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Date : 20221110

Dossier : T‑604‑19

Référence : 2022 CF 1422

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2022

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE:

UPL NA INC., ARYSTA LIFESCIENCE NORTH AMERICA, LLC et UPL AGROSOLUTIONS CANADA INC.

demanderesses

et

AGRACITY CROP & NUTRITION LTD. et NEWAGCO INC.

défenderesses

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS

(Jugement et motifs confidentiels rendus le 19 octobre 2022)

I. Introduction

[1] Les parties sont des concurrentes dans le domaine de la protection des plantes agricoles. Les demanderesses font valoir qu’en mars 2019, les défenderesses ont prématurément lancé le flucarbazone‑sodium, un herbicide générique, qui supprime l’avoine sauvage et d’autres graminées adventices et mauvaises herbes à feuilles larges présentes dans les cultures de blé, avant l’expiration du brevet des demanderesses (brevet canadien no 2346021) [le brevet 021] qui a eu lieu six mois plus tard. Les demanderesses affirment que les défenderesses sont conjointement et solidairement responsables de la contrefaçon et de l’incitation à la production des herbicides génériques de contrefaçon vendus en 2019.

[2] Les défenderesses contestent les allégations de contrefaçon et d’incitation des demanderesses, au motif qu’elles n’ont pas contrefait les revendications invoquées du brevet 021 et que ces mêmes revendications sont invalides. En ce qui concerne les allégations d’invalidité, les défenderesses font valoir ce qui suit : i) l’objet des revendications est évident au vu de ce qui est déjà de notoriété publique; ii) l’objet des revendications est antériorisé par le brevet américain n5534486 [le brevet 486] et le brevet canadien n2064636 [le brevet 636]; iii) les revendications ont une portée excessive, qui outrepasse ce que les inventeurs ont véritablement inventé et divulgué; et iv) le mémoire descriptif du brevet 021 ne satisfait pas aux exigences d’exhaustivité du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets.

[3] Au terme de l’instruction, les défenderesses ne nient plus que l’une d’entre elles, AgraCity Crop & Nutrition Ltd. [AgraCity], a contrefait les revendications invoquées du brevet 021, et incité à la contrefaçon de ces revendications, mais elles continuent à nier que NewAgco Inc. [NewAgco] ait une quelconque responsabilité à l’égard des demanderesses.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que les revendications invoquées du brevet 021 sont valides et ont été contrefaites par AgraCity. Les demanderesses n’ont établi aucune responsabilité de la part de NewAgco. AgraCity versera la somme de 227 409 $ aux demanderesses à titre de restitution des profits tirés de la vente de son herbicide générique contrefaisant, à base de flucarbazone‑sodium, en sus des intérêts avant et après jugement.

II. Contexte

A. Les parties

[5] La demanderesse, Arysta LifeScience North America, LLC [Arysta], est une société californienne qui est établie à Cary, en Caroline du Nord, et qui était auparavant connue sous le nom d’Arysta LifeScience North America Corporation et, avant cela, sous le nom d’Arvesta Corporation. À toutes les époques en cause, Arysta était propriétaire du brevet 021.

[6] La demanderesse, UPL AgroSolutions Canada Inc. [UPL Canada], est une société de Colombie‑Britannique qui est établie à Vancouver, en Colombie‑Britannique, et qui était autrefois connue sous le nom d’Arysta LifeScience Canada Inc. UPL Canada commercialise, vend et distribue au Canada un herbicide au flucarbazone‑sodium sous le nom de marque EVEREST. Elle vend aussi un herbicide au flucarbazone‑sodium identique renommé SIERRA à une société tierce appelée Syngenta.

[7] La demanderesse, UPL NA Inc. [UPL NA], est une société du Delaware établie à King of Prussia en Pennsylvanie. Depuis 2019, UPL NA fabrique les produits EVEREST et SIERRA et les vend à UPL Canada aux fins de distribution au Canada.

[8] En février 2019, UPL Limited, une société internationale de protection des cultures, a acquis Arysta. UPL Limited est la société mère d’UPL NA, qui elle‑même est la société mère d’Arysta et d’UPL Canada.

[9] La défenderesse, AgraCity, est une société de la Saskatchewan établie à Saskatoon dans cette même province. Elle distribue des produits génériques de protection des cultures, y compris l’herbicide générique au flucarbazone‑sodium de marque HIMALAYA. AgraCity vend le produit HIMALAYA directement à des producteurs qui doivent être membres d’une organisation appelée Fermiers d’Amérique du Nord [Farmers of North America].

[10] La défenderesse, NewAgco, est une société de la Saskatchewan établie à Saskatoon, dans cette province. Elle est titulaire d’homologations accordées par l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (l’ARLA) pour des produits d’herbicide génériques, dont HIMALAYA.

B. La réglementation des herbicides au Canada

[11] L’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire [ARLA] de Santé Canada est chargée de la réglementation des pesticides au Canada, dont les pesticides classiques comme les herbicides utilisés sur les plantes agricoles. Les entreprises qui cherchent à commercialiser et à vendre des herbicides au Canada doivent faire homologuer l’herbicide proposé par l’ARLA et faire approuver l’étiquette proposée. L’étiquette de l’herbicide indique qui peut l’utiliser et dans quelles circonstances.

[12] Les parties conviennent que les acquéreurs d’herbicides, comme EVEREST et HIMALAYA, sont tenus, en vertu de l’alinéa 6(5)b) de la Loi sur les produits antiparasitaires, LC 2002, c 28, de se conformer aux instructions figurant sur l’étiquette lorsqu’ils utilisent les herbicides.

C. Le commerce de l’herbicide flucarbazone‑sodium par les demanderesses

[13] En 2000, l’ARLA a approuvé la demande d’homologation de deux herbicides, à savoir a) EVEREST de qualité technique, qui est le principe actif d’EVEREST, soit le flucarbazone‑sodium, et b) EVEREST 70 GHD, qui est une préparation de granulés hydrodispersables à 70 %. EVEREST 70 GHD est une préparation sèche qui a été approuvée pour être appliquée en pré‑plantation, en prélevée et en postlevée sur le blé de printemps (à l’exception du blé dur) et appliquée en postlevée sur le blé de printemps (y compris le blé dur) dans le but de supprimer l’avoine sauvage et certaines autres graminées adventices et mauvaises herbes à feuilles larges.

[14] En 2002, Arysta (alors connue sous le nom d’Arvesta Corporation) a acheté pour plus de 100 millions de dollars l’ensemble des activités de Bayer Corporation concernant le flucarbazone‑sodium, y compris la demande pendante visant le brevet 021 et les homologations accordées par l’ARLA à l’égard des herbicides EVEREST.

[15] En 2011, les demanderesses ont obtenu l’homologation d’EVEREST 2.0, le produit EVEREST de deuxième génération. Contrairement au produit de première génération, cette version a) comprenait un phytoprotecteur fourni par Syngenta qui a amélioré davantage le rendement de l’herbicide en réduisant davantage le risque de dommages aux cultures; et b) était un produit en suspension liquide à utiliser uniquement comme herbicide en postlevée.

[16] En 2018, les demanderesses ont obtenu l’homologation d’EVEREST 3.0 AG, qui est le produit succédant à EVEREST 2.0 et le produit fabriqué, distribué et vendu par les demanderesses pendant la période pertinente. EVEREST 3.0 AG, qui est également une suspension liquide, a été l’objet d’améliorations quant à la durée de conservation et à la stabilité du produit. EVEREST 3.0 AG a été homologué pour être appliqué en postlevée sur le blé de printemps afin de supprimer l’avoine sauvage et d’autres graminées adventices et mauvaises herbes à feuilles larges.

[17] Depuis 2011, les demanderesses ont une entente avec Syngenta, selon laquelle Syngenta leur fournit le phytoprotecteur compris dans EVEREST 2.0 et EVEREST 3.0 AG. En contrepartie, les demanderesses fabriquent et vendent à Syngenta une version de marque privée du produit EVEREST rebaptisée SIERRA. Hormis cette différence d’appellation, les produits EVEREST et SIERRA sont identiques et sont tous deux approuvés par l’ARLA pour le même usage.

[18] Jusqu’en 2019, UPL Canada et Syngenta étaient les seuls fournisseurs de produits d’herbicide au flucarbazone‑sodium au Canada.

[19] Les produits EVEREST sont devenus la gamme de produits vedettes des demanderesses au Canada : ils génèrent des revenus de plusieurs dizaines de millions de dollars chaque année grâce aux ventes aux producteurs de blé de l’Ouest canadien. Les produits EVEREST représentent actuellement le tiers des activités canadiennes des demanderesses.

D. Le commerce de l’herbicide au flucarbazone‑sodium par les défenderesses

[20] En 2017, l’ARLA a avisé Arysta que NewAgco avait déposé une demande d’homologation d’un produit générique contenant du flucarbazone‑sodium de qualité technique et qu’elle comptait s’appuyer sur les données d’Arysta concernant EVEREST de qualité technique pour étayer sa demande.

[21] Une fois avisées par l’ARLA, les demanderesses ont communiqué avec les défenderesses concernant, entre autres, le brevet 021, et leur ont demandé de retarder le lancement de leur herbicide générique au flucarbazone‑sodium jusqu’à l’expiration du brevet 021, en septembre 2019. Les défenderesses ont refusé d’obtempérer et ont répondu que le brevet 021 était invalide.

[22] En mars 2019, NewAgco a reçu de l’ARLA l’autorisation de commercialiser l’herbicide HIMALAYA de qualité technique et l’herbicide commercial HIMALAYA. HIMALAYA a été approuvé pour être appliqué en pré‑plantation, en prélevée et en postlevée sur le blé de printemps (à l’exception du blé dur) et en postlevée sur le blé de printemps (y compris le blé dur) pour supprimer l’avoine sauvage et certaines autres graminées adventices ou mauvaises herbes à feuilles larges. L’étiquette d’HIMALAYA indique que NewAgco est titulaire de l’homologation du produit et qu’AgraCity le distribue.

[23] Après avoir reçu l’approbation de l’ARLA, AgraCity a commencé à commercialiser et à vendre HIMALAYA. Le 6 mars 2019, AgraCity a publié sur son site Internet un communiqué de presse intitulé [TRADUCTION] « EXCELLENTE NOUVELLE - HIMALAYAMC, le même principe actif qu’Everest est maintenant offert par AgraCity ». En voici un extrait :

[TRADUCTION]

Aujourd’hui, AgraCity Canada (NewAgco) a annoncé qu’elle avait reçu l’autorisation de l’Agence canadienne de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) de commercialiser HimalayaMC, la première version générique d’un herbicide à base de flucarbazone.

« Nous sommes ravis d’offrir ce nouveau produit aux producteurs de blé de l’Ouest canadien, car ils pourront dorénavant choisir ce produit abordable pour supprimer les graminées adventices et les mauvaises herbes à feuilles larges dans les cultures de blé. De plus, ce produit aura la même qualité et le même rendement élevé que les produits de marque à base de flucarbazone déjà sur le marché », déclare Jason Mann, président‑directeur général d’AgraCity à Saskatoon. « Nous avons hâte d’offrir encore plus de nouveaux produits génériques aux producteurs canadiens dans le futur. »

HimalayaMC, un nouveau produit supprimant l’avoine sauvage et d’autres graminées adventices et mauvaises herbes à feuilles larges présentes dans les cultures de blé de printemps et de blé dur, sera offert par AgraCity dès 2019!

Himalaya, qui est le même principe actif qu’EVERESTMD, est un produit de même qualité et de rendement aussi élevé pour supprimer l’avoine sauvage, les graminées adventices et les mauvaises herbes à feuilles larges que le flucarbazone de marque. Il permet aussi de supprimer l’avoine sauvage et la sétaire verte résistantes aux herbicides du groupe 1, d’éliminer les premières pousses d’avoine sauvage, et offre une large fenêtre d’application, une excellente protection des cultures et de nombreuses options de mélange en réservoir.

[24] Bien qu’il soit commercialisé comme ayant le même principe actif qu’EVEREST, HIMALAYA ne contient pas le phytoprotecteur des produits EVEREST.

[25] À un moment donné, NewAgco et AgraCity ont conclu une entente verbale selon laquelle AgraCity consentait à verser à NewAgco une redevance en contrepartie du droit de distribuer les produits visés par les homologations de l’ARLA dont NewAgco était titulaire, y compris les homologations visant le produit HIMALAYA. Le taux de la redevance correspond à || || des revenus bruts d’AgraCity auxquels sont soustraits le coût des produits vendus et les frais de transport.

[26] Malgré l’entente susmentionnée et les ventes d’HIMALAYA en 2019, dans les faits, aucune redevance n’a été versée par AgraCity à NewAgco cette même année en ce qui concerne les produits HIMALAYA et il n’y a aucune entrée dans les registres financiers d’AgraCity au sujet d’un report du versement de cette redevance en 2019. Le versement des redevances a repris en 2020, lorsque l’injonction (dont il est question plus loin) a été levée.

E. L’action et l’injonction

[27] Le 9 avril 2019, les demanderesses ont entamé la présente action en contrefaçon de brevet et, le même jour, elles ont signifié et déposé une requête visant à obtenir une injonction provisoire pour empêcher les défenderesses de vendre et distribuer HIMALAYA. L’injonction a été accordée le 25 avril 2019 et modifiée le 18 mars 2020 de sorte que, notamment, il soit prévu qu’elle prendrait fin à l’expiration du brevet 021.

[28] Les parties conviennent que le nombre de bidons d’HIMALAYA vendus à partir de la date de lancement du produit jusqu’à la délivrance de l’injonction n’a été que de |****|| ||| bidons. Les parties conviennent également que ces bidons d’HIMALAYA ont été vendus et commercialisés par AgraCity pour une utilisation conforme à celle de l’étiquette du produit commercial HIMALAYA.

III. Les brevets en litige dans la présente instance

[29] Les parties ont mis en cause trois brevets qui sont pertinents dans la présente instance – le brevet 021 et deux brevets antérieurs connexes sur lesquels les défenderesses s’appuient pour fonder leurs allégations relatives à l’évidence et à l’antériorité – à savoir, le brevet 486 et le brevet 636. Je les examinerai en ordre chronologique.

A. Le brevet 486

[30] Le brevet 486, intitulé [TRADUCTION] « Sulphonylaminocarbonyltriazolinones ayant des substituants liés par l’oxygène », a été accordé le 9 juillet 1996 à Bayer Aktiengesellschaft, et les inventeurs désignés sont les trois mêmes inventeurs que ceux du brevet 021. La demande prioritaire à laquelle renvoie le brevet 486 est la demande de brevet allemand P 41 10 795.0, déposée le 4 avril 1991.

[31] La colonne 1 du brevet 486 indique que l’invention concerne des nouvelles sulfonylaminocarbonyltriazolinones [STAC] ayant des substituants liés par l’oxygène, une pluralité de procédés et de nouveaux intermédiaires pour leur préparation et leur utilisation comme herbicides. Le brevet 486 révèle que les inventeurs ont découvert des STAC ayant des substituants liés par l’oxygène de formule générale (I) :

[traduction]

Les sulphonylaminocarbonyltriazolinones herbicides ont des substituants liés par l’oxygène et dans leur formule

 

R1 représente un hydrogène, un groupe amino ou une substitution facultative par un radical alkyle, alcényle, alcinyle, cycloalkyle, aralkyle, aryle, alkylamino, cycloalklamino ou dialkylamino,

R2 représente une substitution facultative par un radical alkyle, alcényle, alcinyle, cycloalkyle, cycloalcényle, aralkyle ou aryle,

R3 représente une substitution facultative par un radical alkyle, aralkyle, aryle ou hétéroaryle,

Et les sels de substances, à l’exception des composés suivants :

2-(2-méthoxycarbonyl-phénylsulphonylaminocarbonyl)-4-méthyl-5-méthoxy-2,4-dihydro-3H-1,2,4-triazol-3-one,

2-(2-trifluorométhoxy - phénylsulphonylaminocarbonyl)-

4-cyclopropyl-5-méthoxy-2,4-dihydro-3H-1,2,4-triazol-3-one,

2-(2-difluorométhoxy- phénylsulphonylaminocarbonyl)-

4-cyclobutyl-5-éthoxy-2,4-dihydro-3H-1,2,4-triazol-3-one, et

2-(2-méthoxycarbonyl-phénylsulphonylaminocarbonyl)-

4-éthyl 5-éthoxy-2,4-dihydro 3H-1,2.4-triazol-3-one

et leurs sels se distinguent par une puissante activité herbicide et une activité herbicide étonnamment meilleure que celle du composé connu 2-(2-chlorophénylsulfonyl)-4,5-diméthyl-2,4-dihydro-3H-1,2,4-triazol-3-one, qui a une structure similaire.

[32] La colonne 28 du brevet 486 est libellée de la façon suivante :

[traduction]

Les composés actifs, selon l’invention, peuvent être utilisés comme défoliants, dessiccateurs, agents pour détruire les plantes à feuilles larges et, en particulier, comme désherbants. Par mauvaises herbes, au sens le plus large, il faut comprendre toutes les plantes qui poussent là où elles ne sont pas désirées. La question de savoir si, selon l’invention, les substances agissent comme herbicides totaux ou sélectifs dépend essentiellement de la quantité utilisée.

Les composés actifs, selon l’invention, peuvent être utilisés, par exemple, pour les plantes suivantes :

Dicotylédones adventices des genres suivants : Sinapis, Lepidium, Galium, Stellaria, Matricaria, Anthemis, Galinsoga, Chenopodium, Urtica, Senecio, Amaranthus, Portulaca, Xanthium, Convolvulus, Ipomoea, Polygonum, Sesbania, Ambrosia, Cirsium, Carduus, Sonchus, Solanum, Rorippa, Rotala, Lindernia, Lamium, Veronica, Abutilon, Emex, Datura, Viola, Galeopsis, Papaver, Centaurea, Trifolium, Ranunculus et Taraxacum.

Cultures de dicotylédones des genres suivants : Gossypium, Glycine, Beta, Daucus, Phaseolus, Pisum, Solanum, Linum, Ipomoea, Vicia, Nicotiana, Lycopersicon, Arachis, Brassica, Lactuca, Cucumis et Cucurbita.

Monocotylédones adventices des genres suivants : Echinochloa, Setaria, Panicum, Digitaria, Phleum, Poa, Festuca, Eleusine, Brachiaria, Lolium, Bromus, Avena, Cyperus, Sorghum, Agropyron, Cynodon, Monochoria, Fimbristylis, Sagittaria, Eleocharis, Scirpus, Paspalum, Ischaemum, Sphenoclea, Dactyloctenium, Agrostis, Alopecurus et Apera.

Cultures monocotylédones des genres suivants : Oryza, Zea, Triticum, Hordeurn, Avena, Secale, Sorghum, Panicurn, Saccharum, Ananas, Asparagus et Allium.

Cependant, l’utilisation des composés actifs selon l’invention n’est aucunement limitée à ces genres, mais s’applique aussi de la même manière à d’autres plantes.

Les composés conviennent, selon la concentration, à la suppression des mauvaises herbes, par exemple sur les terrains industriels et les voies ferrées, et sur les sentiers et les parcelles avec ou sans plantation d’arbres. De même, les composés peuvent servir à la lutte contre les mauvaises herbes présentes dans les cultures de vivaces, par exemple dans les endroits de boisement, les plantations d’arbres décoratifs, les vergers, les vignobles, les plantations d’agrumes, d’arbres à noix, de bananiers, de caféiers, de théiers, d’arbres à caoutchouc, de palmiers à huile, de cacaoyers, d’arbres à fruits fragiles et les houblonnières, les gazonnières et les pâturages, sur les pelouses, et pour la suppression sélective des mauvaises herbes dans les cultures de plantes annuelles.

Selon l’invention, certains des composés de formule (I) sont adaptés à la suppression ou la répression des mauvaises herbes, certains pour la suppression sélective des monocotylédones et des dicotylédones dans les cultures de monocotylédones et de dicotylédones, en prélevée et en postlevée.

[Non souligné dans l’original]

[33] Le brevet 486 présente 327 exemples de préparations de composés de formule (I), et des combinaisons différentes de structures chimiques de R1, R2 et R3. Les exemples 79 et 321 fournissent les substitutions nécessaires pour produire la structure du composé de formule (I) du brevet 021 et de son sel.

[34] Le brevet 486 présente deux exemples d’utilisation (A et B), où le composé connu 2‑(2‑chlorophénylsulfonamidocarbonyl)‑4,5‑diméthyl‑2,4‑dihydro‑3H‑1,2,4-triazol‑3-one est un composé comparatif et est désigné comme étant le composé (A). L’exemple A porte sur un essai de postlevée. Aucun détail n’a été fourni quant aux cultures et aux mauvaises herbes utilisées pour les essais et quant au nombre de composés examinés. Aucune donnée d’essai n’a été fournie, mais le brevet révèle que :

[TRADUCTION]

Dans cet essai, une action nettement plus puissante contre les mauvaises herbes que celle du composé connu (A) est observée, par exemple, celle des composés des exemples de préparation 1, 2, 3, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 64, 65 et 67, accompagnée dans certains cas, d’une bonne compatibilité avec les plantes cultivées.

[35] Le flucarbazone‑sodium ne fait pas partie des composés énumérés et on ne donne aucun détail sur les composés qui ont une bonne compatibilité avec les plantes cultivées ou sur les cultures avec lesquelles ces composés étaient compatibles.

[36] L’exemple B concernait un essai de prélevée. Encore une fois, aucun détail n’a été fourni quant aux cultures et aux mauvaises herbes qui ont été utilisées pour les essais et quant au nombre de composés qui ont été analysés. Aucune donnée d’essai n’a été fournie, mais le brevet révèle ceci :

[traduction]

Dans cet essai, une action nettement plus puissante contre les mauvaises herbes que celle du composé connu (A) est observée, par exemple, celle des composés des exemples de préparation 2, 54 et 69, accompagnée, dans certains cas, d’une bonne compatibilité avec les plantes cultivées.

[37] Comme dans l’exemple A, le flucarbazone‑sodium ne fait pas partie des composés énumérés et on ne donne aucun détail sur les composés qui ont une bonne compatibilité avec les plantes cultivées ou sur les cultures avec lesquelles ces composés étaient compatibles.

[38] Le brevet 486 comporte 11 revendications couvrant divers composés de formule (I), où la revendication 1 concerne un SATC de formule (I). La revendication 10 vise le composé maintenant appelé flucarbazone et son sel :

[traduction]

10. Un composé ou son sel selon la revendication 1, dans lequel ce composé est

B. Le brevet 636

[39] Le brevet 636, intitulé « Sulphonylaminocarbonyltriazolinones renfermant des groupes de substitution liés par l’intermédiaire de l’oxygène », a été accordé le 23 décembre 1997 à Bayer Aktiengesellschaft et fait mention des mêmes inventeurs que ceux du brevet 486. La demande prioritaire à laquelle renvoie le brevet 636 est également la demande de brevet allemand P 41 10 795.0, déposée le 4 avril 1991. Le brevet 636 est l’équivalent canadien du brevet 486.

[40] L’abrégé du brevet 636 indique que l’invention concerne de nouveaux SATC de formule (I) portant des substituants liés par l’oxygène et des sels, de ces dernières, un ensemble de procédés et de nouveaux intermédiaires pour leur préparation et leur utilisation comme herbicides. Il est indiqué que les ingrédients actifs correspondent à la formule (I)

[traduction]

Où R1 représente un hydrogène, un amino ou un radical facultativement substitué de la série alkyle, alkényle, alkynyle, cycloalkyle, aralkyle, aryle, alkylamino, cycloalkylamino, dialkylamino, R2 représente un radical facultativement substitué de la série alkyle, alkényle, alkynyle, cycloalkyle, cycloalkényle, aralkyle, aryle, et R3 représente un radical facultativement substitué de la série alkyle, aralkyle, aryle, hétéroaryle, à l’exception de la 2‑(2-méthoxycarbonylphénylsulphonyl- aminocarbonyl)-4-méthyl-5-méthoxy-2,4-dihydro-3H-1,2,4,- triazol-3-one.

[41] Le brevet 636 indique que la demande a été divisée et que la demande de brevet 636 (demande principale) porte sur les composés de formule (I), les procédés de préparation des composés de formule (I), une composition herbicide contenant des composés de formule (I) et les utilisations des composés de formule (I) et les compositions à base de ces composés utilisées comme herbicides.

[42] À l’instar du brevet 486, le brevet 636 indique que les SATC portant des substituants liés par l’oxygène de formule générale (I) et leurs sels se distinguent par une puissante activité herbicide et une action herbicide étonnamment meilleure que celle du composé connu 2-(2-chlorophénylsulfonnyl)-4,5-diméthyl-2,4-dihydro-3H-1,2,4-triazole-3-one, dont la structure est semblable.

[43] Le brevet 636 contient le même libellé que la colonne 28 du brevet 486, qui porte sur les utilisations des composés actifs selon l’invention.

[44] Le brevet 636 présente 186 exemples de préparation de composés de formule (I), accompagnés de différentes combinaisons de structures chimiques pour R₁, R₂ et R₃. L’exemple 79 fournit les substitutions nécessaires pour aboutir à la structure du composé de formule (I) du brevet 021.

[45] Le brevet 636 présente les mêmes deux exemples d’utilisation que le brevet 486, fait état d’observations identiques et ne donne aucun autre renseignement sur les paramètres des essais effectués.

[46] Le brevet 636 comporte 33 revendications couvrant divers composés de formule (I), dont le composé maintenant appelé flucarbazone (revendication 12). La revendication 35 porte sur un composé de formule (I) tel que défini dans l’une ou l’autre des revendications 1 à 33 où le composé est sous forme de sel, et comprend donc le flucarbazone‑sodium.

