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Date : 20221101

Dossier : T-713-17

Référence : 2022 CF 1492

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1 novembre 2022

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

WORTHWARE SYSTEMS

INTERNATIONAL INC.

 

demanderesse

et

RAYSOFT INC.

défenderesse

 

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La demanderesse, Worthware Systems International Inc. [Worthware], sollicite une ordonnance de type Norwich en application de l’article 238 des Règles des cours fédérales [les Règles] afin de contraindre M. Richard Lalancette à fournir des renseignements au sujet des clients de la défenderesse, Raysoft Inc. [Raysoft]. M. Lalancette est l’unique administrateur, le président et secrétaire, ainsi que l’unique actionnaire de la défenderesse, Raysoft.

[2] La présente requête est présentée dans le contexte d’une action en contrefaçon de brevet entre concurrents dans le domaine très compétitif de la vente et des services de téléphones cellulaires.

[3] Worthware affirme avoir besoin de l’ordonnance afin de pouvoir envisager de prendre des mesures à l’égard des contrefacteurs directs de son brevet. Elle allègue que les renseignements recherchés ne peuvent être obtenus auprès d’aucune autre source et qu’elle répond à tout autre égard aux exigences d’obtention d’une ordonnance de type Norwich. Raysoft s’oppose à cette demande et affirme que la demanderesse est liée par une ordonnance antérieure dans laquelle notre Cour a refusé d’obliger M. Lalancette à fournir les renseignements sur les clients dans le contexte de l’interrogatoire préalable. Raysoft ajoute que la demanderesse n’a pas rempli les critères applicables pour l’obtention d’une ordonnance de type Norwich.

[4] Pour les motifs ci-après, je rejette la requête de la demanderesse.

[5] Considérant que les procédures en l’instance sont dans les deux langues officielles, et les exigences du paragraphe 20(1)(b) de la Loi sur les langues officielles, SRC 1985, c 31 (4ieme sup), l’ordonnance et les motifs en l’instance seront émises dans les deux langues en même temps.

II. Contexte

[6] La présente requête est présentée dans le contexte d’une action en contrefaçon de brevet entre concurrents dans le domaine des logiciels en lien avec la vente et les services de téléphones cellulaires. Worthware est titulaire du brevet canadien no 2,515,486, intitulé « PROCÉDÉ ET SYSTÈME DE TARIFICATION DE SERVICES DE TÉLÉPHONIE CELLULAIRE À BASE D’INTERNET » [le brevet no 486]. Le brevet revendique une méthode et un système pour inscrire un nouvel utilisateur de téléphone sans fil dans un magasin de détail sans avoir à répéter la saisie de l’information du client dans diverses bases de données pendant le processus d’inscription du nouveau client de services cellulaires.

[7] Le brevet offre une solution à un problème bien simple. En général, un client qui souhaite acheter un nouveau téléphone cellulaire souhaite acheter en même temps le service de téléphonie, de façon à quitter le magasin avec un téléphone cellulaire qui fonctionne. Les vendeurs de ces produits peuvent fournir à la fois le téléphone et le contrat et activer l’abonnement auprès du fournisseur de services. Pour ce faire, ces magasins accèdent au logiciel exclusif du fournisseur de services de téléphonie cellulaire afin d’inscrire le client et d’activer l’abonnement au moment de la vente. Ils doivent alors entrer des renseignements au sujet du téléphone cellulaire et du client dans le système du fournisseur de services.

[8] Cependant, les vendeurs doivent également consigner certains de ces renseignements dans leur propre système afin que leur entreprise puisse assurer la tenue des dossiers. Il faut donc saisir une nouvelle fois la plupart des renseignements qui ont déjà été saisis pour inscrire le client auprès du fournisseur de services de téléphonie cellulaire et activer le téléphone. La demanderesse affirme avoir mis au point un produit grâce auquel il n’est plus nécessaire de répéter la saisie de tous ces renseignements, ce qui permet au vendeur d’offrir au client un service amélioré et plus rapide tout en réduisant le risque d’erreur humaine. Elle commercialise le produit sous la marque de commerce « CellSell ».

[9] Worthware allègue que Raysoft contrefait son brevet en commercialisant un produit qui remplit une fonction similaire, sous la marque de commerce « Complus ». En mai 2017, Worthware a intenté une action en contrefaçon de brevet contre Raysoft et, au moment de la présente requête, elle avait décidé de réclamer des dommages-intérêts pour contrefaçon plutôt qu’une restitution des bénéfices.

