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Date : 20050714

Dossier : T-115-05

Référence : 2005 CF 985

Montréal (Québec), le 14 juillet 2005

Présent :          ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

ENTRE :

                                                J.J. MACKAY CANADA LIMITED

                                                                                                                                   demanderesse/

                                                                                                       défenderesse reconventionnelle

                                                                             et

                                                   SOCIÉTÉ EN COMMANDITE

                                             STATIONNEMENT DE MONTRÉAL

                                                                             

                                                                                                                                     défenderesse/

                                                                                                      demanderesse reconventionnelle

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit en l'espèce d'une requête de la défenderesse et demanderesse reconventionnelle Société en commandite Stationnement de Montréal (ci-après Stationnement de Montréal) sous la règle 107 des Règles des Cours fédérales (les règles) afin que la Cour ordonne essentiellement la scission de l'instance pour que la question de la contrefaçon et de la validité du brevet '677 soit décidée d'abord et que la question des dommages et perte de profits soit tranchée dans une instance séparée advenant que la Cour conclue à la validité du brevet et à sa contrefaçon.


[2]                Stationnement de Montréal est poursuivie en contrefaçon du brevet '677 dont l'invention consiste en un système informatisé de perception de frais de stationnement.

[3]                En défense à cette action, Stationnement de Montréal plaide l'invalidité du brevet '677 en ce que l'invention audit brevet aurait été anticipée. Selon Stationnement de Montréal, le brevet serait une copie presque identique d'un document d'appel de propositions préparé par Stationnement de Montréal et distribué à la demanderesse/défenderesse reconventionnelle J.J. MacKay Canada Limited (ci-après MacKay) le 2 octobre 2002.

[4]                Ce document fut envoyé à MacKay dans le cadre d'un processus d'appel de propositions visant à remplacer par un système informatisé les parcomètres alors sur rue sur le territoire de la Ville de Montréal.

[5]                Suivant MacKay, une corporation canadienne basée en Nouvelle-Écosse, elle aurait développé l'invention en litige dans le cours de ses affaires qui consistent à produire, distribuer, vendre et entretenir des systèmes reliés aux parcomètres.

[6]                Les parties en sont rendues à l'étape de la production de leurs affidavits de documents et c'est dans le cadre de discussions quant au contenu de l'affidavit de documents de Stationnement de Montréal que la présente requête surgit; requête à laquelle MacKay s'oppose.

Analyse

[7]                Bien que MacKay souligne par affidavit qu'elle veut dans le cadre de la présente action procéder le plus rapidement possible avec l'ensemble de sa cause et qu'elle s'oppose de plus à la requête à l'étude, ces facteurs de même que les autres éléments de préjudice soulevés par MacKay - sans être ignorés - se doivent, je pense, d'être appréciés et incorporés dans le cadre du test que la Cour fait valoir dans l'arrêt Illva Saronno S.p.A. c. Privilegiata Fabbrica Maraschino « Excelsior » (1re inst.), [1999] 1 C.F. 146 (ci-après l'affaire Saronno), en page 154, paragraphe 14, où la Cour établit que :

Par conséquent, compte tenu des décisions qui ont été rendues et des modifications qui ont été apportées par les Règles de 1998, je formulerais le critère à appliquer en vertu de la règle 107 comme suit: dans le cadre d'une requête présentée en vertu de la règle 107, la Cour peut ordonner l'ajournement des interrogatoires préalables et de la détermination des questions de redressement tant que les interrogatoires préalables et l'instruction concernant la question de la responsabilité n'auront pas eu lieu, si elle est convaincue selon la prépondérance des probabilités que, compte tenu de la preuve et de toutes les circonstances de l'affaire (y compris la nature de la demande, le déroulement de l'instance, les questions en litige et les redressements demandés), la disjonction permettra fort probablement d'apporter au litige une solution qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.


[8]                Pour les raisons qui suivent, j'ai décidé que Stationnement de Montréal s'était acquittée ici de l'obligation qui lui incombait d'établir selon la prépondérance des probabilités que la possibilité d'effectuer des économies de temps et d'argent et d'apporter une solution juste au litige est telle qu'est justifiée une dérogation au principe général voulant que toutes les questions qui se posent dans une instance soient examinées ensemble.

[9]                MacKay souligne également en se référant à des décisions de tribunaux provinciaux que selon son estimation, les tribunaux sont peu favorables à accorder une disjonction parce que cela entraîne, entre autres, des coûts, des délais et une duplication additionnels. En cette Cour, toutefois, et bien que chaque cas doit être évalué à ses propres mérites, je ne puis considérer que cette estimation de MacKay soit la tendance, spécialement en matière de propriété intellectuelle.

