Date : 20221019
Dossier : IMM-6024-21
Référence : 2022 CF 1423
Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2022
En présence de l'honorable monsieur le juge Gleeson
ENTRE :
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RONNY ASAEL MIRANDA MIRANDA
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1] Le demandeur M. Ronny Asael Miranda Miranda, citoyen hondurien, allègue une menace à sa vie liée à un gang de rue au Honduras. En concluant que le demandeur n’était pas crédible en regard de plusieurs incohérences entre son témoignage et son récit, la Section de la protection des réfugiés [SPR] a déterminé que le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Dans sa décision datée du 10 août 2021, la Section d’appel des réfugiés [SAR] a rejeté l’appel du demandeur.
[2] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la SAR en vertu de l’article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27. Après avoir examiné attentivement le dossier et les observations des deux parties, je conclus que la présente demande doit être rejetée. Pour les raisons qui suivent, je suis satisfait que la décision de la SAR est raisonnable.
II.
Contexte de l’affaire
[3] Le demandeur allègue qu’en septembre 2010, lors de son travail dans une usine de chaussures, au moins 18 personnes ont été tuées par des coups de feu. Dans son formulaire de fondement de la demande d’asile (FDA), il a écrit qu’il s’est sauvé par la fenêtre des toilettes de l’usine après avoir remarqué l’arrivée de plusieurs hommes armés dans un camion blanc. La police lui a indiqué que le massacre était le résultat d’une guerre de gangs de rue et, plus tard, il a appris que le gang de rue MS était responsable.
[4] Il s’est réinstallé dans un quartier sous le contrôle d’un gang de rue rival et il a déclaré qu’il y avait des rumeurs que la MS cherchait les survivants du massacre. En 2013, son cousin l’a informé que la MS savait qu’il se cachait et que sa vie était en danger. Il a encore déménagé. En 2014, le propriétaire de l’usine de chaussures a été assassiné. Le demandeur et son épouse ont décidé de déménager une autre fois. En octobre 2016, alors qu’il était devant son domicile avec son épouse et son bébé, il a vu une camionnette blanche foncer vers eux à grande vitesse. Ils sont tous entrés dans la maison pour se cacher. Une fois à l’intérieur, le demandeur a entendu des coups de feu tirés sur la maison.
[5] Il n’a pas porté plainte à la police parce que la MS avait infiltré la police. Suivant le conseil de son cousin, il a déplacé sa famille chez son beau-frère.
[6] En 2017, il a été engagé comme travailleur étranger temporaire pour un poste dans le secteur agricole au Canada. À la fin de son contrat, il a déposé sa demande d’asile le 6 mars 2018, croyant qu’il serait toujours en danger s’il retourne au Honduras.
III.
Décision faisant l’objet du contrôle judiciaire
[7] Les questions en litige devant la SAR étaient les mêmes que celles soulevées par le demandeur dans cette demande. Notamment, le demandeur alléguait une crainte de partialité de la SPR et des erreurs dans l’évaluation de la protection de l’État, le risque prospectif, les contradictions entre le FDA et le témoignage – incluant l’absence de preuve de l’emploi dans l’usine des chaussures – et les conclusions défavorables par rapport à la crédibilité du demandeur.
[8] Après avoir écouté l’enregistrement de l’audience devant la SPR, la SAR a rejeté l’argument que la SPR se moquait du demandeur et que la SPR avait une idée préconçue avant d’entendre les soumissions de sa représentante. La SAR a trouvé que le ton de la SPR était uniforme et respectueux et elle a rejeté la suggestion que la pause de plus de 30 minutes avant d’entendre les soumissions de la représentante du demandeur démontrait que le commissaire avait fixé son idée avant d’entendre les plaidoiries.
