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Date : 20221108


Dossier : IMM-7972-21

Référence : 2022 CF 1518

[TRADUCTION FRANCAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2022

En présence de monsieur le juge Pentney

Dossier : IMM-7972-21

ENTRE :

YOVWI ESIEBA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, monsieur Yovwi Esieba, sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) qui a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon laquelle il n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Le demandeur soutient que la décision de la SAR devrait être annulée parce que celle-ci l’a privé de son droit à l’équité procédurale lorsqu’elle a élevé la question se rapportant à l’article 96, en faisant ainsi une nouvelle question, et parce que ses conclusions quant à la crédibilité et ses appréciations des faits sont erronées.

[3] Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincu que la décision de la SAR est déraisonnable et, pour cette raison, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[4] Le demandeur prétend qu’il a fui le Nigéria parce qu’il craint des ravisseurs inconnus, qui, d’après lui, se qualifient d’[traduction] « anciens activistes » et qui n’ont cessé de menacer sa famille et lui. La SPR et la SAR ont admis qu’il a été enlevé en juin 2017 et qu’il a été détenu pendant sept jours avant d’être remis en liberté après le versement d’une rançon par sa famille. Elles ont aussi admis ses éléments de preuve quant au fait qu’il a réussi à échapper à une autre tentative d’enlèvement, en novembre 2017. Le demandeur est déménagé à Lagos à la fin de novembre 2017, et sa famille s’est réinstallée dans une autre ville du Nigéria en décembre 2017. Il affirme qu’il a été pris à partie par des [traduction] « hors-la-loi » qui cherchaient sa famille en décembre 2017, mais qu’il a réussi à leur échapper.

[5] Le demandeur a obtenu un visa pour les États-Unis, et il est entré au Canada le 30 décembre 2017, où il a demandé l’asile. Il prétend qu’en décembre 2019 sa famille au Nigéria a été abordée par trois hommes armés qui ont dit à son épouse qu’ils savaient qu’il avait quitté le pays, et qui ont ensuite exigé le versement d’une rançon mensuelle. Il affirme que sa mère a emprunté de l’argent pour payer la rançon, et qu’il a envoyé des fonds pour l’aider à effectuer ces paiements.

[6] Le demandeur a affirmé que ces personnes avaient des liens avec les événements de 2017, et qu’il craignait de retourner au Nigéria en raison des menaces constantes.

[7] La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur. Elle a estimé qu’il n’y avait pas de lien avec l’article 96 de la LIPR parce que la criminalité n’est pas un motif prévu dans la Convention et que, par conséquent, elle avait examiné sa demande d’asile au titre de l’article 97. De plus, elle a jugé que sa demande d’asile au sujet des menaces reçues en 2019 n’était pas crédible, et elle a conclu qu’il avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable à Abuja.

[8] La SAR a rejeté l’appel du demandeur, soulignant que celui-ci n’avait pas contesté la conclusion de la SPR selon laquelle il n’y avait pas de lien avec l’un des motifs prévus dans la Convention et, pour cette raison, elle n’a pris en compte que les arguments présentés par le demandeur se rapportant à sa demande d’asile au titre de l’article 97. La SAR n’a pas souscrit à certains aspects des conclusions de la SPR, mais elle a confirmé les conclusions essentielles selon lesquelles les éléments de preuve présentés par le demandeur concernant les événements de 2019 n’étaient pas crédibles, de même que le fait qu’il avait une PRI viable.

[9] La contestation par le demandeur de la décision de la SAR doit être appréciée selon la norme de la décision raisonnable, en appliquant le cadre d’analyse établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[10] Le demandeur prétend que la SAR a élevé la question du lien avec un motif prévu dans la Convention et, ce faisant, a manqué à l’équité procédurale à son égard parce qu’elle n’a pas analysé les menaces proférées contre sa famille même si la situation de famille est reconnue en tant que motif dans la Convention. Il affirme que son opposition à la violence des gangs armés au Nigéria est la cause des menaces constantes que sa famille et lui ont reçues, et que cela équivaut à une opinion politique imputée, qui est un motif reconnu dans la Convention. Il soutient que la procédure était inéquitable parce qu’il n’a pas été informé à l’avance que la SAR soulèverait la question du lien avec un motif de la Convention, et qu’il n’a pas eu la possibilité de formuler des observations à ce sujet.