[10]            En effet, par les propos suivants, la Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Apotex Inc. v. Bristol-Myers Squibb Co. (2003), 308 N.R. 152, en page 155, aux paragraphes 8 et 9, reconnaît qu'il est commun chez le barreau de la propriété intellectuelle qu'une ordonnance de disjonction sous la règle 107 soit émise de consentement en matière de brevets :

8               Counsel for the appellant suggested that no conclusion could be drawn from the evidence that a number of bifurcation orders had been made on consent, on the ground that each case stood on its own facts. However, such cases may also have certain things in common. William L. Hayhurst Q.C., a distinguished member of the intellectual property bar had this to say about the practice in patent litigation:


Because the trial of an action for patent infringement may be lengthy and complex (largely because of the technology involved rather than because of any special difficulty about the applicable law), the parties have commonly agreed to an order deferring an inquiry into damages or an accounting until the court has decided whether the patentee has established its right to any remedy. This may eliminate some needless pre-trial discovery and avoid premature disclosure of confidential financial information. If discovery after trial is required, anything that may have been held not to infringe may be ignored, at least if no appeal is pending.

Hayhurst, W.L. Remedies in Henderson, G., Patent Law in Canada, Carswell, Toronto 1994 at p. 289.

9               When an experienced specialist bar like the intellectual property bar commonly consents to the making of a bifurcation order, [...]

[11]            J'ai regroupé ci-après pour fins d'analyse ultérieure des éléments d'étude retenus dans l'affaire Saronno.

A.         La nature de l'instance et les questions en litige

[12]            Pour établir, entre autres, que les questions de contrefaçon et d'invalidité étaient en l'espèce simples, Stationnement de Montréal a introduit en preuve l'affidavit d'un procureur du bureau d'avocats la représentant en l'espèce. Selon MacKay, cette façon de faire est inadmissible et partie de cet affidavit devrait être radiée. Je n'entends pas en l'espèce procéder à la radiation totale ou partielle de cet affidavit mais je verrai si je dois y accorder du poids dépendamment des sujets étudiés ci-dessous.


[13]            À cet égard, quant au caractère simple des questions de contrefaçon et d'invalidité, on peut se montrer d'accord avec MacKay que c'est là finalement un exercice qui vise l'interprétation des revendications du brevet en litige; exercice qui ne revient pas aux procureurs de Stationnement de Montréal. Sur cet aspect, l'affidavit de Stationnement de Montréal ne sera pas suivi.

[14]            Suivant les représentations écrites de MacKay (voir son paragraphe 39), la question de contrefaçon, et fort possiblement, donc, la question de l'invalidité du brevet en litige, sont des questions complexes. MacKay n'offre toutefois pas ici de preuve valable quant à une telle conclusion. Toutefois même si la Cour se disait prête à suivre cette évaluation de MacKay, ceci nous amènerait à considérer que les questions de contrefaçon et d'invalidité sont complexes. Or, tel que l'auteur Hayhurst cité par la Cour d'appel fédérale (voir paragraphe 11) le fait ressortir, le caractère complexe de telles questions milite en faveur d'une disjonction.

[15]            Par ailleurs, par le biais d'un affidavit du directeur de la technologie chez MacKay, M. Greg Chauvin, MacKay cherche à établir que l'information financière touchant les dépenses de télécommunication et de réseau de Stationnement de Montréal est non seulement requise pour les mesures de redressement mais l'est également pour les fins d'établir une contrefaçon de la part de Stationnement de Montréal. Ainsi toutes ces questions seraient interreliées et on ne saurait concevoir une disjonction sous la règle 107.


[16]            Si l'on comprend bien MacKay à cet égard, l'invention à la base de son brevet a pour caractéristique de transmettre un volume minimum de données aux différents terminaux. Les dépenses de télécommunication et de réseau de Stationnement de Montréal seraient directement proportionnelles au volume de transmission de données. La connaissance des dépenses de Stationnement de Montréal permettrait donc à MacKay de voir si Stationnement de Montréal contrevient à son invention par un volume de transmission minimum.

[17]            Toutefois, il m'appert que c'est directement et proprement le volume même de transmission de données qui pourrait en théorie présenter une pertinence quant à une contravention possible. Si ce volume est toujours pertinent face aux plaidoiries écrites, il m'appert qu'il pourrait être résolu directement par une enquête sur cet aspect sans passer par une évaluation des dépenses de Stationnement de Montréal. Je considère que par ce chemin indirect, MacKay cherche à créer une interrelation artificielle entre les questions de responsabilité et de redressements pour échapper à une ordonnance de disjonction.

