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Date : 20221104

Dossier : T‑361‑20

Référence : 2022 CF 1505

[TRADUCTION°FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 novembre 2022

En présence de monsieur le juge adjoint Benoit M. Duchesne

ENTRE :

WINDSUN ENERGY CORP.

demanderesse

(partie défenderesse)

et

PREMIÈRE NATION DE CAT LAKE, aussi connue sous le nom de PESHEWESAHEKNIK NETUM ANESHENAPEK, représentée par le chef et les conseillers

et

MARCEL GAGNON, conseiller nommé par le bénéficiaire pour la Première Nation de Cat Lake

défendeurs

(parties requérantes)

ET ENTRE :

PREMIÈRE NATION DE CAT LAKE aussi connue sous le nom de PESHEWESAHEKNIK NETUM ANESHENAPEK, représentée par le chef et les conseillers

demanderesse reconventionnelle

(intimée à la requête incidente)

et

WINDSUN ENERGY CORP., GERALD PAULIN, PATRICIA MAGISKAN, RAIN DANCER NORTH INC., DAVID MORGAN, DC AVIATION CANADA ET CELTIC AIR SERVICES LIMITED

défendeurs reconventionnels

(parties requérantes, en partie, à la requête incidente)

MOTIFS ET ORDONNANCE

[1] La Première Nation de Cat Lake, également connue sous le nom de Peshewesaheknik Netum Aneshenapek (la « PNCL »), présente une requête en radiation de la déclaration de la demanderesse Windsun Energy Corp. (« Windsun ») au titre de l’article 221 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les « Règles »), au motif que la Cour n’a pas compétence pour trancher le litige entre les parties.

[2] La demanderesse Windsun répond en demandant le rejet de la requête de la PNCL et dépose sa propre requête incidente. La requête incidente de Windsun vise à obtenir une ordonnance annulant la demande reconventionnelle de la PNCL au motif que la Cour n’est pas compétente pour statuer sur les demandes présentées par la PNCL.

[3] Pour les raisons qui suivent, les deux requêtes sont accueillies. La déclaration et la demande reconventionnelle sont toutes deux radiées sans autorisation de les modifier, car elles ne révèlent aucune cause d’action valable relevant de la compétence de la Cour.

I. Les actes de procédure et les demandes

A. La déclaration

[4] Voici un résumé des demandes contenues dans la déclaration de Windsun. Les demandes de Windsun à l’encontre de la PNCL sont les suivantes :

a) la somme de 1 280 000,00 $ représentant les frais de consultation de 10 % pour de nouveaux fonds fournis à la PNCL;

b) la taxe de vente harmonisée (TVH) d’un montant de 166 400,00 $ due et payable sur les frais de consultation réclamés;

c) des intérêts au taux de 2 % par mois sur les frais de consultation et la TVH susmentionnés non payés d’un mois à l’autre, actuellement dus pour un montant de 332 739,47 $ du 21 février 2019 jusqu’à la date de la demande, lesdits intérêts continueront d’être calculés à la fin de chaque mois jusqu’à ce que le compte soit entièrement payé;

d) des dommages‑intérêts généraux d’un montant de 1 800 000 $ pour la perte d’occasion, la perte de réputation et l’embarras causés par les fausses déclarations concernant le rendement de Windsun faites par les membres du conseil de bande et certains administrateurs de la PNCL;

e) à titre subsidiaire par rapport à ses demandes ci‑dessus, une indemnisation de la PNCL fondée sur le quantum meruit pour les services de consultation professionnels fournis au cours de la période du 16 novembre 2017 au 26 février 2019, pour un montant que la Cour estime juste et raisonnable.

[5] Windsun allègue qu’elle a conclu un contrat de services de consultation (le « Contrat ») avec la PNCL le 16 novembre 2017, après que le chef et le conseil de la PNCL ont adopté la résolution du conseil de bande no 1700‑38 autorisant le Contrat. Windsun fait valoir que la PNCL avait convenu, par le biais du Contrat, que Windsun recevrait des frais de consultation équivalant à 10 % de [traduction] « tous les nouveaux fonds fournis à la PNCL » pendant la durée du Contrat, qui se termine le 15 avril 2019.

[6] Windsun prétend qu’en juin 2018, le chef et le conseil de la PNCL lui ont demandé de se concentrer spécifiquement sur un problème de moisissure dans les logements communautaires qui affectait gravement la santé des membres de la bande. Cette directive aurait ajouté le projet spécifique aux autres projets sur lesquels elle avait été chargée de travailler. Aucun projet à réaliser par Windsun n’est décrit dans le Contrat à l’exception d’une seule phrase sur la tâche d’assistance qui se lit comme suit : [traduction] « Windsun restera pour aider avec le nouveau lotissement, 7 logements et deux duplex jusqu’à ce qu’il soit terminé ». Windsun allègue que Services aux Autochtones Canada (« SAC ») a approuvé un financement de 199 976 $ pour que la PNCL puisse l’utiliser dans le cadre d’un projet d’inspection globale des ménages, et que ce financement était le résultat de ses efforts. Le 17 décembre 2018, la PNCL a versé à Windsun la somme de 19 997,60 $. Windsun prétend que le paiement du 17 décembre 2018 était un paiement de la commission de 10 % dont elle et la PNCL avaient convenu dans le cadre du Contrat.

[7] Windsun soutient en outre que, dans le cadre ou en raison de son travail et de l’exécution du Contrat, SAC a accepté de fournir des fonds d’urgence pour le logement à la PNCL. Ces fonds, destinés à être utilisés comme fonds d’urgence pour résoudre des problèmes de longue date en matière de logement et de moisissure, sont censés être de nouveaux fonds fournis à la PNCL, comme le prévoit le Contrat, et devraient donner lieu à des paiements à Windsun.

