Dossiers : IMM-1427-22
IMM-1428-22
Référence : 2022 CF 1562
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 16 novembre 2022
En présence de monsieur le juge Pentney
Dossier : IMM-1427-22
ENTRE : |
ARKAN HASHEMI |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ |
défendeur |
Dossier : IMM-1428-22
ENTRE : |
ASHKAN HASHEMI |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Les demandeurs sont des frères jumeaux originaires d’Iran qui souhaitent venir terminer leurs études secondaires au Canada. Ils ambitionnent ensuite d’entreprendre des études dans une université canadienne – l’un en architecture et l’autre en médecine. Les deux demandes de visa d’étudiant ont été rejetées. Les demandeurs sollicitent l’annulation de ces décisions de rejet dans la présente demande de contrôle judiciaire.
[2] Chaque demandeur a présenté sa propre demande de contrôle judiciaire, puisque chacun avait soumis une demande de permis d’études distincte. Vu la parenté entre les deux affaires, elles ont été instruites conjointement, et une copie des présents motifs sera versée dans chaque dossier. Par souci de commodité, je désignerai les demandeurs par leur prénom : Arkan, dossier de la Cour IMM‑1428‑22, et Ashkan, dossier de la Cour IMM‑1428‑22.
[3] Pour les motifs qui suivent, les demandes de contrôle judiciaire seront accueillies. Si je ne retiens pas plusieurs des arguments des demandeurs à propos des diverses lacunes de la décision de rejet, je conviens que celle-ci n’est pas raisonnable. En effet, elle ne tient pas compte de la raison principale invoquée par les demandeurs pour expliquer leur désir de terminer leurs études secondaires au Canada.
I. Le contexte
[4] Les demandeurs ont terminé leur 11e année du secondaire en Iran et cherchent tous deux à venir faire leur 12e année au Canada. Bien que les déclarations individuelles accompagnant chacune des demandes diffèrent à certains égards, il est clair que les demandeurs visaient à ce que leurs demandes soient évaluées ensemble, puisqu’elles ont de nombreux points communs. Les deux demandeurs font mention d’un bon ami qui est venu au Canada et qui leur a vanté la grande qualité du système d’éducation et, plus généralement, le mode de vie dans ce pays. Il convient donc d’examiner la justification donnée par chaque demandeur afin de bien définir le cadre d’analyse applicable au contrôle de la décision de l’agent.
[5] Dans sa demande, Ashkan affirme que [traduction] « l’idée de l’immigration [lui] est venue il y a plusieurs années »
, mais il n’avait pas décidé dans quel pays jusqu’à ce que l’un de ses proches amis d’enfance immigre au Canada. Cet ami lui a mentionné plusieurs aspects concernant ses études et sa vie personnelle dans ce pays, précisant qu’il y a [TRADUCTION] « une grande convivialité entre les étudiants et les professeurs [au Canada], et [que ceux‑ci] se concentrent sur les matières importantes qui sont très utiles dans la vie de chacun ».
L’ami d’Ashkan lui a également parlé de la vie au Canada, affirmant que [traduction] « c’est un avantage que de pouvoir discuter avec de nouveaux amis qui maîtrisent l’anglais et le français […] »
.
[6] Ashkan soutient qu’il veut étudier au Canada principalement parce que [traduction] « le fait d’étudier dans un autre pays [lui] permettra de gagner en indépendance et d’entamer une vie remplie de défis ».
Il ajoute que [TRADUCTION] « la possibilité d’acquérir de précieuses connaissances dans une université canadienne ou un collège canadien de renom représente également un
avantage »
. Ashkan dit se passionner pour la biologie et la chimie et entend étudier la médecine à l’université.
[7] Pour sa part, Arkan déclare avoir [traduction] « étudié les mathématiques dans l’une des meilleures écoles secondaires de Tabriz, Allame ».
Il ajoute : [TRADUCTION] « J’essaie maintenant de me préparer à aborder de nouveaux défis. Je pourrai ensuite être accepté dans l’une des meilleures écoles secondaires, puis dans une bonne université au Canada. »
Arkan mentionne lui aussi l’ami proche vivant au Canada [traduction] « qui [leur] a parlé des avantages de vivre [dans ce pays], comme la présence d’établissements d’enseignement de qualité qui préparent [les étudiants] à étudier dans les plus grandes universités […] »
. Il affirme que son frère et lui ont étudié pendant onze ans en Iran, et qu’ils ont maintenant décidé de poursuivre leurs études et [traduction] « d’apprendre à étudier avec de nouveaux professeurs et étudiants très accueillants »
. Arkan indique que son ami a décrit plusieurs des avantages que comporte la vie au Canada. Il dit vouloir étudier l’architecture à l’université après ses études secondaires.
