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Date: 20221011

Dossier: DES-3-21

Référence: 2022 CF 1392

Ottawa (Ontario), le 11 Octobre 2022

En présence de l’honorable juge O’Reilly

ENTRE :

AFFAIRE INTÉRESSANT UNE DEMANDE PRÉSENTÉE PAR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA EN VERTU DU PARAGRAPHE 38.04(1) DE LA LOI SUR LA PREUVE AU CANADA, LRC (1985), C C-5

JUGEMENT ET MOTIFS TRÈS SECRETS

[1] La genèse de la présente affaire est décrite dans le dossier 2021 CF 347, AFFAIRE INTÉRESSANT UNE DEMANDE PRÉSENTÉE PAR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA EN VERTU DU PARAGRAPHE 38.04(1) DE LA LOI SUR LA PREUVE AU CANADA, LRC (1985) C C-5.

[2] En voici un résumé. En 2020, j’ai préparé une version publique d’une décision très secrète. Dans la version publique figurait un élément d’information contesté dont le caviardage avait été demandé par le procureur général du Canada, à savoir le numéro de dossier attribué à la décision. Le procureur général a alors présenté une demande en vertu de l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC (1985) c C-5, en vue d’interdire la publication de ce renseignement. J’ai nommé un amicus curiae et entendu les arguments des parties portant sur une question préliminaire : la Cour était-elle compétente pour trancher une demande présentée en vertu de cette disposition si le renseignement que le procureur général du Canada cherchait à voiler figurait dans la décision de la Cour même? J’ai conclu que la Cour l’était.

[3] Les présents jugement et motifs examinent au fond la demande présentée par le procureur général en vertu de l’article 38. En bref, à mon avis, la demande visant à interdire la publication devrait être rejetée.

I. FAITS

[4] Par suite de ma décision sur la question préliminaire intéressant la compétence, le procureur général a déposé un affidavit au soutien de sa prétention selon laquelle la publication de l’élément d’information porterait préjudice à la sécurité nationale. Une audience a été tenue, au cours de laquelle l’auteur de l’affidavit a été interrogé par le procureur général et contre-interrogé par l’amicus. Les deux parties ont ensuite déposé leurs observations écrites.

[5] La preuve a été présentée par une agente du renseignement du Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS ou le Service) qui dirige à l’heure actuelle le service de gestion des instances judiciaires. À ce titre, elle est chargée de décider si le privilège relatif à la sécurité nationale doit être invoqué dans une instance.

[6] L’auteur de l’affidavit a expliqué que le numéro de dossier est attribué par les Services juridiques du SCRS dès lors qu’une demande de mandat est envisagée. |||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| Le numéro de dossier attribué à une demande de mandat figure rarement sur un document public, car les demandes de mandat sont entendues à huis clos (Loi sur le SCRS, art. 27). Ainsi, les documents sont déposés à titre confidentiel, et les audiences ne sont pas ouvertes au public. En règle générale, c’est seulement lorsqu’une demande de mandat soulève une question de droit nouvelle ou complexe ou que la légalité du recours à une nouvelle technologie doit être tranchée que la Cour rédige des motifs dans l’intention d’en divulguer une version publique.

II. CRITÈRE APPLICABLE

[7] Le critère à trois volets énoncé dans l’arrêt Ribic ([2005] 1 RCF 33, 2003 CAF 246) s’applique aux demandes présentées en vertu de l’article 38 lorsque le juge désigné est appelé à décider s’il convient de confirmer l’interdiction de divulgation des renseignements en question :

  1. Les renseignements sont-ils pertinents?

  2. Dans l’affirmative, la divulgation des renseignements porterait-elle préjudice aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale?

  3. Dans l’affirmative, les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent-elles sur les raisons d’intérêt public qui justifient la non-divulgation (soupeser les « intérêts rivaux »)?

i) Les renseignements sont-ils pertinents?

[8] À l’égard du premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Ribic, le procureur général affirme que le numéro de dossier n’est pas pertinent. Selon lui, l’analyse de la pertinence effectuée dans le cadre d’une décision judiciaire ne devrait pas différer sensiblement de celle que fait intervenir une enquête publique. La norme à appliquer dans ce dernier cas est celle de savoir si les renseignements en question sont raisonnablement utiles pour aider le public à comprendre la décision de la Cour. De l’avis du procureur général, le numéro de dossier ne permet pas au public de comprendre les questions soulevées en l’espèce. De plus, la citation neutre, plutôt que le numéro de dossier, servirait à identifier la décision et à la repérer.

