Date : 20221102
Dossier : IMM-6462-20
Référence : 2022 CF 1495
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2022
En présence de monsieur le juge Henry S. Brown
ENTRE : |
TARA FATLUM |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Nature de l’affaire
[1] Le demandeur a présenté une demande de visa de résident permanent auprès de la Mission canadienne à Vienne en novembre 2017. Sa demande, qui était parrainée par son épouse, a été rejetée parce que le demandeur a été membre de l’Armée de libération du Kosovo [l’ALK] pendant la guerre du Kosovo et que l’agent de migration du ministre [l’agent] a jugé qu’il existait des motifs raisonnables de croire que cette organisation a été l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force et qu’elle s’est livrée au terrorisme, aux termes des alinéas 34(1)b), c) et f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. L’agent a par conséquent déclaré le demandeur interdit de territoire. La décision contestée est datée du 23 octobre 2020 [la décision].
[2] Le demandeur sollicite un contrôle judiciaire parce que, selon lui, les motifs donnés par l’agent étaient insuffisants et, donc, déraisonnables. Selon le demandeur, le caractère insuffisant des motifs découle du défaut de l’agent de tenir compte des éléments de preuve que le demandeur a présentés en réponse à deux lettres relatives à l’équité procédurale. Cette non-prise en compte aurait empêché l’agent, d’une part, de trouver réponse aux questions clés soulevées par demandeur et, d’autre part, d’exposer les motifs pour lesquels il n’a accordé que peu de poids à ces éléments de preuve.
[3] En tout respect, je conclus que les motifs de l’agent sont suffisants, transparents, intelligibles et justifiés et qu’ils sont, par conséquent, raisonnables. L’agent a examiné les éléments de preuve présentés par le demandeur et s’est bel et bien appuyé sur ces derniers. L’agent a dûment noté qu’un témoignage d’opinion non pertinent fondé sur une appréciation erronée de règles de droit contraignantes bien établies avait été présenté, mais il n’en a pas tenu compte.
II. Les faits
[4] Le demandeur est né et a grandi au Kosovo et est Albanais de souche. Pendant la guerre du Kosovo, il a fui sa ville natale en raison de la répression violente que les forces de sécurité serbes exerçaient à l’endroit des Albanais. Une fois arrivé à la frontière albanaise, il s’est trouvé en présence de membres de l’ALK. Ceux-ci lui ont demandé de joindre les rangs de l’ALK. Il a accepté de contribuer aux tâches non liées au combat, comme le creusement de [traduction] « couloirs »
, la cuisine et le transport de marchandises. Le 11 avril 1999, il a été blessé et est demeuré hospitalisé en Albanie jusqu’à ce que les forces de l’OTAN contraignent l’armée serbe à quitter le Kosovo, après quoi il est rentré chez lui.
[5] Le demandeur a rencontré sa future épouse au Kosovo en 2004. Celle-ci est déménagée au Canada avec sa famille en février 2014 et est maintenant citoyenne canadienne. Au fil des ans, elle est retournée au Kosovo un certain nombre de fois pour rendre visite au demandeur. Ils ont eu deux enfants ensemble, qui sont tous deux citoyens canadiens.
III. La décision faisant l’objet du présent contrôle
[6] Dans sa décision, l’agent a conclu que le demandeur était inadmissible à l’obtention d’un visa de résident permanent parce qu’il existait des motifs raisonnables de croire qu’il était une personne visée par l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Les notes que l’agent a consignées dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) étaient jointes à la lettre et font partie de la décision. L’essentiel des motifs de l’agent se trouve dans les notes, en particulier les notes concernant les deux lettres relatives à l’équité procédurale que l’agent a envoyées au demandeur et les deux réponses présentées par ce dernier.
[7] L’agent a envoyé la première lettre relative à l’équité procédurale le 26 juillet 2019 parce qu’il était convaincu qu’il existait des motifs raisonnables et probables de croire que l’ALK avait a été l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force et qu’elle s’était livrée au terrorisme aux termes des alinéas 34(1)b), c) et f) de la LIPR.
[8] Le demandeur l’a reconnu et il ne fait aucun doute qu’il a été membre de l’ALK du 25 mai 1998 au 11 avril 1999.
[9] Dans la lettre relative à l’équité procédurale, l’agent a cité quatre sources à l’appui de ses conclusions : 1) un article de l’Encyclopedia Britannica sur l’ALK; 2) un article sur l’ALK publié sur le site Web « Global Security »
; 3) un article intitulé « The Military Oath » [Le serment militaire] publié sur le site Web « Adem Jashari and UCK »; et 4) la Résolution 1160 de l'OTAN datée du 31 mars 1998. L’agent a souligné que, indépendamment de la question de savoir si le demandeur a lui-même été l’auteur d’actes de violence ou de terrorisme, il demeurait interdit de territoire en raison de son appartenance passée à l’ALK.