[8] Windsun soutient que la PNCL a déclaré l’état d’urgence le 16 janvier 2019, en raison des conditions de logement dans ses réserves. Le 19 février 2019, la PNCL a conclu un protocole d’entente et une entente‑cadre provisoire avec SAC, en vertu desquels la PNCL a obtenu un financement de 12 800 000 $, vraisemblablement pour remédier aux conditions de logement dans les réserves. Il n’y a aucune allégation explicite dans l’acte de procédure de Windsun selon laquelle le financement de 12 800 000 $ de SAC accordé à la PNCL était le résultat de travaux réalisés par Windsun dans le cadre du contrat ou conformément à celui‑ci.

[9] Enfin, Windsun soutient que la PNCL a résilié le contrat de manière irrégulière.

B. La défense et demande reconventionnelle

[10] La PNCL a présenté un mémoire en défense et en demande reconventionnelle de 161 paragraphes qui répète diverses allégations tout au long du texte, avec des variations mineures ou incohérentes sur le plan interne. Elle a d’emblée soutenu, conformément à l’article 208 des Règles, qu’elle ne reconnaissait pas la compétence de la Cour par le dépôt de son acte de procédure, étant donné que la substance des revendications de Windsun était fondée sur le droit des contrats, et que le droit des contrats n’est pas une « loi du Canada » ou n’est pas inclus dans un corpus de lois fédérales en vigueur. Elle a en outre soutenu que la Cour n’est pas compétente pour connaître de cette procédure, mais que la Cour supérieure de justice de l’Ontario siégeant à Kenora, Ontario, l’est.

[11] Bien qu’il ne soit pas nécessaire d’examiner le mémoire en défense de la PNCL pour trancher la requête et la requête incidente en radiation, certaines des allégations qu’il contient méritent d’être mentionnées parce qu’elles sont incorporées par renvoi et invoquées à nouveau dans la demande reconventionnelle.

[12] La PNCL nie les allégations de Windsun et demande des dommages‑intérêts, une comptabilisation et la restitution des profits à Windsun et aux autres défendeurs à sa demande reconventionnelle.

[13] La PNCL soutient que le chef de la PNCL de l’époque, Ernie Wesley, a engagé Patricia Magiskan en tant que conseillère à la fin de l’automne 2017 ou en janvier 2018. Peu après, Mme Magiskan, censément par l’intermédiaire de sa société Raindancer North Inc. ou conjointement avec celle‑ci, a engagé Gerald Paulin en tant que conseiller. Bien que reconnaissant avoir traité avec M. Paulin personnellement, la PNCL soutient que M. Paulin a demandé que les paiements qui lui étaient dus par la PNCL soient versés à la demanderesse Windsun plutôt qu’à lui personnellement. L’acte de procédure n’allègue aucun fait important expliquant pourquoi la PNCL serait tenue de verser des sommes d’argent à M. Paulin personnellement ou à Windsun, en particulier lorsqu’il est allégué que M. Paulin a été engagé en tant que conseiller par Raindancer North Inc. plutôt que par la PNCL.

[14] La PNCL fait valoir que M. Paulin a signé un « contrat de services de consultation » en date du 16 novembre 2017. Nonobstant le fait qu’un contrat de services de consultation ait été conclu, la PNCL soutient que son chef Wesley de l’époque n’était pas autorisé à signer seul le document contractuel ni à approuver les conditions spécifiques énoncées dans le contrat, bien que le chef et le conseil aient été autorisés à conclure un contrat de services de consultation avec M. Paulin. La PNCL affirme qu’il n’a jamais été mentionné au Conseil que M. Paulin devait recevoir [traduction] « 10 % de tous les nouveaux fonds fournis à Cat Lake pendant la durée » de l’accord.

[15] La PNCL soutient que le financement de 12 800 000 $ annoncé en février 2019 avait été demandé par la PNCL avant le Contrat et que, par conséquent, il ne constitue pas de « nouveaux fonds » au sens du Contrat. En outre, la PNCL prétend que les fonds fédéraux et provinciaux qui lui sont accordés pour les questions de logement sont versés chaque année et ne peuvent pas être considérés comme de « nouveaux fonds » au sens du Contrat.

[16] La PNCL invoque également la conspiration en défense des demandes formulées à son encontre. Elle soutient que M. Paulin, ainsi que Mme Magiskan, Raindancer, David Morgan, DC Aviation et Celtic Air ont conspiré pour bénéficier financièrement de la réception de fonds de la PNCL sans fournir un avantage correspondant à cette dernière. La conspiration présumée est alléguée comme consistant en une ligne de conduite par laquelle Windsun et les co‑conspirateurs nommés ont fait des déclarations à la PNCL selon lesquelles ils fournissaient de la main‑d’œuvre et des matériaux à un projet de construction de sept logements/duplex dans la réserve au profit de la PNCL, alors qu’en réalité ils conspiraient pour diriger les fonds vers eux‑mêmes pour leur gain personnel d’argent et de matériaux.

[17] La demande reconventionnelle de la PNCL présente des revendications à l’encontre de Windsun et de M. Paulin pour ce qui suit :

[18] La demande reconventionnelle soutient que Windsun et/ou M. Paulin se sont enrichis sans cause du fait qu’ils ont reçu des paiements de Mme Magiskan. Les fonds utilisés par Mme Magiskan pour effectuer ces paiements auraient été détournés par elle de la PNCL.

[19] Windsun, M. Paulin et Mme Magiskan se seraient enrichis sans cause en versant des sommes à des tiers non identifiés sur les instructions de Windsun, M. Paulin, Mme Magiskan ou Raindancer, sans que la PNCL n’ait fait preuve d’une diligence raisonnable et n’ait suivi le processus financier habituel du bureau de la bande. L’enrichissement sans cause de Windsun, de M. Paulin et de Mme Magiskan ou de Raindancer par ces paiements à des tiers n’est pas plaidé.

[20] Plus généralement, la PNCL soutient que Windsun et/ou M. Paulin ont reçu des sommes d’argent de la PNCL sans aucun motif juridique pour leur enrichissement parce que la PNCL [traduction] « a reçu peu ou pas de valeur pour les sommes payées », ce qui fait en partie écho à l’allégation de conspiration soulevée dans la défense.