[47] Le brevet 636 comporte 16 revendications portant sur les méthodes de lutte contre les mauvaises herbes. Par exemple, les revendications 40 et 41 sont ainsi rédigées :

[traduction]

40. Méthode de lutte contre les mauvaises herbes qui consiste à appliquer aux mauvaises herbes, ou à leur habitat, une quantité ayant une efficacité herbicide d’un composé selon l’une ou l’autre des revendications 1 à 33.

41. Méthode de lutte contre les mauvaises herbes qui consiste à appliquer aux mauvaises herbes, ou à leur habitat, une quantité ayant une efficacité herbicide d’un composé selon la revendication 35.

IV. Le brevet 021

[48] Le brevet 021, intitulé « Herbicides sélectifs à base de phénylsulfonylaminocarbonyl-triazolinone substituée », porte sur quelques compositions herbicides d’un composé connu (maintenant appelé flucarbazone) ou ses sels, leur utilisation pour la suppression sélective des mauvaises herbes dans les cultures de céréales, en particulier les cultures de blé, et des méthodes de suppression sélective des mauvaises herbes dans les cultures de céréales en appliquant les compositions avec des surfactants ou les potentialisateurs habituels. Dieter Feucht, Hans‑Joachim Santel, Klaus Lurssen, Ingo Wetcholowsky, Peter Dahmen et Klaus-Helmut Muller sont les inventeurs nommés dans le brevet 021.

[49] Le brevet 021 a été déposé par Bayer Aktiengesellschaft le 21 septembre 1999, est devenu accessible au public le 13 avril 2000, et a été délivré le 25 août 2000 à Arysta par le Bureau des brevets du Canada. La demande prioritaire à laquelle renvoie le brevet 021 est la demande de brevet allemand DE198 45 407.4, qui a été déposée le 2 octobre 1998. Le brevet 021 a expiré le 21 septembre 2019.

[50] Le brevet 021 reconnaît expressément que les SATC, dont le 2‑(2‑trifluorométhoxy‑phénylsulfonate)-4-méthyl-5-méthoxy-2,4-dihydro-3H-1,2,4-triazol-3‑one (maintenant appelé flucarbazone), et ses sels, les procédés de préparation de ces composés et leur utilisation comme herbicides font l’objet de demandes de brevets antérieures, notamment le brevet 486. Le brevet 021 indique que, bien que ces composés SATC comparatifs aient une structure moléculaire très semblable à celle du flucarbazone, ces composés comparatifs présentent une moins grande activité ou des lacunes d’activité envers certaines mauvaises herbes.

[51] Le brevet 021 précise en outre ceci :

[TRADUCTION]

Étonnamment, on a découvert que le composé [flucarbazone] et ses sels, en particulier le sel de sodium du composé de formule (I), par rapport aux composés structuralement similaires susmentionnés, montrent une activité considérablement plus puissante contre certaines mauvaises herbes dans les cultures céréalières qui sont difficiles à supprimer, combinée à une très bonne compatibilité avec les espèces céréalières, notamment le blé, et sont donc particulièrement adaptés à une suppression efficace et sélective des mauvaises herbes présentes dans les cultures de céréales, en particulier le blé. Les lacunes d’activité observées avec les composés comparatifs susmentionnés qui sont étroitement apparentés à (I) ne se retrouvent pas dans le spectre des mauvaises herbes du composé (I) et de ses sels.

[…]

Le composé de formule (I) et son sel Na sont déjà connus (cf. US‑5 534 486 – Exemples 79 et 321).

Le composé de formule (I) et ses sels sont associés à une vaste activité herbicide qui peut servir, par exemple, à supprimer les mauvaises herbes suivantes :

Dicotylédones adventices des ordres suivants : Sinapis, Lepidium, Galium, Stellaria, Matricaria, Anthemis, Galinsoga, Chenopodium, Urtica, Senecio, Amaranthus, Portulaca, Xanthium, Convolvulus, Ipomoea, Polygonum, Sesbania, Ambrosia, Cirsium, Carduus, Sonchus, Solanum, Rorippa, Rotala, Lindernia, Lamium, Veronica, Abutilon, Emex, Datura, Viola, Galeopsis, Papaver, Centaurea, Trifolium, Ranunculus, Taraxacum.

Monocotylédones adventices des ordres suivants : Echinochloa, Setaria, Panicum, Digitaria, Phleum, Poa, Festuca, Eleusine, Brachiaria, Lolium, Bromus, Avena, Cyperus, Sorghum, Agropyron, Cynodon, Monochoria, Fimbristylis, Sagittaria, Eleocharis, Scirpus, Paspalum, Ischaemum, Sphenoclea, Dactyloctenium, Agrostis, Alopecurus, Apera, Aegilops, Phalaris.

Cependant, l’utilisation du composé (I) et de ses sels ne se limite nullement à ces ordres, mais s’applique de la même manière à d’autres plantes.

Le composé de formule (I) et ses sels présentent une puissante activité herbicide et un large spectre d’activité lorsqu’ils sont utilisés sur le sol et sur les parties aériennes des plantes. Ils conviennent à la suppression sélective des monocotylédones et dicotylédones adventices dans les cultures de monocotylédones, en particulier les céréales, et surtout le blé, à la fois en prélevée et en postlevée.

Les mauvaises herbes problématiques qui peuvent être particulièrement bien supprimées par le composé de formule (I) et ses sels, en particulier le sel de sodium, et dont la suppression risque d’être moins efficace avec les herbicides classiques et les composés plus récents ayant une structure moléculaire similaire sont surtout les suivantes : Agropyron, Alopecurus, Amaranthus, Apera, Avena, Brassica, Bromus, Capsella, Digitaria, Echinochloa, Erysimum, Lolium, Matricaria, Phalaris, Poa, Polygonum, Setaria, Sinapsis, Thlapsi et Veronica.

[…]

La quantité de principe actif utilisée peut varier considérablement. Cette variation dépend essentiellement de la nature de l’effet désiré. En général, les quantités utilisées varient entre 1 g et 1 kg de principe actif par hectare de surface de sol, préférablement entre 5 g et 0,5 kg par hectare.

[Non souligné dans l’original]

[52] Le brevet 021 présente quatre exemples d’utilisation (A, B, C et D) faisant appel à certains composés comparatifs (composés A à H), et sept composés comparatifs sur huit sont des composés recensés dans le brevet 486.

[53] L’exemple A était un essai en serre de prélevée dans lequel l’activité herbicide sélective de six des composés comparatifs a été évaluée par rapport à celle du flucarbazone‑sodium dans des cultures de blé, en présence de huit mauvaises herbes (notamment l’avoine sauvage), et celle d’un composé comparatif supplémentaire évalué pour trois mauvaises herbes (notamment l’avoine sauvage). Le brevet 021 indique que le flucarbazone‑sodium a montré une très puissante activité (efficacité de 80 % à 100 %) contre les huit mauvaises herbes, accompagnée d’une très bonne compatibilité avec le blé en culture. Les composés comparatifs A, C, D, E et F présentaient une activité herbicide considérablement plus faible, le composé B n’était pas compatible avec le blé et le flucarbazone‑sodium présentait une supériorité considérable par rapport au composé comparatif G. Les tableaux A1 et A2 font état de certaines des données.

[54] L’exemple B était un essai en serre de postlevée dans lequel l’activité herbicide sélective de six des composés comparatifs a été évaluée par rapport à celle du flucarbazone‑sodium dans des cultures de blé, en présence de sept mauvaises herbes (notamment l’avoine sauvage), et celle de deux autres composés comparatifs évalués pour trois mauvaises herbes (dont l’avoine sauvage). Le brevet 021 indique que le flucarbazone‑sodium a montré une puissante activité (efficacité de 70 % à 100 %) contre sept mauvaises herbes (notamment l’avoine sauvage), accompagnée d’une très bonne compatibilité avec la culture de blé. Les composés comparatifs A, B, C, D, E et F ont montré une activité herbicide considérablement plus faible et le flucarbazone‑sodium a montré une supériorité considérable par rapport aux composés comparatifs G et H. Les tableaux B1 et B2 font état de certaines des données.

[55] L’exemple C était un essai au champ de postlevée dans lequel l’activité herbicide sélective des composés comparatifs B et D a été évaluée par rapport à celle du flucarbazone‑sodium dans des cultures de blé d’été au Canada contre cinq mauvaises herbes ayant une importance économique (notamment l’avoine sauvage). Le brevet 021 indique que le flucarbazone‑sodium a montré une activité considérablement plus puissante contre l’avoine sauvage que les composés comparatifs B et D, accompagnée d’environ la même compatibilité pour les cultures. Le tableau C fait état de certaines des données.

[56] L’exemple D était également un essai au champ de postlevée, dans lequel l’activité herbicide sélective du flucarbazone‑sodium a été évaluée dans des cultures de blé d’été au Canada et aux États‑Unis contre sept mauvaises herbes d’importance économique (notamment l’avoine sauvage). Au total, 557 essais sur des mauvaises herbes ont été déclarés (dont 263 sur l’avoine sauvage) et 408, sur les dommages aux cultures. Le brevet 021 indique que les essais montrent que le flucarbazone‑sodium est particulièrement adapté pour supprimer les sept mauvaises herbes (dont l’avoine sauvage) dans les céréales. Le tableau D fait état de certaines des données.

[57] Les revendications 1, 3 et 6 à 10 du brevet 021 sont en litige dans la présente action [revendications invoquées]. Les revendications pertinentes du brevet 021 sont les suivantes :

[traduction]

1. Composition herbicide sélective, comprenant une quantité efficace d’un sel de sodium du composé 2-(2-triflurométhoxy-phénylsulfonylaminocarbonyl)-4-méthyl-5-méthoxy-2,4-dihydro-3H-1, 2, 4-triazol-3-one de formule (I) :

désignée 70 PHD ou 70 GHD, formulée en tant que préparation en poudre ou en granulés hydrodispersables à 70 % p/p.

2. Utilisation du sel de sodium du composé de formule (I) selon la revendication 1 pour la suppression sélective des mauvaises herbes dans les cultures de céréales.

3. Utilisation selon la revendication 2, qui concerne la suppression sélective des mauvaises herbes dans les cultures de blé.

5. Méthode pour la suppression sélective d’au moins une mauvaise herbe sélectionnée parmi Agropyron, Avena, Brassica, Capsella, Lolium, Sinapsis, Thlapsi, Veronica et d’une combinaison de ces derniers, dans une culture de céréales, comprenant l’ajout du sel de sodium du composé de formule (I) selon la revendication 1, à la culture, au milieu dans lequel se trouve la culture ou aux deux.

6. Méthode selon la revendication 5, dans laquelle la culture est le blé de printemps.

7. Méthode selon la revendication 5 ou 6, où au moins une mauvaise herbe est sélectionnée dans le groupe composé de Agropyron, Avena, Lolium et Veronica.

8. Méthode selon la revendication 5 ou 6, dans laquelle au moins une mauvaise herbe est Avena.

9. Méthode selon l’une ou l’autre des revendications 5 à 8, dans laquelle le sel sodium du composé de formule (I) est épandu à une dose d’application de 30 à 60 g/ha.

10. Méthode selon la revendication 9, dans laquelle le sel sodium du composé de formule (I) est appliqué sous forme de formulation 70 PHD ou 70 GHD.

[58] Les défenderesses n’ont pas contesté l’affirmation des demanderesses selon laquelle les revendications 3 et 6 à 9 du brevet 021 concernent l’usage d’EVEREST 3.0 AG et de SIERRA 3.0 AG selon les étiquettes des produits, et j’admets que, au vu de la preuve, les demanderesses ont démontré que c’est bien le cas.

V. Le procès

A. Les témoins des faits

[59] Les demanderesses ont assigné un seul témoin des faits à comparaître au procès, M. Trent McCrea. M. McCrea est le responsable national d’UPL Canada et travaille dans l’industrie de l’agriculture depuis plus de 20 ans, dont 17 au sein de cette même société. À ce titre, il agit comme directeur général de l’entreprise, et supervise notamment l’équipe de marketing et la publicité des produits de la société au Canada. Avant d’occuper ce poste, il était gestionnaire de territoire ventes, puis directeur régional et directeur de la publicité. Il a témoigné sur ce qui suit : a) l’historique des sociétés demanderesses; b) les ventes et la publicité des produits EVEREST; c) les rôles de chaque demanderesse pour ce qui est des produits EVEREST; d) les différentes préparations des produits EVEREST vendus au Canada et leurs propriétés; e) l’achat des activités de Bayer relatives au flucarbazone; f) la propriété du brevet 021; g) l’homologation des produits EVEREST par l’ARLA; h) les étiquettes des produits EVEREST; i) l’entente conclue entre les demanderesses et Syngenta et les produits SIERRA de Syngenta; et j) les produits d’herbicide au flucarbazone vendus sur le marché canadien, y compris le lancement et la vente du produit HIMALAYA par les défenderesses, ainsi que les herbicides autres que les herbicides au flucarbazone‑sodium qui font concurrence aux produits EVEREST.

[60] Les défenderesses n’ont exprimé aucune réserve quant au témoignage de M. McCrea et je conclus que ce dernier a été un témoin crédible, car il a été franc et a tenté de répondre honnêtement et avec précision aux questions qui lui étaient posées.

[61] Les défenderesses n’ont également assigné qu’une seule témoin des faits à comparaître, Mme Gail Hoshowsky. Mme Hoshowsky est comptable et agit comme vice‑présidente de la trésorerie et de la direction des finances d’AgraCity. Elle a témoigné sur ce qui suit : a) les activités commerciales générales d’AgraCity et ses produits; b) la structure de l’entreprise; c) l’état des résultats pour l’exercice financier de 2020, et a présenté une comparaison avec celui de 2019, dont une explication pour les différents postes y mentionnés; d) l’entente sur les redevances conclue entre AgraCity et NewAgco et toute redevance versée à NewAgco en 2019 quant aux produits HIMALAYA; e) les factures associées aux ventes du produit HIMALAYA en 2019; et f) les services comptables fournis à NewAgco par AgraCity.

[62] Les demanderesses n’ont exprimé aucune réserve quant à la déposition de Mme Hoshowsky et je conclus que cette dernière a été une témoin crédible, car elle a été franche et a tenté de répondre honnêtement et avec précision aux questions qui lui étaient posées.

[63] Aucun des inventeurs du brevet 021 ni aucun représentant de Bayer n’a comparu au procès, et aucun document associé à l’historique de l’invention visée par le brevet 021 ou au développement initial du composé maintenant connu sous le nom de flucarbazone n’a été produit comme pièce durant l’instruction.

B. Les témoins experts techniques

[64] Les demanderesses et les défenderesses ont toutes deux assigné à comparaître un témoin expert technique (M. Frank Dayan, pour les demanderesses, et M. Robert Blackshaw, pour les défenderesses) et un témoin expert financier (M. Errol Soriano, pour les demanderesses, et M. Daniel Ross, pour les défenderesses), pour chacun desquels elles ont échangé et produit comme pièce un énoncé des qualités professionnelles qu’elles voulaient faire reconnaître. Les parties ont unanimement reconnu que ces témoins avaient les compétences nécessaires pour témoigner en tant qu’expert, et elles n’ont soulevé aucune objection sur la teneur des rapports d’expert (si ce n’est que sur une petite section du second rapport de M. Soriano qui n’avait finalement pas d’importance). Je suis convaincue que chacun de ces témoins avait les compétences nécessaires pour témoigner en tant qu’expert, à la lumière des énoncés de leurs qualités professionnelles respectives.

(1) M. Franck Dayan

[65] M. Dayan est titulaire d’une maîtrise et d’un doctorat en botanique et en biologie végétale et il a effectué des études post-doctorales en physiologie végétale. Il a travaillé durant 18 ans comme chercheur en physiologie végétale à l’unité d’utilisation des produits naturels du service des recherches en agriculture du ministère de l’Agriculture des États‑Unis et il est actuellement professeur au département de biologie agricole à la Colorado State University. M. Dayan a été reconnu comme expert pour donner un témoignage d’opinion dans le domaine de la physiologie végétale et de la malherbologie, y compris la chimie des herbicides, sur la façon dont les herbicides sont mis au point et utilisés pour supprimer les mauvaises herbes, sur la façon dont les herbicides fonctionnent (mode d’action) pour supprimer sélectivement les mauvaises herbes dans les cultures de plantes utiles et sur la façon dont les mauvaises herbes deviennent résistantes aux herbicides.

[66] M. Dayan a produit deux rapports d’expert en l’instance. Dans son premier rapport d’expert du 13 avril 2022, il s’est penché sur les questions suivantes :

  1. Les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art à qui s’adresse le brevet 021 [la personne versée dans l’art] et qui sont pertinentes quant à l’objet de ce même brevet;

  2. La manière dont la personne versée dans l’art aurait lu et compris le brevet 021 et ses revendications en date du 13 avril 2000;

  3. La question de savoir si l’interprétation des revendications 1, 3 et 6 à 10 du brevet 021 concorde avec l’herbicide HIMALAYA et son usage selon l’étiquette du produit;

  4. La question de savoir si l’interprétation des revendications 1, 3 et 6 à 10 du brevet 021 concorde avec les produits EVEREST 3.0 AG et SIERRA 3.0 AG et leurs usages selon leurs étiquettes respectives;

  5. La question de savoir si les producteurs qui ont acheté les herbicides HIMALAYA en 2019 avaient probablement cette année‑là inclus le flucarbazone‑sodium dans leurs programmes de gestion des mauvaises herbes et auraient donc acheté les produits EVEREST 3.0 AG ou SIERRA 3.0 AG s’ils n’avaient pas acheté les produits HIMALAYA.

[67] Dans son deuxième rapport d’expert du 25 mai 2022, M. Dayan s’est prononcé sur les éléments suivants :

  1. Le rapport d’expert de M. Robert Blackshaw du 13 avril 2022;

  2. La manière dont la personne versée dans l’art considérerait les similitudes et les différences entre le brevet 021 et les brevets 636 et 486;

  3. La question de savoir si la demande relative au brevet allemand no DE198 45 407.4 divulgue le même objet que le brevet 021.

(2) M. Robert Blackshaw

[68] M. Blackshaw est titulaire d’un baccalauréat ès sciences en botanique et en chimie et d’une maîtrise et d’un doctorat en malherbologie. Il a travaillé pendant deux ans comme agronome pour l’Alberta Wheat Pool et pendant deux ans comme agent de recherche et de développement de pesticides pour Dupont Canada Inc. Pendant les 31 années qui ont précédé sa retraite, il a travaillé comme chercheur à Agriculture et Agroalimentaire Canada. Au cours de cette période, ses principaux domaines de recherche étaient la lutte contre les mauvaises herbes et les systèmes de culture agronomique. Il a été reconnu comme expert pour donner un témoignage d’opinion sur la lutte contre les mauvaises herbes, y compris l’évaluation de l’activité herbicide et la tolérance des cultures aux composés chimiques.

[69] M. Blackshaw a reconnu que, même s’il possédait une spécialisation en agronomie et en malherbologie, il ne se considérait pas comme un spécialiste en chimie, ni en composés ou en structures chimiques. Il a également reconnu qu’il ignorait tout des étiquettes des produits EVEREST et HIMALAYA.

[70] M. Blackshaw a produit deux rapports d’expert en l’instance. Dans son premier rapport du 13 avril 2022, il s’est penché sur les questions suivantes :

  1. La malherbologie, au sujet de laquelle il a donné quelques renseignements contextuels, notamment sur les types d’essais couramment menés sur les herbicides à la fin des années 1990;

  2. La personne versée dans l’art à qui s’adresse le brevet 021;

  3. Les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art;

  4. La manière dont la personne versée dans l’art interpréterait certains mots et expressions utilisés dans les revendications du brevet 021;

  5. Les différences entre le brevet 021 et les brevets 636 et 486.

[71] Dans son deuxième rapport d’expert du 29 juin 2022, M. Blackshaw n’a pas dressé la liste précise des points qu’on lui avait demandé d’examiner. Toutefois, il a mentionné qu’il avait reçu une copie du rapport du 13 avril 2022 rédigé par M. Dayan et qu’il ferait des observations sur certaines sections du document. Il s’est plus particulièrement exprimé sur les éléments suivants :

  1. L’exactitude de la définition donnée par M. Dayan de la personne versée dans l’art;

  2. La question de savoir si les renseignements qui, selon M. Dayan, font partie des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art sont des renseignements qui seraient généralement connus et admis par cette personne;

  3. L’interprétation par M. Dayan du terme « sélective » tiré du brevet 021;

  4. La question de savoir si les acheteurs du produit HIMALAYA auraient acheté des produits sans flucarbazone‑sodium si le produit HIMALAYA n’avait pas été disponible.

(3) Les observations concernant la preuve des experts techniques

[72] Les défenderesses avancent que M. Dayan a commis des erreurs fondamentales dans sa détermination des caractéristiques et des qualités propres à la personne versée dans l’art, et que la manière dont ces erreurs ont été découvertes fait intervenir la question de savoir si M. Dayan comprenait bien qu’il avait avant tout une obligation envers la Cour. Je me suis penchée en profondeur sur ces allégations plus loin. Quoique M. Dayan ait commis quelques erreurs dans son exposé de certains des attributs de la personne versée dans l’art (que j’ai prises en compte, le cas échéant, pour décider du poids à accorder à son témoignage, comme je l’indique plus loin), j’ai néanmoins conclu que sa déposition était généralement fouillée, éclairée et utile pour la Cour.

[73] Les demanderesses n’ont exprimé aucune réserve concernant l’impartialité de M. Blackshaw et j’estime que, au regard des points sur lesquels on lui a demandé de se prononcer, ses opinions étaient objectives et, à plusieurs égards, utiles pour la Cour. Cependant, je conclus que son témoignage n’était pas aussi approfondi que celui de M. Dayan, en raison notamment de son mandat restreint.

C. Les témoins experts en finance

(1) M. Errol Soriano

[74] M. Errol Soriano est un comptable professionnel agréé, un évaluateur commercial agréé et un examinateur agréé en matière de fraudes. La Cour lui a reconnu la qualité d’expert et il a pu témoigner à ce titre sur la quantification des dommages financiers et des bénéfices et sur les questions d’évaluation des intérêts commerciaux et de comptabilité judiciaire, y compris dans le contexte des litiges en matière de propriété intellectuelle et de brevet.

(2) M. Daniel Ross

[75] M. Ross est un comptable professionnel agréé et un évaluateur commercial agréé. La Cour lui a reconnu la qualité d’expert et il a pu témoigner à ce titre sur la quantification des dommages financiers et des bénéfices, et sur les questions d’évaluation des intérêts commerciaux et de comptabilité judiciaire, y compris dans le contexte des litiges en matière de propriété intellectuelle et de brevet.

(3) Observations concernant les témoignages des experts financiers

[76] Un examen des rapports d’expert rédigés par les experts financiers révèle qu’il existe peu de points de désaccord entre eux. Au terme du procès, ces points de désaccord avaient presque tous disparu.

[77] Aucune des parties n’a mis en doute l’impartialité des témoins experts en finance et je conclus que leurs témoignages étaient fouillés, objectifs et utiles pour la Cour.

VI. Question préliminaire

[78] Durant l’instruction, les défenderesses ont soulevé un certain nombre d’objections à l’égard d’extraits d’un interrogatoire préalable mené par les demanderesses. J’ai tranché une de ces objections durant l’instance et j’ai mis deux objections connexes en délibéré.

[79] Les demanderesses ont cherché à verser au dossier des réponses données par Jason Mann, le représentant des défenderesses, durant l’interrogatoire préalable, concernant les guides de produits agricoles de 2019 et 2020 d’AgraCity. Les défenderesses n’ont pas formulé d’objection à cet égard, tel qu’il ressort de la transcription, mais ont plutôt contesté la tentative des demanderesses de verser du même coup l’ensemble des guides de produits eux-mêmes. Les défenderesses font valoir que les demanderesses cherchent à déposer irrégulièrement en preuve les guides de produits, comme preuve de la véracité de leur contenu, alors qu’aucune question les concernant n’a été posée à M. Mann. Les défenderesses affirment qu’elles seraient lésées par l’admission en preuve de ces documents, puisqu’elles ignorent quel usage les demanderesses souhaitent faire de leur contenu.

[80] Après avoir examiné les observations finales écrites des parties et entendu les observations orales de l’avocat des demanderesses, je constate que ces dernières n’ont finalement invoqué aucun de ces guides de produits. En outre, je conclus que ces guides ne sont pas pertinents pour les questions que la Cour doit encore trancher (étant donné qu’AgraCity ne conteste plus l’allégation des demanderesses relative à la contrefaçon et à l’incitation). Par conséquent, le sort de la présente question préliminaire n’a aucune conséquence sur ma décision.

[81] Cela dit, je fais observer que les demanderesses n’ont soumis à la Cour aucune source qui leur permettrait de verser les guides de produits en même temps que les extraits d’interrogatoire préalable pour établir la véracité de leur contenu (et non pour servir à clarifier une réponse donnée par M. Mann durant l’interrogatoire préalable) et je ne suis pas convaincue qu’il serait approprié de les autoriser à le faire [voir Mediatube Corp. c Bell Canada, 2016 CF 1066].