[10] Le demandeur a répondu à cette première lettre relative à l’équité procédurale le 22 octobre 2019. Il a soumis l’opinion d’un avocat américain, Henry Perrit, professeur de droit au Chicago-Kent College of Law de l’Illinois Institute of Technology et auteur de deux ouvrages sur la crise du Kosovo et l’ALK.
[11] Le conseil a souligné que M. Perrit n’avait aucune formation en droit canadien et qu’il n’avait été reconnu en qualité d’expert dans aucune instance au Canada. Je ne doute pas que M. Perrit possède une connaissance considérable des faits entourant la crise du Kosovo, et sans doute aussi une expertise en droit international, mais ses opinions sont étrangères aux règles contraignantes qui s’appliquent à la présente affaire dans le contexte du droit canadien, à savoir l’application de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Bien que son opinion soit décrite comme [traduction] « une opinion d’expert »
, on ne m’a pas demandé de faire abstraction – ce que je ne pourrais pas faire de toute façon – du fait que ses opinions sont fondées sur des notions juridiques contraires à la jurisprudence relative à la LIPR déjà débattue et établie. J’évaluerai donc les observations de M. Perrit dans ce contexte.
[12] Le demandeur a également soumis les trois articles suivants : 1) Vedran Obucina, A War of Myths: Creation of the Founding Myth of Kosovo Albanians [Une guerre de mythes : création du mythe fondateur des Albanais du Kosovo], 2) Gabor Sulyok, Terrorism or National Liberation: Remarks on the Activities of the Kosovo Liberation Army During the Kosovo Crisis [Terrorisme ou libération nationale : remarques sur les activités de l’Armée de libération du Kosovo pendant la crise du Kosovo], et 3) Klejda Mulaj, Resisting an Oppressive Regime: The Case of Kosovo Liberation Army [Résister à un régime oppressif : le cas de l’Armée de libération du Kosovo].
[13] Le demandeur soutient que l’agent était tenu d’examiner la légalité et la légitimité des actions posées par l’ALK pour déterminer si celles-ci constituaient des actes visant au renversement d’un gouvernement par la force ou des actes de terrorisme. Selon le demandeur, de tels actes exigent une intention illicite, des actions illégales ou des [traduction] « moyens irréguliers »
. L’opinion et les articles sur lesquels s’appuie le demandeur retracent l’histoire du Kosovo et de la Serbie. Le demandeur soutient qu’ils démontrent que les actes visant au renversement d’un gouvernement par la force et les actes de terrorisme commis par l’ALK étaient justifiés et que, par conséquent, ils ne permettent pas de tirer de conclusions au titre des alinéas 34(1)b), c) ou f).
[14] Le demandeur souligne également que l’ALK avait obtenu l’appui de l’OTAN et qu’il n’a pas lui-même pris part ou n’a jamais eu l’intention de prendre part aux activités violentes de nature terroriste ou visant au renversement d’un gouvernement menées par l’ALK.
[15] À cet égard, je me dois de signaler que l’OTAN (dont le Canada est membre) a, dans les faits, condamné les actes de terrorisme de l’ALK dans une résolution adoptée le 31 mars 1998 : l’OTAN a condamné « tous les actes de terrorisme commis par l’Armée de libération du Kosovo »
. La Résolution condamnait également l’usage excessif de la force par les forces de police serbes contre des civils au Kosovo.
[16] Le demandeur a en outre fait valoir qu’il était dans l’intérêt supérieur de ses enfants que sa famille soit réunie. L’agent n’a tiré aucune conclusion à cet égard.
[17] Le 3 juillet 2020, l’agent a envoyé une seconde lettre relative à l’équité procédurale dans laquelle il a de nouveau exposé les préoccupations qui le portaient à croire que le demandeur était interdit de territoire en application de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR.
[18] Le demandeur a répondu le 17 février 2020. Le conseil a contesté la crédibilité et la fiabilité des sources de l’agent (à l’exception de la Résolution de l’OTAN). Il a de nouveau fait valoir que le matériel soumis précédemment appuyait la conclusion selon laquelle l’ALK ne pouvait pas être considérée comme une organisation subversive ou terroriste aux fins de l’application du paragraphe 34(1) de la LIPR.
[19] Dans sa décision concluant que le demandeur est interdit de territoire, l’agent a examiné les deux réponses aux lettres relatives à l’équité procédurale. Après avoir soupesé et évalué la preuve, y compris les documents soumis par le demandeur, l’agent a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur a été membre d’une organisation qui s’est livrée à des actes visant au renversement d’un gouvernement par la force et à des actes de terrorisme, aux termes des alinéas 34(1)b), c) et f) de la LIPR, et l’a déclaré interdit de territoire.
[20] Dans ses motifs, l’agent a expressément souligné les critiques que le demandeur a formulées quant à la fiabilité des sources mentionnées dans chacune des lettres relatives à l’équité procédurale (à l’exception de la Résolution de l’OTAN). La décision prend appui sur les documents soumis par le demandeur.
[21] À cet égard, l’agent a résumé les principales conclusions qui se dégageaient de l’opinion et des articles présentés par le demandeur.