[11] Ce n’est pas mon avis. Le problème du demandeur vient du fait que la décision de la SAR reflète les choix qu’il a faits dans les premières étapes de la procédure. Selon la décision de la SPR, le demandeur n’a pas allégué qu’il était pris pour cible en raison d’un des motifs prévus dans la Convention, et son avocate [traduction] « a soutenu que la présente demande d’asile devrait être analysée au titre de l’article 97 de la LIPR ». La SAR a souscrit à cette position. En appel, la SAR a souligné que le demandeur n’avait pas contesté la conclusion de la SPR selon laquelle sa demande d’asile ne soulevait aucun lien avec l’un des motifs prévus dans la Convention et, pour cette raison, il n’était pas nécessaire qu’elle examine la question. On ne saurait reprocher à la SAR d’en avoir fait mention dans ses motifs. Rien ne permet de conclure que la SAR a en quelque sorte élevé cette question ou qu’elle l’a traitée comme si elle était déterminante eu égard à l’issue de la demande d’asile; la décision de la SAR repose de toute évidence sur d’autres conclusions. À la lumière de ce qui précède, il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale.

[12] En ce qui concerne les observations formulées par le demandeur au sujet du caractère raisonnable de la décision, je ne suis pas convaincu que le demandeur a relevé la moindre erreur qui soit suffisamment grave pour justifier l’annulation de la décision. J’examinerai les principaux arguments avancés par le demandeur à cet égard un par un.

[13] Le premier argument avancé se rapporte à la conclusion tirée par la SPR et la SAR selon laquelle les éléments de preuve qui ont été présentés au sujet de l’événement de 2019 n’étaient pas crédibles. Les deux décideurs ont jugé que le fait que l’épouse du demandeur n’a pas mentionné l’événement de 2019 dans son affidavit était important. De plus, ils ont rejeté l’explication qu’elle a fournie par après, dans laquelle elle précisait qu’elle avait hésité à inclure l’événement de 2019 parce qu’elle craignait la réaction des anciens activistes s’ils découvraient qu’elle avait témoigné à ce sujet. La SPR n’a pas accepté cette explication parce que l’affidavit de l’épouse comportait des détails sur l’événement de 2017, au sujet duquel elle a affirmé que les auteurs étaient les mêmes, de sorte que son explication pour avoir omis les événements les plus récents ne tenait pas la route. L’épouse du demandeur n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles elle ne craignait pas autant la réaction des anciens activistes pour avoir mentionné l’événement précédent par rapport aux événements les plus récents.

[14] La SAR a confirmé cette conclusion en ces termes : « L’explication selon laquelle elle craignait les anciens activistes si elle mentionnait les événements de 2019, mais, par extension, non pas ceux de 2017, n’a pas de sens » (décision de la SAR, au para 25). Le demandeur conteste l’utilisation de l’expression « n’a pas de sens », soutenant qu’elle est extrêmement insultante et qu’elle révèle le fond de la pensée du commissaire de la SAR. Il prétend que cet élément est suffisant pour rendre déraisonnable la décision dans son ensemble.

[15] Ce n’est pas mon avis. Même si la formulation choisie n’est pas des plus heureuses, cela reste bien en deçà du type de problème susceptible de mettre en doute le bien-fondé de la décision dans son ensemble. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur », et les motifs ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection (Vavilov, aux para 91 et 102). De plus, il est de jurisprudence constante que les décideurs doivent énoncer leurs conclusions quant à la crédibilité en termes clairs (voir, par exemple, Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 228 (CAF)).

[16] En l’espèce, la SAR a confirmé la conclusion de la SPR quant à la crédibilité parce qu’elle reposait sur l’absence de toute mention de l’événement de 2019 dans les affidavits présentés par l’épouse du demandeur ainsi que par deux autres témoins, et aussi parce qu’elle souscrivait aux motifs donnés par la SPR pour rejeter l’explication de l’épouse quant à l’omission. Cette conclusion est largement étayée par les éléments de preuve et clairement expliquée par la SAR. L’opposition exprimée par le demandeur à l’égard de la formulation de la conclusion tirée par la SAR n’est pas un motif pour juger celle-ci déraisonnable.

[17] Par ailleurs, le demandeur affirme que la SAR a commis une erreur dans son appréciation des éléments de preuve documentaire sur les paiements de rançon, ainsi que dans la façon dont elle a traité la preuve relative à ses envois de fonds pour aider son épouse et sa mère à payer la rançon exigée. Au sujet du premier élément, la SAR a conclu que la SPR avait eu tort de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité au sujet des demandes de rançon au motif que de telles demandes ne font pas partie du mode opératoire des gangs criminels au Nigéria. Le demandeur soutient que, en raison de cette conclusion, la SAR aurait dû accepter sa preuve quant aux demandes de rançon. Il n’y a toutefois pas de lien direct entre cette conclusion et celle tirée par la SAR. Tout ce que l’on peut inférer de l’appréciation effectuée par la SAR, c’est que la SPR a eu tort de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité du fait que les demandes de rançons ne sont pas mentionnées dans le Cartable national de documentation. Cet élément, en soi, ne favorise pas la demande d’asile présentée par le demandeur. La conclusion tirée par la SAR quant au manque de crédibilité des éléments de preuve fournis par le demandeur sur les demandes de rançon et les envois de fonds est raisonnable.

[18] De la même façon, le demandeur tente de contester d’autres conclusions tirées par la SAR en étirant le sens des mots au-delà de ce qui est raisonnable. Par exemple, la SAR a admis les éléments de preuve présentés par le demandeur sur les envois de fonds, mais elle a aussi fait remarquer que ces envois ont commencé avant que les gangs n’exigent des paiements de rançon, de sorte qu’elle a jugé que leur valeur probante était neutre. Le demandeur soutient que la conclusion de la SAR est déraisonnable.

[19] Ce n’est pas mon avis. La SAR avait d’autres motifs pour contester les éléments de preuve présentés par le demandeur à cet égard, et elle n’a pas eu tort de faire remarquer que les envois de fonds avaient commencé avant les prétendues demandes de rançon. Sa conclusion selon laquelle les éléments de preuve ne font état que de transferts d’argent, et non pas de l’objet des transferts, est raisonnable à la lumière de la preuve.

[20] Au sujet de l’argument du demandeur selon lequel la SAR a, à tort, demandé pourquoi son épouse n’avait pas cherché à échapper aux menaces en se réinstallant ailleurs, j’estime que les observations qu’il a présentées ne reflètent pas les éléments de preuve. Le demandeur affirme que les éléments de preuve objectifs sur les conditions dans le pays démontrent la précarité de la situation des femmes sans conjoint au Nigéria, et il affirme que le sort de son épouse, en tant que femme sans conjoint et sans emploi dans ce pays, est encore plus dramatique. Cependant, cette affirmation pose problème puisque selon les éléments de preuve présentés par le demandeur et son épouse, celle-ci occupait un emploi. La SAR n’a pas eu tort de demander pourquoi l’épouse du demandeur n’avait pas cherché à se réinstaller ailleurs pour échapper aux menaces et aux demandes de rançon.

[21] Enfin, le demandeur affirme que, après l’enlèvement, sa famille et lui étaient exposés à un risque personnalisé au Nigéria. Il soutient que la conclusion de la SAR selon laquelle il s’agissait de risques généralisés était déraisonnable parce que, dès qu’elle a admis les éléments de preuve relatifs à l’enlèvement de 2017, la SAR était tenue de conclure que les risques étaient personnalisés.

[22] Cet argument ne me convainc pas. La SAR, à l’instar de la SPR, a fondé cette conclusion en partie sur le fait que le demandeur n’était pas en mesure d’identifier les ravisseurs ou de prouver que ceux-ci proféraient constamment des menaces contre lui. Comme il a été mentionné précédemment, la SAR a conclu que les éléments de preuve au sujet des menaces proférées en 2019 n’étaient pas crédibles et que, faute d’autres éléments de preuve au sujet de menaces pesant constamment contre le demandeur ou sa famille, il était loisible à la SAR d’établir que les risques n’étaient pas personnalisés. Ici encore, cette conclusion est étayée par la preuve et expliquée dans les motifs donnés par la SAR. Il n’y a aucune raison de la juger déraisonnable.

[23] Pour tous les motifs énoncés précédemment, je ne suis pas convaincu que la décision de la SAR est déraisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[24] Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT QUI SUIT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7972-21

 

INTITULÉ :

YOVWI ESIEBA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 AOÛT 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE PENTNEY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 NOVEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Idorenyin E. Amana

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Thi My Dung Tran

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Amana Law Office

Avocats

Ville (Province)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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