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Date : 20221027


Dossier : IMM-6755-21

Référence : 2022 CF 1469

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2022

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

PARHAM TORKESTANI

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Après avoir entendu les plaidoiries, j’ai informé les parties que la présente demande serait accueillie et que les motifs suivraient. Voici donc ces motifs.

[2] Le demandeur, M. Parham Torkestani, est un élève adolescent vivant à Téhéran, en Iran. Il avait 17 ans lorsqu’il a présenté une demande de permis d’études pour faire sa onzième année à l’école secondaire Dr. G.W. Williams à Aurora, en Ontario.

[3] Avec sa demande, il a présenté un plan d’études et des éléments de preuve documentaire établissant la situation financière de sa famille. Son plan d’études expose les raisons pour lesquelles il désire faire sa onzième année au Canada. Il dit qu’il souhaite améliorer ses compétences en anglais en étudiant au Canada. Bien qu’il ait étudié en anglais de la sixième à la huitième année dans une école internationale en Malaisie, la langue d’enseignement en Iran est le farsi. En outre, selon le demandeur, une personne qui obtient un diplôme d’une école secondaire, d’un collège ou d’une université du Canada a une longueur d’avance par rapport à ses pairs et est avantagée sur le marché du travail en Iran. Après avoir terminé ses études secondaires, le demandeur espère continuer ses études dans un collège ou une université du Canada, puis retourner travailler en Iran. Il dit que ses parents et son frère vivent en Iran et qu’ils ont des [traduction] « liens affectifs étroits ».

[4] Le 27 septembre 2021, l’agent a rejeté la demande de permis d’études du demandeur. Dans les passages essentiels de la lettre de décision, on peut lire ce qui suit :

[traduction]

Je rejette votre demande pour les motifs suivants :

Je ne suis pas convaincu que vous quitterez le Canada à la fin de votre séjour, comme l’exige le paragraphe 216(1) du RIPR [Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227], compte tenu de vos biens personnels et de votre situation financière.

Je ne suis pas convaincu que vous quitterez le Canada à la fin de votre séjour, comme l’exige le paragraphe 216(1) du RIPR, compte tenu de l’objet de votre visite.

[5] Les notes consignées par l’agent dans le Système mondial de gestion de cas [le SMGC] énoncent la raison du refus. Le demandeur souligne qu’une grande partie du contenu de ces notes est identique à certains passages rédigés par le juge Pentney dans la récente décision Soltaninejad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2022 CF 1343. J’ai souligné les passages qui se recoupent dans l’extrait suivant :

J’ai examiné la demande. Bien que les droits de scolarité aient été payés, la famille du demandeur ne semble pas suffisamment bien établie pour que les études envisagées soient une dépense raisonnable. Peu de documents expliquent d’où proviennent les fonds versés. Le demandeur mineur souhaite faire sa 11e année dans une école du York Region District School Board. Le but de la visite en soi ne paraît pas raisonnable, compte tenu du fait que des programmes d’études semblables sont offerts plus près du lieu de résidence du demandeur. La motivation de celui-ci à étudier au Canada ne semble pas raisonnable, étant donné qu’un programme comparable est offert dans son pays d’origine à une fraction du coût. Le but de la visite ne paraît pas raisonnable, compte tenu de la situation socioéconomique du demandeur. Je ne suis donc pas convaincu que le demandeur quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Après avoir soupesé les facteurs à prendre en considération dans le cadre de la présente demande, je ne suis pas convaincu que le demandeur quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Pour les raisons que je viens d’exposer, je rejette la présente demande.

[6] Il est possible que les deux demandes aient été tranchées par le même agent ou que le défendeur ait fourni aux agents une formulation type. Quoi qu’il en soit, le raisonnement que l’agent a suivi pour parvenir à sa conclusion n’est pas raisonnable selon le cadre établi dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65.

[7] Aux paragraphes 10 et 11 de la décision Mundangepfupfu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1220 [Mundangepfupfu], la Cour a récemment souligné que, pour évaluer le caractère raisonnable d’une décision, une cour de révision doit tenir compte du « cadre institutionnel dans lequel a été rendue la décision » et que « [l]es agents des visas sont chargés d’examiner un très grand nombre de demandes de permis d’études ». Malgré tout, « bien que les motifs n’aient pas à être approfondis, la décision de l’agent doit être transparente, justifiée et intelligible » (Mundangepfupfu, au para 11).

[8] Les décisions relatives aux demandes de permis d’études sont importantes pour les étrangers qui souhaitent étudier au Canada, et ces personnes ont droit à des motifs qui leur permettent de comprendre pourquoi, compte tenu des documents déposés, leur demande a été rejetée.

[9] Les motifs que l’agent a consignés dans le SMGC comportent plusieurs lacunes.

[10] Premièrement, je conviens avec le demandeur que l’agent ne disposait d’aucune preuve indiquant que des programmes semblables sont offerts plus près de son lieu de résidence, à une fraction du coût. Au paragraphe 20 de la décision Aghaalikhani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1080, le juge Gascon a qualifié ces programmes d’« obscurs ».

[11] Il est vrai, comme le défendeur l’a souligné, qu’il existe des écoles en Iran. Toutefois, dans son plan d’études, le demandeur écrit ce qui suit :

[traduction]

La deuxième raison importante pour laquelle j’ai choisi d’étudier au Canada est qu’en Iran, le farsi est la langue d’enseignement, et comme j’ai fait mes 6e, 7e et 8e années en Malaisie, j’ai déjà une bonne compréhension de l’anglais. En étudiant au Canada, j’aurai la chance d’améliorer mes compétences en anglais, qui me seront très utiles.

[12] D’après le dossier, il ne semble pas y avoir de programme équivalent dont la langue d’enseignement est l’anglais en Iran. Le fait que le demandeur ait dû se rendre en Malaisie pour étudier l’anglais dans une école internationale témoigne de l’absence de programmes d’études en anglais en Iran.

[13] Dans le but d’aider l’agent, l’avocat du défendeur écrit ce qui suit dans son mémoire :

[traduction]

Dans la lettre d’observations qui accompagne sa demande, le demandeur a indiqué qu’il étudiait à l’école internationale Avicenna, à Téhéran. Le demandeur n’a présenté aucun document ou relevé de notes provenant de cette école, mais il semble que la principale langue d’enseignement y soit l’anglais. (Note de bas de page : https://ir.avicenna.hu/, consultée le 5 octobre 2022)

[14] L’avocat a peut-être raison. Toutefois, comme le site Web est en farsi, la Cour n’est pas en mesure de confirmer l’affirmation de l’avocat. Quoi qu’il en soit, l’agent n’a jamais précisé qu’il faisait référence à cette école ou à son programme. S’il l’avait fait, je me serais attendu à ce qu’il souligne simplement que le demandeur semblait être déjà inscrit dans un programme d’études en langue anglaise en Iran.

[15] Deuxièmement, les conclusions de l’agent relatives à la situation financière et socioéconomique de la famille du demandeur ne concordent pas avec le dossier.

[16] Le demandeur a fourni les titres de trois propriétés lui appartenant ainsi que le relevé bancaire de son père, les titres de cinq propriétés appartenant à son père et le permis d’exploitation d’entreprise de son père. Le compte bancaire de son père affiche un solde de plus de 500 000 dollars canadiens. Je conviens avec le demandeur que les liquidités dont dispose son père, en plus des propriétés que les deux possèdent, viennent contredire la conclusion de l’agent selon laquelle sa famille n’est pas bien établie en Iran.

[17] L’avocat du défendeur, et non l’agent, souligne que ni le nom du titulaire du compte ni l’historique des transactions ne figurent sur le relevé bancaire présenté par le demandeur. Malgré l’absence d’un historique des transactions, le numéro d’identification personnel indiqué sur le relevé bancaire est le numéro du père du demandeur qui figure ailleurs au dossier. L’avocat, et non l’agent, encore une fois, fait remarquer que les titres de propriété n’établissent aucunement la part de l’intérêt dans les propriétés ou leur valeur nette. Quoi qu’il en soit, un père qui possède plus de 500 000 dollars canadiens en liquidités a les moyens financiers de payer les études de son fils au Canada pendant une année ou plus.

[18] À mon avis, le défendeur tente de façon répétée et inappropriée de combler les lacunes dans les motifs fournis par l’agent.

[19] Au paragraphe 96 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada précise ce qui suit :

Lorsque, même s’ils sont interprétés en tenant compte du contexte institutionnel et à la lumière du dossier, les motifs fournis par l’organisme administratif pour justifier sa décision comportent une lacune fondamentale ou révèlent une analyse déraisonnable, il ne convient habituellement pas que la cour de révision élabore ses propres motifs pour appuyer la décision administrative. [Non souligné dans l’original.]

[20] Je suis d’avis qu’il est tout aussi inapproprié de la part de l’avocat qui défend le décideur d’élaborer ses propres motifs pour appuyer la décision. La décision et ses motifs doivent être appréciés selon leur propre valeur.

[21] Pour les motifs qui précèdent, la demande est accueillie, et la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire est annulée. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6755-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant : La demande est accueillie; l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen; aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sophie Reid-Triantafyllos


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6755-21

 

INTITULÉ :

PARHAM TORKESTANI c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 OctobRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 octobRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Amirhossein Zarei

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Gregory George

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Zarei Law Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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