[22] L’agent a pris acte de la théorie de M. Perritt concernant les [traduction] « moyens irréguliers »
(le document de M. Perritt a été soumis par le demandeur), de sa conclusion selon laquelle l’ALK était fondée à mener une lutte armée contre un oppresseur et de son opinion portant que les actes de l’ALK ne sont pas comparables à ceux commis par d’autres groupes terroristes.
[23] L’agent a souligné que l’article soumis par le demandeur intitulé A War of Myths: Creation of the Founding Myth of Kosovo Albanians [Une guerre de mythes : création du mythe fondateur des Albanais du Kosovo] situait la création de l’ALK dans son contexte historique.
[24] Enfin, l’agent a insisté sur l’article intitulé Terrorism or National Liberation: Remarks on the activities of the Kosovo Liberation Army during the Kosovo Crisis [Terrorisme ou libération nationale : remarques sur les activités de l’Armée de libération du Kosovo pendant la crise du Kosovo], dans lequel l’auteur conclut, entre autres, que l’ALK a commis [traduction] « des actes de terrorisme flagrants »
.
[25] L’agent a donc conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que l’ALK avait été l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force et d’actes de terrorisme au sens du paragraphe 34(1) et a par conséquent déclaré le demandeur interdit de territoire.
IV. Les questions en litige
[26] Les parties conviennent, et moi de même, que la question en litige est celle de savoir si la décision est raisonnable.
V. La norme de contrôle
[27] En ce qui concerne le caractère raisonnable, dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, qui a été rendu en même temps que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], le juge Rowe, s’exprimant au nom des juges majoritaires, a expliqué ce qui est nécessaire pour conclure qu’une décision est raisonnable et ce qui est exigé de la cour de révision qui procède à un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable.
[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).
[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « … ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).
[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [. . .] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).
[Non souligné dans l’original.]
[28] Pour reprendre les mots de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, une cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient » :
[104] De même, la logique interne d’une décision peut également être remise en question lorsque les motifs sont entachés d’erreurs manifestes sur le plan rationnel – comme lorsque le décideur a suivi un raisonnement tautologique ou a recouru à de faux dilemmes, à des généralisations non fondées ou à une prémisse absurde. Il ne s’agit pas d’inviter la cour de révision à assujettir les décideurs administratifs à des contraintes formalistes ou aux normes auxquelles sont astreints des logiciens érudits. Toutefois, la cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient ».
[105] En plus de la nécessité qu’elle soit fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent, une décision raisonnable doit être justifiée au regard de l’ensemble du droit et des faits pertinents : Dunsmuir, par. 47; Catalyst, par. 13; Nor‑Man Regional Health Authority, par. 6. Les éléments du contexte juridique et factuel d’une décision constituent des contraintes qui ont une influence sur le décideur dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont délégués.
[Non souligné dans l’original.]
[29] Au paragraphe 86 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada précise qu’« il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux‑ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique ».
Elle précise également que la cour de révision doit trancher sur le fondement du dossier dont elle dispose :
[126] Cela dit, une décision raisonnable en est une qui se justifie au regard des faits : Dunsmuir, par. 47. Le décideur doit prendre en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui a une incidence sur sa décision et celle-ci doit être raisonnable au regard de ces éléments : voir Southam, par. 56. Le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte. Dans l’arrêt Baker, par exemple, le décideur s’était fondé sur des stéréotypes dénués de pertinence et n’avait pas pris en compte une preuve pertinente, ce qui a mené à la conclusion qu’il existait une crainte raisonnable de partialité : par. 48. En outre, la démarche adoptée par le décideur permettait également de conclure au caractère déraisonnable de sa décision, car il avait démontré que ses conclusions ne reposaient pas sur la preuve dont il disposait en réalité : ibid.
[Non souligné dans l’original.]
[30] En outre, il ressort clairement de l’arrêt Vavilov que, à moins de « circonstances exceptionnelles », le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve. La Cour suprême du Canada précise ce qui suit :
[125] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur » : CCDP, par. 55; voir également Khosa, par. 64; Dr Q, par. 41‑42. D’ailleurs, bon nombre des mêmes raisons qui justifient la déférence d’une cour d’appel à l’égard des conclusions de fait tirées par une juridiction inférieure, dont la nécessité d’assurer l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance, s’appliquent également dans le contexte du contrôle judiciaire : voir Housen, par. 15‑18; Dr Q, par. 38; Dunsmuir, par. 53.
[Non souligné dans l’original.]
[31] La Cour d’appel fédérale a récemment rappelé, dans l’arrêt Doyle c Canada (Procureur général), 2021 CAF 237, que le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait le décideur :
[3] La Cour fédérale avait tout à fait raison d’agir ainsi. Selon ce régime législatif, le décideur administratif, en l’espèce le directeur, examine seul les éléments de preuve, tranche les questions d’admissibilité et d’importance à accorder à la preuve, détermine si des inférences doivent en être tirées, et rend une décision. Lorsqu’elle effectue le contrôle judiciaire de la décision du directeur en appliquant la norme de la décision raisonnable, la cour de révision, en l’espèce la Cour fédérale, peut intervenir uniquement si le directeur a commis des erreurs fondamentales dans son examen des faits, qui minent l’acceptabilité de la décision. Soupeser à nouveau les éléments de preuve ou les remettre en question ne fait pas partie de son rôle. S’en tenant à son rôle, la Cour fédérale n’a relevé aucune erreur fondamentale.