VII. Les questions qui demeurent en litige

[82] Malgré l’exposé conjoint final des questions en litige qu’elles ont déposé avant la tenue de l’instruction, les parties ont confirmé dans leurs plaidoiries que les questions que la Cour doit trancher avaient été circonscrites. Fait important, les défenderesses ne nient plus qu’AgraCity a contrefait la revendication 1 et a incité à la contrefaçon des revendications 3 et 6 à 10 du brevet 021 en vendant et en commercialisant le produit HIMALAYA avec son étiquette.

[83] Les questions qui demeurent en litige sont les suivantes :

  1. Qui est la personne versée dans l’art à qui s’adresse le brevet 021?

  2. Comment la personne versée dans l’art aurait interprété les revendications du brevet 021 à la date de publication du 13 avril 2000?

  3. À la date de la revendication (le 2 octobre 1998), l’objet défini par l’une ou l’autre des revendications invoquées du brevet 021 était‑il évident?

  4. À la date de la revendication (le 2 octobre 1998), l’objet défini par l’une ou l’autre des revendications invoquées du brevet 021 était‑il antériorisé?

  5. L’objet défini par l’une ou l’autre des revendications du brevet 021 était‑il invalide pour cause d’insuffisance?

  6. L’objet défini par l’une ou l’autre des revendications du brevet 021 était‑il invalide pour cause de portée excessive?

  7. NewAgco a‑t‑elle incité à la contrefaçon des revendications 3 et 6 à 10 du brevet 021?

  8. NewAgco devrait‑elle être tenue conjointement et solidairement responsable des actes de contrefaçon et d’incitation posés par AgraCity?

  9. Quels dommages les demanderesses ont‑elles subis?

  10. Dans l’éventualité où les demanderesses opteraient pour la restitution des profits réalisés par les défenderesses grâce à la contrefaçon du brevet 021, quels profits les défenderesses ont‑elles réalisés?

  11. Si les défenderesses sont tenues au paiement de dommages‑intérêts ou à la restitution des profits, quel taux d’intérêt avant jugement devrait‑on appliquer?

  12. Les demanderesses ou les défenderesses ont‑elles droit à l’adjudication des dépens et, le cas échéant, pour quelle somme?

VIII. Fardeaux de preuve

[84] Avant de passer aux questions en litige, il importe de s’intéresser aux fardeaux de preuve applicables.

[85] Le paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets dispose que le brevet est, sauf preuve contraire, valide. Il incombe donc aux défenderesses d’établir chaque moyen d’invalidité selon la prépondérance des probabilités [voir Bell Helicopter Textron Canada Limitée c Eurocopter, société par actions simplifiée , 2013 CAF 219 au para 105].

[86] Il appartient cependant aux demanderesses de prouver la contrefaçon et l’incitation à la contrefaçon selon la norme de la prépondérance des probabilités [voir Monsanto Canada Inc. c Schmeiser, 2004 CSC 34 au para 29].

[87] En ce qui concerne les mesures de réparation, il incombe aux demanderesses de prouver les dommages qu’elles ont subis et, dans le cas où elles opteraient pour la restitution des profits, elles doivent établir que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d’ordonner une telle restitution. Le cas échéant, c’est à elles qu’il appartient de démontrer que les recettes tirées par les défenderesses au chapitre des ventes ont un lien de causalité avec l’invention [voir Monsanto, précité, aux para 100‑101; Dow Chemical Company c Nova Chemicals Corporation, 2017 CF 350 aux para 108‑110, conf par 2020 CAF 141 au para 115]. Les demanderesses ont alors l’obligation de prouver les éléments de dépenses qui doivent être déduits des ventes ou des revenus pour calculer le profit [voir Diversified Products Corp c Tye‑Sil Corp [1990], ACF no 952 à la page 390].

IX. La personne versée dans l’art

A. Les principes généraux

[88] La première étape pour trancher un litige en matière de brevet consiste à interpréter les revendications du brevet à partir du point de vue de la personne versée dans l’art et en fonction de ses connaissances générales courantes. Par conséquent, la Cour doit définir la personne versée dans l’art.

[89] La personne versée dans l’art est celle à qui s’adresse censément le brevet, du point de vue de laquelle la Cour doit interpréter le brevet, et qui sert de critère en vue de déterminer l’évidence [voir Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 CSC 67 au para 53; Amgen Canada Inc. c Apotex Inc., 2015 CF 1261 au para 42]. La personne versée dans l’art a été décrite comme possédant les attributs suivants :

  1. Elle est suffisamment versée dans l’art dont relève le brevet pour être en mesure, techniquement parlant, de comprendre la nature et la description de l’invention et de la mettre en pratique [Whirpool, précité, au para 53].

  2. Elle doit être en mesure de comprendre l’intégralité du brevet en cause et doit être une personne qui a un intérêt concret dans l’invention [voir Whirpool, précité, au para 44; ViiV Healthcare Company c Gilead Sciences Canada, Inc., 2020 CF 486 aux para 78‑79].

  3. Elle possède certaines des qualités d’un technicien compétent (déduction et dextérité), mais il lui manque d’autres qualités (esprit inventif et imagination) [voir Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2020 CAF 30 au para 80].

  4. Elle possède les connaissances générales courantes dans le domaine en cause, est dénuée d’imagination et d’esprit inventif, mais se tient raisonnablement au fait des progrès. Cela dit, l’idée qu’il doit être dépourvu d’imagination n’empêche pas le technicien d’être en mesure de faire des recherches raisonnables et logiques [voir Pfizer Canada Inc c Teva Canada Ltd, 2017 CF 777 au para 185; Apotex Inc c Syntex Pharmaceuticals InternationalLtd., [1999] ACF no 548 au para 39].

  5. Elle adopte une approche objective et équitable. Elle lit le brevet et les antériorités pour tenter de comprendre ce que l’auteur a voulu dire. Elle cherche à voir ses efforts couronnés de succès, n’est pas en quête de difficultés et ne vise pas l’échec [voir Apotex Inc c Sanofi‑Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61 au para 25; Free World Trust c Électro Santé Inc. 2000 CSC 66 au para 44].

  6. Elle examine chaque point (qu’il relève de l’interprétation ou de la validité) en fonction de la date applicable. Elle comprend que, s’agissant de chaque date pertinente, les compétences ou les connaissances sont différentes, et elle adopte le cadre temporel approprié pour analyser les points en litige, sans le bénéfice du recul [voir Janssen Inc c Sandoz Canada Inc, 2022 CF 715 au para 71].

[90] Les témoins experts prêtent assistance à la Cour en se prononçant sur les compétences, l’expérience pertinente et les connaissances de la personne versée dans l’art, et en témoignant de façon à ce que la Cour puisse se mettre à la place de cette personne à l’époque pertinente [voir Tetra Tech EBA Inc c Georgetown Rail Equipment Company, 2019 CAF 203 au para 88, citant Free World, précité, au para 51]. Puisque l’interprétation des revendications est une question de droit, la Cour n’est pas liée par la preuve d’expert [voir Whirlpool, précité, au para 61].

B. Analyse

[91] M. Dayan est d’avis que la personne versée dans l’art à qui le brevet s’adresse est une personne qui met au point de nouveaux herbicides sélectifs, dans l’industrie, au gouvernement ou dans le milieu universitaire, et que cette personne aurait probablement un diplôme de deuxième ou troisième cycle en physiologie végétale (peut-être en malherbologie, plus particulièrement, qui a trait aux mécanismes physiologiques des plantes par lesquels on supprime les mauvaises herbes) et quelques années d’expérience de travail.

[92] M. Blackshaw est d’avis que la personne versée dans l’art à qui le brevet s’adresse est un agronome qui a un baccalauréat ou une maîtrise en agronomie, en malherbologie ou en un domaine d’études connexe et trois à cinq ans d’expérience sur le terrain à titre de conseiller en agriculture au sein d’organismes gouvernementaux ou d’entreprises privées qui souhaitent déterminer la meilleure façon d’utiliser les composés herbicides dans divers systèmes de culture (c.‑à‑d. cultures variées en rotation, systèmes de travail du sol, types de sol) et conseiller les agriculteurs à ce sujet. Cependant, dans son deuxième rapport, il a affirmé qu’un diplôme d’études supérieures (c.‑à‑d. une maîtrise) n’est pas nécessaire pour comprendre le brevet 021 et qu’une personne titulaire d’un baccalauréat ès sciences et possédant plusieurs années d’expérience en gestion des mauvaises herbes serait en mesure de comprendre le brevet 021 et les résultats des essais décrits dans ce brevet.

[93] Selon M. Blackshaw, l’agronome est quelqu’un qui travaille en agriculture et qui possède une spécialisation en production végétale et en gestion des sols, qui connaît les types de cultures, la rotation, l’ensemencement, la récolte et la fertilisation des cultures, et la lutte antiparasitaire, les types de sol et les pratiques de gestion améliorant les sols. M. Blackshaw est d’avis qu’un agronome aurait un intérêt non seulement pour les espèces de mauvaises herbes désignées comme étant supprimées par les composés dans le brevet 021, mais aussi pour d’autres espèces de mauvaises herbes qui pourraient être supprimées ou réprimées par l’application des composés des exemples. Il a déclaré que d’autres profils d’utilisation intéressants pour un agronome qui lit le brevet 021 seraient le recours au flucarbazone‑sodium comme déshydratant ou son utilisation dans la lutte non sélective.

[94] M. Blackshaw a ajouté que la personne qui met au point de nouveaux herbicides sélectifs serait soit un chercheur qui met au point de nouveaux composés actifs à utiliser comme herbicides, soit un scientifique qui élabore la formulation d’un nouveau composé ou qui améliore la formulation d’un composé actif existant. Selon lui, ces personnes auraient généralement moins d’intérêt pour le brevet 021 que pour les brevets antérieurs (par exemple les brevets 486 et 636), puisque le brevet 021 ne vise que le flucarbazone‑sodium, alors que l’art antérieur fournit des renseignements sur : a) les procédés utilisés pour produire des composés intermédiaires et les étapes qui mènent vers le composé final; b) la conversion des composés actifs en sels, ces derniers étant plus adaptés à la préparation d’herbicides pertinents; c) les nombreux substituants possibles sur la molécule centrale qui ont une incidence sur l’activité herbicide.

[95] M. Blackshaw a conclu en déclarant que le brevet 021 intéresserait surtout les agronomes, qui connaissent bien les essais de prélevée et de postlevée décrits dans les exemples A à D du brevet 021, et les types de mauvaises herbes décrits dans ces exemples et [traduction] « pourraient utiliser l’information contenue dans le brevet pour évaluer la meilleure façon d’utiliser le flucarbazone‑sodium ou les autres composés pour lutter contre les mauvaises herbes ».

[96] Bien que les spécialistes techniques ne s’entendent pas sur la nécessité pour la personne versée dans l’art de posséder une maîtrise, leur principal différend a trait à la question de savoir si cette personne s’intéresserait à la mise au point de nouveaux herbicides ou si plutôt elle conseillerait les producteurs sur la façon de lutter contre les mauvaises herbes à l’aide d’herbicides et d’autres mesures. Il faut donc se demander à qui s’adresse le brevet 021.

[97] Je conclus que la personne versée dans l’art à qui s’adresse le brevet 021 est un professionnel de la malherbologie (qui peut être ou non un agronome) qui travaille à la recherche et à la mise au point de nouveaux herbicides et qui, par conséquent, connaît bien l’évaluation des composés herbicides et la tolérance des cultures à ces composés. Cela correspond à la nature même du brevet 021, à savoir la découverte d’un nouveau profil d’utilisation d’un composé sélectivement herbicide.

[98] Je rejette le témoignage de M. Blackshaw, selon qui le brevet 021 s’adresse à un agronome qui se fonderait sur ce brevet pour conseiller les agriculteurs sur la meilleure façon d’utiliser le flucarbazone‑sodium pour supprimer les mauvaises herbes. Le recours aux herbicides est réglementé, de sorte que les herbicides doivent être utilisés conformément aux instructions figurant sur l’étiquette du produit commercialisé. M. Blackshaw a admis en contre‑interrogatoire qu’un agronome (qu’il s’agisse d’un conseiller en agriculture ou non) ne conseillerait pas les producteurs sur l’utilisation d’herbicides en se fondant uniquement sur l’information figurant dans un brevet.

[99] De plus, M. Blackshaw a déclaré en interrogatoire principal que la personne versée dans l’art est quelqu’un qui cherche d’autres utilisations au flucarbazone que celles indiquées dans le brevet 021, afin de supprimer d’autres espèces de mauvaises herbes et de l’utiliser dans des cultures autres que le blé. J’estime que cela correspond à la définition que M. Dayan a donnée de la personne versée dans l’art, puisque ces recherches font partie des travaux d’un spécialiste des mauvaises herbes en quête d’une formulation améliorée d’un composé herbicide existant.

[100] De plus, l’agronome dont le travail est de conseiller les producteurs ne serait pas en mesure de les conseiller sur l’utilisation du flucarbazone‑sodium pour la répression d’autres mauvaises herbes ou son utilisation dans d’autres cultures, à partir seulement des enseignements du brevet 021 et sans que l’ARLA n’ait approuvé ces utilisations. À mon avis, le brevet 021 ne s’adresse pas à l’agronome à cette fin.

[101] En ce qui concerne la scolarité et l’expérience de la personne versée dans l’art, j’estime que cette dernière devrait être titulaire d’un baccalauréat ou d’une maîtrise en physiologie végétale, ce qui signifie qu’elle aurait fait des études en malherbologie et aurait quelques années d’expérience de travail connexe.

[102] Les défenderesses ont soulevé deux points litigieux liés au témoignage livré par M. Dayan en contre‑interrogatoire. Elles affirment que ces points sont assez importants pour justifier que la Cour écarte la totalité du témoignage de l’expert et montrent que ce dernier a manqué à son devoir envers la Cour.

[103] Premièrement, les défenderesses font valoir que M. Dayan a fondamentalement mal compris les caractéristiques et les qualités de la personne versée dans l’art. Elles avancent que la personne versée dans l’art décrite par M. Dayan n’est pas en mesure de comprendre le brevet 021 et de savoir ce qu’elle doit faire ensuite, et qu’elle n’a donc aucun sens de la déduction. Elles ajoutent que cette erreur est tellement fondamentale que la Cour ne devrait accorder aucun poids à l’ensemble des opinions et des conclusions de M. Dayan.

[104] L’échange suivant a eu lieu lors du contre‑interrogatoire de M. Dayan, dont la transcription commence à la page 207 :

[traduction]

Q. Nous avons parlé du brevet 486 et de l’interprétation qu’en ferait la personne versée dans l’art. Êtes‑vous d’accord avec moi pour dire que la personne versée dans l’art serait motivée à apprendre des enseignements divulgués dans le brevet 486?

R. Vous savez, je ne sais pas si la personne versée dans l’art serait motivée. Les personnes qui souhaitent comprendre ce que le brevet enseigne seraient motivées. On dit vraiment à la personne versée dans l’art ce qu’elle doit faire : Faites l’expérience et faites rapport des données. Mais je ne pense pas que ce soit la personne versée dans l’art elle‑même qui planifiera ces expériences et qui décidera ce qu’on fera de ces composés.

Q. Donc, votre personne versée dans l’art est la personne qui effectue les expériences plutôt que celle qui en analyse les résultats?

R. Oui.

Q. Donc, votre personne versée dans l’art est la personne, ou probablement les personnes, parce qu’il y a beaucoup d’expériences, qui réalisent ces expériences?

R. Oui. Et qui sont capables de réaliser les expériences, vous savez, de recueillir les données, de les présenter sous forme de rapport, puis de présenter ce rapport. Mais à mon avis, leur contribution n’irait pas plus loin.

Q. D’accord. Donc, votre personne versée dans l’art pour ce qui est du brevet 021 n’est pas en mesure d’analyser les données résultant des expériences décrites dans le brevet?

R. Je ne pense pas que ce soit exactement ce que j’ai dit. Cette personne pourra recueillir les données et les colliger. Oui, maintenant que j’y réfléchis, je pense que ce serait plutôt les inventeurs qui sont des gens extrêmement bien formés et compétents – extraordinaires – avec des compétences extraordinaires qui seront en mesure d’interpréter correctement ce qui est important.

Q. Donc, selon votre témoignage, pour bien interpréter les données du brevet 021, quelqu’un a besoin de détenir plus qu’un diplôme d’études supérieures? Pas en physiologie végétale, etc.? Ce n’est pas suffisant?

R. Vous savez, je veux m’assurer de m’exprimer clairement. Une personne versée dans l’art qu’elle a décrit peut examiner le brevet, examiner les exemples et comprendre ce qu’il signifie. Vous savez, c’est à peu près tout.

Q. À votre avis, M. Dayan, la personne versée dans l’art serait‑elle en mesure de lire et de comprendre le brevet 486?

R. Je veux dire, c’est en anglais, en supposant que la personne parle anglais, elle sera en mesure de le lire et de comprendre ce que le brevet dit. Ce qu’elle ne sera pas en mesure de comprendre, c’est toute indication d’un profil d’utilisation qui peut être déduit des données qui y sont divulguées.

Donc, oui, elle peut le lire, elle peut comprendre ce que le brevet dit, mais elle ne sera pas en mesure de prendre d’autres décisions qui l’orienteront vers d’autres recherches.

Q. D’accord. Mais votre personne versée dans l’art serait en mesure de réaliser les expériences en serre du brevet 486 ?

R. Oui, sous la direction d’autres personnes, comme les inventeurs, qui lui disent quoi faire, et il se peut que cette personne compétente ne sache pas exactement pourquoi ce travail est effectué; elle se contente de le faire et de communiquer les données.

Q. Votre personne versée dans l’art est donc quelqu’un qui fait simplement ce qu’on lui dit de faire, c’est‑à‑dire prendre les composés qui lui sont donnés, les soumettre à des essais, rédiger un rapport et le présenter à quelqu’un d’autre?

R. Oui.

[105] Les demanderesses affirment que l’affirmation selon laquelle ce témoignage est problématique est un faux‑fuyant. Elles font valoir que les questions et les réponses portaient en alternance sur le brevet 486 et le brevet 021 et ne semblaient pas viser les caractéristiques de la personne versée dans l’art, mais plutôt le niveau de compétence des personnes chargées de conduire les expériences. Les demanderesses soutiennent que, de toute façon, le témoignage de M. Dayan concorde avec l’état du droit voulant que la personne versée dans l’art soit dépourvue d’esprit inventif.

[106] Toutefois, le fait que l’interrogatoire portait en alternance sur le brevet 486 et le brevet 021 n’est pas pertinent, puisque la personne versée dans l’art appelée à interpréter le brevet 021 est la même que celle appelée à examiner le brevet 486 aux fins de l’évidence et de l’antériorité. En outre, un examen des notes sténographiques révèle que M. Dayan a clairement exprimé ce qui, à son sens, constitue les attributs de la personne versée dans l’art à qui s’adresse le brevet 021.

[107] Je conclus que, considérée dans son ensemble, la déposition de M. Dayan témoigne du rôle de la personne versée dans l’art dans la conduite du type d’expériences mentionnées dans les brevets 021 et 486 et des attributs d’une telle personne par rapport aux attributs de l’inventeur. Selon M. Dayan, la personne versée dans l’art peut comprendre et interpréter les brevets, réaliser les expériences qui y sont décrites et colliger les données qui en résultent. C’est à l’inventeur qu’il appartient de décider des paramètres des expériences et de l’usage subséquent de ces données, et non à la personne versée dans l’art. À mon avis, ce témoignage concorde avec les attributs de la personne versée dans l’art mentionnés dans la jurisprudence précitée, par exemple que cette personne est en mesure, techniquement parlant, de comprendre la nature et la description de l’invention et de la mettre en pratique; qu’elle est en mesure de comprendre l’intégralité du brevet; qu’elle est dépourvue d’imagination et d’esprit inventif; et qu’elle possède les qualités d’un technicien compétent.

[108] Selon moi, le fait que la personne versée dans l’art décrite par M. Dayan ne supervise pas les expériences et ne décide pas des prochaines étapes concorde avec la « courbe de robotisation » que le juge Hughes a examinée et retenue dans la décision Amgen Canada Inc c Apotex Inc., précitée, et que les défenderesses ont invoquée à l’appui de leurs arguments relatifs à l’évidence. Comme l’a fait observer le juge Hughes, la courbe de robotisation décrit plusieurs catégories de travail. Le travail créatif est unique, imaginatif, non routinier et autonome, alors que le travail spécialisé est standardisé, axé sur le talent, professionnel et dirigé. Le juge Hughes souligne que la personne versée dans l’art se distingue de l’inventeur qui fait le travail créatif. La personne versée dans l’art décrite par M. Dayan entre parfaitement dans la catégorie relative au travail spécialisé de la courbe de robotisation et elle ne fait pas le travail créatif qui est réservé aux inventeurs.

[109] Toutefois, je conclus que la portion du témoignage de M. Dayan selon laquelle la personne versée dans l’art se contente de colliger les données et qu’il revient à l’inventeur de décider de l’importance, s’il en est, des données provenant des expériences déprécie à tort le niveau de « compétence » de la personne versée dans l’art. Comme je l’ai mentionné plus haut, si la personne versée dans l’art est dépourvue d’esprit inventif et d’imagination, elle n’est pas pour autant dénuée de la capacité de faire des recherches raisonnables et logiques, ce qui veut dire qu’elle a la capacité d’apprécier le caractère potentiellement important des données et de décider de leur usage. De surcroît, contrairement à ce qu’affirme M. Dayan, la personne versée dans l’art serait motivée à comprendre les brevets 021 et 486.

[110] Par conséquent, je conclus que M. Dayan a commis une erreur quant à certains des attributs de la personne versée dans l’art. Toutefois, cette erreur n‘est pas suffisante pour entacher l’ensemble de son témoignage (comme le plaident les défenderesses) et elle n’a aucune incidence sur la valeur de son témoignage quant aux autres attributs de la personne versée dans l’art. Comme nous le verrons plus en détail plus loin, compte tenu de l’absence de désaccord majeur entre les experts techniques concernant l’interprétation du brevet 021, l’erreur de M. Dayan n’aura d’incidence que sur la détermination des connaissances générales courantes et l’interprétation que fera de l’art antérieur la personne versée dans l’art, et elle influera ainsi sur le poids que j’accorderai au témoignage que M. Dayan a donné sur ces points.

[111] Ensuite, les défenderesses affirment que M. Dayan a fait « comme si de rien n’était » et n’a pas répondu, dans un rapport complémentaire ou lors de son interrogatoire principal, à la définition de M. Blackshaw de ce qui constitue une personne qui travaille au développement de nouveaux herbicides sélectifs (la personne versée dans l’art décrite par M. Dayan), et s’est contenté d’en parler pour la première fois en contre-interrogatoire (comme l’illustre l’échange plus haut). Les défenderesses font valoir que cette manœuvre est contraire au devoir premier qu’a le témoin expert envers la Cour. Je rejette cette affirmation.

[112] Dans ses rapports d’expert, M. Dayan a exprimé l’opinion que la personne versée dans l’art est une personne qui travaille au développement de nouveaux herbicides sélectifs dans l’industrie, au gouvernement ou dans le milieu universitaire. Il n’a pas ajouté de précision supplémentaire quant au type exact de travail que cette personne ferait et je conclus qu’elle pourrait exécuter un large éventail de tâches dans diverses organisations. Dans son deuxième rapport, M. Blackshaw s’est dit d’’avis qu’une personne travaillant au développement de nouveaux herbicides serait un chercheur scientifique qui se consacre au développement de nouveaux composés actifs pour l’utilisation d’herbicides, ou encore un scientifique spécialisé dans les formulations qui se consacre au développement d’une formulation pour un nouveau composé ou d’une formulation améliorée pour un composé actif existant. M. Dayan ne s’est pas prononcé sur la définition de M. Blackshaw au moyen d’un rapport d’expert complémentaire et je fais remarquer que, selon l’échéancier de l’instance, les demanderesses n’avaient pas d’autre droit de réplique, sauf consentent des parties ou autorisation de la Cour. De plus, M. Dayan n’a pas parlé de la définition de M. Blackshaw durant son interrogatoire principal. C’est durant le contre‑interrogatoire (comme mentionné plus haut) que M. Dayan a déclaré que la personne versée dans l’art réaliserait des essais sur des composés pour évaluer leur activité herbicide.

[113] Contrairement à ce qu’affirment les défenderesses, je ne considère pas le témoignage de M. Dayan comme un rejet de la définition de M. Blackshaw de ce qui constitue une personne mettant au point de nouveaux herbicides sélectifs, ni comme un changement de dernière minute quant à sa définition de la personne versée dans l’art. Dans ses rapports d’expert, M. Dayan n’a pas défini le type exact de travail que fait une personne qui met au point de nouveaux herbicides sélectifs. Je ne vois aucune raison de conclure que sa personne versée dans l’art, qu’elle travaille au gouvernement, dans l’industrie ou dans le milieu universitaire, ne pourrait pas être une personne qui réalise des essais en serre et au champ avec des composés dans un but d’évaluer l’activité herbicide, ou une personne qui participe à des activités plus axées sur la chimie, comme celles proposées par M. Blackshaw, qui sont toutes des activités exigeant une bonne connaissance de l’évaluation des composés herbicides et de la tolérance des cultures à ces composés. Je remarque que, lors du contre‑interrogatoire, les défenderesses n’ont jamais demandé à M. Dayan s’il acceptait ou rejetait la définition de M. Blackshaw, non plus qu’elles lui ont demandé d’autres détails sur la façon dont il définirait une personne qui travaille à la mise au point de nouveaux herbicides sélectifs.

[114] Dans ces circonstances, j’estime que les défenderesses n’ont pas démontré que M. Dayan a agi contrairement à son devoir envers la Cour.