[21] La PNCL réitère les allégations de conspiration qu’elle a formulées dans sa défense, mais elle allègue en outre que Windsun, M. Paulin, Mme Magiskan, Raindancer, M. Morgan, DC Aviation et Celtic Air ont conspiré et agi de concert, par accord ou par dessein commun, pour détourner des fonds de la PNCL parce que cette dernière n’a reçu d’eux aucun avantage correspondant aux montants qu’ils ont reçus de la PNCL.

[22] La demande reconventionnelle présente des revendications contre Mme Magiskan et Raindancer North Inc. pour les mêmes montants de 4 000 000 $ que ceux demandés à Windsun et à M. Paulin, et presque dans les mêmes termes. Les faits importants invoqués à l’appui des demandes formulées contre Mme Magiskan et Raindancer North Inc. sont essentiellement les mêmes allégations d’enrichissement sans cause, de négligence et de complot que celles qui ont été invoquées contre Windsun et M. Paulin.

[23] Des revendications substantiellement similaires pour un montant de 4 000 000 $ sont présentées par la PNCL dans sa demande reconventionnelle à l’encontre des défendeurs à la demande reconventionnelle David Morgan, DC Aviation et Celtic Air Services Limited. Les faits importants invoqués à l’appui des revendications contre M. Morgan, DC Aviation et Celtic Air Services Limited sont essentiellement les mêmes que ceux allégués en rapport avec les revendications présentées contre Mme Magiskan et Raindancer North Inc.

[24] Windsun n’a pas présenté de réponse ni de défense à la demande reconventionnelle.

[25] Aucun des défendeurs à la demande reconventionnelle n’a signifié ou déposé de défense à la demande reconventionnelle, bien qu’ils semblent avoir reçu une signification en bonne et due forme de la défense et demande reconventionnelle.

II. Positions des parties concernant les requêtes

A. La requête de la PNCL

[26] La PNCL fait valoir que :

1. La déclaration ne contient aucune revendication, monétaire ou autre, à l’encontre de la Couronne ou au titre de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif.

2. Les litiges contractuels, tels que celui allégué par la demanderesse, ne relèvent pas

de la compétence du Parlement au titre de la Loi sur les Cours fédérales.

3. La déclaration n’identifie aucune loi fédérale réelle, existante et applicable qui attribue la compétence à la Cour fédérale;

4. Le droit des contrats, tel que celui entre les parties nommées dans cette action, ne fait pas partie des lois dont l’administration a été confiée à la Cour fédérale par le biais de la Loi sur les Cours fédérales, ou de toute autre loi fédérale applicable.

[27] La réponse de Windsun à la contestation de sa déclaration est que la Cour fédérale est compétente pour entendre et trancher les demandes présentées parce que :

1. La demanderesse est une société constituée sous le régime d’une loi fédérale;

2. La défenderesse est une « Première Nation fédérale » au sens de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‑5 et du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict, c 3, et est assujettie à la Loi sur les Indiens et ses règlements, y compris le Règlement sur les emprunts faits par les conseils de la bande, CRC, c 949; le Règlement sur la procédure du conseil de bande indienne, CRC, c 950, le Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens, CRC, c 952; le Décret sur les revenus des bandes d’Indiens, DORS/90‑297A l’Arrêté sur l’élection du conseil de bandes indiennes, DORS/97‑138; le Règlement sur les revenus des bandes d’Indiens, CRC, c 953;

3. Le contrat de consultation au cœur du litige a été conclu et signé sur les terres de la réserve;

4. Les services au cœur du litige étaient des services visant à obtenir des fonds du gouvernement du Canada en vue de construire de nouveaux logements sur les terres de réserve de la PNCL, apparemment dans le cadre ou au titre de l’article 64(1)j) de la Loi sur les Indiens;

5. Les revendications de la demanderesse relèvent de la compétence inhérente ou fédérale d’origine législative ou de common law de la Cour fédérale.

[28] Windsun soutient également que la Cour a une compétence concurrente inhérente à celle de la Cour supérieure de justice de l’Ontario en ce qui concerne l’objet du litige. Comme il s’agit d’une compétence concurrente, Windsun soutient qu’elle peut choisir de plaider l’affaire devant la Cour ou devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario.

B. Requête incidente de Windsun

[29] Windsun cherche à faire radier la demande reconventionnelle de la PNCL au motif qu’elle ne révèle aucune cause d’action qui relève de la compétence de la Cour prévue à l’article 17 de la Loi sur les Cours fédérales (la « Loi »), et qu’elle peut donc être radiée en vertu de l’article 221(1)a) des Règles. La position de Windsun est que la demande reconventionnelle est inappropriée parce qu’elle fait intervenir cinq (5) parties supplémentaires dans la procédure [traduction] « sur un large éventail de questions juridiques provinciales », et qu’il est plus approprié que ces revendications de droit provincial soient traitées par la Cour supérieure de justice de l’Ontario où il y a déjà des procédures en cours entre les parties.

[30] L’argument de la PNCL dans le cadre de la requête incidente est que ses demandes d’indemnisation sont correctement présentées et peuvent être examinées par la Cour fédérale.

III. Questions

[31] Les requêtes présentées à la Cour requièrent la résolution d’une seule question : celle de savoir si les revendications énoncées dans la requête et la demande reconventionnelle révèlent des causes d’action qui relèvent de la compétence de la Cour.

A. La Règle et la Loi sur les Cours fédérales

[32] Le texte de l’article 221 des Règles est le suivant :

Requête en radiation

Motion to strike

221 (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

221 (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

b) qu’il n’est pas pertinent ou qu’il est redondant;

(b) is immaterial or redundant,

c) qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

d) qu’il risque de nuire à l’instruction équitable de l’action ou de la retarder;

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

e) qu’il diverge d’un acte de procédure antérieur;

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or

f) qu’il constitue autrement un abus de procédure.

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

Elle peut aussi ordonner que l’action soit rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

Preuve

Evidence

(2) Aucune preuve n’est admissible dans le cadre d’une requête invoquant le motif visé à l’article (1)a).

(2) No evidence shall be heard on a motion for an order under paragraph (1)(a).