[4] En appel, l’appelant nous invite essentiellement dans ses observations écrites et faites de vive voix à soupeser à nouveau les éléments de preuve et à les remettre en question. Nous déclinons cette invitation.
VI. Les dispositions législatives pertinentes
[32] L’article 34 de la LIPR prévoit ce qui suit :
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
VII. Analyse
A. Critère juridique applicable aux alinéas 34(1)b) et c) de la LIPR
[33] Avant d’examiner les observations du demandeur, il importe d’établir le critère juridique qui s’applique aux actes visant au renversement d’un gouvernement par la force visés à l’alinéa 34(1)b) de la LIPR. À ces fins, j’estime que les arguments avancés par le demandeur à l’égard des actes de terrorisme visés à l’alinéa 34(1)c) sont essentiellement les mêmes car, selon ma compréhension de la position du demandeur, ce dernier s’est appuyé sur les mêmes observations de M. Perritt et les mêmes articles pour les deux types d’actes.
[34] Le demandeur soutient que les actes visant au renversement d’un gouvernement par la force/les actes de terrorisme impliquent une intention illicite, des actions illégales, ou des [traduction] « moyens irréguliers »
ou des fins illégitimes. S’appuyant sur la preuve qu’il a présentée, il soutient que les actes visant au renversement d’un gouvernement/les actes de terrorisme commis par l’ALK étaient légitimes et ne permettent pas de tirer de conclusions au titre des alinéas 34(1)b) ou c) de la LIPR.
[35] Comme l’a fait valoir le défendeur, cet argument établit ni plus ni moins une distinction entre les actes visant au renversement par la force et les actes de terrorisme qui seraient acceptables et ceux qui ne le seraient pas. Ce serait donc, d’après ce que je comprends, la fin visée par les actes visant au renversement par la force ou par les actes de terrorisme qui déterminerait le caractère légal de ces actes aux fins de l’application des alinéas 34(1)b), c) et f) de la LIPR.
[36] En tout respect, une telle approche n’a pas cours en droit canadien. Les règles de droit contraignantes qui s’appliquent sont claires : la question de la légalité ou de la légitimité des activités menées par l’ALK, ou toute autre organisation se livrant aux actes visés aux alinéas 34(1)b) ou c) de la LIPR, est généralement non pertinente. Ce sont ces règles que j’appliquerai.
[37] À cet égard, le défendeur invoque le jugement rendu par la juge Gauthier de la Cour d’appel fédérale dans Najafi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CAF 262 [Najafi], aux paragraphes 64 à 70. Ainsi qu’il appert des paragraphes reproduits ci-dessous, la juge Gauthier a conclu que la « légalité ou [la] légitimité »
des actes visant au renversement d’un gouvernement par la force (et j’ajouterais des actes de terrorisme) ne sont pas pertinentes aux fins de l’application du paragraphe 34(1) de la LIPR :
[64] En ce qui concerne le second argument de M. Najafi, je ne saurais convenir que le législateur doit indiquer expressément dans la disposition en cause que ses obligations internationales ne doivent pas être prises en compte. Si c’était le cas, la Cour suprême du Canada n’aurait pas pu tirer la conclusion qu’elle a tirée dans l’arrêt Németh selon laquelle l’article 115 de la LIPR ne concerne pas le renvoi par extradition alors qu’il a été reconnu que le sens ordinaire du mot « renvoyée » employé dans cette disposition pouvait englober l’extradition comme forme de renvoi. Il ne s’agit donc pas d’une question de principe. Il s’agit plutôt simplement d’appliquer correctement la méthode contextuelle, en tenant compte des termes de l’alinéa 34(1)b) (en français et en anglais) et en les lisant dans leur contexte global d’une manière qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. Pour apprécier le caractère raisonnable de l’interprétation de la Section de l’immigration, je procéderai maintenant de cette façon.
[65] Comme l’a fait remarquer la Section de l’immigration, la loi ne définit pas le terme anglais « subversion » [en français : « renversement »], et il n’en existe pas de définition adoptée par tous. La définition du Black’s Law Dictionary à laquelle la Section de l’immigration se réfère au paragraphe 27 (en particulier, les mots « the act or process of overthrowing … the government ») est tout à fait conforme au sens ordinaire du texte français (« actes visant au renversement d’un gouvernement »). Bien que, dans certains contextes, le terme anglais « subversion » puisse être interprété comme désignant des actes illicites ou des actes posés à des fins détournées, les mots employés dans le texte français ne revêtent pas une telle connotation. Je suis convaincue que le sens commun des deux textes ne comporte généralement aucune mention de la légalité ou de la légitimité de ces actes.
