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Date : 20221115


Dossier : IMM-5981-21

Référence : 2022 CF 1552

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2022

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

JAQUELINE VANESSA NUNES SANTANA

LUIS CARLOS SERAFIM CONSTANTINO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 23 août 2021 par laquelle un agent principal [l’agent] d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par les demandeurs depuis le Canada au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

II. Contexte

[2] Jaqueline Vanessa Nunes Santana [la demanderesse principale], une femme de 32 ans, et son conjoint de fait, Luis Carlos Serafim Constantino [le codemandeur], un homme de 37 ans, sont des citoyens du Portugal.

[3] La demanderesse principale a passé son enfance au Portugal et, à l’âge de 14 ans, elle a emménagé au Canada le 14 septembre 2004 avec ses parents et son frère cadet. Elle est arrivée en tant que personne à charge de son père, qui a obtenu un permis de travail à titre de chef pâtissier. À l’exception de quelques voyages de courte durée au Portugal, elle est toujours restée au Canada. Son statut était en règle jusqu’en 2011.

[4] En 2009, le père de la demanderesse principale est décédé subitement d’une crise cardiaque au travail. La demanderesse principale prétend avoir développé des problèmes de santé mentale à la suite de cet événement. Elle aurait souffert d’un épisode de trouble mental au Portugal en 2011 et a reçu un diagnostic de trouble bipolaire.

[5] En 2017, la mère de la demanderesse principale s’est remariée. Par la suite, sa mère et son frère cadet ont été parrainés par son beau-père et ont obtenu le statut de résident permanent. Toutefois, la demanderesse principale avait dépassé l’âge limite pour être parrainée à titre de personne à charge.

[6] Le codemandeur est entré au Canada en tant que visiteur en 2014. Sa sœur et son jeune neveu vivent au Canada.

[7] Nul ne conteste que la demanderesse principale et le codemandeur sont conjoints de fait. Ils se sont rencontrés en 2019 et cohabitent depuis le 15 janvier 2020.

[8] Sans statut juridique de 2013 à 2019, la demanderesse a travaillé illégalement dans une boulangerie portugaise bien connue. En 2019, elle a aidé sa mère à ouvrir sa propre boulangerie portugaise. Elle continue d’y travailler et d’aider sa mère dans la gestion quotidienne.

[9] Le 2 février 2021, les demandeurs ont présenté depuis le Canada la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire dans laquelle ils sollicitent une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR pour en faciliter le traitement. Les demandeurs ont sollicité cette dispense pour les motifs suivants :

  1. Leur établissement au Canada;

  2. Les problèmes de santé mentale de la demanderesse principale;

  3. L’intérêt supérieur du neveu du codemandeur.

[10] Dans sa décision du 23 août 2021, l’agent a rejeté la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire des demandeurs. Ces derniers demandent à la Cour d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire à un autre agent d’IRCC pour nouvel examen.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[11] Après avoir examiné les facteurs pertinents liés à l’établissement au Canada de la demanderesse principale, l’agent a accordé peu de poids au degré d’établissement dans son ensemble. Pour chacun des facteurs, l’agent en est arrivé aux conclusions suivantes :

  1. Temps passé au Canada : Bien qu’elle ait passé 17 ans au Canada, la demanderesse principale a passé une grande partie de cette période sans statut, ce que l’agent a considéré comme un facteur défavorable.

  2. Antécédents professionnels : L’agent n’a accordé aucun poids aux antécédents professionnels de la demanderesse principale puisqu’elle a travaillé sans autorisation légale.

  3. Autonomie financière : L’agent a accordé peu de poids à ce facteur étant donné le niveau de revenu et d’épargne des demandeurs.

  4. Relations familiales : Étant donné que la mère, le frère et le beau-père de la demanderesse principale, ainsi que la sœur du codemandeur et sa famille vivent au Canada, l’agent a accordé un certain poids au degré d’établissement familial des demandeurs.

  5. Liens avec la communauté : À l’exception de lettres de soutien de la part d’amis et de membres de leur famille, les demandeurs ont démontré un faible niveau d’intégration à la communauté. L’agent a accordé un certain poids à ce facteur.

[12] Comme je l’ai déjà mentionné, la demanderesse principale a également invoqué ses problèmes de santé mentale comme considération d’ordre humanitaire. L’agent a accordé un certain poids à ce facteur. Même s’il a reconnu que la demanderesse principale souffrait [traduction] « d’une certaine forme de maladie mentale », l’agent a conclu, au vu de la preuve provenant du médecin de la demanderesse principale, que l’état de santé de cette dernière était suffisamment stable. De plus, suivant le raisonnement de l’agent, si la demanderesse principale retournait au Portugal, son conjoint l’accompagnerait et sa famille canadienne serait en mesure de continuer à la soutenir en communiquant avec elle de manière traditionnelle ou en ligne.

[13] L’agent n’a accordé aucun poids à l’intérêt supérieur du neveu du codemandeur. Bien qu’il puisse y avoir une période d’adaptation au début, l’agent n’était pas convaincu que le départ du codemandeur aurait un effet préjudiciable sur son neveu.