[33] Aucune des parties n’allègue que les demandes formulées dans la déclaration ou la demande reconventionnelle devraient être annulées parce qu’elles ne révèlent aucune cause d’action valable du point de vue technique de l’acte de procédure ou en ce qui concerne l’un des motifs énumérés aux articles 221(1)b) à f) des Règles. La substance des arguments présentés à la Cour est limitée à la question de savoir si la Cour a ou non la compétence nécessaire pour connaître du litige entre les parties. En bref, si la Cour n’est pas compétente pour statuer sur les revendications formulées dans les actes de procédure, il n’y a pas de cause valable d’action invoquée et l’acte de procédure doit être radié.

[34] Les articles 17, 23 et 26 de la Loi attribuent à la Cour une compétence sur les demandes et les actions, comme suit :

Réparation contre la Couronne

Relief against the Crown

17 (1) Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, la Cour fédérale a compétence concurrente, en première instance, dans les cas de demande de réparation contre la Couronne.

17 (1) Except as otherwise provided in this Act or any other Act of Parliament, the Federal Court has concurrent original jurisdiction in all cases in which relief is claimed against the Crown.

Motifs

Cases

(2) Elle a notamment compétence concurrente en première instance, sauf disposition contraire, dans les cas de demande motivés par :

(2) Without restricting the generality of subsection (1), the Federal Court has concurrent original jurisdiction, except as otherwise provided, in all cases in which

a) la possession par la Couronne de terres, biens ou sommes d’argent appartenant à autrui;

(a) the land, goods or money of any person is in the possession of the Crown;

b) un contrat conclu par ou pour la Couronne;

(b) the claim arises out of a contract entered into by or on behalf of the Crown;

c) un trouble de jouissance dont la Couronne se rend coupable;

(c) there is a claim against the Crown for injurious affection; or

d) une demande en dommages‑intérêts formée au titre de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif.

(d) the claim is for damages under the Crown Liability and Proceedings Act.

Conventions écrites attributives de compétence

Crown and subject: consent to jurisdiction

(3) Elle a compétence exclusive, en première instance, pour les questions suivantes :

(3) The Federal Court has exclusive original jurisdiction to hear and determine the following matters:

a) le paiement d’une somme dont le montant est à déterminer, aux termes d’une convention écrite à laquelle la Couronne est partie, par la Cour fédérale — ou l’ancienne Cour de l’Échiquier du Canada — ou par la Section de première instance de la Cour fédérale;

(a) the amount to be paid if the Crown and any person have agreed in writing that the Crown or that person shall pay an amount to be determined by the Federal Court, the Federal Court — Trial Division or the Exchequer Court of Canada; and

b) toute question de droit, de fait ou mixte à trancher, aux termes d’une convention écrite à laquelle la Couronne est partie, par la Cour fédérale — ou l’ancienne Cour de l’Échiquier du Canada — ou par la Section de première instance de la Cour fédérale.

(b) any question of law, fact or mixed law and fact that the Crown and any person have agreed in writing shall be determined by the Federal Court, the Federal Court — Trial Division or the Exchequer Court of Canada.

Demandes contradictoires contre la Couronne

Conflicting claims against Crown

(4) Elle a compétence concurrente, en première instance, dans les procédures visant à régler les différends mettant en cause la Couronne à propos d’une obligation réelle ou éventuelle pouvant faire l’objet de demandes contradictoires.

(4) The Federal Court has concurrent original jurisdiction to hear and determine proceedings to determine disputes in which the Crown is or may be under an obligation and in respect of which there are or may be conflicting claims.

Actions en réparation

Relief in favour of Crown or against officer

(5) Elle a compétence concurrente, en première instance, dans les actions en réparation intentées :

(5) The Federal Court has concurrent original jurisdiction

a) au civil par la Couronne ou le procureur général du Canada;

(a) in proceedings of a civil nature in which the Crown or the Attorney General of Canada claims relief; and

b) contre un fonctionnaire, préposé ou mandataire de la Couronne pour des faits — actes ou omissions — survenus dans le cadre de ses fonctions.

(b) in proceedings in which relief is sought against any person for anything done or omitted to be done in the performance of the duties of that person as an officer, servant or agent of the Crown.

Incompétence de la Cour fédérale

Federal Court has no jurisdiction

(6) Elle n’a pas compétence dans les cas où une loi fédérale donne compétence à un tribunal constitué ou maintenu sous le régime d’une loi provinciale sans prévoir expressément la compétence de la Cour fédérale.

(6) If an Act of Parliament confers jurisdiction in respect of a matter on a court constituted or established by or under a law of a province, the Federal Court has no jurisdiction to entertain any proceeding in respect of the same matter unless the Act expressly confers that jurisdiction on that court.

Lettres de change et billets à ordre — Aéronautique et ouvrages interprovinciaux

Bills of exchange and promissory notes — aeronautics and interprovincial works and undertakings

23 Sauf attribution spéciale de cette compétence par ailleurs, la Cour fédérale a compétence concurrente, en première instance, dans tous les cas — opposant notamment des administrés — de demande de réparation ou d’autre recours exercé sous le régime d’une loi fédérale ou d’une autre règle de droit en matière :

23 Except to the extent that jurisdiction has been otherwise specially assigned, the Federal Court has concurrent original jurisdiction, between subject and subject as well as otherwise, in all cases in which a claim for relief is made or a remedy is sought under an Act of Parliament or otherwise in relation to any matter coming within any of the following classes of subjects:

a) de lettres de change et billets à ordre lorsque la Couronne est partie aux procédures;

(a) bills of exchange and promissory notes, where the Crown is a party to the proceedings;

b) d’aéronautique;

(b) aeronautics; and

c) d’ouvrages reliant une province à une autre ou s’étendant au‑delà des limites d’une province.

(c) works and undertakings connecting a province with any other province or extending beyond the limits of a province.

