Dossier : IMM-185-22
Référence : 2022 CF 1521
Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2022
En présence de la juge en chef adjointe Gagné
ENTRE :
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MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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demandeur
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et
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DANIEL BANKADI KOLESHAYI
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Le Ministre de la citoyenneté et de l’immigration conteste une décision par laquelle la Section d’appel de réfugiés [SAR] casse la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] et conclut que le défendeur a fourni une preuve suffisante de son identité pour que la SPR examine la demande d’asile du défendeur. La SAR lui retourne donc le dossier pour qu’elle procède à cet examen.
[2] Outre la question préliminaire à savoir si le Ministre a épuisé ses recours administratifs avant de s’adresser à la Cour, la seule question est de savoir si la SAR a eu raison d’intervenir et de casser la décision négative de la SPR.
I.
Faits
[3] M. Daniel Bankadi Koleshayi soutient être un citoyen de la République Démocratique du Congo. Il a demandé l’asile au Canada sous ce nom en 2017.
[4] Toutefois, il est entré au Canada sous une autre identité. La preuve est muette quant au nom qu’il a utilisé et quant aux circonstances exactes de son arrivée au Canada, mais il allègue avoir utilisé un passeport autre que le sien qu’il aurait remis à une personne inconnue à son arrivée.
[5] Le Ministre est intervenu dans la demande d’asile de M. Koleshayi. Il note d’abord que dans son formulaire IMM0008, M. Koleshayi indique qu’il est entré au Canada le 12 octobre 2017 à l’aéroport Pierre-Elliot Trudeau. Toutefois, il n’existe aucune preuve de son passage à l’aéroport.
[6] Le Ministre a produit une copie des notes au Système Mondial de la Gestion de Cas (SMGC) qui se rapportent à une demande de visa résidence temporaire (VRT) reçue de M. Koleshayi en 2013. M. Koleshayi désirait visiter sa mère, résidente permanente au Canada, ce qui lui a été refusé pour des raisons non liées à la présente affaire.
[7] Les notes du SMGC indiquait à l’origine que le défendeur aurait présenté cette demande de VRT sous le nom de Daniel Bankadi-Kandolo. Cependant, le nom du défendeur a été modifié quelques heures plus tard pour se lire Bankadi, Daniel Koleshayi. On ignore les circonstances exactes de cette modification.
[8] La SPR a rejeté la demande d’asile du défendeur sans se prononcer sur le fond de celle-ci puisqu’elle était insatisfaite de sa preuve d’identité. Le défendeur en a appelé avec succès de cette décision, sans intervention de la part du Ministre.
II.
Décision contestée
[9] Pour établir son identité, le défendeur a produit un passeport expiré, un certificat de nationalité obtenu après son arrivée au Canada, ainsi qu’un permis de conduire. Devant la SPR, le défendeur a d’abord affirmé avoir eu ces trois documents en sa possession au moment d’entrer au Canada. Lorsque confronté au fait que le certificat de nationalité porte la date du 25 octobre 2017 alors qu’il est arrivé au Canada le 12 octobre 2017, son avocat est intervenu pour lui rappeler qu’il avait reçu les documents après son arrivée au Canada, dans une enveloppe identifiée au courrier DHL. Bien que la SPR n’ait pas retenu les explications du défendeur à l’effet qu’il avait mal compris la question, la SAR s’en est déclarée satisfaite.
[10] La SAR confirme le peu de valeur probante donnée par la SPR au passeport et au certificat de nationalité déposés par le défendeur. Le passeport expiré a été émis en 2002, alors que le demandeur avait 12 ans. Puisqu’il en a maintenant 32, il est impossible de l’identifier à partir de la photo. Par ailleurs, la SAR note que l’endroit réservé pour le prénom du sujet est laissé en blanc dans le passeport.
[11] Pour ce qui est du certificat de nationalité, la preuve documentaire indique qu’il s’agit d’un document difficile à obtenir, que peu de congolais en détiennent un et qu’il est surtout obtenu pour pratiquer une profession ou pour obtenir un passeport. La SAR juge donc peu crédible que le défendeur ait pu se procurer ce document entre le 12 octobre 2017 et le 25 octobre 2017.
[12] La SPR et la SAR se sont questionnées sur l’absence de témoignage, oral ou écrit, de la mère et de la tante du défendeur qui demeurent toutes les deux au Canada. Elles en ont toutes les deux tiré une inférence négative.
[13] À l’instar de la SPR, la SAR ne voie pas de problème particulier avec le permis de conduire du défendeur mais elle conclut que ce document ne peut, à lui seul, établir l’identité du défendeur.
[14] Toutefois, et contrairement aux conclusions de la SPR, la SAR juge que combiné avec les notes se trouvant au SMGC, le permis de conduire est suffisant pour démontrer l’identité du défendeur selon la prépondérance des probabilités.
[15] La SAR note que la SPR et le Ministre n’ont pas tenu compte de la similarité entre les informations de 2013 contenues aux notes du SMGC et les informations fournies par le défendeur en 2017 au soutien de sa demande d’asile. Les notes contiennent le nom complet du défendeur, sa date de naissance et ce qui semble être son lieu de naissance.
[16] Pour ces motifs, la SAR casse la décision de la SPR et lui retourne le dossier pour qu’elle se penche sur le mérite de la demande d’asile.
III.