[66] Je note que le mot « subversion » n’est employé que dans la version anglaise de l’alinéa 34(1)b), alors qu’il est employé dans les deux versions, anglaise et française, de l’alinéa 34(1)a). Cela peut indiquer ou non un sens différent, mais je n’ai pas l’intention d’interpréter correctement l’alinéa 34(1)a) dans le présent appel. Je me contenterai de souligner que, dans la décision Qu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 17132 (CF), [2000] 4 C.F. 71, inf. par 2001 CAF 399, la juge de première instance devait se pencher sur une version antérieure de l’alinéa 34(1)a), et que notre Cour n’a jamais eu à se prononcer sur le sens du terme « subversion » en appel.
[67] Dans la version anglaise de la disposition en cause en l’espèce, le terme « subversion » doit être lu dans le contexte de l’expression « subversion by force of any government » (en français : « actes visant au renversement d’un gouvernement par la force »), tandis que, à l’alinéa 34(1)a), il est employé relativement à « an act of subversion against a democratic government » (en français : « la subversion contre toute institution démocratique »).
[68] Bien que M. Najafi ait tenté de faire porter le débat sur l’interprétation des mots « subversion by force » (en français : « renversement d’un gouvernement par la force ») figurant à l’alinéa 34(1)b), et sur la légitimité du recours à la force dans certains contextes mentionnés précédemment en droit international, il ressort clairement de la preuve d’expert sur laquelle il s’appuie que l’une des questions clés concerne la légitimité du gouvernement contre lequel ce recours à la force est dirigé.
[69] La notion de droit d’un peuple opprimé de disposer de lui-même en ayant recours à la force sur laquelle il s’appuie a un lien direct avec l’« illégitimité » du gouvernement auquel on s’oppose en raison de la domination coloniale, de l’occupation étrangère et du racisme.
[70] C’est pourquoi la juge a accordé autant d’importance au contexte immédiat de l’alinéa 34(1)b). La question d’interprétation que soulèvent ces faits est de savoir si le terme « gouvernement » se limite à un « gouvernement démocratiquement élu » ou à toute autre formule désignant un gouvernement dont la légitimité n’est pas remise en question, ou s’il s’applique à n’importe quel gouvernement, même oppressif et raciste. Lorsqu’on examine les termes de l’alinéa 34(1)b) (« un gouvernement »), ceux-ci sont clairs et non ambigus. Les mots « renversement d’un gouvernement [souligné dans l’original] par la force » ne sous-entendent pas, à première vue, de qualification quelconque quant au gouvernement en question.
[Non souligné dans l’original.]
[38] Plus particulièrement, la Cour suprême du Canada a refusé à M. Najafi l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la Cour d’appel fédérale dans Najafi : voir Najafi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CAF 262, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 36241 (23 avril 2015). Notre Cour est donc liée par cette décision dans le cadre de la présente demande.
[39] Je souligne en outre que, dans l’arrêt Najafi, la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur l’évolution législative de l’alinéa 34(1)b) de la LIPR aux paragraphes 72 et suivants et que la juge Gauthier a conclu comme suit au paragraphe 83 :
[83] À ce stade de mon analyse, je conclus que le libellé de l’alinéa 34(1)b) est clair.
[Non souligné dans l’original.]
[40] Le droit international sur lequel le demandeur s’appuie en l’espèce a également été examiné dans l’arrêt Najafi aux paragraphes 84 à 89, un examen qui a mené la juge Gauthier à la conclusion suivante :
[89] Même si j’adopte cette méthode, le contexte juridique global ne me permet pas de conclure que l’alinéa 34(1)b) doit être interprété comme s’il visait seulement le recours à la force qui n’est pas légitime ou légal selon le droit international.
[Non souligné dans l’original.]
B. À titre subsidiaire, le demandeur pourrait également demander une dispense ministérielle
[41] Comme nous le verrons plus concrètement un peu plus loin, la Cour d’appel fédérale a statué que les personnes déclarées interdites de territoire en application de l’alinéa 34(1)f) pouvaient néanmoins demander au ministre de leur accorder une dispense au titre des paragraphes 34(2) et 42.1(2) de la LIPR :
[80] Évidemment, lorsque je dis que le législateur voulait que cette disposition soit appliquée de façon large, je parle de l’étape de l’interdiction de territoire, car, comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Suresh, quoique dans un contexte différent, le législateur a toujours voulu que le ministre ait la possibilité de dispenser n’importe quel étranger visé par ce libellé général, après avoir tenu compte des objectifs énoncés au paragraphe 34(2), ce qui se fait par le dépôt d’une demande. (Comme nous l’avons vu, le paragraphe 34(2) est devenu le paragraphe 42.1(1). En vertu du paragraphe 42.1(2), cette dispense peut maintenant être accordée à l’initiative du ministre).