[10] Le 5 juillet 2021, Worthware a présenté une requête sollicitant une ordonnance enjoignant à Richard Lalancette de communiquer les renseignements suivants à la demanderesse : les noms et adresses de tous les clients de la défenderesse [désignés comme étant les « revendeurs »] qui ont utilisé le logiciel Complus de la défenderesse à partir du 16 mai 2011; les dates respectives, après le 16 mai 2011, auxquelles les revendeurs ont commencé et (le cas échéant) cessé l’utilisation du logiciel Complus de la défenderesse; ainsi que le nombre de points de vente au détail dont chacun des revendeurs de la défenderesse est propriétaire, l’adresse de chaque magasin et les dates respectives auxquelles chaque magasin a commencé et (le cas échéant) cessé l’utilisation du logiciel Complus de la défenderesse.

[11] La demanderesse, dans sa requête initiale déposée le 5 juillet 2021 en application de l’article 233 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, sollicitait une ordonnance pour obliger M. Lalancette à communiquer les renseignements demandés. Juste avant l’audition de la requête, Worthware a déposé une requête en modification de son avis de requête, dans laquelle elle a également invoqué l’article 238 des Règles à l’appui de sa demande d’ordonnance l’autorisant à interroger M. Lalancette afin d’obtenir les renseignements demandés. La défenderesse ne s’est pas opposée à la requête en modification, mais a fait remarquer que cette requête pourrait avoir des conséquences quant aux dépens. La modification tardive n’ayant pas d’incidence sur le fond de l’instance, elle a été autorisée et l’affaire a été instruite en tant que requête en application des articles 233 et 238 des Règles.

III. Question en litige

[12] La seule question en litige est de savoir s’il convient de rendre l’ordonnance de type Norwich sollicitée par la demanderesse et (selon l’issue du litige) si des dépens devraient être adjugés à l’une ou l’autre des parties.

IV. Discussion

A. Cadre législatif

[13] Le droit régissant le prononcé d’une ordonnance de type Norwich au Canada n’est pas contesté en l’espèce. Dans l’arrêt Rogers Communications Inc. c Voltage Pictures, LLC, 2018 CSC 38 [Voltage], au paragraphe 18, la Cour suprême du Canada a confirmé que la partie qui sollicite une ordonnance doit démontrer ce qui suit :

  1. [il existe à première vue] quelque chose à reprocher à l’auteur inconnu du préjudice;

  2. la personne devant faire l’objet d’un interrogatoire préalable doit avoir quelque chose à voir avec la question en litige — elle ne peut être un simple spectateur;

  3. la personne devant faire l’objet de l’interrogatoire préalable doit être la seule source pratique de renseignements dont disposent les demandeurs;

  4. la personne devant faire l’objet de l’interrogatoire préalable doit recevoir une compensation raisonnable pour les débours occasionnés par son respect de l’ordonnance portant interrogatoire préalable, en sus de ses frais de justice;

  5. l’intérêt public à la divulgation l’emporte sur l’attente légitime de respect de la vie privée.

(renvois et soulignement omis)

[14] Une ordonnance de type Norwich peut certainement être accordée, dans un cas qui s’y prête, pour permettre au titulaire d’un brevet de chercher à faire valoir ses droits : voir Glaxo Wellcome PLC c M.R.N., [1998] 4 CF 439 (CA).

B. Observations des parties

[15] Worthware affirme avoir répondu à toutes les exigences suivantes :

  • elle dispose d’éléments de preuve très solides quant au fait que le logiciel Complus de la défenderesse contrefait le brevet no 486;

  • M. Lalancette n’est pas partie à la présente instance, mais il dispose d’un accès illimité aux contrefacteurs directs et de connaissances à leur sujet. Il est également [traduction] « mêlé » à la contrefaçon continue du brevet de Worthware;

  • la défenderesse et son seul administrateur et dirigeant, M. Lalancette, sont ses seuls moyens d’identifier les contrefacteurs directs présumés;

  • elle a besoin des noms et des adresses de tous les revendeurs de la défenderesse afin de pouvoir calculer avec précision ses dommages-intérêts dans l’action en contrefaçon et engager une procédure contre chaque revendeur pour réclamer une indemnisation et des dommages-intérêts concernant leur contrefaçon présumée du brevet no 486;

  • l’indemnisation ne devrait donc pas être un facteur étant donné que M. Lalancette a facilement accès aux renseignements puisqu’il est l’unique administrateur et le président et secrétaire de la défenderesse;

  • l’intérêt public milite en faveur de la communication; aucune préoccupation importante quant à la protection de la vie privée ne se pose puisque les contrefacteurs directs présumés (les revendeurs de la défenderesse) exploitent publiquement leurs entreprises, tandis que la volonté de la demanderesse de protéger ses droits de brevet est d’une grande importance.

