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Date : 20221121


Dossier : IMM-6413-20

Référence : 2022 CF 1585

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 novembre 2022

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

SIFUL ISLAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé celle de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, au titre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2] M. Siful Islam est un citoyen du Bangladesh âgé de 43 ans. Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile, il a affirmé que, vers 2012, il avait commencé à participer à des activités de bienfaisance et de travail social principalement de façon informelle dans sa ville natale de Narayanganj. Son travail consistait à recueillir des dons de vêtements, de livres et d’argent pour les enfants pauvres et orphelins, à planter des arbres, à offrir des séminaires de préparation à la vie quotidienne aux élèves défavorisés et à protéger les jeunes contre les activités criminelles de la région.

[3] Le 13 avril 2013, le demandeur a vu trois hommes attaquer une fille de dixième année et est intervenu pour l’aider. Il a été battu et en a gardé une cicatrice sur son bras. Les trois hommes étaient des criminels connus au sein de la communauté qui travaillaient pour un puissant bandit du nom de Nurhossain. Le demandeur s’est plaint à la police locale, mais celle-ci a refusé de prendre sa plainte parce que les agresseurs étaient affiliés à la Ligue Awami, le parti au pouvoir au Bangladesh depuis 2009.

[4] Le lendemain, trois hommes ont agressé le demandeur à l’extérieur de chez lui et l’ont menacé de le tuer s’il ne cessait pas ses activités de travail social qui, selon eux, nuisaient à leur capacité de conserver le pouvoir. Le demandeur a été frappé avec une arme à feu, ce qui a laissé une cicatrice sur son menton. Lorsque le demandeur a commencé à crier à l’aide, l’un des trois hommes a tiré des cartouches à blanc en l’air, puis ils ont pris la fuite. Le demandeur a reçu des soins médicaux et s’est caché quelques jours chez sa sœur. Pendant ce temps, les agresseurs sont retournés chez le demandeur et ont menacé sa mère afin qu’elle leur révèle l’endroit où il se trouvait. Celle-ci a alors fui à son tour pour se cacher avec le demandeur chez sa sœur.

[5] Le demandeur est parti de chez sa sœur pour s’enfuir à Dhaka, où il est resté avec un ami pendant quelques jours avant de se rendre à Chittagong, où il est resté chez un oncle pendant environ une semaine. Le demandeur a cessé ses activités de travail social et, craignant pour sa vie, il a fui aux États-Unis en février 2014. Comme il avait un visa, le demandeur n’a pas présenté de demande d’asile aux États-Unis. En juillet 2014, il s’est marié avec une citoyenne américaine. En juillet 2015, il a présenté une demande de carte verte, laquelle a été rejetée en juillet 2017. Le demandeur a interjeté appel de cette décision et a prolongé son visa de travail. Cependant, avant que l’appel ne soit entendu, le demandeur et sa femme se sont engagés dans des procédures de divorce, et sa femme a retiré la demande de carte verte. En octobre 2018, le visa du demandeur a expiré. Il est alors venu au Canada et a présenté une demande d’asile le 20 mars 2019.

[6] Dans ses motifs rendus de vive voix le 10 janvier 2020, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur. La crédibilité était la question déterminante. La SPR a conclu que le témoignage du demandeur concernant ses activités de bienfaisance et de travail social changeait au fil du temps. Bien qu’elle ait reconnu, sur la foi de la preuve médicale, que le demandeur avait été agressé, la SPR a conclu que cette agression n’avait pas été commise à la demande du gouvernement ni en raison du travail social du demandeur. Elle a conclu qu’il y avait des divergences dans le témoignage du demandeur concernant le fait que les criminels étaient des agents de la Ligue Awami.

[7] La SAR a confirmé la décision de la SPR selon laquelle le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[8] La SAR a reconnu que la Ligue Awami utilise des moyens illégaux pour intimider ou persécuter des opposants politiques. Bien que la SAR avait certains doutes quant à la crédibilité du demandeur, une des principales conclusions était que les hommes qui avaient agressé le demandeur n’avaient pas d’« association claire » à la Ligue Awami, si ce n’est qu’ils étaient des criminels à gage :

Je conclus, tout bien considéré, que les présumés agents de persécution sont des criminels opportunistes. Même si j’admets qu’il est possible que ceux‑ci soient engagés par l’AL, le BNP ou tout autre parti ayant de l’argent et de l’influence, je ne vois aucun élément de preuve qui établirait, tout bien pesé, que l’AL a un quelconque intérêt pour les activités de l’appelant.