[8] Les demandeurs concluent tous deux leur lettre en expliquant qu’ils sont jumeaux et qu’ils ont l’intention manifeste de rester ensemble. Arkan l’exprime clairement dans sa lettre : [TRADUCTION] « Nous sommes jumeaux et nous nous rendrons tous les deux au Canada si vous nous accordez un visa. Il nous est impossible d’être loin l’un de l’autre. Nous sommes la moitié l’un de l’autre. »
[9] Les deux demandeurs ont été admis en 12e année dans le profil « science »
de la North Star Academy, située à Laval, au Québec. Ils ont versé 10 000 $ en droits de scolarité, sur un total de 25 800 $ pour l’année, puis ont déposé leurs demandes de permis d’études.
[10] Le 4 janvier 2022, l’agent des visas (l’agent) a rejeté les deux demandes. Il a déclaré : [traduction] « Je ne suis pas convaincu que vous quitterez le Canada à la fin de votre séjour […] compte tenu de vos liens familiaux au Canada et dans votre pays de résidence […] [ainsi que] de la raison de votre visite. »
L’agent s’appuie sur le paragraphe 216(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, pour justifier les deux motifs de refus.
[11] Les notes consignées par l’agent dans le Système mondial de gestion de cas [le SMGC] énoncent ainsi la raison du refus :
[traduction]
J’ai examiné la demande. Je ne suis pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour à titre de résident temporaire. Je constate ce qui suit : le client est célibataire, mobile, n’est pas bien établi et n’a aucune personne à charge. Je constate que le demandeur a payé ses droits de scolarité pour étudier à l’établissement d’enseignement désigné prévu. Cependant, si je m’en remets aux documents financiers présentés, je ne suis pas convaincu que le demandeur dispose de fonds suffisants pour étudier avec succès au Canada. Le demandeur est mineur, a 17 ans, et demande à venir au Canada pour faire sa 12e année à la North Star Academy Laval. La raison de la visite en soi ne paraît pas raisonnable compte tenu du fait que des programmes d’études semblables sont offerts plus près du lieu de résidence du demandeur à une fraction du prix. Après avoir apprécié les facteurs propres à la présente demande, je ne suis pas convaincu que le demandeur quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Pour les motifs qui précèdent, je rejette la présente demande.
[12] Les demandeurs, qui font valoir qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale et que la décision est déraisonnable, prient la Cour d’annuler celle‑ci. Comme je l’explique plus loin, je juge que la décision est déraisonnable. Il n’est donc pas nécessaire que j’analyse l’argument relatif à l’équité procédurale, sauf pour souligner qu’il ne m’apparaît pas convaincant.
II. La question en litige et la norme de contrôle applicable
[13] La question déterminante en l’espèce est de savoir si la décision est raisonnable selon le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].
[14] Suivant le cadre établi dans cet arrêt, le rôle d’une cour de révision « consiste à examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et à déterminer si la décision est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes »
(Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Société canadienne des postes] au para 2). Il incombe au demandeur de convaincre la Cour que « la lacune ou la déficience [invoquée] […] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable »
(Vavilov, au para 100, cité avec approbation dans Société canadienne des postes, au para 33). Le cadre établi dans l’arrêt Vavilov vise à renforcer la « culture de la justification »
au sein de l’administration publique (aux para 2 et 14). Pour ce faire, il exige notamment des décideurs qu’ils tiennent compte des principaux arguments avancés par les parties (aux para 125‑128).
III. Analyse
[15] La décision de rejet de l’agent repose sur deux motifs, à savoir a) les liens familiaux des demandeurs au Canada et en Iran, et b) la raison de la visite. Relativement à ce deuxième motif, l’agent invoque avant tout la possibilité pour les demandeurs de se tourner vers des programmes d’études accessibles localement à moindre coût ainsi que la situation financière de la famille. Ce sont là les motifs sur lesquels s’appuie la conclusion générale selon laquelle les demandeurs ne quitteraient pas le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.
[16] Les demandeurs contestent les conclusions tirées par l’agent à l’égard des deux motifs. Ils affirment que celui-ci a appuyé sa décision sur des généralisations sans fondement qui ne sont pas étayées par la preuve et qu’il ne s’est pas véritablement penché sur les aspects favorables de la demande. Les demandeurs soutiennent que ces erreurs de la part de l’agent sont capitales et qu’elles justifient donc l’annulation de la décision. J’examinerai un à un les principaux arguments avancés par les demandeurs, après avoir analysé brièvement les éléments clés du cadre législatif qui s’applique dans le cas de demandes de permis d’études.
