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Date : 20221110


Dossier : IMM‑8245‑21

Référence : 2022 CF 1531

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2022

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

MOHAMMAD HEIDARI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 27 octobre 2021 [la « décision »] par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la « SAR »] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR] a rejeté l’appel du demandeur et confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la « SPR »] de la CISR rendue le 29 mars 2021.

[2] La SPR et la SAR ont conclu que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

II. Contexte

[3] Le demandeur, Mohammad Heidari, est un citoyen de l’Iran âgé de 24 ans. Il est entré au Canada le 11 septembre 2018 muni d’un visa d’étudiant et, en septembre 2019, il a demandé l’asile au titre des articles 96 et 97 de la LIPR.

[4] Le demandeur affirme qu’il craint d’être persécuté par les autorités iraniennes, son père et son beau‑père en raison de sa conversion de l’islam au christianisme. Voici un résumé des allégations faites par le demandeur dans son formulaire Fondement de la demande d’asile :

  1. Le demandeur est né et a été élevé dans une famille islamique. Son père était un fondamentaliste religieux tandis que sa mère a été élevée dans une [traduction] « famille libérale ». Ils ont divorcé lorsque le demandeur avait sept ans.

  2. Après le divorce, le demandeur a habité avec son père. Ce dernier lui interdisait de voir sa mère. Le père du demandeur s’est remarié lorsque le demandeur avait neuf ans et sa nouvelle épouse n’a pas accepté le demandeur.

  3. Le demandeur a fait la connaissance d’un camarade de classe chrétien [«M»] à l’école intermédiaire et a appris qu’il existait [traduction] « de nombreuses différences entre le christianisme et l’islam ». Il croyait que ses camarades de classe musulmans n’étaient pas sincères dans leurs croyances religieuses alors que son camarade de classe chrétien l’était. Le demandeur, qui était curieux d’en apprendre davantage sur le christianisme, a entretenu une amitié avec M, même après que ce dernier eut quitté l’école.

  4. À l’âge de 17 ans, le demandeur a réalisé qu’il voulait en savoir plus sur la foi chrétienne. Il était frustré par la façon dont lui et sa mère souffraient du fait que la loi islamique favorisait son père. M a mis le demandeur en garde contre les dangers que comportait l’apprentissage du christianisme en Iran. M a dit au demandeur qu’il n’était pas qualifié pour enseigner le christianisme, mais l’a invité à se joindre à lui pour la prière hebdomadaire.

  5. Le demandeur a dit à son père qu’il souhaitait voir sa mère et qu’il ne croyait plus en l’islam. Celui‑ci l’a traité d’apostat et lui a dit qu’il ne le considérait plus comme un fils. Il a menacé le demandeur avec un couteau. Le demandeur s’est réfugié chez sa mère, qui lui a conseillé de cacher sa foi chrétienne, car son nouveau mari travaillait à un tribunal islamique. Le lendemain, son père l’a appelé et l’a menacé de le renier s’il ne se conduisait pas en [traduction] « excellent musulman ». Le demandeur a refusé. Il n’a pas parlé à son père depuis. Il a commencé à fréquenter une nouvelle église dans la ville natale de sa mère. Un membre de l’église lui a conseillé de ne pas afficher publiquement sa foi chrétienne. Il avait une Bible en farsi qu’il avait ramenée chez lui.

  6. En mars 2017, le beau‑père du demandeur lui a demandé d’aider à la campagne de réélection du président iranien. Devant le refus du demandeur, le Corps des gardiens de la révolution islamique [SEPAH] l’a détenu et torturé jusqu’à ce qu’il signe un engagement à [traduction] « obéir aux valeurs islamiques » et à s’abstenir de critiquer le gouvernement iranien.

  7. Pour assurer sa sécurité, la mère du demandeur l’a fait déménager dans une autre ville et l’a encouragé à demander un visa d’étudiant pour quitter le pays. En août 2018, alors que le demandeur se trouvait en Turquie, le SEPAH a effectué une descente dans son appartement et a arrêté ses compagnons d’église. Le demandeur a suivi les conseils de sa mère et est resté en Turquie jusqu’à ce qu’il reçoive son visa d’étudiant. La mère du demandeur a depuis demandé le divorce.

[5] Le 29 mars 2021, la SPR a rendu sa décision et rejeté la demande d’asile du demandeur. La crédibilité du demandeur était la question déterminante pour la SPR. La SPR a conclu que le demandeur ne s’était pas véritablement converti au christianisme et qu’il n’était ni croyant ni pratiquant. Elle a souligné qu’il existait une présomption générale de véracité du témoignage d’un demandeur, mais elle a néanmoins conclu que le témoignage du demandeur était faux. Elle a soulevé les points suivants concernant les affirmations du demandeur :

  1. Le témoignage du demandeur concernant le moment où il s’est converti au christianisme était incertain. À un moment donné, il a dit à la SPR qu’il ne s’était pas converti avant d’avoir quitté l’Iran. À d’autres moments, il a affirmé s’être converti à l’âge de 17 ans.

  2. Bien que M ait joué un rôle central dans la conversion présumée du demandeur au christianisme, ce dernier n’a fourni aucune preuve corroborante à ce sujet. Le demandeur a expliqué que c’était pour des raisons de « sécurité ». La SPR n’a pas retenu cette explication, car le demandeur a été en mesure de présenter une lettre de sa mère.

  3. Le demandeur a affirmé avoir téléchargé la Bible et commencé à fréquenter l’église en août 2019, soit près d’un an après son entrée au Canada et à peu près au moment où il a présenté une demande d’asile. Il a présenté des explications contradictoires à ce sujet. Il a d’abord affirmé qu’il ne connaissait [traduction] « ni personne ni aucun endroit » lorsqu’il est arrivé au Canada. Ensuite, il a soutenu avoir fréquenté une église de langue anglaise où il ne comprenait rien et ne communiquait avec personne. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’avait pas demandé une lettre de cette église comme élément de preuve, le demandeur a affirmé qu’il n’avait parlé avec personne à cet endroit.

  4. Le demandeur a affirmé avoir souvent lu une Bible en farsi en Iran, cependant il n’a pas été en mesure de répondre aux questions sur les principes de base de la religion. Le demandeur croyait que Jésus avait onze disciples et il ne connaissait aucun des dix commandements. De plus, il n’a pas été baptisé.

[6] La SPR a admis que le demandeur avait fréquenté l’église au Canada. Toutefois, elle a également conclu qu’il n’avait adhéré à l’église qu’en août 2019 pour appuyer une demande d’asile frauduleuse. Rien n’indique que les autorités iraniennes aient eu connaissance de ses activités au sein d’une église chrétienne.

[7] La SPR a également rejeté la prétention du demandeur qui affirmait craindre son père et son beau‑père. La SPR a conclu que les problèmes que le demandeur avait avec son père provenaient de son désir de renouer avec sa mère et non de sa conversion au christianisme, et qu’il avait pu vivre en Iran de manière indépendante pendant des années sans aucun problème. En outre, la SPR a reconnu que la mère du demandeur avait été dans une relation abusive avec le beau‑père de celui‑ci, mais n’a pas cru la partie de l’histoire du demandeur selon laquelle le SEPAH l'avait détenu et torturé et fait une descente dans son appartement. Compte tenu du fait que sa mère a demandé le divorce du beau‑père du demandeur et s’en est séparée, celui-ci ne représente plus un risque à l’avenir pour le demandeur.

[8] Dans la décision du 27 octobre 2021, la SAR a confirmé la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile du demandeur au titre des articles 96 et 97. Le demandeur demande à la Cour d’annuler la décision et de la renvoyer à la SAR pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

A. Nouveaux éléments de preuve

[9] En appel, le demandeur a tenté de faire admettre les nouveaux éléments de preuve suivants en application du paragraphe 110(4) de la LIPR :

  1. trois captures d’écran qui présentent le demandeur en train d’assister à des cours d’étude de la Bible en ligne;

  2. des lettres d’autres personnes fréquentant l’église.

[10] Le demandeur a affirmé qu’il n’avait eu accès à ces éléments de preuve qu’après l’audience de la SPR, mais il n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi. La SAR a rejeté ces éléments parce qu’ils ne répondaient à aucun des critères explicites de nouveauté énoncés au paragraphe 110(4).

B. Décision sur le fond

[11] La SAR a accepté la conclusion de la SPR selon laquelle l’histoire de la conversion du demandeur au christianisme était fausse. Elle a convenu que le témoignage du demandeur sur le moment de sa conversion était incertain. La SAR a également émis des réserves quant à l’absence de preuve corroborante de la part de M et n’a pas retenu l’explication du demandeur selon laquelle des problèmes de « sécurité » empêchaient le demandeur d’en faire la demande à M puisqu’il avait été en mesure de fournir une lettre de sa mère.

[12] La SAR a également fait siennes les réserves de la SPR quant à la crédibilité du demandeur en ce qui a trait à sa pratique du christianisme depuis son arrivée au Canada. Elle a conclu que le demandeur avait commencé à fréquenter l’église et à télécharger la Bible juste au moment de présenter sa demande d’asile. Elle était d’accord avec le demandeur pour dire que le fait qu’il ait été baptisé ou non n’était pas déterminant pour conclure à l’authenticité de sa foi. Elle a néanmoins estimé que le fait que le demandeur n’était pas baptisé et qu’il ne connaissait pas les principes fondamentaux du christianisme constituait des facteurs qui laissaient planer un doute sur l’authenticité de sa foi chrétienne.

[13] La SAR a rejeté l’argument du demandeur selon lequel la SPR avait écarté ses éléments de preuve. Le demandeur a allégué que la SPR n’avait pas tenu compte des lettres de sa mère et de celle de l’église qu’il fréquentait. La SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur. La SPR a tenu compte de la lettre de l’église lorsqu’elle a admis que le demandeur la fréquentait depuis le mois d’août 2019; la chronologie des événements l’a menée à tirer une conclusion défavorable. La SPR a pris en compte la lettre de la mère du demandeur et a constaté qu’elle ne faisait aucune mention de la détention du demandeur ou de la perquisition de son appartement aux mains du SEPAH.

[14] La SAR a souscrit à l’évaluation faite par la SPR de la demande d’asile sur place du demandeur, à savoir qu'il ne serait pas en danger s’il retournait en Iran en raison du fait qu’il avait fréquenté une église au Canada. Elle a conclu qu’il n’y avait aucune preuve que les autorités iraniennes seraient au courant des activités religieuses du demandeur au Canada.

[15] La SAR a également estimé que la SPR n’avait pas commis d’erreur en concluant que le demandeur n’était pas exposé à un risque prospectif de préjudice de la part de son père ou de son beau‑père. Le demandeur n’a pas contesté la conclusion de la SPR en ce qui concerne son père. En ce qui a trait à son beau‑père, la SAR a conclu que la mère du demandeur avait eu une relation abusive avec lui, mais qu’elle était maintenant séparée. En outre, le demandeur a lui-même indiqué qu’il était capable de vivre en Iran indépendamment de l’emprise de son beau‑père.

IV. Questions en litige

[16] La décision était‑elle raisonnable?

V. Norme de contrôle

[17] La norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable [Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 25].

VI. Analyse

[18] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en refusant d’accepter les nouveaux éléments de preuve qu'il avait présentés au titre du paragraphe 110(4) de la LIPR. Le demandeur avait tenté de verser au dossier des captures d’écran de sa participation à des cours bibliques sur Zoom et des lettres de soutien de la part d’autres membres de l’église.

[19] Au paragraphe 110(4), il est prévu que l’appelant « ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’[il] n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet ».

[20] La SAR a raisonnablement conclu que les éléments présentés par le demandeur ne répondaient à aucun des critères permettant de conclure à l’existence d’une nouvelle preuve admissible. Les captures d’écran du demandeur participant à des cours d’étude de la de Bible sur Zoom n’étaient pas datées. Rien ne prouvait qu'elles avaient été réalisées après la décision de la SPR ou qu’elles n’étaient pas raisonnablement disponibles au moment de la décision de la SPR. En outre, étant donné que l’authenticité de la foi du demandeur constituait un aspect central de sa demande d’asile, on aurait pu raisonnablement s’attendre à ce que le demandeur présente cette preuve à la SPR avant que celle‑ci ne rende sa décision.

[21] Les quatre lettres des membres de l’église ont peut‑être été rédigées après l’audience de la SPR, mais tous les auteurs ont affirmé qu’ils connaissaient le demandeur depuis plus d’un an. La SAR a raisonnablement conclu que le demandeur aurait pu les obtenir avant la décision de la SPR. Tout comme pour les captures d’écran, la SAR a raisonnablement jugé que l’on aurait pu s’attendre à ce que le demandeur présente cette preuve à la SPR, compte tenu de la pertinence de l’authenticité de son christianisme pour sa demande d’asile.

[22] Le demandeur soutient en outre que la SAR a conclu de façon déraisonnable que sa foi n’était pas authentique. Il estime que la SAR a accordé une attention indue à la question de savoir s’il était baptisé ou non. Par ailleurs, il soutient que la SAR n’a pas tenu compte du fait que son témoignage devant la SPR était loin d’être parfait à cause de l'environnement très stressant dans lequel il l'avait donné et qui l'avait rendu nerveux et confus.

[23] La SAR a raisonnablement conclu que le demandeur n’était pas un véritable chrétien. Le fait qu'il n’était pas baptisé et qu’il y avait des lacunes dans ses connaissances religieuses sont simplement des facteurs dont la SAR a tenu compte dans son analyse; ils n'ont pas été déterminants en soi. D’autres facteurs ont fait ressortir l’absence d’authenticité de la foi du demandeur, notamment le fait que le demandeur n’a présenté aucune preuve corroborante de la part de M et le fait que les activités religieuses du demandeur au Canada ont eu lieu à un moment bien choisi.

[24] En outre, la SAR était clairement consciente du fait que le demandeur avait témoigné dans un environnement étranger et très stressant, et en a tenu compte dans son évaluation du témoignage.

VII. Conclusion

[25] La demande est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-8245-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


 

Dossier :

IMM‑8245‑21

 

INTITULÉ :

MOHAMMAD HEIDARI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 novembre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 novembre 2022

 

COMPARUTIONS :

MATTHEW M. MOYAL

 

Pour le demandeur

 

RACHEL BEAUPRÉ

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MOYAL & ASSOCIATES

TORONTO (ONTARIO)

 

Pour le demandeur

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

TORONTO (ONTARIO)

 

Pour le défendeur

 

 

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