[14] Après avoir soupesé l’ensemble des considérations d’ordre humanitaire présentées par les demandeurs, l’agent a conclu qu’elles étaient insuffisantes pour justifier l’octroi de la dispense prévue au paragraphe 25(1) de la LIPR.

IV. Question en litige

[15] La décision était-elle raisonnable?

V. Norme de contrôle

[16] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable [Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 25].

VI. Analyse

[17] Conformément au paragraphe 25(1) de la LIPR, un étranger peut être dispensé de l’obligation habituelle prévue au paragraphe 11(1) selon laquelle il doit présenter sa demande de résidence permanente depuis l’étranger.

[18] Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis trois erreurs qui rendent sa décision déraisonnable :

  1. Il a considéré le temps que la demanderesse principale a passé au Canada comme un facteur défavorable;

  2. Il n’a pas tenu compte du fait que la demanderesse principale bénéficiait d’une vie stable au Canada, ce qui l’aidait à gérer ses problèmes de santé mentale;

  3. Il n’a pas tenu compte des répercussions négatives qu’aurait le renvoi de la demanderesse principale sur la boulangerie familiale.

[19] Les deux derniers arguments ne sont pas étayés par la preuve. L’agent a tenu compte de manière raisonnable et sensible des problèmes de santé mentale de la demanderesse principale. Il a reconnu qu’un médecin avait diagnostiqué un trouble bipolaire chez la demanderesse principale et qu’elle avait bel et bien des problèmes de santé mentale. L’agent a également fait remarquer que, même si elle quittait le Canada, la demanderesse principale continuerait de bénéficier du soutien essentiel des membres de sa famille. Le codemandeur voyagerait probablement avec la demanderesse principale, et celle-ci pourrait rester en contact avec les membres de sa famille au Canada et continuer à recevoir leur soutien en communiquant avec eux à distance.

[20] De même, je conclus que l’agent n’a pas commis d’erreur en ne tenant pas compte des répercussions négatives qu’aurait le départ de la demanderesse principale sur l’entreprise familiale. La cour de révision doit évaluer le caractère raisonnable de la décision de l’agent en fonction du dossier dont il disposait [Vavilov, au para 94]. En l’espèce, dans ses observations, la demanderesse principale a demandé à l’agent d’évaluer son travail à la boulangerie familiale dans le contexte de ses [traduction] « Antécédents professionnels stables ». Conformément à cette demande, l’agent a tenu compte du travail de la demanderesse principale à la boulangerie familiale pour déterminer le poids à accorder à ses antécédents professionnels dans son évaluation de son établissement au Canada. La demanderesse principale n’a pas demandé à l’agent d’examiner les inconvénients que son départ aurait sur l’entreprise familiale en soi.

[21] Je conclus néanmoins que l’agent a commis une erreur en considérant le temps que la demanderesse principale a passé au Canada comme un facteur défavorable. À l’audience, l’avocat des demandeurs a reconnu que l’évaluation de cette question par l’agent est l’élément clé dont la Cour devra tenir compte pour conclure à une décision déraisonnable.

[22] En l’espèce, les conclusions de l’agent sont déraisonnables puisqu’elles ne respectent pas le principe fondamental selon lequel une étude favorable du temps passé illégalement par le demandeur au Canada ne pourrait être justifiée que si ce dernier est au Canada en raison de circonstances échappant à son contrôle [Mann c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 126 aux para 12 à 15].

[23] La demanderesse principale est arrivée au Canada en 2004 alors qu’elle était une enfant âgée de 14 ans et y est demeurée légalement jusqu’en 2011. Ce n’est qu’après cette période qu’elle a vécu au Canada illégalement. Pourtant, l’agent n’a pas accordé de poids favorable au temps que la demanderesse principale a passé au Canada.

[24] Bien que les agents d’immigration aient le droit de faire peser le non‑respect des lois canadiennes en matière d’immigration contre les demandeurs, cette mesure est limitée [Hartono c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1053 au para 23]. En l’espèce, l’agent semble conclure que la période que la demanderesse principale a passée illégalement au Canada l’emporte sur la période qu’elle y a passée légalement, à un point tel que son séjour et sa résidence au Canada ne méritent pas d’être pris en considération. Toutefois, l’agent ne donne aucune explication. D’après ses motifs, l’agent n’a pas tenu compte de la période que la demanderesse principale a passée légalement au Canada et n’explique pas pourquoi cette période ne suffit pas à accorder à la demanderesse principale le moindre traitement favorable. Les motifs sont déraisonnables puisqu’ils ne répondent pas aux exigences de transparence, d’intelligibilité et de justification établies dans l’arrêt Vavilov.

[25] La demande est accueillie.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5981-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sophie Reid-Triantafyllos


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5981-21

 

INTITULÉ :

JAQUELINE VANESSA NUNES SANTANA, LUIS CARLOS SERAFIM CONSTANTINO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 NOVEMBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

lE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 NOVEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

LUKE McRAE

 

POUR LES DEMANDEURS

 

ZOFIA ROGOWSKA

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LUKE McRAE

BONDY IMMIGRATION LAW

TORONTO (ONTARIO)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

TORONTO (ONTARIO)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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