[17] Selon l’arrêt Vavilov, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable prend comme point de départ le cadre législatif qui régit la décision. Le défaut d’appliquer les éléments clés de ce cadre peut justifier l’annulation d’une décision. En l’espèce, les demandeurs cherchaient à obtenir un visa de résident temporaire dans le but de faire des études au Canada.
[18] Il incombe aux demandeurs d’établir qu’ils satisfont aux exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2022-227 [le Règlement]. Au titre de l’alinéa 216(1)b) du Règlement, l’agent ne doit pas délivrer de permis d’études à un étranger s’il n’est pas convaincu que celui-ci quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable.
[19] Dans la décision Chhetri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 872, le juge Rennie a déclaré ce qui suit :
[14] L’accent doit donc être mis sur la solidité des liens avec le pays d’origine. Les agents des visas doivent évaluer la solidité des liens qui unissent le demandeur à son pays d’origine ou qui l’attirent vers ce dernier par rapport aux mesures incitatives, économiques ou d’autre nature, qui pourraient inciter l’étranger à dépasser la durée permise. En ce sens, l’avantage économique relatif est un élément nécessaire de la décision, mais il ne s’agit pas du seul volet de l’analyse. Ce n’est qu’au moyen d’une preuve objective qu’il existe de solides liens sociaux et économiques opposés avec le pays d’origine que l’on s’acquitte du fardeau d’établir l’existence d’une intention de retour.
[20] Ce passage a récemment été cité avec approbation par le juge Andrew Little au paragraphe 23 de la décision Ocran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 175. Il s’agit d’un résumé approprié de la façon dont le cadre législatif sur lequel s’appuie un agent des visas s’applique en pratique. En l’espèce, la question est de savoir si les motifs de l’agent sont raisonnables dans la mesure où celui-ci a appliqué ce cadre législatif aux principaux faits de la présente affaire.
[21] Comme nous l’avons constaté précédemment, la lettre de décision cite deux motifs de rejet, soit les liens familiaux des demandeurs et la raison de leur visite.
[22] En ce qui concerne les liens familiaux, les demandeurs allèguent que l’agent a commis une erreur manifeste, puisqu’ils n’ont pas de famille au Canada. Tous leurs proches et amis, à l’exception de l’ami vivant au Canada mentionné plus haut, sont en Iran, et ils ont toutes les raisons de vouloir retourner dans ce pays. Le défendeur reconnaît que la famille des demandeurs vit en Iran, mais il fait valoir que les deux frères ont exprimé la volonté de rester ensemble et que, s’ils demeuraient au Canada, ils pourraient donc compter sur leur présence mutuelle.
[23] Je ne suis pas convaincu par la justification que donne le défendeur de la conclusion de l’agent relativement aux liens familiaux des demandeurs. Rien dans la lettre de décision ou les notes de l’agent ne permet de penser que celui-ci estimait que la présence des deux jumeaux au Canada représentait un facteur déterminant. En fait, les notes de l’agent ne traitent à peu près pas de la question des liens familiaux.
[24] En ce qui concerne la raison de la visite, les demandeurs avancent plusieurs arguments. Sur la question des possibilités d’études accessibles localement à moindre coût, ils affirment qu’il s’agit d’une hypothèse sans fondement et qu’aucun élément de preuve au dossier ne permet d’appuyer cette conclusion de l’agent. Ils invoquent également des décisions dans lesquelles il a été établi qu’une telle lacune justifie l’annulation du rejet d’une demande de visa d’étudiant (Yuzer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 781 aux para 21‑22; Aghaalikhani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1080 au para 20; Afuah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 596 au para 15).
[25] Je ne suis pas convaincu qu’il s’agit d’une erreur qui justifie l’annulation de la décision en l’espèce. Les demandeurs sont des élèves du secondaire. Ils ont terminé leur 11e année en Iran et n’ont pas affirmé ne pas être en mesure de terminer leurs études secondaires dans ce pays. Il s’agit là du fondement de la conclusion de l’agent à ce sujet, conclusion qui est à la fois logique et étayée par la preuve. Chaque cas doit être examiné selon les faits qui lui sont propres. La présente affaire ne s’apparente pas à celles invoquées par les demandeurs. L’agent n’a pas fait mention d’un programme collégial ou universitaire inconnu qui serait accessible aux demandeurs et il n’a pas non plus fait de comparaison concrète entre différents programmes. Il a plutôt fondé sa conclusion sur les éléments de preuve indiquant que les demandeurs avaient été en mesure de terminer leur 11e année en Iran et qu’ils n’avaient pas affirmé ne pas pouvoir faire leur 12e année dans ce pays. La conclusion tirée par l’agent à cet égard est raisonnable compte tenu de la preuve au dossier.
