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Date : 20221102


Dossier : T-225-22

Référence : 2022 CF 1500

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2022

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

A.B.

demandeur

et

C.D, E.F., ET G.F.

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

(Version publique de la version préliminaire confidentielle publiée le 25 octobre 2022)

I. Aperçu

[1] Le demandeur A.B. sollicite le contrôle judiciaire des conditions auxquelles le Tribunal canadien des droits de la personne [le TCDP] lui a accordé la qualité limitée d’intervenant le 24 janvier 2022 [la décision sur la qualité pour agir], dans le contexte d’une plainte en instance en matière de droits de la personne déposée par le défendeur C.D. concernant des allégations contre la défenderesse G.F. [la plainte]. Bien que la plainte ne porte pas principalement sur A.B., il n’est pas contesté que ce dernier joue un grand rôle dans le processus de plainte et que l’issue de celle-ci pourrait avoir de grandes répercussions sur lui.

[2] Pour les motifs qui suivent, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire du demandeur.

II. L’historique des procédures pertinentes

[3] Le présent contrôle judiciaire est assujetti à l’ordonnance de confidentialité modifiée rendue par la juge adjointe Coughlan (tel est maintenant son titre) le 21 mars 2022 [l’ordonnance de confidentialité de la CF]. Conformément à cette ordonnance, l’intitulé a été anonymisé et les documents déposés à la Cour ainsi que les renseignements qu’ils contiennent, notamment le nom des parties, sont traités comme étant confidentiels et ne sont accessibles qu’aux parties et aux membres concernés du personnel de la Cour jusqu’à ordonnance contraire de celle-ci. De plus, les parties à l’instance pouvaient demander à la Cour d’annuler ou de modifier l’ordonnance de confidentialité de la CF dans les 30 jours suivant la décision rendue par le membre du TCDP saisi de la requête en confidentialité déposée par A.B. au titre de l’article 52 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6 [la LCDP].

[4] En outre, l’ordonnance de confidentialité de la CF prévoit que les conditions d’utilisation des renseignements confidentiels, le maintien de la confidentialité durant l’instance et les motifs de jugement subséquents relèvent de la discrétion du juge de la Cour saisi de l’affaire.

[5] Juste avant d’instruire la présente demande de contrôle judiciaire, la Cour a entendu une requête d’A.B. visant à obtenir une ordonnance provisoire de non‑publication de son identité et de tout renseignement qui pourrait permettre de l’identifier et de l’associer, lui ou les membres de sa famille, à la présente instance, y compris à la requête en confidentialité [l’ordonnance sur requête] jusqu’à ordonnance contraire de la Cour. La Cour a accueilli la requête d’A.B. pour les motifs et selon les conditions énoncés dans l’ordonnance sur requête.

[6] Je souligne qu’à la suite de l’instruction de la demande de contrôle judiciaire, le TCDP a rendu son jugement le 7 septembre 2022 et qu’il a accueilli la requête en confidentialité déposée au titre de l’article 52 de la LCDP [l’ordonnance de confidentialité du TCDP], avec les modifications que A.B. a fournies à la Cour. Les autres parties ne se sont pas opposées à ces modifications, car elles savaient à l’avance que A.B. les présenterait. L’ordonnance de confidentialité du TCDP inclut une interdiction de publication des renseignements qui pourraient permettre d’identifier ou d’associer A.B. ou les membres de sa famille à l’instance du TCDP.

III. Le contexte factuel pertinent

[7] Le défendeur C.D. est un groupe de plaignants autochtones qui allèguent avoir fait l’objet de discrimination fondée sur la race et l’origine ethnique de la part de la défenderesse G.F. La plainte découle du fait que G.F. aurait omis d’adapter ses méthodes d’enquête traditionnelles lors de son enquête sur des allégations de mauvais traitements infligés à des enfants par A.B., qui était enseignant en Colombie-Britannique dans les années 1960 et 1970. Les plaignants affirment que l’enquête était partiale et favorable à A.B. parce qu’il était une personne blanche influente. Ils sollicitent donc la prestation d’un service (une enquête impartiale et approfondie) de la part de G.F.