Question en litige et norme de contrôle
[17] Cette demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :
Le recours est-il prématuré?
La SAR était-elle justifiée d’intervenir et de casser la décision de la SPR?
[18] Il n’est par ailleurs pas contesté que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique en l’instance.
IV.
Analyse
A.
Le recours est-il prématuré?
[19] Le défendeur soumet que puisque la SAR a accueilli l’appel et renvoyé l’affaire à la SPR, le recours en contrôle judiciaire est prématuré et ne devrait se faire qu’une fois la demande d’asile tranchée.
[20] Avec égard, je ne partage pas cet avis. La SAR a tranché définitivement la question de l’identité du demandeur et si elle a tort et que l’identité n’est pas établie, nul n’est besoin pour la SPR de trancher la demande d’asile. La SAR conclut ainsi :
50. La SAR enjoint à la SPR de considérer la question de l’identité de l’appelant comme étant établie, en l’absence de preuve supplémentaire allant à l’encontre de cette conclusion.
51. La SAR enjoint à la SPR d’examiner le mérite de la demande d’asile.
[21] Puisque la SAR est satisfaite de l’identité du défendeur, il est difficile d’imaginer que le Ministre puisse déposer quelque preuve supplémentaire à l’effet contraire. La décision est donc finale sur la question de l’identité du défendeur, elle a l’autorité de la chose jugée (sauf intervention de cette Cour), et si la SAR a eu tort d’intervenir, elle dispose de l’affaire.
[22] La demande de contrôle judiciaire n’est donc pas prématurée.
B.
La SAR était-elle justifiée d’intervenir et de casser la décision de la SPR?
[23] Sur le fond, le Ministre plaide qu’il est incohérent et irrationnel de la part de la SAR de conclure que le permis de conduire du défendeur ne peut, à lui seule, établir l’identité du défendeur, tout en concluant que les notes du SMGC puissent servir de preuve complémentaires suffisantes.
[24] Je suis d’accord avec le demandeur.
[25] D’abord, le défendeur a témoigné devant la SPR qui a noté un certain nombre de contradictions dans son témoignage. Il me semble que la SPR avait un avantage sur la SAR à cet égard et que ses conclusions ne pouvaient, dans les circonstances, être écartées si facilement. La SPR n’a pas cru les explications du défendeur lorsque confronté au fait que le certificat de nationalité était postérieur à son arrivée au Canada. Elle a noté que le procureur du défendeur a d’ailleurs dû intervenir pour fournir ses propres explications. Puisqu’elle partage par ailleurs les conclusions de la SPR sur la valeur probante des documents d’identité, la SAR aurait dû faire preuve de plus de déférence à l’égard de la conclusion sur la crédibilité du défendeur.
[26] Cela dit, je suis d’avis que la décision perd son caractère raisonnable lorsque la SAR se fonde sur les notes du SMGC pour se satisfaire de l’identité du défendeur. Une entrée de données dans le SMGC par un fonctionnaire du Ministre ne peut raisonnablement faire foi de l’identité d’un demandeur de visa. Il ne s’agit après tout que d’une retranscription des données apparaissant sur un formulaire rempli par le demandeur de visa. La Cour, tout comme la SAR avant elle, n’a pas en sa possession le formulaire en question ni la preuve documentaire produite à l’époque. En ce sens, la SAR ne pouvait raisonnablement accorder plus de poids aux notes du SMGC qu’aux documents produits par le défendeur afin d’établir son identité.
[27] Ces notes ont d’ailleurs été modifiées, pour un motif inconnu, peu de temps après avoir été initialement consignées. On y a modifié le nom du défendeur. L’entrée initiale a été faite au nom de Daniel Bankadi-Kandolo et la SAR n’explique pas quel impact cette modification a pu avoir sur sa conclusion. Cette modification affecte certainement la fiabilité des notes, ce qui n’est pas anodin puisque le seul document auquel la SPR et la SAR accorde une valeur probante est le permis de conduire qui, à lui seul, ne fait pas foi de l’identité du défendeur.
V.
Conclusion
[28] Pour ces motifs, je suis d’avis que le recours du demandeur n’est pas prématuré et que l’intervention de la Cour est requise; je suis d’avis que la SAR a eu tort de casser la décision de la SPR et de se fonder sur des notes internes consignées dans un contexte inconnu pour se satisfaire de l’identité du défendeur. La décision de la SAR est infirmée et le dossier lui est retourné pour une nouvelle détermination.
[29] Les parties n’ont proposé aucune question d’importance générale pour fin de certification et aucune telle question n’émane des faits de cette cause.
JUGEMENT dans IMM-185-22
LA COUR STATUE que:
La demande de contrôle judiciaire du demandeur est accordée;
La décision de la Section d’appel des réfugiés est infirmée et le dossier lui est retourné pour une nouvelle détermination par un autre membre.
Aucune question d’importance générale n’est certifiée.
« Jocelyne Gagné »
Juge en chef adjointe
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-185-22
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INTITULÉ :
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MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c DANIEL BANKADI KOLESHAYI
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 5 octobre 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ
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DATE DES MOTIFS :
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LE 8 novembre 2022
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COMPARUTIONS :
Daniel Latulippe
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Pour le demandeur
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Aristide M. Koudiatou
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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Pour le demandeur
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Aristide M. Koudiatou
Montréal (Québec)
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Pour le défendeur
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