X. Définition des connaissances générales courantes

A. Les principes généraux

[115] La deuxième question en litige que la Cour doit trancher concerne la définition des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art. Les connaissances générales courantes s’entendent des connaissances que possède généralement une personne versée dans l’art au moment considéré [voir Sanofi‑Synthelabo, précité, au para 37]. Elles comprennent ce qu’on peut légitimement s’attendre à ce que la personne versée dans l’art sache et soit capable de trouver [voir Novopharm Limited c Janssen-Ortho Inc, 2007 CAF 217 au para 25(3)].

[116] Contrairement à l’art antérieur, qui est une catégorie générale qui englobe tous les renseignements précédemment divulgués dans un domaine donné, un élément d’information ne fait partie des connaissances générales courantes que si la personne versée dans l’art en serait informée et reconnaîtrait ce renseignement comme constituant « un bon fondement pour les actions à venir » [voir Mylan Pharmaceuticals ULC c Eli Lilly Canada Inc., 2016 CAF 119 au para 24, citant General Tire & Rubber Co c Firestone Tyre & Rubber Co, [1972] RPC 457 (CA), à la p 483]. Par conséquent, les connaissances générales courantes n’englobent pas la totalité de l’information relevant du domaine public [voir Gemak Trust c Jempak Corporation, 2022 CAF 141 au para 95].

B. Analyse

[117] En l’espèce, la date pertinente pour l’évaluation des connaissances générales courantes est la date à laquelle le brevet 021 a été rendu public, à savoir le 13 avril 2000. Les experts techniques des parties ont donné leur opinion sur l’état des connaissances générales courantes en avril 2000 et les parties ont produit un accord conjoint portant sur des aspects des connaissances générales courantes en 1998. Durant leurs plaidoiries, elles ont confirmé qu’il n’existait pas de différence importante dans les connaissances générales courantes entre 1998 et avril 2000.

[118] Les parties s’entendent de manière générale sur les connaissances générales courantes. Avant l’instruction, elles ont déposé à la Cour des observations conjointes portant sur les points d’accord à ce sujet et, durant leurs plaidoiries, elles ont confirmé d’autres points sur lesquels elles s’entendaient, s’appuyant à cet égard sur les connaissances générales courantes décrites dans leurs observations finales écrites respectives. Après en avoir tenu compte, tout comme des opinions exprimées par les experts techniques dans leurs premier et deuxième rapports (les deuxièmes rapports décrivent les points de désaccord sur les connaissances générales courantes), je conclus que les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art engloberaient, vers avril 2000, les principaux concepts suivants :

  1. Les plantes à fleurs, y compris les mauvaises herbes et les plantes cultivées, peuvent être considérées comme des graminées ou des plantes à feuilles larges. Les graminées sont généralement considérées comme des monocotylédones. Les plantes à feuilles larges sont généralement considérées comme des dicotylédones.

  2. L’avoine sauvage (aussi appelée avoine folle ou Avena fatua) et le blé ont une physiologie semblable, car ils sont tous deux classés comme des graminées de la même famille (Poaceae).

  3. Les producteurs de plantes agricoles, dont le blé, doivent supprimer les mauvaises herbes. Les mauvaises herbes sont des plantes indésirables qui peuvent réduire le rendement des cultures en recherchant la lumière, l’humidité et les nutriments. Chaque année, les agriculteurs canadiens traitent des millions d’acres de blé avec des herbicides pour lutter contre les mauvaises herbes.

  4. L’avoine sauvage est une mauvaise herbe particulièrement problématique dans les cultures de blé (notamment le blé de printemps).

  5. Les herbicides sont des produits chimiques qui tuent ou réduisent considérablement la croissance d’une espèce végétale et qui sont utilisés depuis des décennies pour supprimer les mauvaises herbes dans les cultures.

  6. Les herbicides peuvent être appliqués avant la plantation (pré‑plantation), après la plantation, mais avant la levée (prélevée) et après la levée (postlevée). Les applications en postlevée sont les applications d’herbicides les plus fréquentes dans les cultures au Canada.

  7. Les formulations d’herbicides sont une combinaison d’un ou de plusieurs principes actifs et d’ingrédients inactifs ou inertes. Les préparations de poudre hydrodispersable (PHD) et de granulés hydrodispersables (GHD) d’herbicides servent fréquemment à la première évaluation des herbicides potentiels. Les préparations PHD et GHD, qui contiennent habituellement de 50 % à 80 % en poids de principe actif (le composé herbicide), sont vendues dans le commerce au Canada.

  8. Un herbicide peut supprimer ou réprimer une mauvaise herbe précise. Selon une directive réglementaire de 1993 publiée par Agriculture et Agroalimentaire Canada, le terme « suppression » signifie généralement une réduction de 80 % ou plus du peuplement ou de la croissance de mauvaises herbes par rapport aux mauvaises herbes non traitées. La « répression » indique généralement une réduction de 60 % à 80 % du peuplement ou de la croissance des mauvaises herbes par rapport aux mauvaises herbes non traitées.

  9. Les herbicides sélectifs sont des composés qui peuvent tuer ou réduire la croissance de plantes non désirées (c.‑à‑d. les mauvaises herbes) et causer un préjudice minime ou nul aux plantes recherchées (c.-à-d. les cultures). Règle générale, les herbicides sélectifs classiques fonctionnent de la façon suivante : une fois qu’il est absorbé ou adsorbé par la plante et ses cellules, le principe actif commence à inhiber une ou des réactions biologiques dans les cellules végétales. Parallèlement, les cellules métaboliseront ou traiteront le principe actif et chercheront à l’expulser hors de la cellule. Le principe actif peut agir sur le même processus biologique dans les mauvaises herbes et les plantes cultivées, mais il est sélectif parce que les plantes cultivées peuvent métaboliser le principe actif suffisamment rapidement pour ne pas subir les effets de l’herbicide, alors que les mauvaises herbes n’en sont pas capables aussi rapidement et en meurent.

  10. L’effet d’un herbicide sélectif dépend de la dose. À une dose trop élevée, il se peut que les plantes cultivées ne soient pas en mesure de métaboliser le principe actif assez rapidement et subiront des dommages. À une dose trop faible, certaines mauvaises herbes ciblées survivront au traitement. L’effet des herbicides sélectifs peut également être influencé par d’autres facteurs, comme le stade de croissance des plantes cultivées et des mauvaises herbes.

  11. Tous les composés herbicides ne fonctionnent pas comme des herbicides sélectifs. Un herbicide non sélectif est un herbicide qui supprime toute la végétation traitée, ce qui est souvent souhaitable dans les zones industrielles, les voies ferrées et les emprises des services publics.

  12. De petits changements apportés dans une molécule d’herbicide peuvent avoir des effets importants sur le comportement biologique du composé.

  13. On ne peut présumer que toutes les espèces végétales ou la variété d’une espèce réagissent de la même façon à un herbicide donné. Un herbicide qui supprime une mauvaise herbe dans une culture peut seulement en supprimer une autre ou avoir un effet minime, voire nul sur une autre mauvaise herbe. Par conséquent, pour découvrir des composés qui fonctionnent comme herbicides sélectifs, les personnes versées dans l’art doivent faire des études empiriques, avec des composés candidats évalués en serre et ensuite, généralement au champ pour mesurer leur efficacité à supprimer les mauvaises herbes sans nuire aux cultures. Ces essais sont des expériences répétées qui comprennent un témoin non traité avec l’herbicide potentiel. Un ensemble normalisé de plantes cultivées serait utilisé dans les essais et l’herbicide candidat est appliqué à différentes doses et à différents moments. Un herbicide standard de l’industrie peut être ajouté aux essais à des fins de comparaison. La suppression des mauvaises herbes et la tolérance des cultures sont déterminées par une évaluation visuelle.

  14. Le processus de mise au point d’un herbicide prend de nombreuses années, est très coûteux et fait en sorte que peu de nouveaux principes actifs sont à la disposition des producteurs chaque année.

  15. Pour être vendu comme herbicide sélectif au Canada, un principe actif ou un composé de qualité « technique » doit être approuvé par l’ARLA. L’ARLA autorise également l’étiquette du produit vendu au Canada, laquelle décrit le produit et la façon dont il doit être utilisé.

  16. À mesure que de nouveaux herbicides sélectifs arrivent sur le marché, les organisations de malherbologie classent les herbicides en groupes selon les processus biologiques naturels qu’ils sont censés inhiber ou entraver (c.-à-d. leur mode d’action). Parmi ces organisations de lutte contre les mauvaises herbes, citons le Herbicide Resistance Action Committee [HRAC].

  17. Si un producteur utilise un herbicide du même groupe à répétition, les mauvaises herbes développeront généralement une résistance à cet herbicide. Par conséquent, il est important que les producteurs utilisent des herbicides à tour de rôle et qu’ils choisissent des herbicides de différents groupes afin de réduire les risques de résistance.

[119] D’autres aspects clés potentiels des connaissances générales courantes ont été contestés. M. Dayan est d’avis que les renseignements supplémentaires suivants font partie de ces connaissances :

  1. À l’époque pertinente, les herbicides sélectifs couramment utilisés pour la suppression de l’avoine sauvage dans les cultures de blé ont été classés par les organisations de malherbologie comme des herbicides du groupe 1, qui étaient connus à l’époque comme des herbicides du groupe 8 (et ceux du groupe 8 sont maintenant des herbicides du groupe 15).

  2. La première classe d’herbicides du groupe 2 à être commercialisés dans les années 1980 appartient à un groupe appelé les sulfonylurées. Ce nom est un terme de chimie organique qui fait référence à la présence d’un groupe « sulfonyle » lié à un groupe « urée ».

  3. À l’époque pertinente, les herbicides du groupe 2 n’étaient généralement pas reconnus pour supprimer les graminées adventices. On les considérait plutôt comme des suppresseurs des mauvaises herbes à feuilles larges et ayant peu d’activité sur les graminées adventices.

[120] Dans leur plaidoirie, les défenderesses ont affirmé que les groupes de mauvaises herbes ont été adoptés seulement en 1997 et que, si des personnes comme MM. Dayan et Blackshaw connaissaient l’existence de ces groupes, il reste que cet élément d’information n’était pas compris dans les connaissances générales courantes à l’époque pertinente. Je ne souscris pas à cette affirmation, car elle n’est absolument pas étayée par la preuve. Au contraire, M. Blackshaw a parlé expressément dans son deuxième rapport d’expert de la définition des connaissances générales courantes qui figure aux paragraphes 18‑59 du premier rapport de M. Dayan (dont les connaissances générales courantes litigieuses susmentionnées). M. Blackshaw s’est rallié en général aux déclarations de M. Dayan, mais il a dit ne pas partager son avis sur quatre points en particulier. Il n’a rien reproché à la preuve de M. Dayan relative aux groupes de mauvaises herbes et à ce qui était connu concernant le groupe 2 à l’époque pertinente.

[121] Par conséquent, compte tenu des témoignages de MM. Dayan et Blackshaw, j’estime que les éléments d’information supplémentaires énoncés plus haut font également partie des connaissances générales courantes à l’époque pertinente. L’erreur commise par M. Dayan dans son exposé des attributs de la personne versée dans l’art n’a aucune incidence à cet égard.

XI. L’interprétation des revendications

A. Les principes généraux

[122] Les principes de l’interprétation des revendications ont été résumés de la manière qui suit par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Tearlab Corporation c. I‑MED Pharma Inc., 2019 CAF 179 :

[30] Les principes généraux d’interprétation des revendications sont maintenant fixés et ont été consacrés par la Cour suprême du Canada dans trois arrêts (Whirlpool aux paragraphes 49 à 55; Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024 aux paragraphes 31 à 67 [Free World Trust]; Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., 1981 CanLII 15 (CSC), [1981] 1 R.C.S. 504, à la page 520 [Consolboard]). Ces principes peuvent se résumer ainsi.

[31] La Loi sur les brevets favorise le respect de la teneur des revendications, qui favorise à son tour tant l’équité que la prévisibilité (Free World Trust aux alinéas 31a) et b) et au paragraphe 41). La teneur d’une revendication doit toutefois être interprétée de façon éclairée et en fonction de l’objet (à l’alinéa 31c)), et par un esprit désireux de comprendre (au paragraphe 44). Suivant une interprétation téléologique, il ressort de la teneur des revendications que certains éléments de l’invention sont essentiels, alors que d’autres ne le sont pas (à l’alinéa 31e)). Il incombe au juge appelé à interpréter des revendications de distinguer les cas les uns des autres, de départager l’essentiel et le non-essentiel et d’accorder au « champ » délimité dans un cas appartenant à la première catégorie la protection juridique à laquelle a droit le titulaire d’un brevet valide (au paragraphe 15).

[32] Pour déterminer ces éléments, la teneur des revendications doit être interprétée du point de vue du lecteur versé dans l’art, à la lumière des connaissances générales courantes de ce dernier (Free World Trust, aux paragraphes 44 et 45; voir aussi Frac Shack, au paragraphe 60; Whirlpool, au paragraphe 53). Comme il a été observé dans la décision Free World Trust :

[51] … Les mots choisis par l’inventeur seront interprétés selon le sens que l’inventeur est présumé avoir voulu leur donner et d’une manière qui est favorable à l’accomplissement de l’objet, exprès ou tacite, des revendications. Cependant, l’inventeur qui s’exprime mal ou qui crée par ailleurs une restriction inutile ou complexe ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Le public doit pouvoir s’en remettre aux termes employés à condition qu’ils soient interprétés de manière équitable et éclairée. [Souligné dans l’original.]

[33] L’interprétation des revendications appelle l’examen de l’ensemble de la divulgation et des revendications « pour déterminer la nature de l’invention et son mode de fonctionnement,… sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public » (Consolboard, à la page 520; voir également Teva Canada Ltée c. Pfizer Canada Inc., 2012 CSC 60, [2012] 3 R.C.S. 625, au paragraphe 50). On peut alors tenir compte des spécifications du brevet pour comprendre la signification des termes utilisés dans les revendications. Il faut veiller, cependant, à ne pas interpréter ces termes de façon à « élargir ou restreindre la portée de la revendication telle qu’elle était écrite et, … interprétée » (Whirlpool, au paragraphe 52; voir aussi Free World Trust, au paragraphe 32). La Cour suprême du Canada a récemment souligné que l’analyse de la validité est principalement axée sur les revendications; les spécifications seront pertinentes lorsque les revendications sont ambiguës (AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2017 CSC 36, [2017] 1 R.C.S. 943, au paragraphe 31; voir aussi Ciba, aux paragraphes 74 et 75).

[34] Finalement, il est important de souligner que l’interprétation des revendications doit être la même qu’il soit question de validité ou de contrefaçon (Whirlpool, au paragraphe 49b)).

B. Analyse

[123] Pour ce qui est de l’interprétation des revendications du brevet 021, la date pertinente est celle de la publication, à savoir le 13 avril 2000.

[124] Les éléments d’une revendication sont censés être essentiels et il incombe au breveté de prouver que l’un d’eux n’est pas essentiel. En l’espèce, les demanderesses n’ont pas fait valoir que l’un des éléments des revendications invoquées n’était pas essentiel et aucune preuve d’expert n’allait dans ce sens. C’est pourquoi je n’ai fait aucune analyse pour déterminer quels éléments sont essentiels.

[125] Les experts techniques s’entendaient en grande partie sur le sens des mots et des expressions utilisés dans les revendications invoquées du brevet 021, sous réserve seulement de deux points de désaccord, sur lesquels je vais me pencher plus loin. Cela dit, j’estime que ceux‑ci sont plus « théoriques » qu’autre chose, en ce qu’ils n’ont aucune incidence importante sur les questions à trancher par la Cour. Les parties n’ont pas contesté ce qualificatif, que j’ai mentionné au moment des plaidoiries.

[126] Dans l’interprétation des revendications invoquées du brevet 021, il est nécessaire de faire de multiples références au composé de formule (I). À la date pertinente, le composé de formule (I) n’avait pas encore été désigné « flucarbazone ». Cependant, par souci de commodité, je l’appellerai flucarbazone ou, lorsque le sel de sodium du composé est mentionné, flucarbazone‑sodium.

[127] La revendication 1 vise une composition herbicide sélective, contenant une quantité efficace de flucarbazone de sodium, désignée 70 PHD ou 70 GHD, formulée sous forme de préparation en poudre ou en granulés hydrodispersables à 70 % p/p. Les experts techniques ne s’entendaient pas sur le sens de « sélectif », M. Dayan étant d’avis que cela signifie que le principe actif est plus toxique envers certaines mauvaises herbes qu’envers certaines cultures utiles, et M. Blackshaw étant d’avis que cela signifie une réduction de 80 % ou plus du peuplement ou de la croissance des mauvaises herbes par rapport aux mauvaises herbes non traitées, avec peu ou pas de dommages (moins de 10 %) aux céréales. M. Dayan ne nie pas qu’un seuil de 80 % pour la suppression des mauvaises herbes et un seuil de 10 % pour les dommages causés aux cultures sont des points de repère utiles, connus de la personne versée dans l’art, mais il fait remarquer que ces points de repère sont fondés sur une directive réglementaire, qui est un type de document différent d’un brevet.

[128] Aucune des questions à trancher par la Cour ne porte sur la question de savoir si les seuils de sélectivité sont fixés à 80 % et à 10 % ou simplement exprimés en utilisant les mots « plus » toxique. De plus, je note que les données incluses dans les exemples du brevet 021 montrent que le flucarbazone‑sodium a atteint des seuils de sélectivité de 80 % et de 10 % pour l’avoine sauvage dans les cultures de blé, alors que (dans la mesure où les données sont disponibles) les composés de comparaison n’ont pas atteint les deux seuils ou le seuil de 80 % pour l’avoine sauvage.

[129] La revendication 3, qui dépend de la revendication 2, vise l’utilisation du flucarbazone‑sodium pour la suppression sélective des mauvaises herbes dans les cultures de blé.

[130] La revendication 6, qui dépend de la revendication 5, vise une méthode de suppression sélective d’au moins une mauvaise herbe sélectionnée parmi Agropyron, Avena, Brassica, Capsella, Lolium, Sinapsis, Thlapsi, Veronica et d’une combinaison de ces derniers, dans le blé semé au printemps, dans laquelle le flucarbazone‑sodium est appliqué à la culture, au milieu dans lequel se trouve la culture ou aux deux.

[131] La revendication 7, qui dépend de la revendication 6, vise une méthode de suppression sélective d’au moins une mauvaise herbe sélectionnée parmi Agropyron, Avena, Lolium et Veronica, dans le blé semé au printemps, dans laquelle le flucarbazone‑sodium est appliqué à la culture, au milieu dans lequel se trouve la culture ou aux deux.

[132] La revendication 8, qui dépend de la revendication 6, vise une méthode de suppression sélective d’Avena dans le blé semé au printemps, dans laquelle le flucarbazone‑sodium est appliqué à la culture, au milieu dans lequel se trouve la culture ou aux deux.

[133] La revendication 9, qui dépend de la revendication 8, vise une méthode de suppression sélective d’Avena dans le blé semé au printemps dans laquelle le flucarbazone‑sodium est appliqué à la culture, au milieu dans lequel se trouve la culture ou aux deux, à une dose d’application de 30 à 60 g/ha.

[134] La revendication 10, qui dépend de la revendication 9, vise une méthode de suppression sélective d’Avena dans le blé semé au printemps dans laquelle le flucarbazone‑sodium est appliqué à la culture, au milieu dans lequel se trouve la culture ou aux deux, à une dose d’application de 30 à 60 g/ha, où le flucarbazone‑sodium est appliqué sous forme de formulation 70 PHD ou 70 GHD.

[135] Les experts techniques ne s’entendaient pas sur l’interprétation de [traduction] « s’applique sous forme de formulation 70 PHD ou GHD ». M. Dayan est d’avis que la personne versée dans l’art comprendrait que la revendication 10 signifie que la dose d’application de 30 à 60 g/ha de principe actif est appliquée au moyen d’une préparation dans laquelle le principe actif est sous forme de poudre ou de granulés hydrodispersables à dissoudre avec une certaine quantité d’eau pour obtenir 70 % en poids. M. Blackshaw est d’avis que, dans sa forme actuelle, la revendication 10 se limite à l’application de la poudre ou des granulés et exclut l’application de la poudre ou des granulés mélangés avec d’autres ingrédients, comme les surfactants ou un potentialisateur, dans un réservoir.

[136] Les défenderesses allèguent que l’interprétation de M. Dayan confère à tort un sens différent au terme « s’applique » dans la revendication 10 par rapport à la revendication 9, car M. Dayan a convenu en contre‑interrogatoire que, dans la revendication 9, « s’applique » signifie épandre sur le terrain, alors que son interprétation de « s’applique » dans la revendication 10 signifierait mettre dans un réservoir et le mélanger avec de l’eau.

[137] Je conviens avec les demanderesses que l’interprétation de M. Blackshaw s’attache uniquement au libellé de la revendication 10, sans tenir compte du point de vue de la personne versée dans l’art et de ses connaissances générales courantes. M. Blackshaw n’a rien dit quant à la manière dont la personne versée dans l’art comprendrait la revendication 10 et, dans son rapport d’expert en réponse, il n’a pas remis en question l’opinion de M. Dayan sur cette même revendication. Je suis d’accord avec M. Dayan, selon qui l’interprétation de la revendication 10 par la personne versée dans l’art reposerait sur sa connaissance du fait que les herbicides sous forme de formulation 70 PHD ou 70 GHD s’appliquent habituellement en mélangeant la poudre ou des granulés avec d’autres ingrédients dans un réservoir. Je conclus que les erreurs commises par M. Dayan dans son exposé des attributs de la personne versée dans l’art n’ont aucune incidence à cet égard..

[138] Cela dit, en ce qui concerne les autres questions à trancher par la Cour, rien ne porte sur l’interprétation de ce volet de la revendication 10.

XII. La validité du brevet 021

[139] Les défenderesses et les demanderesses ont donné respectivement au brevet 021 une description générale qui oriente leur thèse sur les questions de l’évidence et de l’antériorité, qui sont les principaux motifs d’invalidité soulevés au procès.

[140] Les défenderesses affirment que le brevet 021 est invalide au motif qu’il n’est rien de plus qu’une « simple vérification » des propriétés d’un composé connu. Les défenderesses soutiennent que les inventeurs du brevet 021 ont pris un composé connu (flucarbazone‑sodium) d’un brevet antérieur qui leur appartenait (le brevet 486), l’ont évalué en vue de l’utilisation décrite dans le brevet 486 (utilisation comme herbicide) au moyen des essais en serre et au champ décrits dans le brevet 486 pour vérifier si le flucarbazone‑sodium pouvait servir d’herbicide et, en particulier, d’herbicide sélectif. Les défenderesses affirment que le brevet 021 ne révèle aucun nouveau produit, aucun nouveau résultat, ni aucun nouveau procédé. Au contraire, les inventeurs confirment simplement les qualités herbicides et sélectives anticipées du flucarbazone‑sodium, ce qui ne constitue pas une invention.

[141] Les défenderesses reconnaissent qu’une « vérification » n’est pas en soi un motif d’invalidité et qu’il ressort de la jurisprudence qu’elles invoquent que des tribunaux ont examiné ce concept alors qu’ils étaient appelés à se prononcer sur des allégations d’antériorité et d’évidence, souvent dans le contexte d’un brevet de sélection (bien que toutes les parties aient confirmé dans leurs plaidoiries qu’elles ne prétendent pas que le brevet 021 est un brevet de sélection).

[142] Les demanderesses rejettent l’argument de la « simple vérification » des défenderesses, et soutiennent plutôt, à la lumière de l’arrêt Shell Oil Co. c Canada (Brevets), [1982] 2 RCS 536, que le brevet 021 englobe une nouvelle utilisation d’un composé connu, plus précisément, l’utilisation du flucarbazone‑sodium pour la suppression de l’avoine sauvage et d’autres graminées adventices et mauvaises herbes à feuilles larges dans les cultures de blé, utilisation qui découle d’une propriété sélective et herbicide inconnue ou inattendue du flucarbazone‑sodium.

A. L’évidence

(1) Les principes généraux

[143] Une invention doit, comme le mot l’indique, être inventive [voir Angelcare Canada Inc c Munchkin Inc, 2022 CF 507 au para 359]. Un brevet n’est pas valide s’il n’est pas inventif ou si l’invention revendiquée aurait été évidente pour la personne versée dans l’art à la date de la revendication. Le critère relatif à l’évidence est énoncé comme suit à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets :

L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

a) qui a été faite, soit plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, soit, si la date de la revendication est antérieure au début de cet an, avant la date de la revendication, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada must be subject-matter that would not have been obvious on the claim date to a person skilled in the art or science to which it pertains, having regard to

(a) information disclosed before the one-year period immediately preceding the filing date or, if the claim date is before that period, before the claim date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere; and

(b) information disclosed before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in sucj a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere.

[144] L’évidence doit être évaluée pour chaque revendication [voir Zero Spill Systems (International) Inc c Heide, 2015 CAF 115 au para 85]. Chaque revendication est évaluée selon le cadre d’analyse à quatre volets relatif à l’évidence reformulé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sanofi-Synthelabo, précité, au para 67. Pour déterminer si une revendication donnée était évidente à la date pertinente, il faut :

  1. a) Identifier la « personne versée dans l’art »;

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

  1. Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

  2. Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

  3. Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

[145] En effet, selon le critère de l’arrêt Sanofi‑Synthelabo, la question est de savoir si, à la date pertinente pour l’examen de la revendication, la personne versée dans l’art aurait pu « combler l’écart » entre l’état de la technique et l’idée originale en se fondant uniquement sur ses connaissances générales courantes [voir Angelcare, précitée, au para 362, citant Bristol‑Myers Squibb Canada c Teva Canada limitée,2017 CAF 76 au para 65].

[146] Il est difficile de satisfaire au critère de l’évidence, car il faut démontrer que la personne versée dans l’art serait parvenue directement et sans difficulté à l’invention, sans l’avantage de l’analyse rétrospective [voir Bridgeview Manufacturing Inc c 931409 Alberta Ltd (Central Alberta Hay Centre), 2010 CAF 188 au para 50; Beloit Canada Ltée c Valmet Oy, [1986] 8 ACF no 87 (CAF) à la p 294].

[147] Cela dit, le critère de l’arrêt Sanofi-Synthelabo doit être appliqué avec souplesse et l’importance accordée à un facteur dépend des faits particuliers de l’affaire. La question de savoir si une invention est évidente pour une personne versée dans l’art suppose une mise en balance de plusieurs facteurs [voir Biogen Canada Inc c Pharmascience Inc, 2022 CAF 143 au para 143].

[148] En ce qui concerne le premier volet du critère, les attributs et la capacité de la personne versée dans l’art sont les mêmes pour l’évaluation de l’évidence et pour l’interprétation du brevet [voir Mediatube Corp c Bell Canada, 2017 CF 6 au para 123 (Mediatube II)].

[149] En ce qui a trait au deuxième volet du critère, la Cour doit « définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation ». Il arrive à l’occasion que l’idée originale soit manifeste, lorsque les parties s’entendent à ce sujet. Dans le cas contraire, l’idée originale doit être interprétée [voir Apotex Inc c Shire LLC, 2021 CAF 52 au para 67]. Pour ce faire, la Cour doit premièrement déterminer si cette idée peut être cernée à partir de l’exercice antérieur d’interprétation des revendications. Deuxièmement, lorsqu’il est impossible de saisir intégralement l’idée originale sur le seul fondement des revendications, la Cour peut tenir compte du mémoire descriptif du brevet pour déterminer si celui‑ci apporte des précisions sur l’idée originale de la revendication en litige [voir Sanofi-Synthelabo, précité, au para 77]. Si cette étape est nécessaire, « [o]n ne saurait cependant s’appuyer sur le mémoire descriptif pour interpréter le texte des revendications de façon plus restrictive ou plus extensive » [voir Sanofi-Synthelabo, précité, au para 77]. Quoique l’idée originale soit un attribut des revendications, sa définition diffère de l’interprétation de ces dernières. Ainsi, bien que l’exercice de définition de l’idée originale comporte, en soi, une ressemblance frappante avec l’interprétation des revendications, il s’agit néanmoins de deux exercices distincts [voir Apotex Inc c Shire LLC, précité, au para 68]. L’analyse relative à l’évidence doit être axée sur l’idée originale de la revendication en question, et non sur l’idée originale du brevet [voir Apotex Inc c Shire LLC, précité, au para 69].

[150] Le troisième volet de l’analyse de l’évidence consiste à comparer l’idée originale qui sous‑tend la revendication et l’état de la technique afin de déterminer si une solution semblable ou équivalente au problème examiné était connue à la date de la revendication et, le cas échéant, dans quelle mesure. Ce qui fait partie de l’état de la technique est simplement l’art antérieur qu’invoque la partie qui prétend qu’il y a évidence. L’évidence n’est pas déterminée par rapport à l’état de la technique en général [voir Ciba Specialty Chemicals Water Treatment Limited’s c SNF Inc, 2017 CAF 225 au para 60]. En l’espèce, l’art antérieur en cause est constitué des brevets 486 et 636.

[151] À la quatrième étape de l’analyse relative à l’évidence, il faut se demander si, compte tenu de l’art antérieur et abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, les différences constituent des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art, ou si elles dénotent quelque inventivité [voir Sanofi-Synthelabo, précité, aux para 67 et 70]. L’évidence est évaluée de manière objective et téléologique, à la lumière du problème que le brevet cherche à résoudre [voir Rovi Guides, Inc c Vidéotron Ltd, 2022 CF 874 au para 312].

[152] Dans les domaines d’activité où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation, un « essai allant de soi » pourrait être indiqué [voir Janssen Inc c Pharmascience Inc, 2022 CF 1218 au para 120, citant l’arrêt Sanofi‑Synthelabo, précité, au para 68]. Dans l’arrêt Sanofi‑Synthelabo, la Cour suprême du Canada a établi une liste non exhaustive d’éléments à considérer pour déterminer si l’invention « allait de soi » :

[69] Lorsque l’application du critère de l’« essai allant de soi » est justifiée, les éléments énumérés ci-après doivent être pris en compte à la quatrième étape de l’examen de l’évidence. Tout comme ceux pertinents pour l’antériorité, ils ne sont pas exhaustifs et s’appliquent selon la preuve offerte dans le cas considéré.

1. Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

2. Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont-ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

3. L’art antérieur fournit-il un motif de rechercher la solution au problème qui sous-tend le brevet?

[70] Les mesures concrètes ayant mené à l’invention peuvent constituer un autre facteur important. Il est vrai que l’évidence tient en grande partie à la manière dont l’homme du métier aurait agi à la lumière de l’art antérieur. Mais on ne saurait pour autant écarter l’historique de l’invention, spécialement lorsque les connaissances des personnes qui sont à l’origine de la découverte sont au moins égales à celles de la personne versée dans l’art.

[153] Pour conclure qu’une invention résulte d’un « essai allant de soi », le tribunal doit être convaincu selon la prépondérance des probabilités qu’il allait plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention. La seule possibilité d’obtenir quelque chose ne suffit pas [voir Sanofi‑Synthelabo, précité, au para 66]. Le tribunal doit toutefois faire preuve de prudence lorsqu’il effectue l’analyse de l’essai allant de soi parce que ce n’est qu’un des éléments à considérer pour statuer sur l’évidence et qu’il n’est pas censé écarter les autres critères [voir Bristol Myers Squibb Canada Co c Teva Canada Limited, précité, au para 76; Apotex Inc c Pfizer Canada Inc., 2019 CAF 16 au para 32].

[154] Au paragraphe 113 de la décision Janssen-Ortho Inc c Novopharm Limited, 2006 CF 1234, le juge Hughes a mis en garde contre le danger d’une analyse a posteriori de l’évidence :

Il est par trop facile de voir comment il aurait été possible, même aisément, de parvenir à l’invention alléguée une fois qu’elle a été réalisée. Comme le soulignent certaines décisions, la simplicité n’exclut pas l’invention. Toutefois, si la découverte de la solution résulte d’un nombre restreint de décisions de nature courante, l’évaluation a posteriori peut confirmer tout simplement qu’il n’était pas nécessaire, pour y arriver, de faire preuve d’ingéniosité inventive. Par contre, si les questions à décider étaient nombreuses et les choix à exercer multiples, le fait de prendre les bonnes décisions et d’exercer des choix judicieux peut dénoter une inventivité.

(2) Analyse

[155] Les parties conviennent que la date pertinente pour apprécier le caractère évident du brevet 021 est le 13 avril 2000.

[156] La personne versée dans l’art et ses connaissances générales courantes sont décrites ci‑dessus. Cela étant, je commencerai par le second volet de l’analyse relative à l’évidence, à savoir l’idée originale qui sous‑tend les revendications du brevet 021. Les parties s’entendent pour dire que cette idée cadre avec le libellé des revendications elles-mêmes. Ainsi, l’idée originale qui sous‑tend les revendications invoquées du brevet 021 concerne l’utilisation et les méthodes d’utilisation du flucarbazone ou du flucarbazone‑sodium comme herbicide sélectif pour la suppression de l’avoine sauvage et d’autres graminées adventices et mauvaises herbes à feuilles larges dans les cultures céréalières, en particulier le blé.

[157] En ce qui a trait au troisième volet de l’analyse relative à l’évidence (recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de l’état de la technique et l’idée originale qui sous-tend les revendications invoquées du brevet 021), ce qui ferait partie de l’état de la technique, ce sont les brevets 486 et 636. Bien que les défenderesses aient invoqué les deux brevets, vu leurs similitudes, les parties n’ont produit aucune observation particulière quant au brevet 636 et se sont concentrées uniquement sur le brevet 486. Pour les fins de mon analyse, je vais également porter mon attention sur le brevet 486.

[158] Les défenderesses soutiennent que, s’il existe une différence entre le brevet 486 et le brevet 021 (ce qu’elles nient), celle-ci ne peut tenir qu’au fait que le flucarbazone‑sodium n’est pas décrit comme un herbicide sélectif dans le brevet 486.

[159] Les défenderesses nient cette différence et font valoir que la personne versée dans l’art qui interpréterait le brevet 486 comprendrait que les composés qui y sont divulgués, y compris le flucarbazone‑sodium, peuvent agir à titre d’herbicides sélectifs.

[160] Rappelons que la colonne 28 du brevet 486 prévoit ce qui suit :

[traduction]

Les composés actifs, selon l’invention, peuvent être utilisés comme défoliants, dessiccateurs, agents pour détruire les plantes à feuilles larges et, en particulier, comme désherbants. Par mauvaises herbes, au sens le plus large, il faut comprendre toutes les plantes qui poussent là où elles ne sont pas désirées. La question de savoir si les substances selon l’invention agissent comme herbicides totaux ou sélectifs dépend essentiellement de la quantité utilisée.

….

Les composés conviennent, selon la concentration, à la suppression des mauvaises herbes, par exemple sur les terrains industriels et les voies ferrées, et sur les sentiers et les parcelles avec ou sans plantation d’arbres. De même, les composés peuvent servir à la lutte contre les mauvaises herbes présentes dans les cultures de vivaces, par exemple dans les endroits de boisement, les plantations d’arbres décoratifs, les vergers, les vignobles, les plantations d’agrumes, d’arbres à noix, de bananiers, de caféiers, de théiers, d’arbres à caoutchouc, de palmiers à huile, de cacaoyers, d’arbres à fruits fragiles et les houblonnières, les gazonnières, les pâturages, et sur les pelouses, et pour la suppression sélective des mauvaises herbes dans les cultures de plantes annuelles.

Selon l’invention, certains des composés de formule (I) sont adaptés à la suppression ou la répression des mauvaises herbes, certains pour la suppression sélective des monocotylédones et des dicotylédones dans les cultures de monocotylédones et de dicotylédones, en prélevée et en postlevée.

[Non souligné dans l’original]

[161] La difficulté avec l’interprétation du brevet 486 des défenderesses réside dans le fait que le libellé de la colonne 28 est incohérent. Il indique au départ que la question de savoir si les composés agissent comme des herbicides suppresseurs ou sélectifs dépend de la quantité utilisée et que tous les composés peuvent être utilisés pour la lutte sélective contre les mauvaises herbes dans les cultures annuelles. Cependant, il ajoute que certains des composés sont destinés à la suppression sélective des mauvaises herbes monocotylédones et dicotylédones dans certaines cultures. Les défenderesses affirment dans leurs observations écrites que la personne versée dans l’art [traduction] « considérerait, au minimum, qu’il est probable que tous les composés soient effectivement des herbicides sélectifs ». Toutefois, les défenderesses n’ont présenté aucun élément de preuve à l’appui de cette affirmation.

[162] En ce qui concerne le témoignage de M. Blackshaw sur cette question, dans son premier rapport d’expert, M. Blackshaw a précisé dans la section sommaire que le brevet 486 indique que les composés décrits dans ce brevet (notamment le flucarbazone‑sodium) peuvent être utilisés comme herbicides sélectifs. Dans le corps de son rapport, où il traite de cette question, M. Blackshaw cite le libellé de la colonne 28, puis déclare que la personne versée dans l’art considérerait que [traduction] « la lutte sélective contre les mauvaises herbes dans les cultures annuelles » comprendrait la lutte sélective contre les mauvaises herbes dans les cultures de blé et d’autres céréales. M. Blackshaw n’a pas expliqué comment la personne versée dans l’art concilierait le libellé incohérent de la colonne 28 du brevet 486 et, en particulier, comment la personne versée dans l’art comprendrait l’énoncé selon lequel seuls [traduction] « certains des composés » conviennent à la suppression sélective des mauvaises herbes. Son témoignage de vive voix au procès ne traitait pas non plus expressément du libellé de la colonne 28.

[163] Au contraire, M. Dayan a dit dans son témoignage que la personne versée dans l’art n’interpréterait pas le brevet 486 comme un enseignement selon lequel le flucarbazone ou le flucarbazone‑sodium agirait comme un herbicide sélectif dans les cultures de blé ou autres. La personne versée dans l’art comprendrait plutôt que la question de savoir si les composés du brevet 486 sont utiles comme herbicides sélectifs dépend de la structure précise des composés et de la dose d’application.

[164] Compte tenu de ce qui précède, je ne suis pas convaincue que les défenderesses aient établi que la personne versée dans l’art interpréterait le brevet 486 comme indiquant que le flucarbazone ou le flucarbazone_sodium agit comme un herbicide sélectif. Par conséquent, je conclus que l’une des différences entre le brevet 486 et le brevet 021 est que le flucarbazone et le flucarbazone‑sodium ne sont pas désignés comme étant des herbicides sélectifs dans le brevet 486.

[165] Les défenderesses plaident également à plusieurs reprises dans leurs observations finales qu’il n’existe essentiellement aucune différence entre un composé qui agit comme herbicide et un herbicide sélectif, de sorte que le brevet 021 ne divulgue aucune nouvelle utilisation du flucarbazone‑sodium. Les défenderesses affirment que, par conséquent, il n’existe aucune différence entre les brevets 486 et 021.

[166] J’admets que la personne versée dans l’art interpréterait le brevet 486 comme un enseignement selon lequel tous les composés qui y sont divulgués (notamment le flucarbazone et le flucarbazone‑sodium) ont une activité herbicide et sont donc des herbicides. Cependant, je ne suis pas d’avis que la divulgation d’un composé qui est un herbicide soit identique à celle d’un herbicide sélectif.

[167] Les défenderesses affirment dans leurs observations finales que l’utilisation d’un composé comme herbicide et l’utilisation du même composé comme herbicide sélectif concernent toutes deux le même usage, car dans les deux cas, le composé tue des plantes indésirables. Toutefois, les défenderesses ne citent aucun témoignage d’expert à l’appui de cette affirmation. Bien que les défenderesses renvoient à une partie du contre‑interrogatoire de M. Dayan, ce dernier a déclaré qu’[traduction] « en théorie » les herbicides et les herbicides sélectifs tuent tous deux les plantes indésirables. Cependant, il a précisé qu’un herbicide peut aussi tuer une culture de façon indésirable, alors qu’un herbicide sélectif ne tuera pas la culture (ou n’entraînera que des dommages minimes) pour laquelle son utilisation est approuvée.

[168] Cela concorde avec le premier rapport de M. Blackshaw, dans lequel il déclare:

[traduction]

14. Les herbicides sont des produits chimiques qui tuent ou réduisent considérablement la croissance d’une espèce végétale (voir Zimdahl, p. 271 et Anderson, p. 59). La capacité d’un herbicide de tuer ou de réduire la végétation indésirable (mauvaises herbes) sans causer de préjudice minime ou nul à la végétation désirable (culture) est appelée sélectivité (Anderson, p. 108, Zimdahl, p. 291). La suppression non sélective indique que toute la végétation traitée est supprimée. Cela est souvent souhaitable dans les zones industrielles, les voies ferrées et les emprises de services publics. En général, pour qu’un herbicide soit considéré sélectif, les dommages aux cultures doivent être inférieurs à environ 10 %. Les dommages initiaux jusqu’à cette valeur n’entraîneront généralement aucune perte de rendement de la culture. La sélectivité est fonction d’un certain nombre de facteurs, dont la dose d’application (Zimdahl, p. 291). En termes simples, si la dose d’application d’un herbicide est suffisamment élevée, elle tuera la culture ainsi que les mauvaises herbes présentes.

[169] J’estime que la preuve établit que certains herbicides montrent une activité sélective, tandis que d’autres ne peuvent être que non sélectifs (c.‑à‑d. tuer toutes les plantes). Pour ce qui est des herbicides sélectifs, je suis d’accord avec les défenderesses pour dire que leur structure chimique est ce qui les rend sélectifs. Selon la preuve présentée à la Cour, des millions de dollars sont dépensés chaque année par des entreprises qui cherchent à découvrir des structures chimiques précises de composés qui présentent une activité herbicide sélective, car il est très important pour les producteurs de plantes agricoles de supprimer les mauvaises herbes qui autrement proliféreraient dans les cultures, ce qui entraînerait une baisse du rendement et de la qualité des cultures.

[170] De plus, M. Dayan a dit que les propriétés herbicides et sélectives d’un composé donné sont importantes, car certaines mauvaises herbes sont plus difficiles à supprimer dans certaines cultures (par exemple lorsque la mauvaise herbe et la culture sont du même genre, comme c’est le cas pour l’avoine sauvage et le blé).

[171] Je conclus qu’aucune preuve d’expert n’a été présentée à la Cour selon laquelle la personne versée dans l’art comprendrait que les herbicides et les herbicides sélectifs sont utilisés de la même manière.

[172] Par conséquent, je retiens que l’utilisation d’un herbicide comme herbicide sélectif pour cibler une mauvaise herbe donnée dans une culture donnée constitue une utilisation distincte.

[173] Pour revenir à la question générale des différences entre le brevet 486 et l’idée originale qui sous‑tend les revendications invoquées du brevet 021, je souligne que le brevet 486 a divulgué des centaines de composés de la classe des SACT qui ont des substituants liés à l’oxygène (dont le composé maintenant désigné flucarbazone‑sodium), ayant des utilisations potentielles comme [traduction] « défoliants, dessiccateurs, agents pour détruire les plantes à feuilles larges et, en particulier, comme désherbants », et indique que les composés se distinguent par une activité herbicide puissante et étonnamment meilleure que celle d’un autre composé connu ayant une structure similaire. Le flucarbazone‑sodium était l’un des onze composés qui ont été expressément décrits dans le brevet 486, bien qu’on ignore la raison pour laquelle le flucarbazone‑sodium a été spécifiquement revendiqué. Plus précisément, il convient de mentionner que le brevet 486 ne contient aucun exemple d’utilisation où l’activité herbicide du flucarbazone‑sodium a été évaluée, et qu’il n’inclut pas le flucarbazone ou le flucarbazone‑sodium dans la liste des exemples qui ont été décrits comme ayant une activité herbicide supérieure (aucune mauvaise herbe précisée) ou dans certains cas, comme ayant une bonne compatibilité avec les cultures (aucune culture précisée).

[174] D’autre part, le brevet 021 révèle que le flucarbazone et le flucarbazone‑sodium présentent une activité herbicide sélective beaucoup plus puissante contre les graminées adventices et les mauvaises herbes à feuilles larges difficiles à supprimer (en particulier l’avoine sauvage) dans les cultures de céréales, accompagnée d’une très bonne compatibilité avec les cultures de céréales (en particulier le blé) et révèle les méthodes d’utilisation du flucarbazone‑sodium comme herbicide sélectif dans les cultures de céréales.

[175] Par conséquent, je suis d’accord avec les demanderesses et je conclus que les différences entre l’état de la technique et l’idée originale peuvent être résumées de la façon suivante :

  1. Revendication 1 – que le flucarbazone‑sodium fonctionne comme un herbicide sélectif dans une composition contenant une quantité efficace de flucarbazone‑sodium formulée sous forme de poudre mouillable ou de granulés hydrodispersables à 70 %.

  2. Revendication 3 (dépendante de la revendication 2) – que le flucarbazone‑sodium peut être utilisé pour supprimer sélectivement les mauvaises herbes dans les cultures de blé.

  3. Revendication 6 (dépendante de la revendication 5) – que l’ajout de flucarbazone‑sodium à la culture, au milieu dans lequel se trouve la culture ou les deux est une méthode utile pour supprimer sélectivement au moins une mauvaise herbe sélectionnée parmi Agrophyron, Avena, Brassica, Capsella, Lolium, Sinapsis, Thlaspi, Veronica et ses combinaisons, dans le blé semé au printemps.

  4. Revendication 7 (dépendante de la revendication 6) – que l’ajout de flucarbazone‑sodium à la culture, au milieu dans lequel se trouve la culture ou les deux est une méthode utile pour supprimer sélectivement au moins une mauvaise herbe sélectionnée parmi Agropyron, Avena, Lolium et Veronica dans le blé semé au printemps.

  5. Revendication 8 (dépendante de la revendication 6) – que l’ajout de flucarbazone‑sodium à la culture, au milieu dans lequel se trouve la culture ou aux deux est une méthode utile pour supprimer sélectivement Avena dans le blé semé au printemps.

  6. Revendication 9 – que l’ajout de flucarbazone‑sodium à la culture, au milieu dans lequel se trouve la culture ou aux deux, à une dose d’application de 30 à 60 g/ha, est une méthode utile pour supprimer sélectivement les mauvaises herbes visées par les revendications 6, 7 ou 8 dans le blé semé au printemps.

  7. Revendication 10 - que l’ajout de flucarbazone‑sodium à la culture, au milieu dans lequel se trouve la culture ou aux deux, par l’application d’une préparation 70 PHD ou 70 GHD de flucarbazone‑sodium à une dose de 30 à 60 g/ha, est une méthode utile pour supprimer sélectivement les mauvaises herbes visées par les revendications 6, 7 ou 8 dans le blé semé au printemps.

[176] Je passe maintenant au quatrième volet de l’analyse relative à l’évidence, qui consiste à déterminer, abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, si les différences entre l’invention et ce qui ferait partie de l’état de la technique constituent des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou si elles dénotent quelque inventivité.

[177] Dans une affaire comme celle qui nous occupe, où l’état de la technique en cause englobe les progrès qui sont le fruit de l’expérimentation, il est préférable d’appliquer au quatrième volet de l’analyse relative à l’évidence le critère de l’« essai allant de soi » décrit dans l’arrêt Sanofi‑Synthelabo. Par conséquent, la Cour doit examiner les questions qui suivent : i) Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art? ii) Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont-ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants? iii) L’art antérieur fournit-il un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

[178] Les défenderesses n’ont pas traité expressément de chacun de ces facteurs, mais ont plutôt fourni des observations globales sur le quatrième volet de l’analyse relative à l’évidence. Elles affirment que les différences entre les brevets 486 et 021, notamment que le flucarbazone‑sodium agit comme un herbicide sélectif, y compris pour la suppression de l’avoine sauvage dans les cultures de blé, ne commandaient aucun degré d’inventivité.

[179] Les défenderesses allèguent que le flucarbazone‑sodium, sa structure chimique et sa fonction comme herbicide ont été divulgués dans le brevet 486. Le brevet 486 a également révélé qu’au moins certains des composés qui y sont mentionnés étaient des herbicides sélectifs. Les défenderesses font valoir que la personne versée dans l’art n’aurait rien de plus à faire que des tâches spécialisées courantes pour vérifier que le flucarbazone‑sodium est un herbicide sélectif qui peut supprimer l’avoine sauvage dans les cultures de blé. Comme le flucarbazone‑sodium était l’un des onze composés expressément revendiqués parmi les 327 et exigeant une « attention spéciale » dans le brevet 486, le flucarbazone serait un point de départ évident pour évaluer l’activité sélective herbicide. À partir de là, les inventeurs n’auraient eu qu’à utiliser les essais bien connus habituels pour évaluer l’activité herbicide au moyen d’essais en serre, puis en champ, dans des ensembles normalisés de cultures ayant une importance commerciale (dont le blé) sur les mauvaises herbes les plus problématiques de ces cultures (dont l’avoine sauvage dans le cas du blé). Les défenderesses font remarquer que M. Dayan a admis que les essais de cette nature étaient le mode de fonctionnement standard des entreprises qui recherchent un nouvel herbicide sélectif. Elles ajoutent que les demanderesses n’ont produit aucun document de Bayer concernant le travail accompli par les inventeurs pour parvenir à l’invention, de sorte qu’il n’y a pas de preuve que ces derniers ont rencontré des difficultés lorsqu’ils ont réalisé ces essais de routine pour arriver au brevet 021.

[180] Avant d’examiner les divers facteurs, il importe de rappeler l’importance de la preuve d’expert dans l’examen d’une allégation d’évidence. Une preuve d’expert doit forcément être présentée, car elle fournit à la Cour le fondement nécessaire à l’examen de la question de l’évidence : on ne peut attendre d’aucun juge qu’il possède les connaissances nécessaires pour se mettre à la place de la personne versée dans l’art à l’époque pertinente sans être convenablement éclairé par des experts crédibles [voir Allergan Inc c Canada (Santé), 2012 CF 767 au para 129; Donald H. MacOrdum, Fox on the Canadian Law of Patents Fifth Edition (Toronto : Thomson Reuters Canada Limited, 2022), à la p 4:32]. Les experts doivent se prononcer sur ce que la personne versée dans l’art saurait ou ferait à la lumière de l’état de la technique à l’époque pertinente, et doivent étayer leur opinion par une analyse ou des motifs [voir Janssen Inc c Pharmascience Inc, précitée, au para 147].