[9] Devant la SAR, le demandeur a tenté de faire admettre de nouveaux éléments de preuve, soit deux lettres de soutien et deux affiches sur lesquelles se trouvent des photos qui semblent montrer un des agents de persécution participant à des activités de la Ligue Awami.

[10] La SAR a refusé d’admettre la première lettre de soutien, mais a admis la seconde ainsi que les deux affiches. Elle a toutefois conclu que les affiches n’étaient pas fiables puisque chaque traduction comportait une légende mentionnant qu’il s’agissait d’une photo d’un des agents de persécution et qu’aucune légende de ce genre ne se trouvait dans les affiches non traduites. La SAR a souligné l’absence d’observations écrites qui auraient pu expliquer la différence, a conclu que les traductions étaient trompeuses et n’a accordé aucun poids aux affiches.

[11] Si la SAR avait accordé du poids aux affiches, sa conclusion selon laquelle la Ligue Awami n’avait pas persécuté le demandeur en raison de ses activités aurait alors été discutable.

[12] Je conclus que cette décision est déraisonnable, car la SAR n’a pas tenu compte de la preuve au dossier. Plus particulièrement, dans ses motifs, la SAR ne s’est pas penchée sur la déclaration du demandeur selon laquelle il avait été ciblé parce que ses activités de travail social nuisaient à la popularité de la Ligue Awami. La SAR n’a pas non plus examiné la preuve objective selon laquelle la Ligue Awami limite les activités des personnes et des organisations non gouvernementales qui participent à des activités de bienfaisance.

[13] Plus précisément, je suis d’accord avec le demandeur qu’il était déraisonnable pour la SAR de n’accorder aucun poids aux affiches en raison de la présence d’une simple légende dans la traduction qui ne se trouvait pas dans la version originale. L’insigne du représentant figurant dans la deuxième affiche traduite permet d’identifier l’homme qui se trouve sur l’autre affiche comme l’un des agents de persécution du demandeur et un membre du groupe de la Ligue Awami en date de 2020.

[14] Dans la décision Mohamed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 637, la Cour a conclu qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de rejeter la version traduite du rapport de police en raison de divergences entre les dates, qui tiennent au fait que les calendriers éthiopien et grégorien diffèrent. La Cour a également conclu que les demandeurs auraient dû avoir l’occasion de répondre à cette réserve. Elle a jugé déraisonnable de remettre en question l’exactitude de l’ensemble de la traduction sur le fondement de cette seule différence, surtout lorsque l’issue de la demande aurait pu être différente si du poids avait été accordé à la traduction.

[15] À mon avis, le cas en l’espèce est analogue. Bien qu’en appel, elle ait admis les affiches à titre de nouveaux éléments de preuve, la SAR n’a pas remis en question ni la certification de la traduction ni le contenu des affiches. La légende en cause ne fournit aucun renseignement qui n’était pas déjà présent dans la deuxième affiche traduite, soit le nom de l’un des agresseurs du demandeur, qui a été identifié comme étant le secrétaire général de la Ligue des conducteurs de la Ligue Awami. Cet élément de preuve montre que l’un des agresseurs entretenait des liens avec la Ligue Awami en 2020, ce qui entache la conclusion de la SAR selon laquelle l’agent de persécution n’avait pas de lien avec la Ligue Awami, si ce n’est qu’il était un criminel à gage.

[16] Même en accordant du poids aux affiches, la SAR aurait peut-être rendu la même décision. Toutefois, le traitement qu’elle en a fait rend la décision douteuse et déraisonnable.

[17] Le défendeur a demandé que l’intitulé soit modifié pour désigner comme il se doit le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration en tant que défendeur.

[18] Aucune question à certifier n’a été proposée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-6413-20

LA COUR STATUE que l’intitulé de la cause est modifié avec effet immédiat pour désigner comme il se doit le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration en tant que défendeur, que la demande est accueillie et l’appel est renvoyé à un autre commissaire de la Section d’appel des réfugiés, et qu’il n’y a aucune question à certifier.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sophie Reid-Triantafyllos


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6413-20

 

INTITULÉ :

SIFUL ISLAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 OctobrE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 novembRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Nastaran Roushan

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Neeta Logsetty

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nastaran Roushan

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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