Tribunal de droit commun

General original jurisdiction

26 La Cour fédérale a compétence, en première instance, pour toute question ressortissant aux termes d’une loi fédérale à la Cour d’appel fédérale, à la Cour fédérale, à la Cour fédérale du Canada ou à la Cour de l’Échiquier du Canada, à l’exception des questions expressément réservées à la Cour d’appel fédérale.

26 The Federal Court has original jurisdiction in respect of any matter, not allocated specifically to the Federal Court of Appeal, in respect of which jurisdiction has been conferred by an Act of Parliament on the Federal Court of Appeal, the Federal Court, the Federal Court of Canada or the Exchequer Court of Canada.

B. Les critères juridiques applicables

[35] Le critère applicable à une requête en radiation pour absence de compétence est le même que celui applicable à une requête en radiation d’un acte de procédure au motif qu’il ne révèle aucune cause d’action valable : l’absence de compétence doit être claire et évidente pour justifier la radiation d’actes de procédure à ce stade préliminaire de la procédure (Hodgson c Ermineskin Indian Band No. 942, 2000 CanLII 15066 au para 10). Le critère applicable et les principes sous‑jacents applicables à une telle requête sont les suivants (Theriault c La Reine, 2022 CF 722 au para 14) :

A. Pour radier une déclaration au motif qu’elle ne révèle aucune cause d’action raisonnable, il doit être évident et manifeste que la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable ou la demande doit n’avoir aucune possibilité raisonnable d’être accueillie (Hunt c Carey Canada Inc, [1990] 2 RCS 959 au para 36 [Hunt]; R c Imperial Tobacco Canada Ltd, 2011 CSC 42 au para 17);

B. Toutes les allégations de fait, sauf si elles sont manifestement ridicules ou impossibles à prouver, doivent être considérées comme prouvées : Hunt, aux para 33‑34; Edell c Canada, 2010 CAF 26 au para 55; Operation Dismantle c La Reine, 1985 CanLII 74 (CSC) [1985] 1 RCS 441 aux p 486‑487, 490‑491 [Operation Dismantle]);

C. La déclaration doit être interprétée de manière libérale afin de remédier à toute carence rédactionnelle (Operation Dismantle, au para 14; (Hunt c Carey Can Inc. [1990] 2 RCS 959 à la p 980; Condon c Canada, 2015 CAF 159 (CanLII) aux para 11‑13, 21).

D. Pour qu’une déclaration révèle une cause d’action valable, elle doit (1) alléguer des faits susceptibles de donner lieu à une cause d’action; (2) indiquer la nature de l’action; (3) préciser le redressement sollicité. Tout acte de procédure doit contenir un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde, mais pas les moyens de preuve à l’appui de ces faits (Oleynik c Canada (Procureur général), 2014 CF 896 au para 5; art 174 des Règles);

E. La pertinence des faits est déterminée par la cause d’action et la réparation demandée. L’acte de procédure doit indiquer au défendeur par qui, quand, où, comment et de quelle façon sa responsabilité a été engagée. Un récit des faits et du moment où ces faits se sont déroulés suffit rarement et la Cour et les parties adverses n’ont pas à formuler des hypothèses sur la façon dont les faits étayent les diverses causes d’action (Mancuso c Canada (Santé Nationale et Bien‑être Social), 2015 CAF 227 au para 19; Simon c Canada, 2011 CAF 6 au para 18).

[36] Pour déterminer si l’absence de compétence est claire et évidente, la Cour doit appliquer le critère déterminatif de la compétence de la Cour fédérale bien connu tel qu’énoncé dans l’arrêt ITO International Terminal Operators Ltd. c Miida Electronics Inc., 1986 CanLII 91 (CSC), [1986] 1 RCS 752 à la p. 766, et réaffirmé dans l’arrêt Windsor (City) c Canadian Transit Co., 2016 CSC 54 (« Windsor ») au para 34 (le critère « ITO‑Windso »). Selon le critère ITO‑Windsor, la compétence de la Cour ne sera exercée que dans les cas suivants :

(1) Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral;

(2) Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence;

(3) La loi invoquée dans l’affaire doit être « une loi du Canada » au sens où cette expression est employée à l’art 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[37] Le critère ITO‑Windsor ne peut être appliqué qu’après la détermination de la nature ou du caractère essentiel de la demande présentée. Pour ce faire, la Cour doit se livrer à une appréciation réaliste du résultat concret visé par le demandeur et aller au‐delà des termes employés, des faits allégués et de la réparation demandée, et elle doit s’assurer que la déclaration ne constitue pas une tentative déguisée visant à obtenir devant la Cour un résultat qui ne peut par ailleurs pas être obtenu de la Cour (Windsor, aux para 25‑26).

C. Preuve par affidavit concernant ces requêtes

[38] Les parties ont le droit de présenter une preuve par affidavit dans le cadre d’une requête en radiation fondée sur l’absence de compétence (Hodgson c La Bande indienne d’Ermineskin no 942, 2000 CanLII 15066 (CF) au para 9; conf par 2000 CanLII 16686 (CAF).

[39] Le dossier de la requête de la PNCL contient la preuve par affidavit de Wendy Rabideau, des copies des actes de procédure dans cette affaire et des copies des ordonnances et des instructions émises par la Cour. Il comprend également des preuves documentaires consistant en des actes de procédure et de la correspondance entre les avocats concernant des procédures parallèles entre les parties engagées devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario siégeant à Thunder Bay, sous les numéros de dossier CV‑20‑315 et CV‑21‑61.

[40] Le dossier de la requête en réponse de Windsun contient la preuve par affidavit de Gerald Paulin et six (6) pièces. Les pièces comprennent le profil de l’entreprise Windsun (pièce A), un certificat de conformité (pièce B), la résolution 1700‑38 du conseil de bande de la PNCL (pièce C), le contrat (pièce D), une lettre datée du 9 février 2019 de la PNCL au ministre des Affaires autochtones (pièce E) et la lettre de résiliation du 20 février 2019 remise à la PNCL par Windsun (pièce F).

[41] Ni M. Paulin, ni Mme Magiskan, ni Rain Dancer North Inc, ni M. Morgan, ni DC Aviation Canada, ni Celtic Air Services Limited n’ont produit de documents en rapport avec les requêtes présentées à la Cour. Ils n’ont pas participé à l’argumentation de ces requêtes.