[181] Pour conclure qu’une invention résulte d’un « essai allant de soi », le tribunal doit être convaincu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il allait plus ou moins de soi de tenter de parvenir à l’invention [voir Sanofi‑Synthelabo, précité, au para 66]. Comme il en sera plus longuement question plus loin, le problème que soulève la thèse des défenderesses est que celle‑ci n’est étayée par aucune preuve d’expert. On a demandé à M. Blackshaw de se prononcer sur des questions très précises, dont ne faisaient pas partie les éléments centraux du quatrième volet de l’analyse relative à l’évidence. Il n’a rien dit quant à la question de savoir si les différences entre les brevets 486 et 021 constituent des étapes qui auraient été évidentes pour la personne versée dans l’art. Aucun autre élément de preuve d’expert technique n’a été produit par les défenderesses, qui n’ont pas non plus obtenu de M. Dayan, par voie d’admission, la preuve nécessaire pour étayer leurs allégations en matière d’évidence. Au contraire, M. Dayan a réfuté plusieurs des prétentions formulées par les défenderesses.

[182] Pour déterminer si le brevet 021 était évident pour la personne versée dans l’art, il est important de tenir compte de ce que le brevet 486 comprend et, surtout, de ce qu’il ne comprend pas. Le brevet 486 ne contient aucune donnée précise sur les composés. Aucun résultat d’essai précis n’y figure. S’agissant des essais qui ont été effectués, le brevet 486 ne divulgue pas les mauvaises herbes ni les cultures qui en ont fait l’objet, et le flucarbazone ou le flucarbazone‑sodium ne faisaient partie des composés mis à l’essai. Le brevet 486 enseigne un large éventail d’utilisations possibles des composés en cause, dont des défoliants, des dessiccateurs et des herbicides, et ne porte pas sur l’utilisation d’un composé sélectivement herbicide en particulier.

[183] En ce qui concerne l’absence de données dans le brevet 486, les défenderesses ont critiqué le témoignage donné par M. Dayan au sujet de l’interprétation que la personne versée dans l’art ferait de ce brevet, affirmant que, selon ce témoin, la personne versée dans l’art n’interpréterait pas le brevet 486 avec un esprit désireux de comprendre, mais qu’elle mettrait erronément l’accent sur le fait qu’aucune donnée ne sous‑tend les revendications. Les défenderesses attirent l’attention de la Cour sur les extraits suivants tirés du contre‑interrogatoire de M. Dayan :

[traduction]

Q. Oui. Donc – ces composés, les nouvelles STAC, comme le dit le paragraphe, se distinguent par une puissante activité herbicide. La – la personne versée dans l’art le comprendrait, n’est‑ce pas?

R. Oui, je comprends cela. Oui.

Q. Et la personne versée dans l’art comprendrait que les inventeurs disent que tous les composés de formule 1 du brevet 486 ont cette puissante activité herbicide?

R. Eh bien, je veux dire que le lecteur du brevet, en lisant cette section, examinerait également les données fournies dans le brevet. Et on y dit que certains exemples de ces composés ont une certaine activité herbicide contre des mauvaises herbes inconnues et sont compatibles avec, vous savez, des cultures inconnues.

Donc, ça -- ça suggère qu’il y a une certaine activité, mais ça n’amène pas la personne à savoir exactement, vous savez, de quelle activité on parle.

Q. Et -- et c’est ce que vous recherchez en lisant le brevet 486; vous cherchez la divulgation de données précises; est-ce exact?

R. Eh bien, idéalement, oui, la -- personne versée dans l’art chercherait des données à l’appui de cette déclaration.

Q. D’accord. Et c’est ainsi que vous interprétez le brevet 486; vous avez examiné la question pour voir s’il contenait des preuves concrètes à l’appui des déclarations?

R. Oui.

[184] Les défenderesses font valoir que la personne versée dans l’art ne doit pas lire le brevet 486 à la recherche de données, et elles s’appuient sur le paragraphe 152 de la décision Janssen Inc c Sandoz Canada Inc, précitée, dans laquelle la juge Pallotta est d’accord avec « Sandoz pour dire que les experts des demanderesses ont parfois critiqué de manière excessive les enseignements de l’art antérieur qui n’étaient pas étayés par des essais cliniques contrôlés ».

[185] Comme je l’ai mentionné plus haut, je conviens avec les défenderesses que M. Dayan a commis des erreurs dans sa description de certains des attributs de la personne versée dans l’art et que cette dernière doit lire le brevet 486 avec un esprit désireux de comprendre ce que les auteurs dudit brevet voulaient dire. Toutefois, je ne suis pas d’accord pour dire que ces erreurs réduisent forcément le poids accordé au témoignage de M. Dayan, s’agissant des préoccupations qu’il a exprimées à l’égard de l’absence de données relatives au brevet 486.

[186] Sur ce point, je fais remarquer que les défenderesses n’ont pas attiré l’attention de la Cour sur le paragraphe suivant de la décision de la juge Pallotta (paragraphe 153). où celle‑ci a déclaré que la « personne versée dans l’art évaluerait la qualité de la preuve et en tiendrait compte ». Cela étant, je conclus que, si la personne versée dans l’art devait lire le brevet 486 avec un esprit désireux de comprendre, il reste qu’il n’était pas fautif de sa part d’évaluer les énoncés formulés dans le brevet 486 et de se demander si les utilisations et les propriétés revendiquées des composés étaient étayées par des données. À cet égard, je voudrais également signaler que, même M. Blackshaw a relevé dans son premier rapport l’absence de données dans le brevet 486, déclarant que [traduction] « le brevet 486 n’indique pas que le flucarbazone‑sodium a été testé et ne présente aucune donnée sur les composés qui ont été testés ». Il a également signalé que le brevet 486 ne faisait état [traduction] « d’aucune description d’un quelconque essai sur le terrain concernant l’un des composés ».

[187] Je passe maintenant aux facteurs relatifs à l’« essai allant de soi ». Étant donné que plusieurs des facteurs énumérés dans l’arrêt Sanofi‑Synthelabo sont interreliés [voir Tensar Technologies Limited et al c Enviro-Pro Geosynthetics Ltd, 2019 CF 277 au para 159, conf par 2021 CAF 3] et que les défenderesses ne les ont pas analysés individuellement, je vais les examiner de façon globale.

[188] J’estime qu’à l’époque pertinente (avril 2000), on en savait peu sur le flucarbazone‑sodium. Le composé et sa structure chimique avaient été divulgués dans le brevet 486, ainsi que plus de 300 autres composés SATC. On a dit que le groupe de composés présentait une activité herbicide puissante et pourrait être utilisé comme défoliants, dessiccateurs, agents détruisant des plantes à feuilles larges et comme désherbants, avec un grand potentiel d’utilisation pour de nombreuses plantes et mauvaises herbes. Le flucarbazone‑sodium n’a pas été désigné dans le brevet 486 comme étant un herbicide sélectif, bien que ce brevet indique que certains des 327 composés pouvaient être utilisés comme herbicides sélectifs.

[189] Afin de combler l’écart entre le brevet 486 et le brevet 021, a‑t‑il été plus ou moins évident pour la personne versée dans l’art que le flucarbazone‑sodium devrait fonctionner comme herbicide sélectif dans la lutte contre l’avoine sauvage et d’autres graminées adventices et mauvaises herbes à feuilles larges dans les cultures de céréales et, en particulier, dans les cultures de blé? Pourquoi choisir le flucarbazone‑sodium parmi le groupe de 327 composés divulgués dans le brevet 486?

[190] J’admets que le flucarbazone‑sodium était l’un des onze composés revendiqués dans une revendication ne visant qu’un seul composé et que M. Dayan a admis que les inventeurs avaient souligné que le flucarbazone‑sodium méritait une [traduction] « attention particulière ». En théorie, cela pourrait avoir pour effet de réduire les 327 composés de départ à 11. Cependant, rien dans le brevet 486 ne permet de savoir pourquoi l’un ou l’autre des 11 composés a été retenu, surtout si l’on tient compte du fait que, dans le cas de flucarbazone‑sodium, il n’était pas l’un des composés ayant fait l’objet d’essais dans les exemples d’utilisation et qu’on ne dispose d’aucune donnée ou d’aucun renseignement propre au flucarbazone‑sodium pour l’une ou l’autre des diverses utilisations alléguées des composés de la colonne 28 du brevet 486.

[191] De plus, et plus important encore, la Cour ne dispose d’aucune preuve d’expert selon laquelle la personne versée dans l’art comprendrait que le fait que le flucarbazone‑sodium a été revendiqué séparément signifie qu’il était l’un des composés de référence susceptible d’être utilisé comme herbicide sélectif. M. Blackshaw n’a émis aucun avis quant à la raison pour laquelle la personne versée dans l’art choisirait le flucarbazone‑sodium ou avec quel degré de facilité elle parviendrait à faire ce choix.

[192] Je ne vois rien dans le brevet 486 qui indique, directement ou indirectement, que le flucarbazone‑sodium est un composé à privilégier parmi les onze composés, encore moins parmi les 327 composés. Sans le bénéfice du recul, rien ne justifie que la personne versée dans l’art choisisse le flucarbazone‑sodium parmi les 327 composés pour des essais plus poussés en tant qu’herbicide sélectif supprimant certaines graminées adventices et mauvaises herbes à feuilles larges dans les cultures de blé.

[193] J’estime que les connaissances générales courantes auraient en fait orienté la personne versée dans l’art de sorte qu’elle ne choisisse pas le flucarbazone‑sodium comme le composé de choix. À l’époque pertinente, les herbicides à base de sulfonylurée n’étaient généralement pas connus pour supprimer les graminées adventices. Ils étaient plutôt connus pour supprimer les mauvaises herbes à feuilles larges et pour présenter peu d’activité envers les graminées adventices. La structure chimique du flucarbazone‑sodium et des autres SATC dévoilée dans le brevet 486 confirme que les composés contiennent des groupes sulfonyl et urée, à l’instar des herbicides sulfonylurées qui existaient alors.

[194] M. Dayan a exprimé l’avis que la découverte relative au flucarbazone‑sodium divulguée par le brevet 021 n’aurait normalement pas pu être faite par la personne versée dans l’art compte tenu de la structure chimique du composé, qui n’était généralement pas connue pour supprimer les graminées adventices dans les cultures céréalières. Si une activité de type herbicide sélectif avait pu être envisagée, elle aurait probablement davantage visé les mauvaises herbes à feuilles larges et non pas les graminées adventices. M. Blackshaw n’a pas contesté ces éléments de preuve et je conclus que les erreurs susmentionnées commises par M. Dayan n’enlèvent rien au poids à accorder à son témoignage sur cette question.

[195] Par conséquent, je conclus que ni le brevet 486 ni les connaissances générales courantes n’auraient conduit la personne versée dans l’art à choisir le flucarbazone‑sodium comme composé candidat avant tout autre composé divulgué dans le brevet 486, ni qu’ils auraient pu permettre à cette même personne de penser qu’il allait plus ou moins de soi que le flucarbazone‑sodium pourrait être utilisé pour la suppression sélective de l’avoine sauvage et d’autres mauvaises herbes à feuilles larges ou graminées adventices dans les cultures de blé.

[196] S’agissant des essais réalisés afin de parvenir à l’invention protégée par le brevet 021, les défenderesses ont présenté à cet égard une preuve d’expert très limitée. M. Blackshaw s’est prononcé uniquement sur la nature des efforts qui ont été ainsi déployés, mais pas sur leur ampleur et leur durée. Dans son premier rapport, M. Blackshaw s’est seulement penché sur les différences entre les méthodologies d’essai décrites dans les brevets 486 et 021 et a exprimé l’avis, au paragraphe 74, que, bien que le brevet 486 ne fournisse aucune donnée sur les composés mis à l’essai, la personne versée dans l’art [traduction] « n’éprouverait aucune difficulté à suivre les procédures d’essai du brevet 486 pour générer des données sur les composés décrits ». C’est ce qui, dans son premier rapport, se rapproche le plus d’une opinion sur l’« essai allant de soi ». Rien dans son second rapport ne porte sur l’« essai allant de soi ». M. Blackshaw n’a rien dit non plus dans sa déposition à l’instruction sur l’ampleur et la durée des efforts déployés pour parvenir à l’invention protégée par le brevet 021.

[197] Au sujet du paragraphe 74 du premier rapport de M. Blackshaw, M. Dayan a déclaré :

[TRADUCTION]

54. Quant au paragraphe 74, il est vrai qu’une personne versée dans l’art pourrait suivre les procédures d’essai du brevet 486 pour générer des données sur les composés décrits dans le brevet 021, mais c’est là simplifier à outrance et sous‑estimer le travail nécessaire pour combler le vaste fossé de connaissances entre le brevet 486 et le brevet 021. Les inventeurs n’ont pas bénéficié des enseignements du brevet 021 lorsqu’ils ont mené leurs recherches sur la multitude de composés similaires. À mon avis, pour arriver aux données et aux enseignements choisis du brevet 021, les inventeurs devaient faire preuve de créativité dans leur réflexion et prendre des décisions complexes au sujet des composés à mettre à l’essai, des mauvaises herbes et des cultures auxquels les appliquer, et des taux d’application. Leurs recherches et leur processus décisionnel auraient été éclairés par leur compréhension de l’orientation stratégique générale prise par l’entreprise dans ses activités de recherche et de développement. Laquelle compréhension aurait, à son tour, été éclairée par le contexte général des besoins actuels du marché des produits agrochimiques et de la disponibilité de produits concurrents.

55. À ma connaissance, une grande entreprise de produits chimiques industriels comme Bayer contrôle habituellement chaque année entre 60 000 et 100 000 composés potentiellement herbicides appliqués sur de nombreuses plantes différentes. Le résultat de ce travail colossal est une collecte importante de données. À partir de là, pour comprendre ces données et découvrir un nouvel herbicide sélectif, il faut une réflexion et une intuition hors du commun….

[Non souligné dans l’original]

[198] M. Blackshaw n’a pas contesté cet élément de preuve durant l’instruction. Au contraire, il a admis en contre‑interrogatoire que les données contenues dans le brevet 021 témoignaient d’une « réflexion » de la part des inventeurs.

[199] Par ailleurs, je souligne que ce témoignage de M. Dayan concorde avec ce qu’il a dit aux paragraphes 43 à 45 de son premier rapport d’expert, où il décrit le coût, le temps et les efforts nécessaires pour mettre au point un nouvel herbicide sélectif. Il importe de mentionner que, dans son deuxième rapport, M. Blackshaw a déclaré qu’il acceptait en général les éléments de preuve présentés aux paragraphes 43 à 45 du premier rapport de M. Dayan et qu’il ne niait pas que la personne versée dans l’art ne connaîtrait pas les données exactes sur le nombre de molécules soumis à l’examen préalable, le temps nécessaire pour obtenir les produits commerciaux et le coût exact de la commercialisation des produits herbicides, tel qu’indiqué aux figures 1 et 2 du premier rapport de M. Dayan.

[200] L’une des difficultés en l’espèce est l’absence de preuve quant à la véritable démarche qui a mené à la mise au point de l’invention protégée par le brevet 021. Bien que les défenderesses fassent valoir que cette absence de preuve doit être retenue contre les demanderesses, il n’incombe pas à ces dernières de prouver quoi que ce soit en matière d’invalidité du brevet. C’est aux défenderesses qu’il appartient d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que le brevet 021 est invalide. Faute de preuve quant à la véritable démarche suivie par Bayer pour parvenir à l’invention protégée par le brevet 021, les défenderesses doivent s’appuyer sur la preuve d’expert et sur tout autre élément de preuve disponible pour établir que l’invention était évidente. Toutefois, elles ont décidé de ne présenter aucune preuve quant à l’ampleur et à la durée des efforts requis pour réaliser l’invention protégée par le brevet 021, et la preuve de M. Dayan contredit la thèse des défenderesses selon laquelle les travaux nécessaires étaient courants et non pas longs et ardus.

[201] Je comprends que M. Dayan ne peut exprimer son opinion que sur les efforts habituellement consacrés au développement d’un nouvel herbicide sélectif plutôt que sur les efforts véritablement consacrés par Bayer, dont l’ensemble des témoins à l’instance, lui compris, n’avait aucune connaissance directe. Cependant, les défenderesses n’ont produit aucun élément de preuve et n’ont obtenu aucune admission de la part de M. Dayan qui laisserait croire que Bayer a réalisé l’invention protégée par le brevet 021 autrement qu’en déployant les efforts habituels décrits par ce dernier. Je suis convaincue que ces efforts supposent davantage qu’une simple [traduction] « habileté d’ordre technique ».

[202] Compte tenu des connaissances générales courantes, de la preuve divulguée dans le brevet 021 concernant l’essai de l’exemple d’utilisation, et du témoignage de M. Dayan cité ci‑dessus, et nonobstant les efforts que suppose le recours à des essais normalisés en serre et au champ sur des cultures d’importance économique et sur les graminées adventices et mauvaises herbes à feuilles larges connues qui posent problème pour ces cultures, je suis convaincue que les essais entrepris pour arriver à l’invention ont été longs et ardus (c.‑à‑d. marqués par de grands efforts).

[203] Bien que, comme l’a souligné M. Dayan, les efforts normalement déployés par des entreprises comme Bayer, aient consisté à examiner environ 160 000 composés sur une période de cinq ans, il est juste de dire que, pour en arriver à l’invention protégée par le brevet 021, la personne versée dans l’art commencerait par les 327 composés divulgués dans le brevet 486. Rappelons que rien dans le brevet 486 n’indique directement ou indirectement que le flucarbazone‑sodium est le composé à privilégier parmi les 327 composés. Par conséquent, il y a tout lieu de croire que la personne versée dans l’art commencerait ses essais avec les 327 composés. Même s’il était possible de dire que la personne versée dans l’art aurait commencé avec les onze composés revendiqués individuellement (ce qui n’est pas appuyé par la preuve), les essais subséquents, même pour ces onze composés (décrits ci-dessous), seraient tout de même longs et ardus.

[204] Le choix du composé n’est qu’un élément des essais requis. Il serait également nécessaire que la personne versée dans l’art considère les cultures à cibler, les mauvaises herbes à cibler et la fourchette des taux d’application à utiliser pour chaque composé dans les essais en serre et au champ. Ni l’un ni l’autre des experts n’a fourni une liste limitée des cultures qui pourraient faire l’objet d’essais. M. Dayan a nommé les cultures les plus importantes comme le maïs, le soja, le blé et le riz. M. Blackshaw n’a pas fourni de liste, mais a indiqué dans son premier rapport d’autres cultures céréalières importantes comme l’orge, l’avoine, le seigle, le triticale et le sorgho. Pour ce qui est des mauvaises herbes qui pourraient être testées, il ne fait aucun doute que les mauvaises herbes à feuilles larges et les graminées adventices le seraient. La question de savoir quelles mauvaises herbes à feuilles larges et graminées adventices seraient testées dépend de la culture candidate, mais le brevet 486 indique que les composés peuvent être utilisés pour plus de 60 dicotylédones et de monocotylédones. Je conclus que rien dans le brevet 486 ou dans les connaissances générales courantes n’auraient pu expressément orienter la personne versée vers l’essai des composés de la SATC pour le contrôle de l’avoine sauvage dans les cultures de blé ou d’autres céréales, sur n’importe laquelle des autres cultures et mauvaises herbes candidates, et les que défenderesses n’ont présenté aucune preuve d’expert à l’effet contraire.

[205] Quant aux taux d’application, M. Blackshaw a dit en interrogatoire principal que les essais nécessiteraient une application selon une fourchette de taux raisonnablement large, surtout pour un composé relativement nouveau, et que ces taux se préciseraient durant le déroulement des essais.

[206] Tenant compte des composés, des cultures, des mauvaises herbes et des taux d’application candidats potentiels, M. Dayan a expliqué dans son témoignage que, pour chaque composé, la personne versée dans l’art effectuerait une batterie d’essais en serre pour les cultures candidates et les mauvaises herbes candidates en utilisant un éventail raisonnablement large de doses d’application. Après avoir examiné les résultats des essais en serre, la personne versée dans l’art cernerait alors un sous‑ensemble de composés ayant une activité intéressante et déciderait ensuite quels composés appliquer au champ pour d’autres essais et en fonction de quelles cultures, de quelles mauvaises herbes et à quelle dose d’application. La personne versée dans l’art commencerait par des essais au champ à petite échelle et, en présence de résultats prometteurs, elle mènerait des essais au champ à plus grande échelle avec ce composé. Nous savons, d’après le brevet 021, que les essais au champ à plus grande échelle du flucarbazone‑sodium utilisé dans les cultures de blé ont nécessité à eux seuls plus de 400 essais. M. Blackshaw n’a contesté aucune partie de ce témoignage de M. Dayan, et j’estime que celui‑ci n’est en rien compromis par les erreurs susmentionnées de M. Dayan.

[207] Compte tenu du nombre d’essais qui devraient être menés pour tenir compte des diverses combinaisons de composés, de mauvaises herbes, de cultures et de doses d’application, et de la nécessité de soumettre, au moins, ces combinaisons à des essais en serre, puis éventuellement à des essais en champ (à petite et à grande échelle) si les premiers résultats sont prometteurs, je suis convaincue que la quantité d’essais nécessaires pour réaliser l’invention 021 était grande.

[208] Pour ce qui est de la durée des essais en serre et au champ, M. Dayan n’a pu parler que des données contenues dans son rapport, selon lesquelles, entre 2010 et 2014, il a fallu environ 11 ans entre la première synthèse d’un composé et la première vente du produit. Je reconnais que la durée des essais en serre et au champ ne représenterait qu’une partie de ces 11 années. M. Blackshaw ne s’est pas prononcé sur cette question.

[209] À la lumière des essais qui devraient être effectués avec les divers composés candidats, les cultures candidates et les mauvaises herbes candidates à diverses doses d’application dans les essais en serre, suivis d’essais éventuels au champ (à petite et à grande échelle), je conclus que les essais devraient être menés sur de nombreuses années et que, par conséquent, la durée des efforts déployés peut à juste titre être qualifiée de « longue ou prolongée ».

[210] Les défenderesses s’appuient sur les extraits suivants de la décision Amgen Canada Inc c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2015 CF 1244 rédigée par le juge Phelan pour soutenir que la réalisation d’essais courants (environ 200) n’est pas ardue :

[92] En ce qui concerne la différence entre la revendication 5 et l’art antérieur (en particulier le brevet 828 et la demande de brevet WO 959), il n’y a pas de différence inventive, comme l’affirmait M. Friedman. Le cinacalcet, sa structure clinique et sa fonction avaient été divulgués. La revendication 5 ne fait au mieux qu’en préciser la spécificité. Comme l’a admis M. Bartlett, témoin d’Amgen, la personne versée dans l’art pourrait fabriquer du cinacalcet à l’aide de l’art antérieur et des connaissances générales courantes.

[93] Quant au critère de l’évidence ou de l’essai allant de soi, je suis d’avis que le cinacalcet était évident. À tout le moins, s’il existe une différence entre l’état de la technique et la revendication 5, il allait de soi d’essayer de réaliser l’invention visée par la revendication 5. Le brevet 828 et la demande de brevet WO 959 divulguent des composés, dont le cinacalcet, qui agissent au niveau du récepteur du calcium sur les cellules parathyroïdiennes. La personne versée dans l’art aurait découvert le cinacalcet en utilisant des essais connus pour rechercher des composés agissant sur le récepteur du calcium.

[94] Comme la puissance du cinacalcet se situe dans la fourchette définie dans le brevet 828 et que ce composé agit sur le CaSR, comme l’indique le brevet 828, il était évident (ou aurait dû l’être) que le cinacalcet agirait sur le CaSR avec la puissance prévue.

[95] Monsieur Lubell a expliqué comment le processus serait facile et mécanique, comme il est mentionné au paragraphe 38. Il n’y avait que 200 molécules à mettre à l’essai, parmi lesquelles figurait le cinacalcet. Cet essai, qui est décrit comme une simple vérification, ne constitue pas une activité inventive.

[211] Je conclus que les circonstances de la présente affaire sont distinctes. Les efforts nécessaires pour arriver à l’invention du brevet 021 ne se limitaient pas à synthétiser 200 molécules. Les travaux nécessaires, même si on a fait appel à des méthodes d’essai connues, ont été longs et ardus et auraient nécessité l’analyse d’ensembles de données d’envergure à divers moments des essais afin de déterminer quels composés examiner parmi les centaines qui existent, pour quelles cultures, pour quelles mauvaises herbes et à quelles doses. De nombreuses variables étaient en jeu, ce qui a rendu les essais beaucoup plus poussés que ceux décrits dans la décision Amgen Canada Inc. c Mylan Pharmaceuticals ULC.

[212] En conclusion, j’estime qu’au mieux, l’art antérieur a permis la formulation de l’hypothèse selon laquelle le flucarbazone‑sodium pourrait être utilisé comme herbicide sélectif pour la suppression de l’avoine sauvage et d’autres mauvaises herbes dans les cultures céréalières (en particulier le blé), ce qui, avec le recul, a été valablement démontré. Toutefois, une invention ne devient pas évidente du fait que l’art antérieur aurait éveillé la personne versée dans l’art à la possibilité que quelque chose valait d’être tenté.

[213] Pour les motifs susmentionnés, je ne suis pas convaincue que les défenderesses ont établi que les revendications en cause du brevet 021 sont invalides pour cause d’évidence.

B. L’antériorité

(1) Les principes généraux

[214] Le paragraphe 28.2(1) de la Loi sur les brevets traite du caractère de nouveauté que doit présenter l’invention brevetée. Étant donné que le demandeur du brevet 021 et le propriétaire des brevets de l’art antérieur sont les mêmes (Bayer), la disposition pertinente est l’alinéa 28.2(1)a), que voici :

28.2 (1) L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas :

a) soit plus d’un an avant la date de dépôt de celle-ci, soit, si la date de la revendication est antérieure au début de cet an, avant la date de la revendication, avoir fait, de la part du demandeur ou d’un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

28.2 (1) The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada (the “pending application”) must not have been disclosed

(a) before the one-year period immediately preceding the filing date or, if the claim date is before that period, before the claim date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant, in such a manner that the subject-matter became available to the public in Canada or elsewhere;

[215] Les parties conviennent que la date pertinente pour l’analyse de l’antériorité est le 21 septembre 1998. Elles s’entendent également pour dire que les défenderesses n’ont soulevé que le motif de l’antériorité découlant de la publication, à savoir de chacun des brevets 486 et 636.