[81] Ce mécanisme peut être utilisé pour protéger les membres innocents d’une organisation, mais aussi les membres d’organisations dont l’admission au Canada ne serait pas préjudiciable ou contraire à l’intérêt national en raison des activités de l’organisation au Canada et de la légitimité du recours à la force pour renverser un gouvernement à l’étranger.
[82] Il est évident que, dans le dernier cas en particulier, la résolution de questions de droit international peut être complexe, ce qui étaye l’argument voulant que le ministre soit mieux placé pour s’occuper de ces questions dans le contexte d’une demande de dispense ministérielle. On trouve un exemple d’un tel raisonnement à l’article 9 de la Loi sur les conventions de Genève, L.R.C. (1985), ch. G-3, qui autorise le ministre des Affaires étrangères à délivrer un certificat attestant l’existence d’un conflit armé, international ou non, entre des États ou dans un de ceux-ci.
[…]
[90] Comme la Section de l’immigration, j’estime que la légalité ou la légitimité peut fort bien constituer une question que le ministre peut examiner en vertu du paragraphe 34(2) de la LIPR, mais il ne s’agit pas d’un facteur qui est pertinent quant à l’application de l’alinéa 34(1)b). L’interprétation de la Section de l’immigration est donc manifestement raisonnable. Je suis d’avis de répondre à la question certifiée, telle qu’elle a été formulée par la juge ou reformulée au paragraphe 46, par la négative.
[Non souligné dans l’original.]
C. Observations supplémentaires
[42] Le demandeur soutient que l’agent avait l’obligation de fournir des motifs rigoureux compte tenu des répercussions importantes de sa décision, comme le prescrit l’arrêt Vavilov aux paragraphes 133 à 135. Le demandeur prétend que les motifs rendus par l’agent ne satisfaisaient pas à cette norme et avance trois arguments à l’appui de sa prétention. Premièrement, l’agent n’a pas adéquatement tenu compte de l’opinion de M. Perritt et des articles spécialisés soumis par le demandeur et, de ce fait, n’a pas dûment traité les questions et arguments clés qu’il a présentés. Deuxièmement, l’agent n’a pas précisé le poids qu’il a accordé aux éléments de preuve présentés par le demandeur. Troisièmement, l’agent n’a pas tenu compte de la situation particulière du demandeur.
[43] À l’appui de son premier argument, le demandeur allègue que l’agent a traité les éléments de preuve de façon sélective. Plus précisément, le demandeur soutient que l’agent a résumé de façon très succincte l’opinion de M. Perritt et n’a pas fait mention des titres de compétence de ce dernier. Il a en outre omis des aspects importants tels que l’histoire de l’ALK et l’appui qu’elle a reçu de l’OTAN. De même, l’agent a résumé de façon très superficielle les articles spécialisés présentés par le demandeur.
[44] Le demandeur soutient que, parce qu’il n’a pas tenu compte de l’opinion d’expert et des articles spécialisés dans leur intégralité, l’agent n’a pas été en mesure de saisir les questions clés et les principaux arguments présentés par le demandeur, et que, de ce fait, ses motifs sont déraisonnables, selon l’arrêt Vavilov aux paragraphes 102 et 103.
[45] Le demandeur a également exprimé des réserves quant à la fiabilité des sources citées par l’agent. L’agent a pris acte de ces critiques, mais n’y a jamais donné suite. Le demandeur soutient que, ce faisant, l’agent a, là encore, omis de tenir compte d’une question clé formulée par le demandeur.
[46] Le défendeur fait valoir que la question de savoir si l’ALK a eu recours à des [traduction] « moyens irréguliers »
– le point central des observations fondées sur le droit international formulées par le demandeur à l’appui de cet argument et de ceux examinés ci-dessous – n’est pas pertinente dans le contexte du critère applicable aux actes visant à renverser un gouvernement par la force établi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Najafi. Je conviens que les observations formulées par le demandeur étaient contraires aux principes bien établis en droit canadien.
[47] Comme mentionné précédemment, la question clé que le demandeur a présentée à l’agent était de savoir si les actes visés aux alinéas 34(1)b) ou c) auxquels l’ALK se seraient livrés étaient légitimes ou légaux selon le droit international. En tout respect, il est « clair »
, pour reprendre le terme utilisé au paragraphe 83 de l’arrêt Najafi, que la question de savoir si les actes auxquels l’ALK s’est livrée étaient [traduction] « légaux ou légitimes »
[Najafi, au para 65] ou « légitime[s] ou [légaux] selon le droit international »
[Najafi, au para 89] n’était pas pertinente. En tout respect, je ne vois donc pas pourquoi l’agent aurait tenu compte de documents non pertinents sachant que, à la lumière de l’arrêt Najafi, les observations relatives au droit international étaient purement théoriques.
[48] En tout respect, je rappelle que l’arrêt Vavilov, au paragraphe 128, n’exige pas des décideurs administratifs qu’ils considèrent et traitent en détail chacun des arguments qui leur sont présentés. Une telle exigence porterait atteinte aux valeurs d’efficacité et d’accès à la justice qui sous-tendent la prise de décisions administratives : Vavilov, au para 128. En tout respect, cela est d’autant plus vrai lorsque les arguments avancés ne reposent sur aucun fondement juridique, comme en l’espèce.