[18]            De plus, il ressort de la position de Stationnement de Montréal que la seule défense de non-contrefaçon mise de l'avant par Stationnement de Montréal face à l'action de MacKay soit que son système n'est muni d'aucune fonction permettant de recevoir des informations concernant l'occupation des places.

[19]            En conséquence, cet élément de volume de transmission des données n'est fort probablement plus une question en litige sur la base des plaidoiries écrites.

[20]            Quant à la réclamation en dommages punitifs formulée par Stationnement de Montréal dans sa demande reconventionnelle, l'arrêt Carpenter v. Amherstburg (Town) Police Services Board, [2003] O.J. No. 3101 (Ont. S.C.J.) auquel MacKay nous réfère implique un contexte totalement différent du nôtre et cet arrêt peut donc être distingué sur cette base. Cet aspect de la réclamation de Stationnement de Montréal n'est pas à mon avis un empêchement à une ordonnance sous la règle 107.

[21]            J'en conclus donc que la Cour n'aura pas à analyser d'aucune façon la question des dommages ou profits pour en arriver à conclure, entre autres, sur la question de contrefaçon ou de validité du brevet et vice versa.

B.         Le déroulement de l'instance et les redressements recherchés

[22]            Il appert qu'au stade présent des procédures, les parties n'ont investi que peu de ressources dans la question du redressement.

[23]            Il ressort en premier lieu que les affidavits de documents des parties respectives restent à être produits.

[24]            Par ailleurs, il est à souligner que les interrogatoires au préalable n'ont pas eu lieu, ni sur la question de responsabilité non plus que sur la question du redressement.


[25]            D'autre part, bien que l'octroi des profits demeure à la discrétion ultime de la Cour, il n'en demeure pas moins à ce stade que la question des profits se pose toujours.

[26]            Encore ici, MacKay a dénoncé le fait que Stationnement de Montréal ait soumis au soutien de sa requête un affidavit provenant d'un des procureurs du cabinet agissant pour elle. Bien que cela soit le cas, je n'entends pas écarter les allégations qu'il contient. Bien que je ne suis pas persuadé, tel qu'indiqué à cet affidavit, que la partie du procès sur les redressements prendrait l'équivalent d'un mois, je considère que cet affidavit témoigne de façon crédible d'un exercice long et coûteux quant à un calcul éventuel des profits.

[27]            Cet exercice ne semble pas devoir être différent de celui engagé dans d'autres cas de propriété intellectuelle où on a reconnu que pour mener à terme l'établissement des profits d'une partie, plusieurs données financières d'une entreprise se doivent d'être regardées. (Voir Teledyne Industries, Inc. v. Lido Industrial Products Ltd. (1982), 68 C.P.R. (2d) 56; Diversified Products Corp. v. Tye-Sil Corp. (1990), 32 C.P.R. (3d) 385.) Dans l'arrêt Depuy (Canada) Ltd. v. Joint Medical Products Corp. (1996), 67 C.P.R. (3d) 145, la Cour d'appel fédérale indiquait en pages 146-147 :

We are also of the view that had the motions judge correctly instructed himself in the law he would have granted the order sought. This is a patent infringement action in which the defence and counterclaim raise serious issues of validity. The plaintiffs reserve the right to seek an accounting of profits with the result that, if severance is not ordered, discovery will necessarily range across the whole of the defendants' business and not be limited to the single allegedly infringing item.

[28]            En conséquence, cette requête en disjonction de Stationnement de Montréal est accueillie avec dépens et la Cour ordonne la scission de l'instance pour que la question de la contrefaçon et de la validité du brevet '677 soit décidée d'abord et que la question des dommages et perte de profits soit tranchée dans une instance séparée advenant que la Cour conclue à la validité du brevet et à sa contrefaçon.

[29]            Par ailleurs, les parties verront à signifier leurs affidavits de documents le ou avant le 15 août 2005.

Richard Morneau    

protonotaire


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

INTITULÉ :


T-115-05

J.J. MACKAY CANADA LIMITED c.

SOCIÉTÉ EN COMMANDITE STATIONNEMENT DE MONTRÉAL


LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                            11 juillet 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

DATE DES MOTIFS :                                   14 juillet 2005

ONT COMPARU :



Me Michael Crichton

POUR LA DEMANDERESSE/DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

Me Julie Desrosiers

POUR LA DÉFENDERESSE/DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :


Gowling Lafleur Henderson

Ottawa (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE/DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

Fasken Martineau DuMoulin

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE/DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE


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