IV. Analyse de la compétence

A. La nature ou le caractère essentiel des demandes

I) Les demandes de Windsun dans la déclaration

[42] Les parties au litige, telles que définies dans la déclaration, sont Windsun, une société commerciale constituée en personne morale en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, LRC 1985, c C‑44, en tant que demanderesse, et la PNCL, une « bande » au sens de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‑5, en tant que défenderesse.

[43] Windsun présente trois (3) demandes distinctes dans sa déclaration. Deux demandes sont dirigées contre la PNCL en tant que bande au sens de la Loi sur les Indiens, tandis qu’une demande est dirigée contre divers conseillers et administrateurs de la PNCL.

[44] La première demande est formulée comme une demande pour rupture de contrat. Windsun demande le paiement d’une somme d’argent qu’elle dit lui être due à titre de commission dans le cadre du contrat. Dans la mesure où la PNCL n’a pas versé ces commissions à Windsun, la demande est formulée comme une demande pour rupture de contrat à l’encontre de la PNCL en tant que partie contractante et en tant que partie responsable de la rupture du contrat.

[45] La deuxième demande porte sur un montant de 1 800 000 $ pour perte d’occasion, perte de réputation et embarras causés par les fausses déclarations des membres du conseil de bande et de certains administrateurs de la PNCL concernant le rendement de Windsun. La déclaration n’indique pas clairement si la demande porte sur des dommages découlant de fausses déclarations, sur des dommages fondés sur le délit de moyens illégaux ou sur toute autre cause d’action pouvant donner lieu à des dommages de la nature de ceux demandés. Quoi qu’il en soit, les auteurs du délit identifiés dans la demande de réparation ne sont pas parties à l’action et il n’y a aucune allégation de responsabilité du fait d’autrui ou de cause d’action similaire qui pourrait rendre une bande responsable des actions des conseillers ou d’autres employés de la bande à titre individuel. En conséquence, la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable à l’égard des parties nommées et sera radiée pour défaut de divulgation d’une cause d’action valable, sans tenir compte de la question de la compétence.

[46] La troisième demande invoquée dans la demande de réparation à titre subsidiaire est une demande d’indemnisation du défendeur fondée sur le quantum meruit pour les services de consultation professionnelle fournis au cours de la période du 16 novembre 2017 au 26 février 2019, selon le montant que le tribunal estime juste et raisonnable. Une demande relative au quantum meruit est une demande d’indemnisation en common law pour les avantages conférés en vertu d’une entente qui, malgré qu’elle semblait lier les parties, est devenue inopérante pour une raison reconnue en common law (Kerr c Baranow, 2011 CSC 10 (CanLII), [2011] 1 RCS 269, 2011 CSC 10 au para 74).

[47] En interprétant la déclaration de Windsun largement et en appréciant le résultat visé, Windsun demande l’attribution d’une commission contractuelle égale à 10 % du financement de 12 800 000 $ que la PNCL a reçu de la SAC parce que le financement de 12 800 000 $ a été [traduction] « fourni à Cat Lake pendant la durée » du Contrat. En cas d’échec du contrat, le même montant d’argent que l’on cherche à recouvrer doit être recouvré sur la base du quantum meruit. Dans l’ensemble, Windsun cherche à obtenir de l’argent de sa partie contractante, la PNCL.

II. La demande reconventionnelle de la PNCL

[48] La demande reconventionnelle présente des demandes fondées sur l’enrichissement sans cause, la négligence et la conspiration à l’encontre de Windsun, d’autres individus et les sociétés privées qu’ils dirigent, exploitent ou pour lesquelles ils travaillent. Les demandes relatives à l’enrichissement sans cause trouvent leur source dans l’équité et la réparation en équité, tandis que les revendications relatives à la conspiration relèvent de la responsabilité civile délictuelle, tout comme les demandes relatives à la négligence.

[49] À l’instar de la déclaration, le résultat visé par la demande reconventionnelle est l’octroi de dommages‑intérêts prétendument payables en raison des ruptures de contrat de Windsun, de son comportement délictuel, tant individuellement que dans le cadre d’une conspiration avec des tiers.

B. Volet I du critère ITO‑Windsor : Attribution légale de compétence

I. Les demandes de Windsun

[50] Le premier volet du critère ITO‑Windsor exige qu’une loi attribue à la Cour fédérale la compétence pour connaître du litige. Comme il a été déterminé ci‑dessus, les demandes de Windsun sont des demandes relatives à la rupture de contrat et au quantum meruit à l’encontre de la PNCL et les demandes de la PNCL sont des demandes en équité, en responsabilité délictuelle et en négligence à l’encontre de Windsun et des personnes qui lui sont liées.

[51] Les demandes fondées sur une rupture de contrat et sur la responsabilité délictuelle peuvent relever de la compétence de la Cour, conformément à l’article 17 de la Loi, à condition que la Couronne soit partie au litige. Ce n’est pas le cas en l’espèce. La Couronne n’est pas partie au litige. Les deux parties ne présentent aucune revendication visant la Couronne. Il n’est pas allégué que le litige entre les parties est lié à un contrat, à une réparation en équité ou à une responsabilité civile délictuelle impliquant des terres, des biens ou de l’argent en possession de la Couronne, qu’il découle d’un contrat conclu par la Couronne ou en son nom, ou qu’il relève de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif. Il n’est pas allégué que la Couronne ait une quelconque obligation à l’égard de l’une ou l’autre des parties au litige.

[52] Il s’ensuit que la compétence de la Cour en matière de contrats et de revendications liées à la responsabilité délictuelle prévue à l’article 17 de la Loi n’est pas exercée. De même, il n’y a pas d’allégation ou d’argument selon lequel la compétence de la Cour au titre des articles 23 ou 26 de la Loi est exercée. Puisqu’il n’existe dans la Loi aucune attribution de compétence à la Cour pour entendre et trancher les réclamations de Windsun, toute attribution de compétence doit être trouvée ailleurs.