[16] Le principal argument de Worthware est que sa demande de communication est distincte de l’action sous-jacente intentée contre Raysoft, qui est fondée sur l’allégation selon laquelle Raysoft contrefait indirectement le brevet de Worthware en incitant les revendeurs à la contrefaçon. Worthware affirme avoir déposé la présente requête dans le contexte de cette action afin d’éviter une multiplication des procédures, mais elle soutient que les motifs de la demande sont distincts des raisons qui ont motivé son action contre Raysoft. En tant que titulaire de brevet, Worthware déclare avoir le droit de connaître l’identité des contrefacteurs directs.

[17] En outre, Worthware allègue qu’elle doit poursuivre les revendeurs parce qu’elle n’a pas confiance dans l’information fournie par Raysoft quant au nombre de revendeurs et de magasins qui contrefont directement son brevet. Elle doute de la capacité de Raysoft de verser les dommages-intérêts susceptibles d’être accordés à l’issue du procès et souhaite donc, pour défendre ses droits, connaître l’identité des revendeurs afin d’engager des poursuites contre eux.

[18] La défenderesse s’oppose à la présente requête, et ce, pour trois motifs principaux. Premièrement, elle affirme que la requête n’est qu’une tentative d’échapper aux effets d’une ordonnance antérieure de notre Cour. La demanderesse s’est vue refuser une ordonnance qui aurait obligé M. Lalancette à fournir exactement les renseignements demandés dans la présente requête. Elle n’a pas interjeté appel de cette ordonnance antérieure et est donc liée par celle-ci. Dans de telles circonstances, il n’y a pas lieu d’accorder une ordonnance de type Norwich, qui constitue une réparation équitable.

[19] Deuxièmement, Raysoft affirme que Worthware n’a pas satisfait à une exigence essentielle parce qu’elle n’a pas démontré que M. Lalancette était l’unique source auprès de laquelle obtenir les renseignements nécessaires. Les noms et adresses des clients de Raysoft figurent dans ses registres; M. Lalancette n’est donc pas la seule source de renseignements.

[20] Enfin, Raysoft soutient que Worthware n’a pas besoin de poursuivre les revendeurs puisqu’elle sera pleinement indemnisée de ses pertes si elle obtient gain de cause dans l’action sous-jacente. Raysoft prétend que Worthware cherche uniquement à obtenir les noms et adresses de ses revendeurs afin d’essayer de leur vendre son logiciel. Les deux entreprises se font concurrence sur un marché relativement petit et très compétitif, et Raysoft affirme que la Cour ne devrait pas appuyer la tactique de Worthware en rendant l’ordonnance.

C. Analyse

[21] Compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce, je ne suis pas convaincu qu’il soit juste et équitable d’accorder une ordonnance de type Norwich. Plus précisément, je suis d’avis que Worthware n’a pas démontré que M. Lalancette est la seule source pratique pour obtenir les renseignements voulus. Par conséquent, l’ordonnance demandée ne sera pas accordée. Étant donné qu’il s’agit d’une requête préliminaire et que l’audience de l’action sous-jacente pourrait procéder, je limiterai mon analyse aux éléments essentiels nécessaires afin d’expliquer ma décision.

[22] Il est depuis longtemps reconnu qu’une ordonnance de type Norwich constitue une réparation équitable exceptionnelle, reposant sur l’interrogatoire préalable en equity, accordée pour donner un moyen d’obtenir des renseignements nécessaires auprès d’un tiers. Dans la décision GEA Group AG v Ventra Group Co, 2009 ONCA 619, la juge Cronk a déclaré : [traduction] « Il importe de souligner qu’une ordonnance de type Norwich constitue une réparation équitable, discrétionnaire et souple. C’est également une réparation contraignante et extraordinaire qu’il convient d’accorder avec prudence. » (au para 85). Notre Cour a déjà fait preuve de prudence dans une demande d’ordonnance semblable : voir ME2 Productions, Inc. c. M. Untel, 2019 CF 214, au para 47.

[23] Un des éléments essentiels du critère est que la partie qui sollicite l’ordonnance doit montrer que celle-ci est nécessaire parce que la partie nommée est la seule source pratique de renseignements. Il s’agit d’un élément impératif du critère; pour s’y conformer, il ne suffit pas de montrer que la partie que l’on cherche à interroger au préalable est la source la plus pratique ou facile permettant d’accéder aux renseignements recherchés.

