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Date : 20221110


Dossier : IMM-5823-21

Référence : 2022 CF 1529

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2022

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

VIET QUOC THANG DO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 22 juillet 2021 par laquelle un agent d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] a rejeté la demande de résidence permanente présentée par le demandeur au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada [la décision contestée].

[2] L’agent d’IRCC a jugé que le demandeur ne répondait pas à la définition de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada par application de l’alinéa 125(1)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR]. Il a conclu que la répondante du demandeur avait déjà présenté une demande de résidence permanente et que, à l’époque où cette demande avait été faite, le demandeur était un membre de la famille de la répondante n’accompagnant pas cette dernière et n’avait pas fait l’objet d’un contrôle.

II. Le contexte

[3] Le demandeur, Viet Quoc Thang Do, est un citoyen du Vietnam âgé de 30 ans. L’épouse et répondante du demandeur, Tran Bao Ngoc Do, est une citoyenne du Vietnam âgée de 31 ans.

[4] Le demandeur est entré au Canada en septembre 2013 pour étudier à l’Université du Manitoba, où il a rencontré son épouse. Ils ont emménagé ensemble en mai 2015 et cohabitent depuis. Ils se sont mariés le 22 mars 2019.

[5] L’épouse du demandeur a présenté une demande de résidence permanente le 25 mars 2016, demande qui a été accueillie le 11 août 2017.

[6] Le 8 juin 2018, l’épouse du demandeur a présenté une demande de parrainage au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. La demande de parrainage a été rejetée le 4 mars 2019 par application de l’alinéa 125(1)d) du RIPR, au motif que l’épouse du demandeur avait omis de le déclarer à titre de conjoint de fait dans sa demande de résidence permanente antérieure.

[7] À la suite du rejet de la demande de parrainage, le demandeur a retenu les services d’un avocat et, le 5 juin 2021, il a présenté une deuxième demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. Le demandeur et son épouse ont tenté de préciser la nature de leur relation; ils ont fourni des détails quant aux dates de leur première rencontre, du début de leur cohabitation et de leur mariage.

[8] Le 22 juillet 2021, l’agent d’IRCC a rejeté la deuxième demande de résidence permanente. Le demandeur demande à la Cour d’annuler la décision contestée et de renvoyer l’affaire à IRCC pour examen par un autre agent d’immigration.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[9] L’agent d’IRCC a rejeté la première demande de résidence permanente présentée au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada du demandeur puisque son nom ne figurait pas dans la demande de résidence permanente de son épouse. Ce faisant, l’agent a fait les observations suivantes :

  • i.Au sens du paragraphe 1(1) du RIPR, un conjoint de fait est une personne qui vit avec la personne en cause dans une relation conjugale depuis au moins un an.

  • ii.Une personne est exclue de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada par application de l’alinéa 125(1)d) du RIPR si son répondant a présenté une demande de résidence permanente et qu’à l’époque où cette demande a été faite, l’étranger était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

  • iii.Le demandeur et son épouse cohabitaient dans une relation conjugale depuis le 1er mai 2015, ce qui signifie qu’ils sont devenus conjoints de fait le 1er mai 2016.

  • iv.L’état matrimonial inscrit dans la demande de résidence permanente de l’épouse du demandeur au moment où elle a obtenu son statut de résidente permanente, le 11 août 2017, était « célibataire ». Elle n’avait pas déclaré son conjoint de fait à titre de personne à charge.

IV. Les questions en litige

A. L’agent a-t-il commis une erreur dans son interprétation de l’expression « à l’époque où cette demande a été faite » à l’alinéa 125(1)d) du RIPR?

B. L’agent d’IRCC a‑t‑il manqué à son obligation d’équité procédurale?

V. La norme de contrôle

[10] La norme de contrôle applicable dans les cas où le décideur interprète sa loi constitutive est celle de la décision raisonnable [Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 115].

[11] Les questions relatives à l’équité procédurale sont examinées selon la norme de la décision correcte ou selon une norme de même teneur [Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 34-35 et 54-55, citant Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79].

VI. Analyse

A. L’agent a-t-il commis une erreur dans son interprétation de l’expression « à l’époque où cette demande a été faite » à l’alinéa 125(1)d) du RIPR?