[53] Windsun soutient que la Cour a compétence pour entendre le différend relatif à la rupture de contrat entre les parties parce que les lois, les règlements et les résolutions du conseil de bande en cause ont été créés par les gouvernements précédents du Canada, le Parlement fédéral et la PNCL. Windsun soutient également que la Cour a compétence pour connaître du litige parce que Windsun est constituée en société sous le régime d’une loi fédérale, que la PNCL est une « bande » au sens de la Loi sur les Indiens et qu’elle a conclu le contrat en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi sur les Indiens et des règlements connexes. Windsun soutient également que ce litige concerne les articles 64(1)g), j) et k) de la Loi sur les Indiens et les dépenses de sommes d’argent au compte en capital de la PNCL pour la construction d’améliorations permanentes, de maisons pour les membres de la bande et les dépenses de sommes d’argent au compte en capital en général.

[54] L’argument de Windsun, réduit à son thème central, est que notre Cour a compétence pour entendre et trancher toute question qui est réglementée de quelque manière que ce soit, même indirectement, par une loi ou un règlement promulgué par le Parlement fédéral. L’argument de Windsun confond le troisième volet du critère ITO‑Windsor, qui exige que la loi invoquée dans l’affaire soit une « loi du Canada », avec le premier volet du critère ITO‑Windsor, qui concerne l’attribution légale de compétence pour trancher un litige. La compétence légale attribuée par le Parlement n’entraîne pas nécessairement l’attribution d’une compétence judiciaire à la Cour fédérale.

[55] La loi constitutive d’une société plaidante est rarement pertinente en ce qui concerne la question de la compétence de la Cour pour connaître d’un litige la concernant. La Loi canadienne sur les sociétés par actions n’attribue à la Cour aucune compétence, qu’elle soit exclusive ou concurrente, en ce qui concerne les litiges impliquant des sociétés constituées en vertu de ses dispositions. Les définitions contenues dans le paragraphe 2(1) de la Loi canadienne sur les sociétés par actions indiquent que les références à un « tribunal » dans la loi sont des références aux cours supérieures de chaque province et pas du tout à la Cour.

[56] La Loi sur les Indiens attribue à la Cour une compétence en matière de violation du droit de propriété dans les réserves (art 30 et 31) et en matière de succession (art 47), mais il n’y a pas d’attribution de compétence en ce qui concerne les différends contractuels entre une bande et une société lorsque le litige est utilisé pour obtenir une réparation telle qu’une indemnisation ou un autre redressement qui vise principalement à réparer des torts privés plutôt que des torts publics.

[57] Les articles 64(1)g), j) et k) de la Loi sur les Indiens ne sont pas invoqués dans la déclaration, bien qu’ils aient été mentionnés dans les arguments comme étant le fondement de la compétence de la Cour. Windsun a admis lors de l’audition de ces requêtes que l’article 64 de la Loi sur les Indiens prévoit une autorisation et des directives ministérielles pour la dépense des fonds de capital d’une bande avec le consentement du conseil de bande concerné, ce qui n’est pas en cause dans la déclaration ou dans les demandes présentées. L’argument de Windsun fondé sur l’article 64 de la Loi sur les Indiens doit donc être rejeté comme étant mal fondé et non étayé par les allégations formulées dans la déclaration.

[58] La Cour aurait pu avoir compétence pour entendre une demande de contrôle judiciaire des décisions de la PNCL de résilier le contrat en vertu de l’article 18.1 de la Loi si la PNCL avait agi à titre d’office fédéral tout au long des événements allégués. Cependant, même dans ce cas, si la PNCL exerçait son pouvoir de contracter à des fins commerciales privées susceptibles d’apporter un avantage à la bande plutôt que de l’exercer à l’égard des questions qui relèvent du droit public, la PNCL n’aurait peut‑être pas agi en tant qu’office fédéral (Cyr c Première Nation Ojibway de Batchewana, 2022 CAF 90 aux para 22‑24; Des Roches c Première Nation de Wasauksing, 2014 CF 1126 aux para 50‑62; Maloney c Conseil de la bande indienne de Shubenacadie 2014 CF 129). Si elle avait introduit une demande de contrôle judiciaire, Windsun aurait été généralement empêchée de demander et d’obtenir des dommages‑intérêts dans le cadre de la même affaire (Canada (Procureur général) c Telezone Inc., 2010 CSC 62). J’avais demandé aux parties, avant l’audition de ces requêtes, de prendre en considération les décisions Des Roches et Maloney lors de la présentation de leurs observations orales, étant donné la source souvent mal comprise de la compétence de la Cour en ce qui concerne l’action du conseil de bande. Aucune des parties n’a consacré beaucoup de temps à ces décisions, leurs arguments étant axés sur l’article 17 de la Loi et sur le critère ITO‑Windsor.

[59] Bien que la PNCL ait pu exercer des pouvoirs en vertu de la Loi sur les Indiens lors de l’adoption de la Résolution du Conseil de bande no 1700‑38 (la « RCB »), le texte de la RCB laisse entendre le contraire. La pièce C de l’affidavit de M. Paulin établit qu’il n’a pas été fait référence à la Loi sur les Indiens ni à aucun de ses règlements lorsque la PNCL a adopté la RCB pour conclure le contrat avec Windsun, et qu’elle n’a pas non plus invoqué ces textes. La RCB reflète plutôt le fait que la PNCL a toujours agi conformément au maintien de sa souveraineté, de son autodétermination et de sa compétence inhérente sur l’ensemble de ses terres d’origine.