[26] Les demandeurs allèguent également que l’agent a commis une erreur dans ses observations au sujet de la situation financière de la famille et qu’il a fait fi de la preuve lorsqu’il a conclu : « Je ne suis pas convaincu que [les demandeurs] dispose[nt] de fonds suffisants pour étudier avec succès au Canada. »
En effet, les demandeurs ont notamment présenté en preuve un relevé de compte bancaire montrant un solde d’environ 454 000 $ CA de même que des documents attestant qu’ils avaient tous deux déjà acquitté près de la moitié des droits associés au programme de 12e année. Lors de l’audience, le défendeur a indiqué qu’il n’affirmait plus que cet aspect du raisonnement de l’agent était justifié ou justifiable. Je n’ai donc plus à me prononcer sur la question à ce stade.
[27] Les demandeurs avancent essentiellement qu’ils indiquaient clairement la raison de leur visite : venir terminer leurs études secondaires au Canada afin d’y poursuivre des études universitaires par la suite. Il s’agissait là de la raison globale de leur visite. Ils avaient toutes les raisons de retourner en Iran après leurs études, puisque leur famille et leurs autres attaches se trouvent dans ce pays. Les demandeurs font valoir qu’ils expliquaient également dans leur demande les avantages d’étudier au Canada. À leur avis, il leur serait profitable de vivre de nouveaux défis, de recevoir une éducation de qualité supérieure au Canada et de gagner en indépendance du fait de vivre loin de leur famille. Pour toutes ces raisons, ils soutiennent que la conclusion de l’agent selon laquelle la « raison de la visite en soi ne paraît pas raisonnable »
est injustifiée.
[28] Selon le défendeur, l’examen des lettres de décision de l’agent et de ses notes consignées dans le SMGC permet de conclure que son raisonnement est clair. Le défendeur avance que l’agent [traduction] « était surtout préoccupé par le fait que le programme n’était pas logique du point de vue éducatif »
. Il incombait aux demandeurs de convaincre l’agent qu’ils quitteraient le Canada à l’échéance de leur permis d’études. La documentation qu’ils ont fournie en ce sens ne leur a simplement pas permis de s’acquitter de ce fardeau (citant Roopchan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1342 aux para 14‑19, et Farnia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 511 au para 16). Le défendeur souligne que les demandeurs n’ont donné aucune raison pour justifier qu’ils n’étaient pas en mesure de terminer leurs études secondaires en Iran ou d’y entreprendre des études universitaires. Ils ont également omis d’expliquer pourquoi ils ont choisi d’étudier à la North Star Academy.
[29] Le défendeur soutient que ce sont les multiples préoccupations de l’agent qui ont amené celui‑ci à conclure que les demandeurs se servaient du permis d’études pour faciliter leur entrée au Canada plutôt que pour y poursuivre leurs études. Il était loisible à l’agent de tirer une telle conclusion, et le défendeur allègue que les demandeurs ne sont pas parvenus à démontrer que celle-ci était déraisonnable.
[30] Malgré les observations judicieuses présentées par l’avocat du défendeur, je ne peux conclure que la décision de l’agent était raisonnable. Deux des principaux motifs invoqués par l’agent à l’appui de sa conclusion sur la raison de la visite sont soit discutables (les liens familiaux) soit entièrement infondés (les moyens financiers). En outre, je conviens que le plan d’études des demandeurs n’est pas particulièrement convaincant, mais j’estime qu’ils y expliquent certaines de leurs motivations à venir au Canada pour terminer leurs études secondaires, alors que l’agent n’en a pas tenu compte dans ses motifs.
[31] Si la justification donnée par le défendeur quant au rejet souligne en quoi la décision est justifiée au regard du dossier, il ne s’agit pas de l’approche à adopter dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, comme il est énoncé dans l’arrêt Vavilov. La question est plutôt de savoir si, à la lecture des motifs dans leur ensemble et à la lumière du dossier, la décision est justifiée au regard du droit et des faits ainsi que des observations formulées par les parties (Vavilov, au para 86). En l’espèce, le défendeur attend de la Cour qu’elle comble un trop grand nombre de lacunes dans les motifs de l’agent.