[49] De même, les décideurs administratifs ne sont pas tenus de mentionner toute la jurisprudence pertinente : Vavilov, au para 91. Je ne puis admettre que les motifs de l’agent seraient insuffisants du simple fait que ce dernier n’a pas jugé bon d’analyser des arguments juridiques non pertinents, d’autant plus que l’agent a appliqué le critère juridique que la Cour fédérale elle-même a continué d’appliquer depuis l’arrêt Najafi en 2014 : Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Edom, 2021 CF 1220 [la juge Pallotta] au para 24; Zahw c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 934 [la juge Walker] aux para 55-57; Niyungeko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 820 [le juge Diner] au para 33.
[50] Le demandeur souligne à juste titre que l’agent n’a pas donné suite aux critiques formulées relativement aux sources indiquées par le défendeur dans chacune des lettres relatives à l’équité procédurale. Deux remarques peuvent être formulées à cet égard. Premièrement, il est bien établi que c’est au décideur, et non à notre Cour, qu’il appartient de soupeser et d’apprécier les éléments de preuve dont il dispose : selon l’arrêt Doyle, précité. À mon sens, c’est ce qu’a fait l’agent. Dans tous les cas, l’agent s’est appuyé sur les éléments de preuve présentés par le demandeur. Quoi qu’il en soit, je ne suis pas convaincu que l’agent a contrevenu au principe selon lequel les éléments de preuve obtenus auprès d’organisations qui souscrivent aux normes d’objectivité et d’exactitude peuvent être acceptés : Kablawi c Canada (Citiyonneté et Immigration), 2010 CF 888 aux para 46-47.
[51] Comme je l’ai mentionné, l’agent s’est appuyé, entre autres, sur les documents que le demandeur à lui-même présentés pour conclure que l’ALK a été l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force et d’actes de terrorismes visés au paragraphe 34(1). Par conséquent, la conclusion de l’agent demeure valable indépendamment de la question de savoir si et dans quelle mesure il s’est appuyé sur les autres sources mentionnées dans les deux lettres relatives à l’équité procédurale. À cet égard, l’agent a indiqué ce que suit dans ses motifs :
[traduction]
Il [le demandeur] fait référence aux articles qu’il a soumis en réponse à notre précédente lettre relative à l’équité procédurale. Il affirme que ces articles sont objectifs et crédibles et qu’ils confirment que l’ALK n’était pas une organisation subversive ou un groupe terroriste aux termes du paragraphe 34(1) de la LIPR. Selon l’opinion formulées par Henry H. Perritt, Jr. [présentée par le demandeur], l’ALK n’était pas motivée par des [traduction] « fins illégitimes », elle résistait à l’oppression exercée et aux violations des droits de la personne commises par le gouvernement serbe en faisant usage d’une force proportionnelle à l’oppression subie. M. Perritt affirme que l’ALK n’était pas une organisation terroriste si l’on compare ses activités à celles d’autres organisations généralement considérées comme terroristes.
Le document « A War of Myths: Creation of the Founding Myth of Kosovo Albanians » [Une guerre des mythes : création du mythe fondateur des Albanais du Kosovo] [présenté par le demandeur], retrace l’histoire de la région et de la population qui a précédé la création de l’ALK, et indique que « les Albanais du Kosovo étaient impatients de voir un accord semblable à l’Accord de Dayton être mis en œuvre en Serbie après la signature du traité par Milosevic. Lorsque les opérations militaires et policières serbes se sont déplacées de la Bosnie vers le Kosovo, les jeunes Kosovars, déçus par la communauté internationale et l’opposition silencieuse de Rugova, ont eu recours à la violence. C’est ainsi que l’Armée de libération du Kosovo [l’ALK], qui a entrepris de mener une guérilla pour la liberté, a vu le jour. » Le document « Terrorism or National Liberation: Remarks on the Activities of the Kosovo Liberation Army during the Kosovo Crisis » [Terrorisme ou libération nationale : remarques sur les activités de l’Armée de libération du Kosovo pendant la crise du Kosovo] [présenté par le demandeur], souligne la difficulté de définir le « terrorisme » compte tenu des points de vue inévitablement différents des différentes parties sur la question. Le document indique également qu’[il] a été établi que l’ALK s’est rendue responsable d’un certain nombre d’atrocités difficilement conciliables avec son objectif ultime, l’indépendance du Kosovo. De nombreux rapports de sources diverses ont confirmé que les unités armées albanaises ont perpétré des actes qu’on peut à juste titre qualifier d’actes de terrorisme. Ces actes comprennent les suivants : enlèvements quotidiens de membres des forces armées serbes et de civils serbes et roms, ainsi que d’Albanais accusés de collaboration; prises d’otages; torture, mauvais traitements et meurtre de plusieurs personnes enlevées, dont certaines étaient des civils, y compris des femmes et des enfants; arrestations et détentions arbitraires, et exécutions sommaires par des « tribunaux paramilitaires » albanais; harcèlement; traitement discriminatoire, et ainsi de suite. » Le document indique plus loin qu’« en dehors de ces actes de terreur