[60] Windsun soutient également que ses revendications doivent relever de la compétence de la Cour parce que l’objet du présent litige porte sur des services fournis par une société fédérale à une « Première Nation fédérale » afin d’obtenir de nouvelles subventions supplémentaires du gouvernement du Canada de la part du ministre des Affaires autochtones en vue de construire de nouveaux logements sur les terres de réserve de la PNCL pour faire face aux problèmes d’urgence en matière de logement dans les réserves. Avec respect, en allant au‐delà des termes employés dans la déclaration et en se concentrant sur la nature essentielle des revendications présentées et le résultat visé, comme cela est requis, il est clair que l’avantage public qui a pu résulter du contrat n’est pas remis en cause dans la déclaration. Ce litige ne concerne pas les services fournis à la PNCL dans la réserve pour le bien public. Il s’agit de l’indemnisation pour rupture de contrat et de l’équivalent de cette indemnisation fondée sur le quantum meruit si le contrat est considéré comme ayant échoué en tant que contrat.

[61] Enfin, Windsun soutient que la Cour a une compétence inhérente pour trancher les demandes présentées par Windsun. Cet argument doit être rejeté. Il n’est pas nécessaire de commenter dans les présents motifs la compétence inhérente de la Cour pour contrôler ses processus. Il est toutefois nécessaire de rappeler que dans l’arrêt Windsor, au paragraphe 33, la Cour suprême du Canada a écrit ce qui suit au sujet de la compétence inhérente de la Cour pour entendre et trancher les revendications :

[33] À l’inverse, la Cour fédérale possède uniquement la compétence qui lui est conférée par la loi. It Il s’agit d’une cour d’origine législative, qui a été créée en application du pouvoir constitutionnel prévu à l’art. 101 et qui n’est pas dotée d’une compétence inhérente. La Cour fédérale joue un rôle primordial dans notre système judiciaire, mais sa compétence n’est pas protégée par la Constitution de la même façon que celle des cours visées à l’art. 96. Elle ne peut agir qu’à l’intérieur des limites constitutionnelles établies par l’art. 101 et des pouvoirs qui lui ont été conférés par la loi. Comme l’a fait remarquer notre Cour dans Roberts c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 322, p. 331, « [p]arce que la Cour fédérale n’a aucune compétence inhérente comme celle des cours supérieures des provinces, c’est le texte de la [Loi sur la Cour fédérale] qui détermine complètement l’étendue de la compétence de la cour. »

[62] Il s’ensuit que Windsun ne satisfait pas à au premier volet du critère ITO‑Windsor puisqu’il n’y a pas d’attribution de compétence par une loi à la Cour qui lui permettrait d’entendre et de trancher ses demandes à l’encontre de la PNCL. Étant donné que le premier volet du critère ITO‑Windsor n’est pas satisfait, il n’est pas nécessaire d’examiner si Windsun satisfait aux deuxième et troisième volets du critère ITO‑Windsor.

[63] J’estime qu’il est clair et évident que la déclaration de Windsun ne révèle aucune cause d’action valable qui relève de la compétence de la Cour. La déclaration de Windsun sera radiée sans autorisation de la modifier. Cette procédure sera donc rejetée.

II. La demande reconventionnelle de la PNCL

[64] À l’audition des présentes requêtes, la PNCL a admis que la Cour fédérale n’était pas compétente pour statuer sur les demandes présentées dans sa demande reconventionnelle si je concluais que la Cour n’était pas compétente pour entendre et trancher les demandes de Windsun telles qu’elles sont énoncées dans sa déclaration.

[65] Indépendamment de l’admission de la PNCL, j’estime que la demande reconventionnelle de la PNCL ne relève d’aucune attribution légale de compétence de la Cour pour les mêmes raisons que celles exposées ci‑dessus en ce qui concerne les demandes de Windsun. Les demandes concernant l’enrichissement sans cause, la conspiration et la négligence à l’encontre de parties privées sans implication de la Couronne, telles qu’elles sont plaidées dans la demande reconventionnelle, ne sont pas visées par la Loi ou par toute autre attribution de compétence à la Cour.

[66] Compte tenu de mes conclusions ci‑dessus et de cette admission de la PNCL, et compte tenu du fait qu’il est clair et évident que les demandes de la PNCL telles que contenues dans sa demande reconventionnelle ne relèvent pas de la compétence de la Cour, la demande reconventionnelle de la PNCL sera radiée sans autorisation de la modifier au motif qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable qui relève de la compétence de la Cour.

V. Dépens

[67] Les deux parties ont demandé des dépens afférents aux présentes requêtes. Étant donné que les présentes requêtes ont mis fin à la procédure, les dépens de la procédure sont également en cause. Les parties sont invitées à discuter et à convenir des dépens afférents aux présentes requêtes et à la présente procédure. Une ordonnance sur consentement pour les dépens peut être admise si les parties parviennent à un accord et envisagent une ordonnance sur les dépens dans le cadre de leur accord.

[68] Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens, elles peuvent signifier et déposer leurs observations sur les dépens conformément au calendrier et aux paramètres suivants : a) la PNCL présentera ses observations sur les dépens ne dépassant pas cinq (5) pages, à l’exclusion des annexes, dans les 15 jours suivant les présents motifs et la présente ordonnance; b) Windsun présentera ses observations sur les dépens ne dépassant pas cinq (5) pages, à l’exclusion des annexes, dans les 15 jours suivant la réception des observations sur les dépens de la PNCL; c) la PNCL présentera ses observations en réponse ne dépassant pas trois (3) pages, à l’exclusion des annexes, dans les 15 jours suivant la réception des observations sur les dépens de la PNCL; d) la PNCL présentera ses observations en réponse ne dépassant pas trois (3) pages, à l’exclusion des annexes, le cas échéant, dans les cinq (5) jours suivant la réception des observations en réponse de Windsun.

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

1. La requête en radiation de la défenderesse et partie requérante Première Nation de Cat Lake est accueillie.

2. La déclaration de Windsun Energy Corp. est radiée sans autorisation de la modifier et la présente instance est rejetée.

3. La requête en radiation de la demanderesse et partie requérante Windsun Energy Corp. est accueillie.

4. La demande reconventionnelle de la Première Nation de Cat Lake, défenderesse et partie reconventionnelle, est radiée sans autorisation de la modifier et rejetée.

5. Les dépens seront déterminés après réception des observations des parties sur les dépens.

 

« Benoit M. Duchesne »

 

Juge adjoint

TRADUCTION°certifiée conforme

Claude Leclerc

 

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