[8] En lien avec la plainte, A.B. a pris connaissance d’un manquement à un engagement implicite de confidentialité applicable à certains documents produits au cours d’une action en diffamation intentée contre lui devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique [la CSCB] par Laura Robinson, journaliste et représentante non juridique de C.D. La CSCB a rejeté l’action de Mme Robinson et cette dernière n’a pas interjeté appel de la décision.

[9] La défenderesse E.F. a reçu des documents sur lesquels il était indiqué qu’ils avaient été communiqués à Mme Robinson en vertu de l’engagement implicite lors de l’action qui a été rejetée par la CSCB. Mme Robinson, qui aurait manqué à son engagement implicite et aurait fourni les documents à E.F., participe toujours au processus de plainte en tant que représentante non juridique de C.D. et témoin dans l’instance du TCDP, à qui E.F. a renvoyé l’affaire.

[10] Comme il n’était pas partie à l’instance, A.B. n’a eu connaissance de la procédure du TCDP qu’une fois qu’elle était bien entamée. Il a demandé à obtenir la qualité d’intervenant conformément à l’article 27 des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137 [les Règles du TCDP], afin de faire suspendre ou annuler l’instance du TCDP. La décision sur la qualité pour agir mentionnée précédemment accorde à A.B. la qualité limitée d’intervenant, sous réserve des conditions ou restrictions résumées ci‑dessous [les restrictions], lesquelles A.B. conteste maintenant au moyen du présent contrôle judiciaire :

  • (a)A.B. ne pourra participer qu’à l’égard de deux questions distinctes : (i) la violation présumée de l’engagement implicite pris envers la CSCB, et (ii) la demande de confidentialité présentée dans le cadre de l’instance du TCDP;

  • (b)en ce qui a trait à la question de la violation de l’engagement de confidentialité, A.B. se limitera à présenter des éléments de preuve sur le contexte dans lequel les documents auraient été communiqués à E.F. en violation de l’engagement implicite, et il pourra présenter des observations à l’égard de la violation si le TCDP lui en fait la demande, mais ne sera pas autorisé à présenter de requête sur cette question;

  • (c)en ce qui a trait à la question de la confidentialité, A.B. sera autorisé à présenter une requête et à produire des éléments de preuve uniquement aux fins d’une ordonnance de confidentialité et d’une ordonnance de mise sous scellés au titre de l’article 52 de la LCDP, et à aucune autre fin.

[11] Par souci de clarté, je souligne que A.B. sollicite le contrôle judiciaire des restrictions uniquement et qu’il demande à la Cour de les annuler et de renvoyer la décision sur la qualité pour agir à un autre décideur pour réexamen, avec ou sans directives.

IV. Les questions en litige, la norme de contrôle et les dispositions applicables

[12] Bien que A.B. ait soulevé des questions d’équité procédurale, il a informé la Cour à l’audience qu’il ne souhaitait plus aller dans ce sens puisqu’il avait été invité à présenter des observations sur le manquement à l’engagement implicite (c.-à-d. la restriction b) énoncée plus haut), ce qu’il a fait, et que par conséquent, le présent contrôle judiciaire porte plutôt sur le caractère raisonnable des restrictions.

[13] Nul ne conteste que la norme de contrôle de la décision raisonnable est présumée s’appliquer dans les circonstances : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 25. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée, transparente et intelligible au regard des contraintes juridiques et factuelles applicables; il incombe à la partie qui conteste la décision de convaincre la Cour qu’elle est déraisonnable : Vavilov, précité, aux para 85, 99‑100.

[14] Deux questions préliminaires sont également examinées au début de la section « Analyse » ci-après. La première est de savoir si C.D. est autorisé à déposer un affidavit complémentaire. La seconde est de savoir si la demande de contrôle judiciaire est prématurée et par conséquent, si la Cour devrait la rejeter.