[12] Suivant l’alinéa 125(1)d) du RIPR, un étranger est exclu de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada s’il n’a pas été inscrit dans la demande de résidence permanente présentée antérieurement par son répondant, même si, à l’époque où cette demande a été faite, il était un membre de la famille n’accompagnant pas le répondant :

125 (1) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes:

d) sous réserve du paragraphe (2), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

125 (1) A foreign national shall not be considered a member of the spouse or common-law partner in Canada class by virtue of their relationship to the sponsor if

(d) subject to subsection (2), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member of the sponsor and was not examined.

[13] Le terme « membre de la famille » est défini au paragraphe 1(3) du RIPR et s’entend notamment du « conjoint de fait ». La définition du terme « conjoint de fait » se trouve au paragraphe 1(1) du RIPR :

conjoint de fait Personne qui vit avec la personne en cause dans une relation conjugale depuis au moins un an.

common-law partner means, in relation to a person, an individual who is cohabiting with the person in a conjugal relationship, having so cohabited for a period of at least one year. (conjoint de fait)

[14] Par conséquent, lorsqu’un étranger ne fait pas l’objet d’un contrôle dans le cadre de la demande de résidence permanente de son conjoint de fait, il peut être exclu de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada.

[15] Les faits pertinents en l’espèce ne sont pas contestés. Le demandeur et son épouse sont devenus conjoints de fait le 1er mai 2016. L’épouse du demandeur a demandé la résidence permanente le 25 mars 2016 et l’a obtenue le 11 août 2017.

[16] La question au cœur de la présente affaire est l’interprétation contradictoire que font les parties de l’expression « à l’époque où cette demande a été faite », qui se trouve à l’alinéa 125(1)d) du RIPR. Le défendeur avance que l’expression renvoie à la durée de vie de la demande, soit du 25 mars 2016 au 11 août 2017. Le demandeur soutient que l’expression fait uniquement référence au moment où la demande de résidence a été présentée, soit le 25 mars 2016.

[17] Le défendeur s’appuie sur l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c dela Fuente, 2006 CAF 186 [dela Fuente], à l’appui de sa position. Dans l’arrêt dela Fuente, la Cour d’appel fédérale a interprété l’alinéa 117(9)d) du RIPR, une disposition semblable à l’alinéa 125(1)d). La Cour d’appel fédérale a conclu que l’expression « à l’époque où cette demande a été faite » s’entend de la période que dure la demande [dela Fuente, au para 47]. À l’époque pertinente pour l’appel dans cette affaire, l’alinéa 117(9)d) était rédigé ainsi :

117

(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

[…]

 

d) dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, n’a pas fait l’objet d’un contrôle et était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier ou était un ex‑époux ou ancien conjoint de fait du répondant.

117

(9) No foreign national may be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if

...

(d) the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non‑accompanying family member or a former spouse or former common‑law partner of the sponsor and was not examined.

 

[18] Même si l’alinéa 117(9)d) se rapporte à la catégorie du regroupement familial et non à la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, le défendeur soutient que la décision fait quand même autorité compte tenu du principe de base en matière d’interprétation des lois selon lequel il faut donner aux mêmes mots le même sens dans l’ensemble d’une loi [R c Zeolkowski, [1989] 1 RCS 1378 à la p 1387].

[19] Le demandeur distingue les faits de l’arrêt dela Fuente des faits de l’espèce et propose une interprétation différente de la loi pour deux raisons. Premièrement, le demandeur soutient qu’une union de fait est susceptible d’évoluer au fil du temps, contrairement à d’autres types de relations familiales, et qu’il serait déraisonnablement contraignant de s’attendre à ce qu’un demandeur mette à jour sa demande de résidence permanente lorsque sa relation franchit le cap d’un an.

[20] Deuxièmement, le demandeur fait valoir que le libellé du RIPR varie d’une disposition à l’autre pour exprimer une période qui s’étend sur la durée de vie de la demande, par opposition au moment où la demande est présentée. Plus précisément, le demandeur attire l’attention sur l’article 121, qui est ainsi libellé :

121 Sous réserve du paragraphe 25.1(1), la personne appartenant à la catégorie du regroupement familial ou les membres de sa famille qui présentent une demande au titre de la section 6 de la partie 5 doivent être des membres de la famille du demandeur ou du répondant au moment où est faite la demande et au moment où il est statué sur celle-ci.

 

[Non souligné dans l’original]

121 Subject to subsection 25.1(1), a person who is a member of the family class or a family member of a member of the family class who makes an application under Division 6 of Part 5 must be a family member of the applicant or of the sponsor both at the time the application is made and at the time of the determination of the application.

