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Date : 20221031


Dossier : IMM-3796-21

Référence : 2022 CF 1483

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 octobre 2022

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

SATNAM KAUR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 28 mai 2021 [la décision], par laquelle un agent principal a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par la demanderesse depuis le Canada. L’agent a conclu que la situation particulière de la demanderesse ne justifiait pas la levée de l’obligation de présenter une demande de résidence permanente depuis l’extérieur du Canada.

II. Faits

[2] La demanderesse, une veuve âgée de 52 ans, est originaire de l’Inde. Elle est arrivée au Canada en octobre 2017, un mois après le décès de son époux. Depuis son arrivée, elle vit avec son fils, l’épouse de celui-ci et leurs trois enfants, qui sont tous des citoyens canadiens ou des résidents permanents. Elle joue un rôle de premier plan dans la vie de ses trois petits-enfants qui sont âgés de 6 ans, 3 ans et 5 mois. Sa fille, qui détient le statut de résident temporaire au Canada, vit aussi avec la famille à London, en Ontario.

[3] La mère de la demanderesse, qui est veuve, vit dans une maison de retraite en Inde. La demanderesse n’a pas de liens importants avec l’Inde puisqu’elle a vendu tout ce qu’elle possédait au pays et qu’elle n’y entretient pas de véritables liens familiaux.

[4] Depuis son arrivée en 2017, la demanderesse a demandé et obtenu, à plusieurs reprises, la prolongation de sa fiche de visiteur, le plus récemment le 18 mars 2021. Elle vit actuellement au Canada avec un statut implicite et elle a toujours conservé un statut d’immigration valide lors de ses visites.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[5] L’agent n’était pas convaincu qu’une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire était justifiée en l’espèce.

A. Le risque de discrimination envers les veuves en Inde

[6] L’agent a reconnu que les veuves font l’objet [traduction] « de stigmatisation et de discrimination » en Inde, mais il a souligné qu’il s’agissait d’une condition générale dans le pays. Selon lui, peu d’éléments de preuve démontraient que la demanderesse avait personnellement fait l’objet de discrimination. Par ailleurs, peu d’éléments de preuve donnaient à penser que la demanderesse elle-même ne pourrait pas vivre une vie normale en tant que veuve en Inde.

[7] Par conséquent, l’agent a accordé un certain poids favorable au risque que la demanderesse fasse l’objet de stigmatisation et de discrimination en Inde.

B. L’intérêt supérieur des enfants

[8] Avant de procéder à une analyse de l’intérêt supérieur des enfants, l’agent a donné un aperçu du rôle joué par la demanderesse dans la vie de ses petits-enfants. Il a reconnu que la demanderesse prenait soin de ses petits-enfants et qu’elle avait de l’affection pour eux, mais il a souligné qu’elle pourrait vraisemblablement continuer à vivre au Canada en attendant qu’une décision soit rendue à l’égard de sa demande de fiche de visiteur. De plus, il a laissé entendre qu’il n’était pas très inhabituel que deux parents prennent soin de trois enfants. À cet égard, il a conclu que peu d’éléments de preuve donnaient à penser que le fils et la belle-fille de la demanderesse n’étaient pas en mesure de prendre soin de leurs propres enfants, ni que ceux-ci ne pourraient pas bénéficier des systèmes de soins de santé, d’éducation et de services sociaux si la demanderesse devait quitter le Canada. Malgré ces conclusions, l’agent a reconnu qu’il était [traduction] « difficile de faire valoir qu’il [était] dans l’intérêt supérieur des enfants de faire sortir leur grand-mère apte et aimante de leur vie ».

[9] Compte tenu de ces facteurs, l’agent a conclu que l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants militait pour une décision favorable. Cependant, il a expressément souligné que ce facteur n’était pas déterminant en l’espèce puisque la présence de la demanderesse n’était pas nécessaire au bien-être des enfants.

[10] Tout compte fait, la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire de la demanderesse a été rejetée.

IV. Question en litige

[11] La seule question en litige consiste à savoir si la décision de l’agent est raisonnable.

V. Norme de contrôle applicable

[12] Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, que la Cour suprême du Canada a rendu en même temps que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], le juge Rowe, au nom des juges majoritaires, a expliqué les caractéristiques nécessaires à la décision raisonnable et ce qui est attendu d’une cour de révision lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ... ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‐ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [...] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

[Non souligné dans l’original.]

[13] Je souligne par ailleurs que la dispense pour considérations d’ordre humanitaire est « une mesure de nature exceptionnelle et hautement discrétionnaire, qui mérite [...] une déférence considérable de la part de la Cour » : Qureshi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 335 [le juge Zinn] au para 30.

VI. Analyse

A. L’appréciation des difficultés – la preuve de la discrimination contre les veuves en Inde

[14] La demanderesse soutient que l’agent n’a pas examiné de façon raisonnable la preuve sur la situation en Inde. Selon elle, la décision de l’agent est, pour plusieurs raisons, viciée en ce qu’elle est dénuée de justification, de transparence et d’intelligibilité.

[15] En ce qui concerne les difficultés particulières auxquelles elle ferait face, la demanderesse s’appuie sur l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy], rendu par la Cour suprême du Canada, pour affirmer qu’une preuve directe n’est pas nécessaire pour établir l’existence du risque de discrimination et des difficultés connexes. Dans l’arrêt Kanthasamy, la juge Abella, au nom des juges majoritaires, a déclaré ce qui suit :

[52] L’agente accepte d’attribuer les difficultés qu’éprouverait vraisemblablement Jeyakannan Kanthasamy au Sri Lanka à la discrimination qui y est exercée contre les jeunes hommes tamouls. Elle admet en outre une preuve démontrant que les Tamouls du Sri Lanka, en particulier les jeunes hommes du nord, sont couramment pris pour cibles par la police. À son avis, toutefois, les jeunes Tamouls ne sont pris pour cibles que s’ils sont soupçonnés de liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, et le gouvernement a fait des efforts pour améliorer la situation des Tamouls. Elle dit : [traduction] « ... il incombe au demandeur de démontrer que cette situation le toucherait personnellement ».

[53] Tout cela amène l’agente à conclure que, à défaut d’éléments de preuve selon lesquels Jeyakannan Kanthasamy ferait personnellement l’objet de mesures discriminatoires, il n’y a pas de preuve de discrimination. Soit dit tout en respect, la démarche de l’agente ne tient pas compte du fait que la discrimination peut être inférée lorsqu’un demandeur établit qu’il appartient à un groupe qui est victime de discrimination. Pour les besoins d’une demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire, la discrimination [traduction] « peut se manifester sous forme d’incidents isolés ou être de nature systémique », et même « les actes discriminatoires qui n’emportent pas individuellement persécution doivent être considérés cumulativement » (Jamie Chai Yun Liew et Donald Galloway, Immigration Law (2e éd. 2015), p. 413, citant Divakaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 633).

[54] Or, en l’espèce, l’agente exige de Jeyakannan Kanthasamy une preuve directe qu’il courrait un tel risque d’être victime de discrimination s’il était expulsé. Non seulement cette exigence mine la vocation humanitaire du par. 25(1), mais elle traduit une conception très réductrice de la discrimination que notre Cour a largement désavouée au fil des décennies (Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, p. 173‑174; Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3; Québec (Procureur général) c. A, [2013] 1 R.C.S. 61, par. 318‑319 et 321‑338)

[55] Les Lignes directrices, qui s’appuient expressément sur l’arrêt Andrews de notre Cour, promeuvent elles‑mêmes une conception de la discrimination qui n’exige pas la preuve que le demandeur sera personnellement visé :

5.16. Considérations d’ordre humanitaire et difficultés : facteurs pertinents à l’égard du pays d’origine

Bien qu’il ne puisse tenir compte des facteurs visés aux [art. 96 et 97], le décideur doit tenir compte des éléments liés aux difficultés auxquelles l’étranger fait face. Voici quelques exemples de « difficultés » : …

• une forme de discrimination qui n’équivaut pas à de la persécution;

• des conditions défavorables dans le pays qui ont une incidence néfaste directe sur le demandeur. …

Discrimination

La discrimination est définie comme : une distinction fondée sur les caractéristiques personnelles d’une personne qui entraîne un désavantage pour cette dernière.

Dans [l’arrêt] Andrews, la [Cour] a déclaré ce qui suit :

« ... la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d’un individu ou d’un groupe d’individus, qui a pour effet d’imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres membres de la société. Les distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un seul individu en raison de son association avec un groupe sont presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles fondées sur les mérites et capacités d’un individu le sont rarement. »

(Traitement des demandes au Canada, section 5.16)

[56] Il appert de ces extraits que le demandeur doit seulement montrer qu’il sera vraisemblablement touché par une condition défavorable comme la discrimination. La preuve d’actes discriminatoires contre d’autres personnes qui partagent les mêmes caractéristiques personnelles est donc clairement pertinente pour l’application du par. 25(1), et ce, que le demandeur puisse démontrer ou non qu’il est personnellement visé. Des inférences raisonnables peuvent en être tirées. Dans Aboubacar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 714, le juge Rennie énonce de façon convaincante les raisons pour lesquelles il est alors possible de tirer des inférences raisonnables :

Bien que les demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25 doivent s’appuyer sur la preuve, il existe des circonstances où les conditions dans le pays d’origine sont telles qu’elles confortent l’inférence raisonnable relativement aux difficultés auxquelles un demandeur en particulier serait exposé à son retour [...] Il ne s’agit pas d’une hypothèse, mais bien d’une inférence raisonnée, de nature non hypothétique, relativement aux difficultés auxquelles une personne serait exposée, et, de ce fait, cela constitue le fondement probatoire d’une analyse sérieuse et individualisée ... [par. 12 (CanLII).]

[Non souligné dans l’original.]

[16] Compte tenu de ces principes, la demanderesse soutient, et je suis d’accord avec elle, qu’il était déraisonnable pour l’agent d’exiger une preuve directe de la discrimination exercée contre elle en Inde en raison de son statut de veuve. C’est toutefois ce que l’agent a fait en l’espèce. Je renvoie aux passages suivants de la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire :

[traduction]

Le représentant [de la demanderesse] a mentionné ce qui suit :

« Lorsqu’elle est retournée en Inde, Mme Kaur n’a ressenti aucun lien avec cet endroit qu’elle considérait autrefois comme chez elle, et elle n’a rien fait d’autre que compter les jours jusqu’à ce qu’elle puisse être réunie avec sa famille au Canada. Elle avait déjà vendu la propriété qu’elle possédait en Inde et envoyé l’argent à ses enfants au Canada; elle n’avait donc nulle part où aller. De plus, son père est décédé depuis peu, sa mère devenue veuve vit dans une maison de retraite en Inde, et elle n’entretient aucune relation avec son unique frère, lequel a sa propre famille. Elle n’entretient pas non plus de relations avec les deux enfants que son défunt mari avait eus dans le cadre d’un précédent mariage. En fait, elle ne peut pas compter sur le soutien des membres de sa famille élargie en Inde, puisqu’ils ont tous coupé les ponts avec elle après le décès de son mari.

Le chagrin et la souffrance qu’éprouve une personne lorsqu’elle perd son partenaire de vie ne peuvent pas s’exprimer par des mots. Seule cette personne sait comment composer avec ces sentiments, et si elle est soumise aux rituels et aux coutumes qui accompagnent le veuvage, l’expérience peut devenir très difficile. En tant que veuve en Inde, Mme Kaur doit respecter les coutumes sans jamais se plaindre, même si cela signifie d’être victime d’ostracisme social ou de devoir abandonner ce à quoi elle tient. En Inde, le veuvage est équivalent à une « mort sociale ». Une autre coutume, toujours répandue en Inde, empêche une veuve de vivre une vie normale avec sa famille. Après le décès de son mari, une femme doit vivre dans un ashram (une maison d’accueil). Malheureusement, bien qu’il s’agisse d’un rituel ancien, des veuves de partout au pays continuent de se rendre dans les ashrams parce que la coutume le veut. »

Je reconnais que les veuves font l’objet de stigmatisation et de discrimination en Inde. Cependant, je souligne qu’il s’agit d’une condition générale dans le pays et que peu d’éléments de preuve corroborants montrent de quelle façon Mme Kaur a vécu de la discrimination. Par exemple, peu d’éléments de preuve ont été présentés pour expliquer quelles étaient les choses que Mme Kaur aimait et qu’elle avait dû abandonner. Aussi, peu d’éléments de preuve ont été présentés pour expliquer en quoi Mme Kaur ne pouvait pas vivre une vie normale. Il est difficile de savoir si des autorités ou des personnes ont contraint Mme Kaur à vivre dans un ashram. Je souligne que la mère de Mme Kaur est aussi une veuve et qu’elle vit dans une maison de retraite plutôt que dans un ashram. Bien que je reconnaisse que les veuves font l’objet de stigmatisation et de discrimination en Inde, peu d’éléments de preuve corroborants ont été présentés pour démontrer l’incidence de cette situation sur Mme Kaur. Par conséquent, je n’accorde qu’un certain poids favorable au risque de faire l’objet de stigmatisation et de discrimination auquel sont exposées les veuves en Inde.

[Non souligné dans l’original.]