[15] Voir les dispositions législatives applicables à l’annexe « A » du présent jugement et des présents motifs.

V. Analyse

A. C.D. devrait-il être autorisé à déposer un affidavit complémentaire?

[16] J’estime que l’affidavit complémentaire de C.D. devrait être accepté pour dépôt. Les autres parties au présent contrôle judiciaire ne se sont pas opposées.

[17] C.D. demande l’autorisation de déposer un affidavit complémentaire souscrit par Tayler Mizzi, qui a été présenté à la Cour le 14 juin 2022. Cet affidavit inclut en pièces jointes un courriel, une lettre et neuf autres documents dont il est question dans cette lettre envoyée par le TCDP aux avocats des parties et à l’avocat de A.B. Les documents concernent la requête de E.F. visant à mettre sous scellés tous les documents potentiellement fournis en violation de l’engagement implicite de confidentialité ou toute mention de tels documents, et ils sont mentionnés dans le mémoire des faits et du droit déposé par C.D. dans le présent contrôle judiciaire. Certains des documents joints à l’affidavit – les pièces E, F et G – ont déjà été déposés à la Cour fédérale.

[18] L’article 312 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les RCF] prévoit qu’une partie peut déposer des affidavits complémentaires avec l’autorisation de la Cour. Pour obtenir cette autorisation, la partie doit convaincre la Cour que le fait de déposer les éléments de preuve supplémentaires proposés est dans l’intérêt de la justice, aidera la Cour et ne causera pas de préjudice grave aux autres parties. De plus, elle doit démontrer que les éléments de preuve n’étaient pas disponibles au moment où elle a déposé ses affidavits ou qu’ils n’auraient pas pu être découverts si elle avait fait preuve d’une diligence raisonnable : Rosenstein c Atlantic Engraving Ltd, 2002 CAF 503 aux para 8-9; Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 au para 11.

[19] À mon avis, C.D. a démontré qu’il avait reçu les documents joints à l’affidavit seulement le 9 juin 2022 et que par conséquent, ces documents n’étaient pas disponibles lorsqu’il a déposé ses premiers affidavits. Je juge également que l’affidavit complémentaire fournit des renseignements contextuels qui aident la Cour et que ces éléments de preuve ne causent aucun préjudice grave aux autres parties.

[20] Je souligne que lors de l’audition du présent contrôle judiciaire, la défenderesse G.F. a proposé de fournir un nouveau document à la Cour, soit une lettre datée du 9 mars 2022 qu’elle a rédigée à l’intention du TCDP et dans laquelle elle donne son opinion sur les questions en suspens. C.D. et E.F. se sont opposés à l’admission de ce document, mais pas A.B. J’estime que ce document n’est pas pertinent pour les besoins du présent contrôle judiciaire, et il n’a jamais été déposé à la Cour. Je n’en tiens donc pas compte dans les présents motifs.

B. La demande de contrôle judiciaire devrait-elle être rejetée parce qu’elle est prématurée?

[21] J’estime que la demande de contrôle judiciaire de A.B. n’est pas prématurée, contrairement à ce que les défendeurs affirment dans leurs observations.

[22] En principe, un contrôle judiciaire ne peut être effectué que lorsque toutes les voies de recours utiles prévues dans le processus administratif sont épuisées. À moins de circonstances exceptionnelles, les tribunaux ne peuvent intervenir dans un processus administratif tant que celui‑ci n’a pas été mené à terme ou tant que les recours efficaces qui sont ouverts ne sont pas épuisés : Canada (Agence des services frontaliers) c C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61 aux para 30 et 31 [C.B. Powell Limited]; Constantinescu c Canada (Procureur général), 2021 CF 213 au para 16 [Constantinescu]; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Shen, 2018 CF 636 aux para 50-53 [Shen]). Ce principe a pour but d’éviter, entre autres, le fractionnement du processus administratif, des coûts et des délais et le gaspillage que cause un contrôle judiciaire interlocutoire alors que l’auteur de la demande de contrôle judiciaire est de toute façon susceptible d’obtenir gain de cause au terme du processus administratif : C.B. Powell Limited, précité, au para 32; Air Canada c Lorenz, 1999 CanLII 9373 (CF) aux para 18-35 [Lorenz].