[216] Deux conditions sont nécessaires pour qu’il y ait antériorité, à savoir la divulgation antérieure et le caractère réalisable [voir Sanofi‑Synthelabo, précité, au para 26; Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Trust for Rheumatology Research, précité, au para 66].

[217] La défense fondée sur l’antériorité découlant d’une publication est difficile à établir, car les tribunaux reconnaissent « qu’il n’est que trop facile, après la divulgation d’une invention, de la reconnaître, par fragments, dans un enseignement antérieur » [voir Free World Trust, précité, au para 25]. Cette difficulté est exposée de façon plus approfondie au paragraphe 26 de l’arrêt Free World Trust (citant Beloit Canada Ltd c Valmet Oy, précité) :

Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée.

[218] Suivant l’exigence de la divulgation antérieure, une seule publication antérieure doit divulguer ce qui, une fois réalisé, constituerait une contrefaçon du brevet. Les essais successifs sont exclus. La personne versée dans l’art se contente de lire le brevet antérieur pour en comprendre la teneur [voir Sanofi‑Synthelabo, précité, au para 25; Free World Trust, précité, au para 26].

[219] L’exigence de la divulgation a été ainsi formulée par la Cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles dans l’arrêt General Tire & Rubber Co v Firestone Tyre & Rubber Co, précité, à la p 486 :

[traduction]

Pour constituer une antériorité opposable à la revendication du breveté, la publication antérieure doit contenir des instructions claires et incontestables permettant d’obtenir ce que le breveté prétend avoir inventé […] Aussi clair qu’il soit, un poteau indicateur placé sur la voie menant à l’invention du breveté ne suffit pas. Il faut prouver clairement que l’inventeur préalable a pris possession de la destination précise en y laissant sa marque avant le breveté.

[220] Il ne suffit pas que la publication antérieure « contienne » ou « englobe » simplement la divulgation de l’invention revendiquée – une divulgation vague n’antériorise pas nécessairement une revendication ultérieure plus précise [voir Apotex Inc c Shire LLC, précité, au para 45, citant Ranbaxy Laboratories v Astrazeneca AB, [2013] FCA 368 (Aus)].

[221] Quant au caractère réalisable, il s’entend de la possibilité que la personne versée dans l’art réalise l’invention. On suppose que cette personne est disposée à procéder par essais successifs pour arriver à l’invention, mais sans trop de difficultés ou sans qu’il soit nécessaire de franchir une étape inventive [voir Sanofi‑Synthelabo, précité, aux para 27 et 33; Mediatube II, précitée, au para 100.

[222] Dans l’arrêt Sanofi-Synthelabo, le juge Rothstein a dressé la liste non exhaustive suivante des facteurs à prendre en considération dans l’examen du caractère réalisable :

  1. Le caractère réalisable est apprécié au regard du brevet antérieur dans son ensemble, mémoire descriptif et revendications compris. Il n’y a aucune raison de limiter les éléments du brevet antérieur dont tient compte la personne versée dans l’art pour découvrir comment exécuter ou réaliser l’invention que vise le brevet subséquent. L’art antérieur est constitué de la totalité du brevet antérieur.

  2. La personne versée dans l’art peut faire appel à ses connaissances générales courantes pour compléter les données du brevet antérieur. Les connaissances générales courantes s’entendent des connaissances que possède généralement une personne versée dans l’art en cause au moment considéré.

  3. Le brevet antérieur doit renfermer suffisamment de renseignements pour permettre l’exécution du brevet subséquent sans trop de difficultés. Le caractère excessif des difficultés dépend de la nature de l’invention. Par exemple, lorsque celle‑ci relève d’un domaine technique où les essais sont monnaie courante, le seuil de ce qui constitue une difficulté excessive tend à être plus élevé que lorsque des efforts moindres sont la norme. Lorsqu’il est nécessaire de franchir une étape inventive, la divulgation antérieure ne satisfait pas au critère du caractère réalisable. Les essais courants sont toutefois admis et il n’en résulte pas de difficultés excessives. L’expérimentation ou les essais successifs ne doivent cependant pas se prolonger, et ce, même dans un domaine technique où ils sont monnaie courante. Aucune limite n’est fixée quant à la durée des efforts consacrés; toutefois, les essais successifs prolongés ou ardus ne sont pas tenus pour courants.

  4. Les erreurs ou omissions manifestes du brevet antérieur ne font pas obstacle au caractère réalisable lorsque des habiletés et des connaissances raisonnables permettaient d’y remédier.

[223] Si une publication ne divulgue pas les éléments essentiels d’une revendication de brevet ni ne les rend réalisables, cette dernière est nouvelle, ou non antériorisée [voir Apotex Inc c Shire LLC, précité, au para 36].

(2) Analyse

[224] Mes conclusions sur le caractère évident portent un coup fatal à l’allégation d’antériorité formulée par les défenderesses. En ce qui a trait à la divulgation, j’ai déjà conclu que les brevets 486 et 636 ne divulguent pas que le flucarbazone‑sodium est un herbicide sélectif. Ils ne divulguent pas non plus tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée dans le brevet 021 sans l’exercice de quelque génie inventif. La personne versée dans l’art ne saurait pas pourquoi elle devrait choisir le flucarbazone‑sodium parmi les 327 composés, ni pour quelle culture et pour quelle mauvaise herbe. Le brevet 486 ne contient pas « d’instructions claires et non équivoques » qui auraient permis à la personne versée dans l’art de choisir le flucarbazone‑sodium à titre d’herbicide sélectif pour la suppression de l’avoine sauvage et d’autres mauvaises herbes dans les cultures de blé, de sorte qu’elle ne pourrait pas infailliblement réaliser l’invention revendiquée.

[225] En ce qui concerne le caractère réalisable, j’ai déjà conclu que l’expérimentation nécessaire pour combler l’écart entre les brevets 486 et 636 et le brevet 021 serait longue et ardue. Par conséquent, le nombre d’essais dont aurait besoin la personne versée dans l’art pour parvenir à l’invention constituerait une difficulté excessive.

[226] C’est pourquoi je conclus que les demanderesses n’ont pas démontré que les revendications invoquées du brevet 021 étaient antériorisées.

C. L’insuffisance

(1) Les principes généraux

[227] Conformément aux alinéas 27(3)(a) et b) de la Loi sur les brevets :

Le mémoire descriptif doit :

a) décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;

b) exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention;

The specification of an invention must

(a) correctly and fully describe the invention and its operation or use as contemplated by the inventor;

(b) set out clearly the various steps in a process, or the method of constructing, making, compounding or using a machine, manufacture or composition of matter, in such full, clear, concise and exact terms as to enable any person skilled in the art or science to which it pertains, or with which it is most closely connected, to make, construct, compound or use it;

 

[228] Pour qu’un brevet soit valide, la personne versée dans l’art doit pouvoir produire l’invention en n’utilisant que les instructions contenues dans la divulgation et ses propres connaissances générales courantes [voir Teva Canada Ltd c Leo Pharma Inc, 2017 CAF 50 aux para 43-44]. La divulgation doit enseigner à la personne versée dans l’art la manière de mettre en pratique toutes les réalisations de l’invention sans devoir faire preuve d’ingéniosité inventive ni devoir procéder à une expérimentation excessive, quoiqu’une certaine expérimentation non inventive par essai et erreur puisse être requise [voir Seedlings Life Science Ventures, LLC c Pfizer Canada ULC, 2021 CAF 154 au para 68]. La divulgation sera considérée comme insuffisante si le mémoire descriptif requiert la résolution d’un problème [voir Idenix Pharmaceuticals Inc c Gilead Pharmasset LLC, 2017 CAF 161 au para 19].

[229] La suffisance est une question de fait qui doit être tranchée selon la date du dépôt de la demande – en l’espèce, le 13 avril 2000. Il incombe aux défenderesses d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que le brevet 021 était insuffisant à cette date [voir Merck Sharp & Dohme Corp c Wyeth LLC, 2021 CF 317 au para 135].

(2) Analyse

[230] La seule observation précise formulée par les défenderesses sur la question de l’insuffisance est la suivante :

[traduction]

110. Si la description de la personne versée dans l’art faite par M. Dayan est retenue, le brevet 021 est invalide pour cause d’insuffisance. Si la personne versée dans l’art n’est pas celle qui « décidera de ce qu’on fera », alors elle ne pourra pas produire l’invention du brevet 021. Selon M. Dayan, la personne versée dans l’art doit se faire guider par les autres.

[231] M. Blackshaw ne s’est pas directement prononcé sur l’allégation d’insuffisance et M. Dayan n’a pas dit que la personne versée dans l’art ne pouvait pas lire et comprendre le brevet 021 de sorte qu’elle serait incapable de réaliser l’invention. La question n’a jamais été clairement posée à ce dernier. Dans sa déposition, il a par ailleurs déclaré qu’ [traduction] « une personne versée dans l’art qu’elle a décrit peut examiner le brevet, considérer les exemples et comprendre de quoi il s’agit ». Je conclus qu’il n’y a tout simplement pas de preuve d’expert qui étaye l’allégation d’insuffisance des défenderesses et, par conséquent, cette allégation est rejetée.

D. Les revendications de portée excessive

(1) Les principes généraux

[232] L’objet d’une revendication aura une portée excessive si cette portée excède celle de l’invention réalisée ou encore celle de l’invention divulguée dans le mémoire descriptif [voir Pfizer Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 11 aux para 45‑46; Eli Lilly Canada Inc. c Apotex Inc., 2018 CF 736 au para 131]. La notion de portée excessive découle des paragraphes 27(3) et 27(4) de la Loi sur les brevets et peut être considérée comme une conséquence naturelle de la théorie du marché en droit des brevets, selon laquelle l’inventeur ne peut pas revendiquer plus que ce qu’il a inventé et divulgué de bonne foi [voir Seedlings Life Science Ventures, LLC c Pfizer Canada ULC, précité, aux para 50‑51 et 60, citant Western Oilfield Equipment Rentals Ltd c M-I LLC, 2021 CAF 24 aux para 128‑130].

(2) Analyse

[233] Comme dans le cas de l’insuffisance, les défenderesses ont accordé peu d’attention à leur allégation relative à la portée excessive des revendications. Après avoir exposé l’état du droit, elles n’ont fait que les observations suivantes :

[traduction]

103. Comme il a été mentionné précédemment, un composé ne peut pas être un herbicide sélectif tout simplement. Il est plutôt nécessaire de préciser la culture et la mauvaise herbe lorsque l’on discute des effets d’un herbicide. Même pour les cultures céréalières, la personne versée dans l’art saurait que la tolérance au flucarbazone‑sodium du blé n’implique pas nécessairement une tolérance acceptable des autres cultures céréalières. En effet, il est rare que toutes les cultures céréalières présentent une tolérance suffisante à un herbicide donné.

104. Dans le brevet 021, la seule culture mise à l’essai était le blé. Pourtant, les revendications 1 à 5 ne portent pas spécifiquement sur la suppression des mauvaises herbes dans le blé. Les revendications 7 à 10 dépendent de la revendication 5 et traitent donc du manque de spécificité pour le blé.

105. Par conséquent, les revendications 1 à 5 et 7 à 10 du brevet 021 ont une portée plus large que toute invention réalisée ou décrite. Ces revendications sont invalides parce qu’elles ont une portée excessive.

[234] Bien que les défenderesses affirment que les revendications 2, 3, 4 et 5 sont invalides pour cause de portée excessive, les demanderesses ne prétendent pas que ces revendications ont été contrefaites. Puisqu’aucune demande reconventionnelle visant à ce que ces revendications soient déclarées invalides n’a été présentée en l’espèce, celles‑ci ne sont pas en cause et je ne statuerai donc pas sur leur validité.

[235] En ce qui concerne les revendications 7 à 10, j’estime que, même si l’allégation formulée par les défenderesses quant à la portée excessive de la revendication 5 était retenue, l’argument qu’elles ont avancé à cet égard ne tient pas compte de la structure de ces revendications. Les revendications 7, 8 et 9 sont multi‑dépendantes. Les revendications 7 et 8 dépendent soit de la revendication 5 soit de la revendication 6, et la revendication 9 dépend de l’une ou l’autre des revendications 5 à 8. Même si la revendication 5 était invalide, la revendication 6 ne subirait pas le même sort puisqu’elle vise la culture du blé semé au printemps et que les défenderesses n’ont pas plaidé qu’elle était invalide pour cause de portée excessive. Cela étant, chacune des revendications 7 à 9 resterait valide dans la mesure où elle dépend de la revendication 6. La même conclusion s’applique pour la revendication 10, qui dépend de la méthode visée à la revendication 9, qui à son tour dépend de l’une ou l’autre des revendications 5 à 8 [voir Consolboard Inc c MacMillan Bloedel (Sask) Ltd, [1981] 1 RCS 504].

[236] En ce qui concerne la revendication 1, les défenderesses n’ont présenté aucune observation précise à son égard. Je conviens avec les demanderesses que la revendication 1 se distingue des autres revendications en ce qu’il s’agit d’une revendication de composition, et non d’une revendication d’utilisation ou de méthode. Les défenderesses semblent faire valoir que, malgré cette différence, les mots [traduction] « Composition herbicide sélective » comportent l’exigence qu’une mauvaise herbe et une culture particulières soient revendiquées. Toutefois, je conviens avec les demanderesses que les défenderesses n’ont pas fait valoir dans leur déclaration modifiée à deux reprises que, pour les besoins de la revendication 1 la propriété sélective de la composition obligeait à revendiquer une mauvaise herbe et une culture. Je remarque que ce point a été soulevé par les demanderesses dans leurs observations finales écrites et que les défenderesses n’ont pas tenté de le réfuter dans leur plaidoirie.

[237] C’est pourquoi je conclus que les défenderesses n’ont pas établi que l’une ou l’autre des revendications invoquées du brevet 021 est invalide parce qu’elle a une portée plus large que l’invention.

XIII. La responsabilité de NewAgco

[238] Les demanderesses font valoir que NewAgco est responsable envers elles pour deux motifs : 1) l’incitation à la contrefaçon; 2) la responsabilité conjointe et solidaire.

A. L’incitation à la contrefaçon

(1) Les principes généraux

[239] Le juge McHaffie a récemment résumé l’état du droit en ce qui concerne l’incitation à la contrefaçon dans la décision Guest Tek Interactive Entertainment Ltd c Nomadix, Inc, 2021 CF 276, où il a dit ce qui suit :

[56] L’incitation à la contrefaçon est simplement une forme de contrefaçon de brevet et non un délit distinct : Hospira, au para 45; Western Oilfield (CAF) au para 60. Les parties conviennent que les allégations d’incitation à la contrefaçon sont régies par le critère en trois parties adopté dans Warner Lambert Co c Wilkinson Sword Canada Inc, [1988] ACF n70 (CF 1re inst) et réitéré par la Cour d’appel fédérale dans Corlac au para 162 :

Il est bien établi en droit que celui qui incite ou amène un autre à contrefaire un brevet se rend coupable de contrefaçon du brevet. Une conclusion d’incitation requiert l’application d’un critère à trois volets. Premièrement, l’acte de contrefaçon doit avoir été exécuté par le contrefacteur direct. Deuxièmement, l’exécution de l’acte de contrefaçon doit avoir été influencée par les agissements du présumé incitateur de sorte que, sans cette influence, la contrefaçon directe n’aurait pas eu lieu. Troisièmement, l’influence doit avoir été exercée sciemment par le vendeur, autrement dit le vendeur doit savoir que son influence entraînera l’exécution de l’acte de contrefaçon.

[Non souligné dans l’original; renvois omis.]

[57] En ce qui concerne le premier élément du critère, [traduction] « il y a contrefaçon directe lorsque l’auteur de la contrefaçon directe a accompli toutes les étapes essentielles de l’invention revendiquée » : Western Oilfield (CAF), au para 70. Cela n’exige pas nécessairement des éléments de preuve provenant directement de l’auteur de la contrefaçon directe, mais il doit y avoir des éléments de preuve à partir desquels la Cour peut conclure, selon la prépondérance des probabilités, que la contrefaçon directe a eu lieu : Western Oilfield Equipment Rentals Ltd c M-I LLC, 2019 CF 1606 aux para 126, 129, conf par Western Oilfield (CAF) aux para 67–68.

[58] Guest Tek a soutenu que la deuxième exigence crée un critère du « facteur déterminant », qui consiste à chercher à savoir si le comportement emportant contrefaçon aurait eu lieu n’eût été le comportement du défendeur : Western Oilfield (CF), aux para 127 et 130, conf par Western Oilfield (CAF), au para 70. Je suis d’accord que l’aspect « sans cette influence » du deuxième élément du critère de Warner Lambert et de Corlac crée un critère du « facteur déterminant ». Toutefois, le critère est celui de savoir si la contrefaçon aurait eu lieu sans l’influence du défendeur, et pas seulement en l’absence de la vente par le défendeur d’un produit utilisé par l’auteur de la contrefaçon directe au cours de la contrefaçon. Là encore, la preuve d’influence […] n’a pas besoin de comporter une preuve directe de la part des clients qu’ils ont été incités à la contrefaçon par des instructions données par l’incitateur, si cette influence peut être déduite de la conduite de l’incitateur et de celle de la personne qui a été incitée à la contrefaçon : Western Oilfield (CF), aux para 126, 130–131, conf par Western Oilfield (CAF),aux para 67–69.

[59] De même, en ce qui concerne le volet connaissances du troisième élément du critère, comme l’a déclaré le juge O’Reilly dans Western Oilfield (CF), « il suffit simplement que l’incitateur présumé sache ce que le tiers fera vraisemblablement en réponse à son influence » : Western Oilfield (CF), au para 133. La question n’est pas simplement de savoir ce que le tiers est susceptible de faire. Il s’agit de savoir ce que le tiers est susceptible de faire en réponse à l’influence du défendeur.

[Souligné dans l’original.]

(2) Analyse

[240] Je conviens avec les demanderesses que la Cour et la Cour d’appel fédérale ont conclu que l’incitation à la contrefaçon peut être établie à partir du libellé de la monographie d’un médicament et des renseignements qui s’y trouvent et qu’il y a une analogie à faire entre une telle monographie et l’étiquette d’un herbicide [voir Janssen Inc c Pharmascience Inc, 2022 CF 62 aux para 125 et 129; Abbott Laboratories Limited c Canada (Santé), 2006 CF 1411 au para 40, conf par 2007 CAF 251].

[241] À cet égard, les défenderesses ne contestent pas qu’AgraCity a incité les producteurs à contrefaire le brevet 021, compte tenu du libellé de l’étiquette du produit HIMALAYA, que les producteurs sont tenus de suivre en vertu de la Loi sur les produits antiparasitaires.

[242] Le cœur de la question, toutefois, est de savoir quel rôle, le cas échéant, a tenu NewAgco relativement à l’étiquette et à la publicité d’HIMALAYA, et si, de par sa conduite, NewAgco a incité à la contrefaçon selon le second volet du critère applicable en la matière.

[243] Selon la preuve portée à l’attention de la Cour, NewAgco est titulaire de l’homologation accordée par l’ARLA pour HIMALAYA et son nom apparaît sur l’étiquette, tout comme celui d’AgraCity, comme l’exige l’ARLA. AgraCity et NewAgco ont conclu un accord qui permet à AgraCity de distribuer les produits HIMALAYA visés par les homologations de l’ARLA dont NewAgco est titulaire. AgraCity a importé les produits HIMALAYA au Canada et les a vendus à des producteurs. Le communiqué de presse annonçant le lancement des produits HIMALAYA a été publié par AgraCity sur son site Web. Comme je l’ai dit plus haut, le communiqué de presse indique que [traduction] « Aujourd’hui, AgraCity Canada (NewAgco) a annoncé qu’elle avait reçu l’autorisation de l’Agence canadienne de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) de commercialiser Himalaya ». Le reste du communiqué fait uniquement référence à AgraCity et la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve au sujet des efforts de commercialisation qu’aurait déployés NewAgco.

[244] Le second volet du critère relatif à l’incitation place la barre haut [voir Janssen Inc c Apotex Inc, 2022 CF 107 au para 127]. Je ne suis pas convaincue que : a) l’inclusion du nom de NewAgco dans l’étiquette du produit, à titre de titulaire de l’homologation accordée par l’ARLA (et non à titre de distributrice du produit) et selon les exigences de la loi; et b) le renvoi à NewAgco dans le seul communiqué de presse publié par AgraCity, sans rien de plus, constituent des actes démontrant que NewAgco aurait poussé les producteurs à commettre une contrefaçon. En fait, dans ce dernier cas, rien ne prouve que le communiqué de presse n’était rien d’autre qu’un acte posé par AgraCity ou que NewAgco ait participé d’une quelconque façon à la commercialisation d’HIMALAYA.

[245] En outre, si les défenderesses ont admis durant l’interrogatoire préalable que NewAgco était responsable de la fabrication d’HIMALAYA, aux yeux de Santé Canada et de l’ARLA, cela ne veut pas dire que NewAgco est le fabricant des produits HIMALAYA pour les besoins de l’analyse sur la contrefaçon ou l’incitation à la contrefaçon. Les demanderesses n’ont d’ailleurs cité aucune source qui appuierait une telle inférence. Au contraire, la preuve présentée à la Cour montre que c’est un tiers qui fabrique les produits HIMALAYA qui sont ensuite importés au Canada par AgraCity seule.

[246] Par conséquent, je conclus que les demanderesses n’ont pas établi que NewAgco était responsable d’avoir incité à la contrefaçon des revendications invoquées du brevet 021.

B. La responsabilité conjointe et solidaire

[247] Les demanderesses affirment que NewAgco devrait être tenue conjointement et solidairement responsable des gestes d’incitation à la contrefaçon posés par AgraCity, parce que les deux sociétés [traduction] « fonctionnaient comme un tout ». Les demanderesses s’appuient sur la décision Weatherford Canada Ltd c Corlac Inc, 2010 CF 602, conf par 2011 CAF 228, dans laquelle le juge Phelan a conclu que les deux sociétés (Corlac et Corlac Equipment) étaient conjointement et solidairement responsables de la contrefaçon en cause étant donné que l’une de ces sociétés était contrôlée par la seconde au point où les deux fonctionnaient comme un tout. En tirant cette conclusion, le juge a fait observer ce qui suit :

[207] À propos de la question de la responsabilité conjointe et solidaire relativement à Corlac Equipment et Corlac, selon les communications préalables qui ont été lues en preuve à l’audience, Corlac était la société mère de Corlac Equipment, détenait toutes les actions et contrôlait l’exploitation de Corlac Equipment et de Corlac Equipment (1998) Ltd. L’actionnaire majoritaire du groupe des sociétés Corlac, Dan Echino, était également président directeur de Corlac et de Corlac Equipment.

[208] Corlac Equipment a fabriqué et vendu les têtes d’entraînement et les boîtes à garniture en cause dans le présent litige.

[209] L’intégration de l’exploitation et des activités du groupe des sociétés Corlac est évidente non seulement d’après le contrôle commun, mais par le fait que des articles tels que les étiquettes du fabricant ont d’abord été au nom de Corlac, puis à celui de Corlac Equipment et que des dessins des boîtes à garniture contrefaites et des listes des pièces connexes étaient au nom de Corlac.

[210] De plus, de 1999 à 2001, les factures et les bons de fabrication pour les boîtes à garniture ont été faits sur le papier à en-tête de Corlac Equipment, et les bons de commande de celles‑ci étaient au nom de Corlac. Enfin, les gains et les dépenses pour les ventes des boîtes à garniture rotatives figurent sur les états financiers consolidés et vérifiés de Corlac.

[211] Les demandeurs ont établi un fondement raisonnable à la conclusion que le groupe des sociétés Corlac est conjointement et solidairement responsable, compte tenu du caractère commun de la direction et du contrôle et des profits tirés de la contrefaçon du brevet 937.

[212] Ainsi que l’affirme le paragraphe 19 de l’arrêt Nedco Ltd. c Clark et al (1973), 1973 CanLII 892 (SK CA), 43 D.L.R. (3d) 714, qu’a cité avec approbation Northeast Marine Services Ltd. c. Administration de pilotage de l’Atlantique (1995), 179 N.R. 17 (C.A.F.), la Cour « fera abstraction de la personnalité morale » pour conclure à la responsabilité conjointe et solidaire, si dans la mesure où deux sociétés fonctionnent comme un tout, l’une est contrôlée par l’autre.

[213] Toujours à propos de la contrefaçon, les défenderesses n’ont cité aucun témoin pour démontrer l’absence de contrôle et de domination du groupe Corlac. Elles étaient très bien placées pour le faire et dans le contexte de l’affaire, la Cour est disposée à conclure défavorablement que ces témoignages auraient été préjudiciables aux défenderesses.

[248] Les demanderesses plaident que NewAgco devrait être tenue conjointement et solidairement responsable avec AgraCity en raison de ce qui suit :

  1. NewAgco est la titulaire de l’homologation d’HIMALAYA accordée par l’ARLA et est responsable de la fabrication du produit aux yeux de Santé Canada;

  2. Le nom de NewAgco figure sur l’étiquette des produits HIMALAYA;

  3. NewAgco et AgraCity fonctionnent effectivement comme un tout étant donné que : i) M. Mann est le président et le PDG des deux sociétés; ii) il est le directeur des deux sociétés; iii) il a décidé d’homologuer les produits HIMALAYA; iv) il a décidé que NewAgco permettrait à AgraCity de distribuer les produits HIMALAYA, a conclu un accord au nom des deux sociétés à cette fin et a fixé le taux de redevance à verser par AgraCity à NewAgco; v) il a décidé des produits que NewAgco ferait homologuer et que AgraCity vendrait; vi) AgraCity a fourni des services de comptabilité à NewAgco; vii) M. Mann a décidé de la répartition des bénéfices ou des recettes entre AgraCity et NewAgco; viii) AgraCity était la distributrice exclusive des produits pour lesquels NewAgco était titulaire de l’homologation en 2019.

[249] Quoique l’ensemble des faits susmentionnés, sur lesquels les demanderesses s’appuient, aient été établis par la preuve, je conclus qu’ils ne sauraient constituer un fondement suffisant pour que la Cour puisse « lever le voile corporatif » et tirer une conclusion de responsabilité conjointe et solidaire.

[250] Contrairement à l’affaire Corlac, la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve tendant à établir que NewAgco est la société mère d’AgraCity, qu’elle possède l’ensemble des actions d’AgraCity et qu’elle contrôle ses activités. Les rapports sur les profils des deux sociétés révèlent que M. Mann possède la totalité des actions de NewAgco et 50 % des actions d’AgraCity, tandis que l’autre moitié appartient à son frère, et non à NewAgco. La preuve ne démontre pas que NewAgco contrôle AgraCity. Bien qu’elles soutiennent qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait une relation de société mère‑filiale lorsque la même personne contrôle les deux sociétés, les demanderesses n’ont soumis à l’attention de la Cour aucune décision dans laquelle le voile corporatif a été levé dans de telles circonstances.

[251] En outre, la preuve ne démontre pas que les sociétés sont fonctionnellement intégrées et les demanderesses ne renvoient à aucun élément de preuve précis qui permettrait de tirer une telle conclusion (comme des commandes ou des factures faites au nom de NewAgco ou des états financiers consolidés), hormis les services de comptabilité que NewAgco a fournis à AgraCity. Je conclus qu’à lui seul, cet élément ne permet pas de conclure qu’elles sont fonctionnellement intégrées. Par ailleurs, contrairement à l’affaire Corlac, la preuve ne démontre pas que NewAgco a tiré profit de la contrefaçon étant donné qu’aucune redevance n’a été versée ou inscrite aux livres.

[252] Les demanderesses ont demandé à la Cour de tirer une inférence défavorable du fait que les défenderesses n’avaient pas cité M. Mann à comparaître de sorte à pouvoir démontrer que NewAgco ne contrôle pas AgraCity. Je refuse de le faire. Les défenderesses étaient libres de ne pas citer M. Mann à comparaître, et il ne leur appartenait pas de démontrer qu’elles formaient deux sociétés distinctes exerçant des activités distinctes.

[253] Par conséquent, je conclus que les demanderesses n’ont pas établi la responsabilité de NewAgco. L’action sera donc rejetée en ce qui concerne NewAgco.

XIV. Les réparations

[254] Les demanderesses sollicitent des dommages-intérêts sous la forme d’une indemnité pour les profits perdus en raison des ventes d’HIMALAYA par les défenderesses. Elles plaident que les ventes d’HIMALAYA ont accaparé 90 % des ventes d’EVEREST 3.0 AG ou de SIERRA 3.0 AG. Subsidiairement, si la Cour conclut que la preuve n’étaye pas un taux de détournement de 90 %, les demanderesses optent pour la restitution des profits réalisés par les défenderesses sur 100 % des ventes d’HIMALAYA.

[255] Peu de points de désaccord subsistent entre les parties en ce qui concerne les réparations. Elles s’entendent sur la quantité d’HIMALAYA vendu durant la période pertinente, sur le montant des profits perdus par les demanderesses, calculé selon un taux de détournement de 100 %, et sur la manière de calculer ce montant en fonction d’un taux de détournement moindre, ainsi que sur le montant des profits réalisés par les défenderesses sur les ventes d’HIMALAYA durant la période pertinente, calculé selon la méthode du coût complet, avec comme seule exception le traitement des versements de redevance, s’il en est, faits par NewAgco à AgraCity.

[256] En ce qui concerne les dommages‑intérêts fondés sur la perte de profits que sollicitent les demanderesses, la principale question qui demeure en litige est de savoir si les demanderesses ont établi qu’il y avait eu détournement à hauteur de 90 % – autrement dit que 90 % des acheteurs d’HIMALAYA auraient acheté le produit EVEREST 3.0 AG ou SIERRA 3.0 AG si le produit HIMALAYA n’avait pas été disponible. Les défenderesses font valoir que les demanderesses n’ont pas prouvé ce taux de détournement de 90 %.

[257] On a demandé expressément à M. Dayan de donner son avis sur la question de savoir si, selon toute vraisemblance, les producteurs qui avait acheté HIMALAYA en 2019 avaient inclus le flucarbazone‑sodium dans leur programme de lutte contre les mauvaises herbes pour cette année‑là et si, par conséquent, il était probable qu’ils auraient acheté EVEREST 3.0 AG ou SIERRA 3.0 AG s’ils n’avaient pas acheté HIMALAYA. M. Dayan a émis l’avis suivant :

[traduction]

171. D’après ce que je comprends, les producteurs achètent des herbicides sélectifs en fonction des mauvaises herbes qu’ils doivent supprimer cette année‑là et de leurs programmes de lutte contre les mauvaises herbes en place ponctuellement. Les producteurs comptent souvent sur leur propre expérience et les recommandations de conseillers en cultures ou de conseillers agricoles nationaux ou régionaux, de revendeurs de produits chimiques, ainsi que de représentants commerciaux.

172. Un programme de lutte contre les mauvaises herbes peut comprendre la rotation des cultures afin que les mêmes mauvaises herbes n’aient pas à être supprimées au moyen du même herbicide année après année. Il peut aussi y avoir une rotation de différents herbicides ayant différents modes d’action pour éviter le problème de résistance aux herbicides qui peut survenir si les mêmes mauvaises herbes doivent être supprimées trop souvent au moyen des mêmes types d’herbicides ayant le même mode d’action. Par conséquent, les producteurs incluent des herbicides sélectifs dans leur programme de gestion des mauvaises herbes pour une année donnée, notamment en fonction du type de culture qu’ils cultivent cette année‑là et de leur choix de principe actif dans l’herbicide et de son « mode d’action » ou « groupe ».

173. Les producteurs comprennent également qu’avec un groupe, chaque principe actif peut avoir ses propres caractéristiques. Cela se reflète dans la grande variété d’utilisations figurant sur l’étiquette des herbicides, même au sein du même groupe. Par conséquent, les producteurs ont tendance à rechercher un principe actif précis qui les intéresse, puis à acheter un produit contenant le principe actif désiré.

174. Comme je l’ai expliqué, pour les producteurs de blé de printemps du Canada, la mauvaise herbe causant les plus grands problèmes est l’avoine sauvage. En 2019, les groupes disponibles pour la suppression sélective de l’avoine sauvage dans le blé étaient les groupes 1, 2 et 15 (anciennement le groupe 8).

175. Par conséquent, si un producteur a acheté HIMALAYA en mars ou en avril 2019, je crois qu’il était plus probable qu’il était intéressé à appliquer du flucarbazone‑sodium, un herbicide du groupe 2, connu pour traiter l’avoine sauvage dans le blé au printemps 2019, que le contraire.

176. Si un producteur qui a acheté HIMALAYA en 2019 n’avait pas pu acheter HIMALAYA, je crois que, selon toute vraisemblance, il aurait acheté un autre herbicide de flucarbazone‑sodium pour la suppression sélective de l’avoine sauvage dans le blé.

177. Je comprends que les demanderesses étaient la seule entreprise offrant un produit à base de flucarbazone‑sodium pour la suppression sélective de l’avoine sauvage dans le blé en 2019, soit EVEREST 3.0 (également vendu par Syngenta sous la dénomination SIERRA 3.0).

178. Par conséquent, si les producteurs n’avaient pas acheté HIMALAYA en 2019, ils auraient probablement acheté EVEREST 3.0 (ou SIERRA 3.0).

[258] M. Blackshaw n’a pas été invité à se prononcer sur cette question dans son premier rapport, et il ne l’a pas fait non plus. Dans son deuxième rapport, il commente le premier rapport de M. Dayan en ces termes :

[traduction]

25. Il convient de noter qu’il existe plusieurs herbicides autres que le flucarbazone pour la suppression de l’avoine sauvage dans le blé au Canada. Le triallate est un herbicide du groupe 15 et le clodinafop‑propargyle, le fénoxaprop-p-éthyle et le pinoxadène sont des herbicides du groupe 1 qui sont utilisés depuis de nombreuses années. Si les agriculteurs veulent utiliser un herbicide du groupe 2 pour supprimer les populations d’avoine sauvage qui résistent aux herbicides du groupe 1 ou du groupe 8, ils disposent de plusieurs choix. Le flucarbazone, l’imazamethabenz-méthyle, le pyrozsulame et le thiencarbazone-méthyle sont tous des herbicides du groupe 2, homologués pour la suppression de l’avoine sauvage dans le blé au Canada. Ainsi, le flucarbazone n’est pas le choix automatique à cette fin.

26. Les agriculteurs tiennent compte de nombreux facteurs lorsqu’ils achètent un herbicide, par exemple les herbicides homologués pour être utilisés dans une culture donnée, les herbicides qui suppriment les mauvaises herbes préoccupantes sur le plan économique dans leurs champs de culture et les herbicides utiles dans leur programme pluriannuel de gestion de la résistance aux mauvaises herbes. Comme tous les consommateurs, les agriculteurs sont très conscients des coûts lorsqu’ils achètent des herbicides. On m’a dit que le produit Himalaya est un produit générique qui coûte moins cher à l’acre. Par conséquent, il est probable qu’au moins certains achats d’Himalaya se sont faits au détriment d’un produit non à base de flucarbazone.

[259] Durant son contre‑interrogatoire, M. Blackshaw a admis qu’il n’avait pas examiné les documents de mise en marché des produits respectifs des parties.

[260] Avant de passer aux documents de mise en marché, je souligne qu’HIMALAYA a été approuvé pour les applications de pré‑plantation, de prélevée et de postlevée sur le blé de printemps (à l’exception du blé dur) et pour les applications de postlevée du blé de printemps (dont le blé dur) pour la suppression de l’avoine sauvage, la sétaire verte, la folle avoine et certaines mauvaises herbes à feuilles larges (amarante à racines rouges, moutarde des champs, tabouret des champs, canola spontané, renouée scabre et bourse à pasteur). EVEREST 3.0 AG et SIERRA 3.0 AG ont été approuvés pour une application postlevée sur le blé de printemps (dont le blé dur) et le blé d’hiver pour la lutte contre les mêmes graminées adventices qu’HIMALAYA (en plus d’autres graminées adventices) et les mêmes mauvaises herbes à feuilles larges qu’HIMALAYA (et une autre graminée à feuilles larges).

[261] La fiche de produit d’HIMALAYA, sous la rubrique « Pourquoi utiliser Himalaya », fait état des caractéristiques suivantes : « contient le même principe actif qu’Everest », « suppression éprouvée de l’avoine sauvage et des mauvaises herbes », « suppression de l’avoine sauvage résistante aux herbicides du groupe 1 » et « suppression prolongée de l’avoine sauvage et de la sétaire verte ». La fiche de produit indique également que le produit peut être utilisé sur n’importe quelle mauvaise herbe susmentionnée pour laquelle il a été approuvé.

[262] Le communiqué de presse d’AgraCity annonçant le lancement du produit HIMALAYA, intitulé [TRADUCTION] « EXCELLENTE NOUVELLE - HIMALAYAMC, le même principe actif qu’Everest, est maintenant offert par AgraCity», indiquait qu’HIMALAYA était la première version générique de l’herbicide flucarbazone, qu’il s’agit « d’un produit abordable pour supprimer les graminées adventices et les mauvaises herbes à feuilles larges dans les cultures de blé, qu’il aura la même qualité et le même rendement élevé que les produits de marque à base de flucarbazone déjà sur le marché aujourd’hui », et qu’il « offre la même qualité et un rendement aussi élevé pour supprimer l’avoine sauvage, les graminées adventices et les mauvaises herbes à feuilles larges que le flucarbazone de marque. Il permet aussi de supprimer l’avoine sauvage et la sétaire verte résistantes aux herbicides du groupe 1, d’éliminer les premières pousses d’avoine sauvage, et offre une large fenêtre d’application, une excellente protection des cultures et de nombreuses options de mélange en réservoir ».

[263] J’estime que les documents de mise en marché d’HIMALAYA publiés par AgraCity étaient conçus pour cibler expressément les producteurs qui auraient autrement acheté EVEREST 3.0 AG ou SIERRA 3.0 AG, AgraCity ayant même choisi un nom de produit qui faisait un « clin d’œil » aux noms de produits choisis par les demanderesses.

[264] Toutefois, ce qui limite le témoignage de M. Dayan, c’est qu’il repose sur le fait que les producteurs achètent HIMALAYA, car ils souhaitent disposer d’un herbicide du groupe 2 ayant l’activité du flucarbazone‑sodium pour éliminer l’avoine sauvage dans le blé. Étant donné qu’HIMALAYA a été approuvé pour plus d’une utilisation et qu’il existait d’autres herbicides que le flucarbazone sur le marché pour traiter l’avoine sauvage dans le blé, je constate qu’il est probable qu’au moins certains achats d’HIMALAYA aient remplacé un produit herbicide autre que le flucarbazone destiné à traiter l’avoine sauvage ou l’une des autres utilisations approuvées visant les mauvaises herbes. À cet égard, M. Dayan a reconnu en contre‑interrogatoire qu’il était possible qu’au moins certains achats d’HIMALAYA aient remplacé un herbicide autre que le flucarbazone.

[265] La question est alors de savoir quel pourcentage d’achats d’HIMALAYA a remplacé un achat d’un herbicide autre que le flucarbazone. Aucun élément de preuve n’a été présenté à la Cour quant au pourcentage d’achat d’EVEREST 3.0 AG/SIERRA 3.0 AG ou d’HIMALAYA par des producteurs cherchant spécifiquement un herbicide à base de flucarbazone‑sodium, non plus qu’aucun élément de preuve n’a été présenté quant au pourcentage de producteurs qui ont acheté les produits pour l’une des utilisations approuvées autres que la suppression de l’avoine sauvage dans les cultures de blé. Aucun producteur n’a témoigné, et aucune preuve d’expert n’a été présentée au sujet des acheteurs et des parts de marché.

[266] M. McCrea a témoigné au sujet de la mise en marché d’EVEREST par les demanderesses et à propos de ses concurrents, quoique son témoignage ait été très succinct et laconique. Il a déclaré que UPL Canada avait commercialisé EVEREST de manière à le distinguer de ses deux principaux concurrents du groupe 2, Simplicity et Velocity. En ce qui concerne un autre concurrent – Assert – M. McCrea a déclaré que ce produit n’avait jamais obtenu une part de marché importante et qu’il n’était pas un herbicide puissant contre l’avoine sauvage. Il a affirmé qu’aucun de leurs concurrents n’offrait le produit Flush after flush, ni ne commercialisait EVEREST pour une élimination des mauvaises herbes résiduelles. Bien que M. McCrea ait fourni certains renseignements concernant les concurrents des demanderesses, il n’a rien dit au sujet de la véritable part de marché détenue par les demanderesses à l’égard des producteurs cherchant un herbicide du groupe 2 pour supprimer l’avoine sauvage, ou concernant la part de marché détenue par les demanderesses à l’égard des producteurs qui cherchent à supprimer les mauvaises herbes à feuilles larges et les graminées adventices dans les cultures de blé.

[267] M. Dayan a reconnu en contre‑interrogatoire qu’il ne savait pas combien de producteurs utilisaient HIMALAYA pour la suppression de l’avoine sauvage dans le blé comparativement à ceux qui l’utilisaient pour la suppression des mauvaises herbes à feuilles larges.

[268] En outre, je ne suis pas convaincue que le fait qu’HIMALAYA n’ait pas fait concurrence à des herbicides autres que le flucarbazone‑sodium mène à la conclusion qu’HIMALAYA aurait détourné une partie importante des ventes de ces herbicides, compte tenu surtout de l’absence de données sur la part de marché des produits EVEREST 3.0 AG et SIERRA 3.0 AG.

[269] Bien que je reconnaisse que le calcul des dommages‑intérêts [traduction] « ne peut être confirm[é] mathématiquement par un montant précis » [voir AlliedSignal Inc c DuPont Canada Inc, [1998] ACF no 190 au para 20], je ne suis pas persuadée que les demanderesses ont produit une preuve suffisante pour démontrer un taux de détournement aussi élevé que 90 %. Je conclus que le taux de détournement réel est moins élevé que 90 %.

[270] Étant donné ma conclusion selon laquelle la preuve ne permet pas d’étayer un taux de détournement de 90 %, les demanderesses demandent à la Cour de faire droit à leur demande de restitution des profits réalisés par les défenderesses et comptabilisés selon la méthode du coût complet. Les défenderesses ne contestent plus le droit des demanderesses d’opter pour la restitution des profits et j’estime que je dois exercer mon pouvoir discrétionnaire et permettre aux demanderesses de faire un tel choix. Toutefois, comme j’ai conclu que NewAgco n’avait aucune responsabilité envers les demanderesses, ce sont seulement les profits réalisés par AgraCity qui sont en litige.

[271] Dans leurs observations finales, les demanderesses ont informé la Cour qu’elles acceptaient maintenant tous les éléments du calcul des profits d’AgraCity que M. Ross a effectué en utilisant la méthode du coût complet, sauf un, à savoir s’il faut déduire des profits la redevance qui, selon les demanderesses, aurait dû être versée par AgraCity à NewAgco. Les demanderesses font valoir que si la redevance (établie à ||||| |||||) n’a pas été versée par AgraCity à NewAgco, c’est seulement pour éviter toute responsabilité en l’instance et que, bien qu’aucune redevance n’ait été versée ou inscrite aux livres, la Cour devrait néanmoins conclure qu’il s’agit là d’un coût qui doit être déduit des bénéfices d’AgraCity puisque cette dernière était tenue par contrat de verser une redevance à NewAgco. Ce qui est ironique dans cet argument, c’est que les demanderesses demandent à la Cour de réduire, et non de majorer, le montant des dommages‑intérêts accordés.

[272] Contrairement à l’examen du taux de détournement, qui s’inscrit dans un monde hypothétique, l’évaluation des profits réalisés par AgraCity s’inscrit dans le monde réel, et dans ce monde réel, Mme Hoshowsky a témoigné que la redevance n’avait pas été versée ni reportée. Dans ces circonstances, je ne vois aucune raison de la déduire des revenus d’AgraCity.

[273] Par conséquent, je retiens le témoignage de M. Ross, selon qui les profits réalisés par AgraCity, calculés selon la méthode du coût complet et sans tenir compte d’aucun versement de redevance, étaient de 227 409 $ sans les intérêts avant jugement. AgraCity versera cette somme aux demanderesses.

XV. Le taux des intérêts avant jugement

[274] Je conclus que les demanderesses ont droit à des intérêts avant jugement, et les défenderesses n’ont soulevé aucun motif qui justifierait de ne pas en accorder.

[275] Les parties s’entendent pour dire que les intérêts avant jugement doivent commencer à courir en avril 2019 et qu’ils ne devraient pas être composés, mais elles ne s’entendent pas sur le taux applicable.

[276] Le paragraphe 36(2) de la Loi sur les Cours fédérales prévoit ce qui suit :

Dans toute instance devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale et dont le fait générateur n’est pas survenu dans une province ou dont les faits générateurs sont survenus dans plusieurs provinces, les intérêts avant jugement sont calculés au taux que la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale, selon le cas, estime raisonnable dans les circonstances et :

a) s’il s’agit d’une créance d’une somme déterminée, depuis la ou les dates du ou des faits générateurs jusqu’à la date de l’ordonnance de paiement;

b) si la somme n’est pas déterminée, depuis la date à laquelle le créancier a avisé par écrit le débiteur de sa demande jusqu’à la date de l’ordonnance de paiement.

A person who is entitled to an order for the payment of money in respect of a cause of action arising outside a province or in respect of causes of action arising in more than one province is entitled to claim and have included in the order an award of interest on the payment at any rate that the Federal Court of Appeal or the Federal Court considers reasonable in the circumstances, calculated

(a) where the order is made on a liquidated claim, from the date or dates the cause of action or causes of action arose to the date of the order; or

(b) where the order is made on an unliquidated claim, from the date the person entitled gave notice in writing of the claim to the person liable therefor to the date of the order.

 

[277] Puisque le fait générateur en l’espèce n’est pas survenu dans une province en particulier, la Cour est, selon le paragraphe 36(2), investie du pouvoir discrétionnaire de fixer le taux des intérêts avant jugement qu’elle estime raisonnable dans les circonstances.

[278] Les demanderesses avancent que le taux des intérêts avant jugement devrait être de 2 %, ce qui concorde avec le taux des intérêts avant jugement prévu par la Loi sur les tribunaux judiciaires de l’Ontario, LRO 1990, c C‑43, art 127(2). Les défenderesses soutiennent qu’un taux d‘intérêt avant jugement raisonnable correspond au taux d’intérêt variable mensuel minimum auquel la Banque du Canada consent des avances à court terme aux banques (c.‑à‑d. le taux bancaire), lequel a fluctué de 0.5% à 2.0% au cours des mois applicables. Les parties n’ont formulé aucune observation supplémentaire quant au caractère raisonnable (ou non) des taux proposés.

[279] La Cour a accordé des intérêts avant jugement au taux bancaire dans un certain nombre de décisions, y compris récemment dans la décision Bombardier Produits Récréatifs Inc. c Arctic Cat, Inc, 2020 CF 691 [voir également Janssen-Ortho Inc c Novopharm Ltd, précitée, au para 135; Merck & Co, Inc c Apotex Inc, 2006 CF 524 au para 240, conf par 2006 CAF 323; Laboratoires Servier, Adir, Oril Industries, Servier Canada Inc c Apotex Inc, 2008 CF 825 au para 513]. Je conviens avec les défenderesses qu’il n’existe aucun lien avec l’Ontario et que la Cour ne devrait donc pas tenir compte de la Loi sur les tribunaux judiciaires pour trancher la question. Les demanderesses n’ont formulé aucune observation quant au caractère déraisonnable du taux bancaire (malgré le fait qu’elles connaissaient la position des défenderesses relativement à ce taux puisque c’est l’un des taux utilisés dans les calculs de M. Ross) et, dans les circonstances, j’estime que ce taux est raisonnable.

[280] M. Ross a calculé, en utilisant le taux bancaire, que les intérêts avant jugement sur les profits réalisés par AgraCity s’élèvent à 7 296 $, somme que je retiens. Cette somme sera donc versée par AgraCity aux demanderesses.

XVI. Les dépens

[281] Les parties ont demandé au procès que la question des dépens soit différée en attendant la conclusion d’un accord par les avocats ou, à défaut d’accord, des observations écrites. La requête a été accueillie. Si elles ne peuvent s’entendre sur la question des dépens, les parties devront déposer, dans les 30 jours suivant la date du présent jugement, un projet d’échéancier conjoint pour la signification et le dépôt d’observations écrites à ce sujet, y compris une proposition visant à limiter leur longueur.

 

JUGEMENT dans le dossier T‑604‑19

LA COUR STATUE :

  1. Les revendications 1, 3 et 6 à 10 des lettres patentes canadiennes no 2,346,021 [le brevet 021] ne sont pas invalides pour cause d’évidence, d’antériorité, d’insuffisance ou de portée excessive.

  2. Les revendications 1, 3 et 6 à 10 du brevet 021 sont valides et la défenderesse AgraCity Crop & Nutrition Ltd les a contrefaites.

  3. L’action intentée contre la défenderesse, NewAgco Inc., est entièrement rejetée.

  4. La défenderesse, AgraCity Crop & Nutrition Ltd., devra verser aux demanderesses la somme de 227 409 $ à titre de restitution des profits.

  5. La défenderesse, AgraCity Crop & Nutrition Ltd., devra verser aux demanderesses la somme de 7 296 $ à titre d’intérêts avant jugement.

  6. Le présent jugement portera intérêt après jugement au taux de 5 %.

 

 

 

 

  1. L’examen de la question des dépens est différé. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur cette question, elles devront déposer, dans les 30 jours suivant la date du présent jugement, un projet d’échéancier conjoint pour la signification et le dépôt d’observations écrites à ce sujet, y compris une proposition visant à limiter leur longueur.

« Mandy Aylen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑604‑19

INTITULÉ :

UPL NA INC. ET AL c AGRACITY CROP & NUTRITION LTD. ET AL.

LIEU DE L’AUDIENCE :

CALGARY ET TORONTO

DATE DE L’AUDIENCE :

Du 15 AU 18 JUIN 2022 ET LE 30 AOÛT 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AYLEN

DATE DES MOTIFS :

Le 10 novembre 2022

(Jugement et motifs confidentiels rendus le 19 octobre 2022)

COMPARUTIONS :

Adam Bobker

Andrew McIntosh

Martin Brandsma

 

POUR LES DEMANDERESSES

David Reive

Alissa Ricioppo

POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bereskin & Parr S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDERESSES

Miller Thomson S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

 

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