[9] Le procureur général soutient également que, puisque la Loi sur le SCRS (art 27) prévoit l’audition à huis clos des demandes de mandat, le législateur a souligné la nécessité d’assurer le secret des instances portant sur des enquêtes du SCRS et des demandes de mandat.

[10] L’amicus affirme que l’analyse de ce qui constitue un renseignement pertinent dans une décision judiciaire doit avoir pour point de départ le principe de la publicité des débats judiciaires. Suivant ce dernier, le jugement et les motifs d’un tribunal sont empreints d’une pertinence inhérente. Partant, le caviardage d’un document judiciaire enfreint ce principe, car il prive le public d’une partie d’un document issu d’un tribunal. En outre, et plus important encore, le caviardage donne l’impression qu’on cache quelque chose.

[11] Je suis d’accord avec l’amicus pour dire que le principe de la publicité des débats judiciaires s’applique aux décisions des tribunaux. Je conviens qu’aux termes de l’article 27 de la Loi sur le SCRS, les demandes de mandat et les documents dont elles sont assorties ne sont pas mis à la disponibilité du public. Toutefois, dans les cas où une demande de mandat soulève une question qui, de l’avis du juge désigné, devrait être examinée en public – sous réserve du caviardage impératif de certains renseignements – les renseignements que contient la décision qui tranche la question sont présumés être pertinents.

ii) La divulgation porterait-elle préjudice?

[12] Le préjudice que la divulgation du numéro de dossier causerait tient, non pas à des renseignements intrinsèques qu’il contient, mais à la possibilité |[que la divulgation du numéro de| ||dossier pourrait être un élément d’un risque plus complexe d’atteinte à la sécurité nationale.]|

[13] Plus précisément, suivant le principal argument du Service, |||[la divulgation du numéro de|||||| ||dossier pourrait être utilisée comme un élément d’un risque plus complexe à la sécurité nationale.] |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[14] Toutefois, il ressort du contre-interrogatoire de l’auteur de l’affidavit que la possibilité |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| est faible. Le risque que |||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| l’est encore plus. En outre, le numéro de dossier |||||||||||||||| |||[divulguerait certaines informations, d’autres informations accessibles au public divulgueraient|| ||||de la même manière des informations présentant le même risque.] |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[15] La divulgation du numéro de dossier est susceptible [d’être un élément du risque||| |||complexe décrit par le SCRS.]|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||| Or, le risque présenté par ce type de préjudice est largement hypothétique. Il n’est pas satisfait au deuxième volet du critère énoncé dans l’arrêt Ribic.

[16] Ainsi, au vu de la preuve, je ne suis pas convaincu que la divulgation du numéro de dossier porterait préjudice aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale. Par conséquent, point n’est besoin d’examiner le troisième volet du critère énoncé dans l’arrêt Ribic. La demande présentée par le procureur général en vue de faire interdire la divulgation du numéro de dossier devrait être rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE QUE :

  1. La demande sollicitant l’interdiction de la divulgation du renseignement caviardé est rejetée.

  2. Le procureur général du Canada et l’amicus proposeront des éléments à caviarder dans les présents jugement et motifs qui sont nécessaires pour protéger les relations internationales, la défense nationale ou la sécurité nationale et indiqueront tout élément dont le caviardage mène à un désaccord, dans les trente jours suivant le présent jugement.

«James O’Reilly»

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

DES-3-21

INTITULÉ :

AFFAIRE INTÉRESSANT UNE DEMANDE PRÉSENTÉE PAR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA EN VERTU DU PARAGRAPHE 38.04(1) DE LA LOI SUR LA PREUVE AU CANADA, LRC (1985), C C‑5

LIEU DES AUDIENCES :

Ottawa (Ontario)

DATE DES AUDIENCES :

le 29 juillet 2021

JUGeMEnT et motifs :

juge O’Reilly

DATE :

LE 11 OCTOBRE 2022

COMPARUTIONS

Maria Barrett-Morris

pour le demandeur

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

 

Gordon Cameron

Amicus

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

pour le demandeur

Gord Cameron

Ottawa (Ontario)

Amicus

 

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