 

[21] Selon le demandeur, si le législateur avait voulu que l’époque pertinente aux fins de l’application de l’alinéa 125(1)d) soit la durée de la demande, il aurait utilisé le même libellé qu’à l’article 121.

[22] Selon moi, la conclusion tirée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt dela Fuente lie la Cour. L’époque pertinente aux fins de l’application de l’alinéa 125(1)d) est un continuum qui s’étend sur toute la durée de la demande de résidence permanente. L’alinéa 117(9)d) est plus pertinent pour l’interprétation de l’alinéa 125(1)d) que l’article 121. Les alinéas 117(9)d) et 125(1)d) ont une structure et un objectif semblables, en plus d’utiliser un libellé presque identique. Les deux alinéas prévoient certaines restrictions quant à la composition de certaines catégories de personnes pouvant devenir résidents permanents.

[23] De plus, le libellé différent de l’article 121 s’explique par son historique législatif. La version précédente de l’article 121 était ainsi libellée :

121 Les exigences applicables à l’égard de la personne appartenant à la catégorie du regroupement familial ou des membres de sa famille qui présentent une demande au titre de la section 6 de la partie 5 sont les suivantes :

 

a) l’intéressé doit être un membre de la famille du demandeur ou du répondant au moment où la demande est faite et, qu’il ait atteint l’âge de vingt-deux ans ou non, au moment où il est statué sur la demande.

121 The requirements with respect to a person who is a member of the family class or a family member of a member of the family class who makes an application under Division 6 of Part 5 are the following:

(a) the person is a family member of the applicant or of the sponsor both at the time the application is made and, without taking into account whether the person has attained 22 years of age, at the time of the determination of the application;

[24] Aux termes de la version précédente de l’article 121, les exigences applicables pour appartenir à la catégorie du regroupement familial étaient différentes au moment où la demande était faite et au moment où il était statué sur la demande, l’âge du demandeur n’étant pas importante dans le deuxième cas. La version actuelle de l’article 121 ne porte plus cette précision, mais semble avoir conservé le libellé de la version précédente.

[25] Par ailleurs, comme l’a fait observer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt dela Fuente, les mots « at the time of » sont employés dans plusieurs dispositions de la version anglaise du RIPR. Cependant, la version française n’est pas aussi équivoque [dela Fuente, aux para 44 et 45]. À l’article 121, on retrouve les mots « au moment » qui s’entendent d’un événement ciblé dans le temps, tandis que les alinéas 117(9)d) et 125(1)d) emploient les mots « à l’époque », qui donnent du temps une idée élargie apte à embrasser la durée de la demande [dela Fuente, au para 45].

[26] Je ne souscris pas davantage à l’argument du demandeur selon lequel la nature dynamique d’une union de fait nécessite une interprétation différente de l’alinéa 125(1)d). La distinction que tente d’établir le demandeur entre les dispositions ne résiste pas à un examen minutieux puisque les conjoints de fait appartiennent également à la catégorie du regroupement familial [RIPR, art 117(1)a)].

[27] Je conclus que l’agent a interprété et appliqué l’alinéa 125(1)d) du RIPR de manière raisonnable. Le demandeur et son épouse sont devenus conjoints de fait le 1er mai 2016, soit avant la fin de la durée de vie de la demande de résidence permanente de l’épouse, le 11 août 2017. L’épouse du demandeur a omis d’en faire mention dans sa demande de résidence permanente, ce qui exclut le demandeur de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada par application de l’alinéa 125(1)d) du RIPR.

B. L’agent a‑t‑il manqué à son obligation d’équité procédurale?

[28] Le demandeur soutient que l’agent a manqué à son obligation d’équité procédurale en rejetant sa demande de résidence permanente sans d’abord lui donner la possibilité de dissiper ses doutes.

[29] L’agent qui a des doutes à l’égard de la crédibilité ou de l’authenticité des renseignements fournis par le demandeur a l’obligation de lui donner la possibilité de répondre à ses doutes, sauf lorsque les doutes de l’agent découlent directement des exigences du RIPR [Obeta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1542 au para 25].

[30] Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale. Les doutes de l’agent découlaient directement de l’alinéa 125(1)d) du RIPR, et les faits pertinents de l’affaire n’ont pas été contestés.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5823-21

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-5823-21

 

INTITULÉ :

VIET QUOC THANG DO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 NOVEMBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 10 NOVEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Pauline Munroe

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Laoura Christodoulides

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Law Office of Vanessa Routley

Oakville (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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