[24] Cela porte un coup fatal à la demande de la demanderesse en l’espèce. La requête de Worthware est appuyée par l’affidavit de son président, M. Ronald Moss. Dans son affidavit, M. Ross explique pourquoi Worthware a besoin de l’ordonnance :

[traduction]
29. La défenderesse et son seul administrateur et dirigeant, Richard Lalancette, sont les seuls moyens dont dispose la demanderesse pour identifier les contrefacteurs directs présumés, à savoir les revendeurs de la défenderesse, et obtenir leurs noms et adresses respectifs ainsi que les adresses de leurs magasins respectifs.

[25] On reconnaît ainsi que la défenderesse détient les renseignements nécessaires, comme on peut s’y attendre dans le cours normal de ses activités commerciales. De surcroît, lors de l’interrogatoire préalable de M. Lalancette qui témoignait en tant que seul représentant de la société défenderesse, la demanderesse a justement demandé les renseignements qu’elle cherche maintenant à obtenir. La défenderesse a refusé de fournir ces renseignements et la juge chargée de la gestion de l’instance a examiné la question en tenant compte des requêtes relatives aux refus présentées par les deux parties.

[26] Relativement à l’opposition à la demande de production de la liste des clients de Raysoft, la juge chargée de la gestion de l’instance a noté que Worthware, dans son action en contrefaçon, alléguait que Raysoft incitait ses clients à contrefaire le brevet no 486 et qu’aucun des clients n’était partie à l’action. La demande concernant la liste des clients a été rejetée, étant donné que [traduction] « le but des interrogatoires préalables n’est pas d’obtenir les noms de témoins éventuels dans le seul but d’intenter une action contre eux [...] Ce genre d’interrogatoire à l’aveuglette est désapprouvé de façon claire et constante dans la jurisprudence [...] » (ordonnance relative à la requête portant sur les refus, au para 33, renvois omis).

[27] La juge chargée de la gestion de l’instance a rejeté l’analogie qu’a tenté de faire l’avocat de Worthware entre l’étendue des questions posées lors de l’interrogatoire préalable et les obligations qui découlent d’une ordonnance de type Norwich : [traduction] « L’objectif et le motif de la communication de renseignements dans les deux cas sont totalement différents. » (ordonnance relative à la requête portant sur les refus, au para 34)

[28] Au bout du compte, la juge chargée de la gestion de l’instance a reconnu que les dates de début et de fin de l’utilisation du logiciel Raysoft par les clients pouvaient avoir un effet sur la portée et le calcul des dommages-intérêts de Worthware, et a ordonné la communication de ces renseignements. Cependant, en ce qui concerne la demande d’obtention des noms et des adresses des clients de Raysoft, la juge chargée de la gestion de l’instance a déclaré ce qui suit :

[traduction]
La transcription n’indique pas clairement pourquoi les noms et adresses des clients de Raysoft sont nécessaires. L’avocat de Worthware semble indiquer que ces clients sont peut-être également des contrefacteurs. La Cour ne peut pas tirer de conclusion quant au but de la communication des noms des clients et ne peut pas non plus conclure que cette communication vise une fin légitime, par exemple en application de l’alinéa 240b) des Règles [...]. Il n’y a pas lieu de communiquer les noms et adresses des clients (ordonnance relative à la requête portant sur les refus, au para 35e)).

[29] Je conviens avec la défenderesse que le fait que la demanderesse ait déjà cherché – sans succès – à obtenir ces renseignements dans le contexte de l’action sous-jacente est un facteur pertinent. Cela confirme la conclusion selon laquelle M. Lalancette n’est pas réellement la seule source pratique de renseignements. Si la demanderesse avait formulé autrement son action sous-jacente, par exemple en incluant une demande contre des défenderesses non désignées nommément en tant que contrefacteurs directs, elle aurait fort bien pu obtenir les renseignements voulus dans le contexte de l’interrogatoire préalable. Elle n’a toutefois pas procédé ainsi et n’a pas non plus démontré la pertinence des listes de clients quant à l’action existante.

[30] À cet égard, le choix de la date de dépôt de la demande est également un facteur pertinent. Je constate que Worthware a présenté sa requête en vue d’obtenir une ordonnance de type Norwich le 5 juillet 2021, soit près de quatre ans après avoir intenté son action contre Raysoft (la déclaration initiale a été déposée le 12 mai 2017 et a été modifiée le 15 mars 2019). La requête a été présentée près d’un an après la décision rejetant la demande d’ordonnance déposée par Worthware en vue d’obliger la défenderesse à lui communiquer les renseignements qu’elle cherche justement à obtenir maintenant (la décision de la juge chargée de la gestion de l’instance, la juge Steele, rejetant cette demande a été rendue le 16 septembre 2021). Il s’agit d’un facteur important dans l’évaluation de l’affaire sous l’angle de l’équité globale.

[31] Il est particulièrement important de souligner que Worthware connaissait dès le départ tous les faits essentiels sur le fonctionnement de la contrefaçon présumée; la question de l’implication des revendeurs ne s’est pas posée seulement au moment de l’interrogatoire préalable. Il y a donc lieu de se demander pourquoi Worthware cherche désormais à obtenir une telle réparation équitable exceptionnelle, dans le contexte de son action en cours contre Raysoft.

[32] Il est difficile de croire l’argument de Worthware selon lequel elle a déposé la présente requête parce qu’elle doute de la capacité de Raysoft à verser les dommages-intérêts susceptibles d’être accordés. Rien ne permet de mettre en doute la situation financière de Raysoft, et Worthware a reconnu à l’audience qu’elle n’avait pas sollicité de cautionnement pour les dépens ni pris d’autres mesures pour vérifier la situation financière de la défenderesse ou se protéger autrement.

[33] Le statut de M. Lalancette est un autre élément à prendre en considération. La demanderesse a raison, théoriquement, d’affirmer qu’il n’est pas partie à l’instance sous-jacente. Toutefois, il est le représentant de la défenderesse qui a témoigné dans cette instance et il sera directement concerné par la décision qui sera rendue, compte tenu du poste qu’il occupe dans l’entreprise. Il est inutile de se prononcer de façon générale sur la question de savoir s’il est possible que le titulaire d’un tel poste soit reconnu comme le type de [traduction] « tiers » à l’encontre duquel une ordonnance de type Norwich peut être rendue (voir, par exemple, l’analyse dans la décision Bluemoon v Ceridian, 2022 ONSC 301, aux para 49-59). Je me contenterais plutôt de faire remarquer qu’en l’espèce, la demanderesse a déjà interrogé M. Lalancette lors de l’interrogatoire préalable pour obtenir les renseignements qu’elle tente d’obtenir à présent. Worthware a demandé à notre Cour de rendre une ordonnance pour forcer M. Lalancette à répondre à la question, mais la Cour a refusé de le faire. Worthware n’a pas interjeté appel de cette décision.

[34] Il est reconnu depuis longtemps que les ordonnances de type Norwich n’ont pas pour objet de contourner le processus normal d’interrogatoire préalable dans un litige (voir l’analyse dans la décision AARC Society (Alberta Adolescent Recovery Centre) v Sparks, 2019 ABQB 87 [AARC], aux para 29-30). C’est un autre facteur qui appuie ma conclusion selon laquelle il n’y a pas lieu d’accorder une ordonnance de type Norwich à Worthware, compte tenu de toutes les circonstances.

[35] Tous les points clés abordés ci-dessus ont été soulevés lors de l’audition de la présente requête et les réponses que la demanderesse a tenté de donner n’ont pas été convaincantes. Au bout du compte, après avoir examiné le dossier écrit et les observations orales des parties, je ne peux conclure que l’ordonnance de type Norwich sollicitée par la demanderesse est [traduction]« nécessaire » dans les circonstances particulières de l’espèce. La demanderesse n’a pas non plus démontré qu’il est juste et équitable d’accorder une telle réparation.

[36] Pour ces motifs, je rejette donc la requête de Worthware en vue d’obtenir une ordonnance de type Norwich.

[37] En ce qui concerne la question des dépens, bien que les deux parties aient présenté des observations à ce sujet lors de l’audience, il a été accepté dans une correspondance subséquente qu’une somme forfaitaire de 5 000 $ serait adéquate. Exerçant le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré par l’article 400 des Règles et tenant compte de la complexité de l’affaire et de la nature de l’instance, je suis d’avis qu’il s’agit d’une somme forfaitaire convenable. La demanderesse versera à la défenderesse la somme forfaitaire globale de 5 000 $.


ORDONNANCE dans le dossier T-713-17

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête de la demanderesse en vue d’obtenir une ordonnance de type Norwich en application des articles 233 et 238 des Règles est rejetée.

  2. La demanderesse versera à la défenderesse des dépens forfaitaires globaux de 5 000 $.

« William F. Pentney »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-713-17

INTITULÉ :

WORTHWARE SYSTEMS

INTERNATIONAL INC. c RAYSOFT INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 octobre 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE :

le 1 novembre 2022

COMPARUTIONS :

Daniel F. O’Connor

Pour la demanderesse

Marc-André Nadon

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Daniel F. O’Connor Saint-Faustin-Lac-Carré (Québec)

Pour la demanderesse

Prévost Fortin D’Aoust

Boisbriand (Québec)

Pour la défenderesse

 

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