[9] La SAR a conclu que la présomption de la protection étatique adéquate n’était pas réfutée parce que le demandeur n’a porté plainte à la police à aucun moment après la tuerie de 2010 ou l’incident de 2016. Compte tenu de l’explication du demandeur quant à sa décision de ne pas porter plainte parce que la protection est inexistante, car les policiers sont corrompus, le SAR a accepté que la preuve objective du Cartable national de documentation (CND) démontre une impunité dans certaines circonstances. La SAR admet que la corruption et une méfiance existent au Honduras, mais le demandeur n’a pas d’expérience personnelle qui indique que la protection étatique adéquate n’était pas disponible. La SAR a noté que son épouse a porté plainte pour une autre affaire et a conclu que le défaut du demandeur de recourir à la protection étatique minait sa crédibilité.
[10] La SAR a aussi considéré les contradictions entre le FDA et le témoignage rendu par rapport aux événements du jour du massacre. Devant la SPR, le demandeur alléguait qu’il a reconnu deux individus et a averti des collègues, mais dans le FDA il se sauvait par la fenêtre des toilettes sans faire mention de ses avertissements. Cette contradiction contribue à discréditer le demandeur, selon la SAR.
[11] En considérant le risque prospectif, la SAR a trouvé que le demandeur n’avait pas établi un lien entre l’assassinat du propriétaire de l’usine, la camionnette qui a foncé sur sa famille, et le massacre de 2010. En plus, la SAR a conclu que l’attaque contre le propriétaire en 2014 n’a pas mené à des blessures ou un attentat sur les travailleurs dans l’usine de cette époque. Par conséquent, le demandeur ne semblait pas être une personne d’intérêt.
[12] Selon la SAR, des éléments isolés qui minent la crédibilité du demandeur ne suffisaient pas à conclure à un manque de crédibilité. Mais, les nouveaux faits dans le témoignage des événements de 2010, les généralisations quant au manque de protection étatique et l’absence de problèmes pour sa famille au Honduras, tous ensemble, ont signalé une crédibilité minée.
IV.
Question en litige et norme de contrôle applicable
[13] Le demandeur a identifié plusieurs questions qui remettent en question la raisonnabilité de la décision de la SAR. Le demandeur allègue également une violation des principes de justice naturelle et de l'équité procédurale.
[14] L'avocat du demandeur a précisé, au cours des soumissions orales, que l’allégation d’une violation des principes de justice naturelle et de l'équité procédurale est fondée sur une crainte de partialité de la SPR. La question soulevée dans la présente demande n'est donc pas celle de la partialité de la SAR, mais plutôt de savoir si la conclusion de la SAR portant sur la partialité de la SPR est raisonnable.
[15] La demande soulève une seule question, à savoir si la décision de la SAR était raisonnable. La norme de la décision raisonnable s’applique (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 10 [Vavilov]).
[16] Une décision raisonnable a plusieurs caractéristiques, telles que la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov, ci-dessus, au para 99). De plus, une décision raisonnable est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »
(Vavilov, ci-dessus, au para 85). En appliquant la norme de contrôle de la décision raisonnable, la Cour ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif, la cour de révision n’est plutôt appelée qu’à décider du caractère raisonnable de la décision, ce qui inclut à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu (Vavilov, ci-dessus, au para 83).
Analyse
[17] Il incombe au demandeur de démontrer que les lacunes ou les insuffisances identifiées sont suffisamment critiques ou importantes pour rendre la décision déraisonnable – qu’on ne peut considérer que la décision satisfait aux exigences de raisonnabilité, d'intelligibilité et de transparence. Les prétendues déficiences qui sont superficielles ou accessoires par rapport à la substance de la décision ne sont pas suffisantes pour justifier l'intervention de la Cour (Vavilov, ci-dessus, au para 100).
[18] Le demandeur a clairement démontré son désaccord avec le traitement que la SAR a fait des questions soulevées en appel, mais je ne suis pas convaincu que la décision soit déraisonnable.
A.
Crainte de partialité
[19] Devant la SAR, le demandeur a prétendu que la SPR se moquait de ses réponses et que cela avait une incidence sur le témoignage de ce dernier. De plus, la pause prise avant que le commissaire ait entendu les soumissions du demandeur et le comportement de la SPR suggèrent que la SPR n’était pas ouverte d’esprit et qu’elle avait déjà pris sa décision bien avant la fin de l’audience. Ainsi, selon le demandeur, sa plaidoirie n’était qu'à des fins procédurales.