[23] La Cour d’appel fédérale a par ailleurs déclaré que « le critère minimal permettant de qualifier des circonstances d’exceptionnelles est élevé » : C.B. Powell Limited, précité, au para 33. La Cour a quant à elle conclu que l’existence de circonstances exceptionnelles doit être « manifeste » : Shen, précité, au para 53.

[24] Les défendeurs C.D. et E.F. soutiennent que la décision sur la qualité pour agir est une décision interlocutoire rendue dans le contexte de l’instance du TCDP et que la procédure appropriée serait de déposer une demande de contrôle judiciaire de la décision définitive du TCDP afin que la Cour puisse s’appuyer sur l’ensemble du dossier. De plus, C.D. soutient avoir subi un préjudice en raison du retard et des coûts occasionnés par le contrôle judiciaire, un troisième demandeur étant décédé plus tôt cette année, tandis que E.F. fait valoir que le contrôle judiciaire constitue une attaque indirecte contre sa décision de renvoyer la plainte au TCDP.

[25] Contrairement aux demandeurs dans les affaires C.B. Powell Limited, Constantinescu, Lorenz et Shen, A.B. n’est pas partie à l’instance administrative sous-jacente. A.B. s’est vu accorder la qualité d’intervenant par voie d’ordonnance et conteste maintenant les restrictions imposées par le TCDP relativement à ce statut. Je suis d’avis que la décision sur la qualité pour agir n’est pas une décision interlocutoire dans la mesure où elle concerne A.B. Même si A.B. déposait une demande de contrôle judiciaire au terme de l’instance du TCDP, la question des restrictions imposées serait théorique, car la procédure serait terminée. À mon avis, le recours intenté par A.B. devant le TCDP concernant la qualité d’« intervenant » est épuisé.

[26] En ce qui concerne l’argument relatif à « l’attaque indirecte », tout en gardant en tête que la Cour suprême du Canada définit une attaque indirecte comme « une attaque dans le cadre de procédures autres que celles visant précisément à obtenir l’infirmation, la modification ou l’annulation de l’ordonnance ou du jugement », je conclus qu’il n’y a pas de jugement ou d’ordonnance à attaquer : Wilson c La Reine, 1983 CanLII 35 (CSC), [1983] 2 RCS 594, à la p 599. La décision de E.F. de renvoyer la plainte au TCDP fait partie d’une instance en cours.

C. Les restrictions sont-elles déraisonnables?

[27] Comme je l’expliquerai ci-après, je réponds à cette question par la négative.

[28] Selon A.B., le premier pilier sur lequel repose la demande de contrôle judiciaire est le fait que le TCDP a commis une erreur dans son interprétation de l’article 10 des Règles du TCDP lorsqu’il a conclu que seule une partie peut déposer une requête en rejet d’une plainte en vertu de cette disposition. De ce que je comprends, A.B. fait valoir que l’article 10 permet également au TCDP de rendre une ordonnance de sa propre initiative et donc, que l’interprétation du TCDP est erronée. Je ne suis pas d’accord.

[29] À mon avis, l’argument de A.B. ne tient pas. Premièrement, le TCDP a tiré cette conclusion après que A.B. eut fait valoir (dans le contexte de la demande écrite qu’il a présentée en vue d’obtenir la qualité d’ « intervenant ») qu’il désirait obtenir [traduction] « la qualité limitée d’intervenant afin de pouvoir déposer une demande de rejet de la plainte au titre de l’article 10 des Règles, en guise de réparation pour le manquement à l’engagement et pour abus du processus du Tribunal ». À mon avis, le TCDP a raisonnablement jugé qu’entre une partie et une non-partie, seule une partie pouvait présenter une telle requête. Dans cette observation, A.B. n’a simplement pas mentionné la possibilité pour le TCDP de rendre une ordonnance de sa propre initiative et il n’a pas encouragé le TCDP non plus à invoquer cette possibilité afin de rejeter la plainte pour manquement à l’engagement implicite et abus de procédure.