flagrants, l’ALK a effectivement tenté de se poser en mouvement de libération nationale ». L’auteur affirme également ce qui suit : « [a]insi, je suppose que l’ALK était plus qu’une simple organisation terroriste, même si au tout début l’étiquette du terrorisme était appropriée pour décrire son essence. Par la suite, cependant, à mesure que la crise s’est transformée en un conflit armé interne d’assez grande envergure, elle est progressivement devenue ce qu’elle avait affirmé être à l’origine : une force armée de la communauté albanaise du Kosovo ». L’auteur affirme en outre que « [l]e conflit serbo-albanais était manifestement un conflit armé de nature non internationale au sens de l’article premier du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II). Par conséquent, les attaques menées par des membres de l’ALK contre les forces armées serbes n’étaient pas des actes de terrorisme, mais des « actes de guerre ». Quant aux atrocités et aux abus susmentionnés, ceux-ci sont néanmoins considérés à juste titre comme des actes de terrorisme également prohibés par l’alinéa 4(2)d) du Protocole additionnel II. Les actes terroristes commis par l’ALK constituent donc des violations graves du droit international humanitaire et relèvent de la compétence du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), mais cela ne change rien au fait que, du point de vue du droit, les hostilités demeurent un conflit armé interne. » L’auteur conclut qu’« à ses débuts, l’organisation a été à juste titre perçue comme une organisation terroriste, mais qu’elle est ensuite devenue, à mesure que la crise s’intensifiait, un “groupe armé organisé” au sens du Protocole additionnel II ».
Compte tenu des éléments de preuve dont je dispose, y compris les documents soumis par le demandeur en réponse à notre lettre relative à l’équité procédurale, j’ai des motifs raisonnables de croire que l’ALK est une organisation qui se livre, s’est livrée ou se livrera à des actes d’espionnage, des actes de terrorisme ou des actes visant au renversement d’un gouvernement par la force au sens du paragraphe 34(1). Même si le rôle de l’ALK et la façon dont elle était perçue ont pu évoluer avec les années, les éléments de preuve qui figurent au dossier sont suffisants pour donner à penser que l’ALK s’est livré aux actes visés aux alinéas 34(1)b) et c). Le demandeur est visé par l’alinéa 34(1)f) et est interdit de territoire au Canada. La demande est rejetée.
[Non souligné dans l’original.]
[52] Ainsi, les observations que le demandeur a lui-même formulées corroborent raisonnablement les conclusions de l’agent.
[53] Enfin, le demandeur soutient que l’agent n’a pas tenu compte de sa situation particulière. Il est vrai que l’agent n’en a pas tenu compte. Or, comme l’a souligné la Cour d’appel fédérale dans Najafi, une personne déclarée interdite de territoire en application de l’alinéa 34(1)f) peut néanmoins demander au ministre de lui accorder une dispense au titre des paragraphes 34(2) et 42.1(2) de la LIPR. Comme l’a également fait valoir la Cour dans Najafi, c’est le ministre qui est le mieux placé pour intervenir dans les cas comme celui du demandeur, en accordant une dispense :
[82] Il est évident que, dans le dernier cas en particulier, la résolution de questions de droit international peut être complexe, ce qui étaye l’argument voulant que le ministre soit mieux placé pour s’occuper de ces questions dans le contexte d’une demande de dispense ministérielle.
[Non souligné dans l’original.]
[54] À l’audience, la Cour s’est enquise de la possibilité qu’une dispense ministérielle soit accordée. Le conseil du ministre a expliqué que, bien qu’aucune dispense pour des considérations d’ordre humanitaire exceptionnelles ne pouvait être accordée au demandeur au titre de l’article 25 de la LIPR, il demeurait loisible au ministre de lui accorder une dispense en vertu de l’article 42.1 de la LIPR. Il semble que le demandeur n’ait encore présenté aucune demande de dispense ministérielle.
VIII. Conclusion
[55] La décision se tient, repose sur des motifs suffisants, traite des questions en cause, est compatible avec les règles de droit applicables et avec le dossier, et est justifiée, transparente et intelligible. Je conclus que la décision est raisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
IX. Question à certifier
[56] Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale, et l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM-6462-20
LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, qu’aucune question de portée générale n’est certifiée et qu’aucuns dépens ne sont adjugés.
« Henry S. Brown »
Juge
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-5180-21 |
INTITULÉ :
|
TARA FATLUM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE |
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 27 octobre 2022 |
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE BROWN |
DATE DES MOTIFS :
|
LE 2 NOVEMBRE 2022 |
COMPARUTIONS :
Nicholas Woodward |
POUR LE DEMANDEUR |
James Todd |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Battista Smith Migration Law Group
Avocats
Toronto (Ontario) |
POUR LE DEMANDEUR |
Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |