

[6] Le demandeur soulève plusieurs questions ressortissant au caractère raisonnable de la décision. J’estime que la question déterminante est la façon dont l’agent a traité les éléments de preuve relatifs aux ressources financières disponibles.

[7] Le demandeur a clairement inscrit dans sa demande que sa famille était pauvre. Walter Prudent, résident canadien et ami de la famille depuis plus de vingt ans, s’est engagé à subvenir à l’ensemble des besoins financiers du demandeur, y compris payer ses frais de scolarité et de subsistance, et à couvrir le coût de son voyage. M. Prudent vit seul et possède une maison comptant quatre chambres à coucher, où le demandeur résiderait gratuitement. M. Prudent a fourni des relevés financiers et des éléments de preuve selon lesquels les frais de scolarité s’élevant à 11 524,50 $ avaient été payés. Par conséquent, les éléments de preuve dont disposait l’agent indiquaient que le projet du demandeur d’étudier au Canada ne coûterait rien à celui-ci ni à sa famille.

[8] Les motifs de l’agent figurent dans les notes consignées par celui-ci dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC]. Au sujet du financement des études, l’agent affirme ce qui suit :

[traduction]
Je constate que, selon le plan d’études proposé du DP, les coûts seraient entièrement assumés par un tiers. Le tiers étant prétendument l’ami de l’oncle du DP. Le tiers est censé héberger aussi le demandeur et assumer les frais de déplacement entre le Canada et la Sierra Leone. Je prends note de la lettre d’appui fournie par le tiers. Je prends note de la preuve du paiement des frais de scolarité figurant au dossier, mais j’accorde moins de poids à ce facteur à la lumière de l’absence de la moindre preuve quant aux finances personnelles du DP et à la situation économique et l’emploi dans le pays d’origine du DP.

[9] Le demandeur affirme qu’on peut supposer que l’agent a admis les éléments de preuve et les documents financiers présentés par M. Prudent. Je relève toutefois que l’agent a renvoyé à M. Prudent comme étant [traduction] « prétendument » un ami de la famille et a mentionné qu’il [traduction] « est censé » héberger le demandeur et assumer le coût de ses études. Même si l’agent a pris note du paiement des frais de scolarité effectué par M. Prudent, il a attribué moins de poids aux preuves présentées par celui-ci à la lumière de [traduction] « l’absence de la moindre preuve » quant aux finances personnelles du demandeur et aux conditions économiques et du marché de l’emploi à la Sierra Leone. Contrairement à ce que soutient l’agent, le demandeur a clairement affirmé qu’il était pauvre et que M. Prudent lui faisait cadeau du coût de ses études.

[10] À la lumière des éléments de preuve et de l’affirmation de M. Prudent selon laquelle il assumerait l’ensemble des coûts associés aux études du demandeur au Canada, il est difficile de comprendre pourquoi l’omission du demandeur de présenter des documents relatifs à ses propres finances, puisqu’il avait clairement mentionné qu’il était pauvre, justifie que l’agent attribue un poids moindre à ce facteur et/ou estime que le demandeur ne satisfait pas aux exigences financières. Le fait que l’agent mette l’accent sur ce qu’il considère comme [traduction] « l’absence de la moindre preuve » quant aux finances du demandeur, au détriment de celui-ci, n’est pas justifié à la lumière des éléments de preuve produits par le demandeur et par M. Prudent selon lesquels ce dernier paierait entièrement les études et les dépenses (Etwaroo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1160 aux para 20-21).

[11] Le défendeur soutient que l’agent n’a pas conclu que le demandeur n’avait pas les moyens voulus pour payer ses frais de scolarité et de subsistance au Canada. Il prétend plutôt que l’agent a, de façon raisonnable, accordé peu de poids au financement des études par un tiers parce que le demandeur n’avait pas démontré que sa propre situation financière serait un facteur d’attirance qui l’inciterait à retourner à la Sierra Leone.

[12] À la lumière du dossier, l’agent devait être conscient que le demandeur ne possédait pas de biens susceptibles de faire office de facteur d’attirance. Quoi qu’il en soit, l’agent n’a pas soulevé cet élément. Il a plutôt souligné qu’il n’y avait pas la moindre preuve, puis a utilisé cette absence de preuve pour justifier le poids moindre accordé au financement par M. Prudent des études du demandeur. Ce raisonnement n’est pas intelligible. Qui plus est, si le facteur d’attirance était en cause, l’agent devait l’aborder de façon directe. En dépit de l’argumentation solide de l’avocat du défendeur, il n’appartient pas à la Cour de réécrire la décision.

[13] Je conclus que le raisonnement de l’agent en ce qui concerne les ressources financières disponibles est dépourvu de la transparence, de l’intelligibilité et de la justification requises. Pour ce motif, la décision est déraisonnable.

IV. Conclusion

[14] Pour les motifs mentionnés précédemment, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et j’estime aussi que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-8306-21

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est accueillie;

  2. La décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision;

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Vanessa Rochester »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8306-21

INTITULÉ :

ALBERT CONTEH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATON

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 NOVEMBRE 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS :

LE 21 NOVEMBRE 2022

COMPARUTIONS :

Karen M. Howley

POUR LE DEMANDEUR

Alexandre Menticoglou

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Karen M. Howley

Avocate

Red Deer County (Alberta)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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