[30] Deuxièmement, le TCDP a conclu que la procédure pouvait avoir des répercussions sur les intérêts de A.B. Étant parvenu à cette conclusion, il a ensuite indiqué qu’il était en accord avec l’observation de E.F. selon laquelle la participation de A.B. à l’instance devrait être limitée. Dans sa décision sur la qualité pour agir, le TCDP a énoncé les observations que E.F. avait présentées à cet égard, notamment que A.B. n’aurait pas qualité, en tant qu’intervenant, « pour demander le rejet de la plainte pour abus de procédure, car selon l’article 10 des Règles, les ordonnances pour abus de procédure doivent être rendues par le Tribunal soit de sa propre initiative, soit à la demande d’une “partie” ». [Non en gras dans l’original.] Je suis d’avis que l’argument selon lequel le TCDP aurait mal interprété l’article 10 ne tient pas.

[31] Troisièmement, je ne suis pas disposée à conclure, comme A.B. le fait maintenant valoir devant la Cour, qu’il a demandé à obtenir la qualité pour agir afin de déposer une requête et demander au TCDP d’exercer son pouvoir discrétionnaire de contrôler sa propre procédure alors qu’il ressort de la simple lecture du dossier que cette demande de statut de partie intéressée ne reposait pas sur ce fondement. Même si l’on pouvait affirmer que la demande de A.B. visant à obtenir la qualité d’intervenant n’était pas claire et donc, qu’on devrait lui accorder le bénéfice du doute, je ne suis pas convaincue que le paragraphe 9 de l’arrêt Coote c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 2021 FCA 150 [Coote], de la Cour d’appel fédérale soit utile à A.B. en l’espèce.

[32] Dans l’arrêt Coote, le procureur général du Canada [le PGC] a présenté une demande au titre de l’article 74 des RCF, en tant que mis en cause potentiel, en vue de faire retirer du dossier les avis d’appel déposés par un plaideur quérulent. Le paragraphe 74(2) prévoit précisément que la Cour ne peut rendre une ordonnance en vertu du paragraphe (1) de sa propre initiative que si elle a donné aux parties intéressées l’occasion de se faire entendre. La Cour d’appel fédérale a conclu qu’en raison des observations reçues des parties (c.-à-d. le PGC et l’appelant putatif) dans le cadre d’un échange de correspondance, elle était en position de trancher la demande présentée par le PGC au titre de l’article 74 : Coote, précité, au para 12. Je suis disposée à conclure que la Cour d’appel fédérale a considéré le PGC comme une partie intéressée aux fins de l’article 74, ce qui n’est pas surprenant vu que le processus à suivre pour déclarer un plaideur quérulent exige le consentement du PGC suivant l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7.

[33] En l’espèce, A.B. est un intervenant et non une partie. Il n’est pas contesté que A.B. n’a pas demandé la qualité de « partie » au titre de l’article 28 des Règles du TCDP, qui permet à la personne qui désire obtenir la qualité de partie de présenter une requête à cet égard. Autrement dit, je juge que l’arrêt Coote se distingue de l’espèce.

[34] En fin de compte, je ne suis pas convaincue que le fait que le TCDP n’ait pas fait référence à son pouvoir de rendre une ordonnance de sa propre initiative dans la décision sur la qualité pour agir était une erreur ou, pour être plus précise, que cela était déraisonnable dans les circonstances.

[35] Je ne suis pas convaincue non plus que le TCDP a interprété de manière déraisonnable le paragraphe 27(2) des Règles du TCDP, comme le soutient A.B. Ce dernier conteste non pas la façon dont le TCDP a formulé le critère applicable à l’octroi de la qualité d’intervenant, mais plutôt la façon dont il l’a appliqué. La décision sur la qualité pour agir indique que la personne qui présente une demande afin d’obtenir la qualité d’intervenant au titre de l’article 27 doit respecter au moins un des critères suivants : (i) elle doit posséder une expertise qui aiderait le TCDP; (ii) sa participation ajouterait aux thèses juridiques défendues par les parties; (iii) l’instance pourrait avoir des répercussions sur ses intérêts : Letnes c Gendarmerie royale du Canada, 2021 TCDP 30 (CanLII) [Letnes]. De plus, l’analyse du TCDP doit se faire au cas par cas ainsi que de façon souple et globale : Letnes, au para 13; Attaran c Citoyenneté et Immigration Canada, 2018 TCDP 6 (CanLII). Il incombe à la personne qui souhaite obtenir la qualité d’intervenant d’établir qu’elle satisfait au critère.

[36] Je suis d’accord avec A.B. pour dire que le TCDP contrôle sa procédure. Toutefois, à mon avis, cela ne veut pas nécessairement dire qu’il est tenu d’accepter les observations qu’il reçoit au titre du paragraphe 27(2) d’une personne qui cherche à obtenir la qualité d’intervenant concernant l’assistance que cette personne désire apporter à l’instruction et l’étendue de la participation à l’instruction qu’elle souhaite.

[37] En effet, le paragraphe 27(3) des Règles du TCDP prévoit que, s’il fait droit à la requête pour agir en qualité d’intervenant, le TCDP doit préciser l’étendue de la participation de l’intervenant à l’instruction. Je conclus que, dans une certaine mesure, A.B. confond le critère applicable à l’octroi de la qualité d’intervenant au titre du paragraphe 27(2) et les limitations ou restrictions que le TCDP choisit d’imposer en vertu du paragraphe 27(3).

[38] Comme le TCDP avait examiné la demande pour agir en qualité d’intervenant que A.B. avait présentée le 1er novembre 2021, y compris les observations écrites à l’appui, il lui était loisible, à mon avis, d’imposer des restrictions (c.-à-d. « l’étendue de la participation de l’intervenant à l’instruction » aux termes du paragraphe 27(3) des Règles du TCDP). Autrement dit, il appartenait au TCDP de formuler ces restrictions puisqu’il contrôle sa procédure et non à A.B. de les dicter. J’estime que la manière dont le TCDP les a formulées est raisonnable dans les circonstances.

[39] Je conclus que la décision sur la qualité pour agir permet à la Cour de comprendre les motifs pour lesquels le TCDP a accordé la qualité limitée d’intervenant à A.B. et que ces motifs sont justifiés au regard des faits, des principes et des arguments que le TCDP a examinés dans le cadre de la demande de A.B.

VI. Conclusion

[40] Pour les motifs qui précèdent, je rejetterai la présente demande de contrôle judiciaire.

VII. Les dépens

[41] J’exerce mon pouvoir discrétionnaire et j’adjugerai à C.D. les dépens de la présente requête selon le milieu de la fourchette de la colonne III du tarif B, payables par A.B. Si A.B. et C.D. n’arrivent pas à s’entendre sur le montant de dépens dans les deux semaines suivant la date du présent jugement et des présents motifs, ils pourront présenter de brèves observations d’au plus deux pages à la Cour afin qu’elle établisse le montant. Aucuns dépens ne seront accordés à E.F. et G.F., qui n’en ont pas demandé et n’ont pas pris position à cet égard.


JUGEMENT dans le dossier T-225-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur le 24 janvier 2022 à l’égard de la décision du Tribunal canadien des droits de la personne de lui accorder la qualité limitée d’intervenant, et particulièrement à l’égard des restrictions imposées concernant ce statut, est rejetée.

  2. A.B. doit payer les dépens de la présente requête à C.D. selon le milieu de la fourchette de la colonne III du tarif B. Si A.B. et C.D. n’arrivent pas à s’entendre sur le montant de dépens dans les deux semaines suivant la date du présent jugement et des présents motifs, ils pourront présenter de brèves observations d’au plus deux pages à la Cour afin qu’elle établisse le montant.

  3. Aucuns dépens ne sont accordés à E.F. et G.F., qui n’en ont pas demandé et n’ont pas pris position à cet égard.

« Janet M. Fuhrer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Vézina


Annexe « A »

: Dispositions pertinentes

Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021) (DORS/2021‑137)
Canadian Human Rights Tribunal Rules of Procedure, 2021 (SOR/2021-137)

Conséquence de la non-conformité

Consequences of Non-compliance

Comportements vexatoires et abus de procédure

Vexatious conduct or abuse of process

10 La formation peut, de sa propre initiative ou sur requête d’une partie, rendre l’ordonnance qu’elle estime nécessaire en cas de comportements vexatoires ou d’abus de procédure.

10 A panel may, on the motion of a party or its own initiative, make any order that it considers necessary against vexatious conduct or abuse of process.

Adjonction de parties et d’intervenants

Addition of Parties and Interested Persons

Requête pour agir en qualité d’intervenant

Motion for interested person status

27 (1) La personne désirant obtenir la qualité d’intervenant à l’égard de l’instruction signifie et dépose un avis de requête visant à obtenir une ordonnance à cet égard.

27 (1) A person that wishes to be recognized as an interested person in respect of an inquiry must serve and file a notice of motion for an order to that effect.

Contenu de l’avis

Content of motion

(2) L’avis de requête précise l’assistance que la personne désire apporter à l’instruction et l’étendue de la participation à l’instruction qu’elle souhaite.

(2) The notice of motion must specify the assistance the person wishes to provide to the inquiry and the extent to which the person wishes to participate in the inquiry.

Décision de la formation

Decision of panel

(3) Si la formation fait droit à la requête, elle précise l’étendue de la participation de l’intervenant à l’instruction.

(3) If the panel grants the motion, it must specify the extent to which the interested person is permitted to participate in the inquiry.

Requête pour obtenir la qualité de partie

Motion for party status

28 La personne désirant obtenir la qualité de partie à l’instruction signifie et dépose un avis de requête visant à obtenir une ordonnance à cet égard.

28 A person that wishes to be recognized by the panel as a party in respect of the inquiry must serve and file a notice of motion for an order to that effect.

Règles des Cours fédérales (DORS/98-106)
Federal Courts Rules (SOR/98-106)

Demandes

Applications

Dossier complémentaire

Additional steps

312 Une partie peut, avec l’autorisation de la Cour :

312 With leave of the Court, a party may

a) déposer des affidavits complémentaires en plus de ceux visés aux règles 306 et 307;

(a) file affidavits additional to those provided for in rules 306 and 307;

b) effectuer des contre-interrogatoires au sujet des affidavits en plus de ceux visés à la règle 308;

(b) conduct cross-examinations on affidavits additional to those provided for in rule 308; or

c) déposer un dossier complémentaire.

(c) file a supplementary record.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-225-22

 

INTITULÉ :

A.B. c C.D. E.F., et G.F.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 AOÛT 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FUHRER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 NOVEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

William B. Smart

Claire E. Hunter

Nathan Wells

 

Pour le demandeur

 

Karen Bellehumeur

Angeline Bellehumeur

 

Pour le défendeur

C.D.

 

Christine Singh

Jessica Walsh

 

Pour la défenderesse

E.F.

 

Whitney Dunn

Rupinder Gosal

Nima Omidi

 

Pour la défenderesse

G.F.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William B. Smart

Claire E. Hunter

Nathan Wells

Hunter Litigation Chambers

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le demandeur

 

Karen Bellehumeur

Bellehumeur Law

London (Ontario)

 

Pour le défendeur

C.D.

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour la défenderesse

E.F.

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

G.F.

 

 

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