[17] Avec égards, il allait à l’encontre de l’arrêt Kanthasamy d’exiger, comme l’a fait l’agent, des [traduction] « éléments de preuve corroborants montr[ant] de quelle façon Mme Kaur [avait] vécu de la discrimination ». Cette approche était mal fondée sur le plan théorique. En outre, il convient de rappeler que la demanderesse a quitté l’Inde un mois après le décès de son époux, c’est-à-dire au moment où elle est devenue veuve. L’agent ne s’est pas demandé de quelle façon elle aurait pu obtenir de tels éléments de preuve en Inde étant donné qu’elle avait quitté le pays. À mon avis, il était déraisonnable de s’attendre à ce que soient présentés des « éléments de preuve [...] pour expliquer quelles étaient les choses que Mme Kaur aimait et qu’elle avait dû abandonner ». Il était aussi déraisonnable de s’attendre à ce que Mme Kaur présente des [traduction] « éléments de preuve » pour expliquer en quoi elle ne pouvait pas vivre une vie normale. Enfin, il était déraisonnable d’exiger des [traduction] « éléments de preuve corroborants » pour « démontrer l’incidence de [la] situation sur Mme Kaur ».

[18] En toute déférence, selon les règles de droit, « le demandeur doit seulement montrer qu’il sera vraisemblablement touché par une condition défavorable comme la discrimination. La preuve d’actes discriminatoires contre d’autres personnes qui partagent les mêmes caractéristiques personnelles est donc clairement pertinente pour l’application du par. 25(1), et ce, que le demandeur puisse démontrer ou non qu’il est personnellement visé. Des inférences raisonnables peuvent en être tirées. » À cet égard, au paragraphe 56 de l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême s’est appuyée sur les propos du juge Rennie (alors juge à la Cour fédérale) qui, dans la décision Aboubacar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 714, a énoncé de façon « convaincante » les raisons pour lesquelles il est possible de tirer des inférences raisonnables dans de telles circonstances :

Bien que les demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25 doivent s’appuyer sur la preuve, il existe des circonstances où les conditions dans le pays d’origine sont telles qu’elles confortent l’inférence raisonnable relativement aux difficultés auxquelles un demandeur en particulier serait exposé à son retour [...]. Il ne s’agit pas d’une hypothèse, mais bien d’une inférence raisonnée, de nature non hypothétique, relativement aux difficultés auxquelles une personne serait exposée, et, de ce fait, cela constitue le fondement probatoire d’une analyse sérieuse et individualisée [...] [au para 12 (CanLII)].

[19] En toute déférence, je ne puis souscrire à la position du défendeur. La jurisprudence est sans équivoque : un demandeur n’est pas tenu de démontrer qu’il a été personnellement pris pour cible ou qu’il a été victime de discrimination pour établir l’existence de difficultés dans ces circonstances. En l’espèce, l’agent n’a pas examiné ni appliqué le principe des inférences raisonnables. Il était certainement loisible à l’agent de tirer de telles inférences compte tenu de la preuve non contredite présentée par la demanderesse (voir les notes de bas de page 4 et 5 à la page 43 du dossier certifié du tribunal).

[20] À mon humble avis, compte tenu des circonstances de l’espèce, le statut de veuve de la demanderesse suffisait à faire d’elle un membre d’un groupe victime de discrimination et, par conséquent, à démontrer, sur la foi d’inférences raisonnables, qu’elle risquait d’être victime d’actes discriminatoires si elle retournait en Inde.

[21] De plus, je souligne que même si l’agent a reconnu que [traduction] « les veuves [faisaient] l’objet de stigmatisation et de discrimination en Inde », il a soulevé l’absence d’éléments de preuve démontrant [traduction] « l’incidence de cette situation sur [la demanderesse] ». Avec égards, il s’agit là de motifs supplémentaires d’accueillir la demande de contrôle judiciaire.

[22] De nombreuses autres questions m’ont été soumises. Toutefois, comme ce sont des questions qui devront être tranchées lors du nouvel examen, je ne me prononcerai pas sur celles-ci.

VII. Conclusion

[23] À mon humble avis, la demanderesse a établi que l’agent avait commis une erreur dans son appréciation des difficultés rencontrées par les membres du groupe auquel elle s’identifie, ce qui rend la décision déraisonnable. Cette erreur est suffisamment cruciale et importante pour justifier le contrôle judiciaire de la décision.

VIII. Question à certifier

[24] Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3796-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant : La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question de portée générale n’est certifiée et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3796-21

INTITULÉ :

SATNAM KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 OCTOBRE 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 31 OCTOBRE 2022

COMPARUTIONS :

Gina You

POUR LA DEMANDERESSE

Hillary Adams

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matkowsky Immigration Law

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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