[32] Je conviens avec le défendeur que l’essentiel de la décision de l’agent se résume à la conclusion selon laquelle le plan d’études des demandeurs est illogique. Cela dit, l’agent a omis d’aborder les raisons pour lesquelles les demandeurs disent vouloir étudier au Canada, et cette omission ébranle le fondement même de sa décision. Même si l’agent n’a pas à se pencher sur chaque argument avancé ni chaque élément de preuve présenté, il est tenu d’expliquer son raisonnement relativement aux faits déterminants de la demande à l’examen. Je suis incapable de discerner pourquoi l’agent a rejeté les observations des demandeurs concernant les avantages dont ils estiment pouvoir profiter en venant au Canada.
[33] Selon le défendeur, l’agent a conclu que les principaux aspects du plan d’études des demandeurs étaient trop vagues et que leurs demandes comportaient d’autres lacunes. En effet, ils n’ont pas justifié leur choix d’établissement, n’ont donné aucune raison de vouloir poursuivre des études universitaires au Canada plutôt qu’en Iran et n’ont pas manifesté d’intention de retourner dans ce pays à la fin de leurs études. De l’avis du défendeur, tous ces facteurs se retrouvent au dossier et étayent implicitement la conclusion de l’agent. Une difficulté se pose toutefois du fait que ce n’est pas ce que disent les motifs de l’agent ni ce que laissent croire ses notes.
[34] À mon avis, la décision devient ainsi déraisonnable dans son ensemble. Dans sa lettre de décision, l’agent explique son refus en disant principalement qu’il n’était pas convaincu que les demandeurs quitteraient le Canada à la fin de leur période de séjour compte tenu de la raison de leur visite. Les demandeurs cherchaient seulement à étudier au Canada. Il ressort clairement des notes consignées dans le SMGC que l’agent doutait de l’authenticité de la raison donnée par les demandeurs, principalement parce que les dépenses ne semblaient pas justifiées vu l’existence d’un programme comparable en Iran. Les demandeurs ont expliqué – quoique par des observations imparfaites et plutôt générales – en quoi ils estimaient important de terminer leurs études secondaires au Canada. Ils affirment qu’ils auraient ainsi accès à une éducation de qualité supérieure dans un milieu enrichissant, ce qui leur donnerait de meilleures chances d’être admis dans une université canadienne. L’agent ne s’est pas intéressé à la raison donnée par les demandeurs pour expliquer leur choix de venir terminer leurs études secondaires au Canada.
[35] La Cour a déclaré à maintes reprises que les décisions des agents des visas commandent la retenue, et que, compte tenu du nombre important de demandes de visa à traiter, il n’est pas nécessaire que les motifs des agents soient longs ou détaillés (Lingepo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 552 au para 13, citée avec approbation dans Ocran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 175 au para 15). Cependant, les motifs doivent énoncer les éléments principaux du mode d’analyse de l’agent et tenir compte de l’essentiel des observations du demandeur concernant les points les plus pertinents (Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 77 au para 17, citée avec approbation dans Motlagh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1098 au para 22). Je juge qu’en l’espèce, la décision ne répond pas à cette norme et qu’elle est donc déraisonnable au regard du cadre d’analyse établi dans l’arrêt Vavilov.
[36] Pour ces motifs, les demandes de contrôle judiciaire sont accueillies. Les deux affaires seront renvoyées à un autre agent pour nouvel examen.
[37] Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.
[38] Une copie du présent jugement et de ses motifs sera versée à chaque dossier.
JUGEMENT dans les dossiers IMM-1427-22 et IMM-1428-22
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.
Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.
« William F. Pentney »
Juge
Traduction certifiée conforme
Semra Denise Omer
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIERS :
|
IMM‑1427‑22 et IMM‑1428‑22 |
INTITULÉS :
|
ARKAN HASHEMI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATON ASHKAN HASHEMI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATON |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE |
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 4 octobre 2022 |
JUGEMENT ET MOTIFS |
LE JUGE PENTNEY |
DATE DES MOTIFS :
|
LE 16 novembre 2022 |
COMPARUTIONS :
Ramanjit Sohi |
POUR LES DEMANDEURS |
Samson Rapley |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Raman Sohi Law Corporation Avocats Surrey (Colombie-Britannique) |
POUR LES DEMANDEURS |
Procureur général du Canada Vancouver (Colombie‑Britannique) |
POUR LE DÉFENDEUR |