[20] La SAR a trouvé, après avoir écouté les enregistrements de l’audience devant la SPR que la SPR a utilisé un ton uniforme, les questions posées étaient fondées et les confrontations aux contradictions et omissions se sont fait avec un ton égal, mesuré et respectueux. La SAR pouvait tirer cette conclusion; elle est raisonnable.
[21] En arrivant à cette conclusion, je ne rejette pas la perception subjective du demandeur sur le ton de la SPR. Après avoir entendu les parties des enregistrements de l’audience citées par le demandeur dans les représentations orales, je trouve que la SPR a été brusque et indifférente, ce qui suggère, au pire, que la SPR n’était pas accueillante et sensible au demandeur alors qu’il racontait des expériences difficiles. Cependant, le demandeur n’a pas pu identifier en quoi ses réponses ou son comportement ont été affectés par ce comportement de la SPR. De plus, l’enregistrement démontre que la SPR lui a laissé la parole pour répondre aux questions sans interruption. Cela souligne à quel point il est important qu'un décideur soit conscient de son ton et de ses réactions lorsqu'il entend la preuve.
[22] De même, il n'était pas déraisonnable pour la SAR de conclure que les moments choisis pour prendre des pauses, ainsi que la durée de ces pauses, et le fait que la SPR était prête à rendre une décision à la fin des soumissions, n’étaient pas des motifs de partialité. Je note que selon l’alinéa 10(8) des Règles de la section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 : « Le commissaire de la Section rend une décision et donne les motifs de la décision de vive voix à l’audience, à moins qu’il ne soit pas possible de le faire. »
B.
Protection de l’État
[23] Le demandeur avance que la présomption de protection de l’État est réfutée par la preuve objective et que le critère subjectif n’est pas nécessaire (Hinzman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171 au para 37; Garcia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 79 au para 18). Il avance aussi que la preuve objective du CND démontre que la protection de l’état est illusoire, car la police est corrompue et l’impunité est une certitude. Finalement, le demandeur allègue que la SPR et la SAR ont augmenté le seuil de la norme de preuve en voulant que le demandeur prouve que tous les policiers sont corrompus.
[24] L’asile ne peut être accordé à un demandeur que s’il est prouvé de façon claire et convaincante qu’aucune protection n’était offerte ou qu’elle était inefficace au point où la conduite de l’État constituait de la persécution (Hinzman, ci-dessus, au para 54).
[25] La SAR a accepté que le CND démontre qu’il y a de la corruption dans les services de police, que la population se méfie de la police et que les plaintes contre les policiers ont un faible taux de réussite. Toutefois, rien dans la preuve objective indiquait que la police ne répond pas aux craintes des citoyens, ce qui aurait été pertinent aux circonstances du demandeur. La SAR a déterminé qu'en l'absence d'un effort de la part du demandeur pour accéder à une protection, les preuves généralisées étaient insuffisantes pour renverser la présomption de protection de l'État. La méfiance subjective n'était pas suffisante. L'analyse de la SAR explique le fondement des conclusions tirées et reflète la jurisprudence applicable.
C.
Contradictions entre le FDA et le témoignage du demandeur
[26] Encore, je ne suis pas convaincu que la SAR a commis une erreur en tirant une inférence négative relativement à la crédibilité à cause des incohérences entre le FDA et le témoignage du demandeur.
[27] Le demandeur soumet qu'il était déraisonnable de tirer une conclusion négative fondée sur l'absence de preuve corroborant d'un emploi à l'usine de chaussures en 2010. La position du demandeur déforme la conclusion de la SAR.
[28] D'abord, la SAR notait spécifiquement que l’absence de preuve à l’égard de l’emploi était insuffisante pour tirer une inférence négative de crédibilité et que l'analyse de la SPR était incomplète. La SAR a tiré une inférence négative après avoir examiné l'incohérence entre le FDA du demandeur et son témoignage concernant ses actions au moment de la fusillade de 2010.
[29] Dans son témoignage, le demandeur a indiqué avoir reconnu deux individus puis avoir averti ses collègues avant de se cacher – des informations qui n'étaient pas incluses dans le FDA. La SAR a noté l’explication pour l’incohérence/omission, mais a trouvé la contradiction difficilement réconciliable. Dans ses observations écrites, le défendeur note que l’affidavit déposé au soutien de la demande de contrôle judiciaire du demandeur s’en tient au récit présenté dans son FDA et ne mentionne rien au sujet d’avoir reconnu deux individus ou d’avoir avisé ses collègues.
D.
Risque prospectif
[30] La SAR a pris en considération les circonstances alléguées par le demandeur pour démontrer que la MS le rechercherait activement : le demandeur était avisé de l’intérêt continu de la MS par son cousin, le propriétaire de l’usine a été assassiné quatre ans après la tuerie en 2010, et l’incident en 2016 qui a impliqué une camionnette de la même couleur et la même marque que celle de l’événement de 2010. En concluant que ces facteurs étaient insuffisants pour établir que le demandeur est l’objet d’intérêt de l’agent de persécution, la SAR estimait que la base pour relier les incidents de 2010, 2014 et 2016 est spéculative et a conclu que ces incidents n'établissent pas un intérêt continu ou un risque prospectif. La SAR notait également que la famille du demandeur continuait de résider dans la même région, que sa conjointe travaillait toujours et que ses enfants allaient à l'école sans difficulté. En plus, il n'est pas contesté que le demandeur n’a pas reçu des menaces directes de l’agent de persécution.
[31] Le demandeur s’appuie sur Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 1 CF 53 pour argumenter que la SAR a commis une erreur en ne se fondant pas sur les « guidelines »
du cartel, qui, selon le demandeur, démontrent que ce n’est pas le réflexe de l’agent de persécution de s’en prendre aux membres de la famille et qui expliquent le manque de difficulté vécue par la famille. Je ne suis pas persuadé par cet argument. La preuve en question ne contredit pas carrément la conclusion de la SAR. L'argument reflète plutôt une réinterprétation de la preuve. Cepeda-Gutierrez n'assiste pas le demandeur.
[32] De même, le recours du demandeur à Ortega Arenas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 344 n'est pas d'un grand secours. L'analyse de la SAR reflète la première étape énoncée dans Ortega - existe-t-il un risque futur continu ? La SAR a répondu à cette question par la négative.
[33] La SAR n'a pas commis d'erreur dans l'évaluation du risque prospectif de persécution.
E.
Conclusion sur la crédibilité
[34] De même, je ne trouve rien de nouveau à dire au sujet des conclusions de la SAR selon lesquelles les déductions négatives en matière de crédibilité, lorsqu'elles sont considérées cumulativement, minent la crédibilité de la demande.
[35] Les principes applicables à l’analyse de la crédibilité ont été examinés par le juge Denis Gascon dans la décision Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 où il dit :
[22] Deuxièmement, même si elles peuvent être insuffisantes lorsqu’elles sont examinées une à une ou isolément, l'accumulation de contradictions, d'incohérences et d'omissions concernant des éléments cruciaux d'une demande d'asile peut appuyer une conclusion négative sur la crédibilité d'un demandeur […]. Je m’arrête un instant pour souligner l’énoncé bien reconnu selon lequel la SPR est la mieux placée pour évaluer la crédibilité d’un demandeur, puisqu’elle a l’avantage d’entendre son témoignage […].
VI.
Conclusion
[36] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.
JUGEMENT au dossier IMM-6024-21
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée;
Aucune question n’est certifiée.
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« Patrick Gleeson »
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blanc
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Juge
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-6024-21
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INTITULÉ :
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RONNY ASAEL MIRANDA MIRANDA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 20 septembre 2022
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JUGEMENT ET motifs :
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LE JUGE GLEESON
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DATE DES MOTIFS :
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LE 19 OCTOBRE 2022
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COMPARUTIONS :
Me Susan Ramirez
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Pour le demandeur
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Me Zoé Richard
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Susan Ramirez
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Pour le demandeur
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Procureur général du Canada
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Pour le défendeur
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