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Date : 20221027


Dossier : T-607-21

Référence : 2022 CF 1477

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2022

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

APOTEX INC.

demanderesse

et

JANSSEN INC., JANSSEN ONCOLOGY INC. et BTG INTERNATIONAL LTD.

défenderesses

ORDONNANCE ET MOTIFS PUBLICS

I. Aperçu

[1] La présente décision se rapporte à une requête qu’ont déposée Janssen Inc., Janssen Oncology Inc. et BTG International Ltd., [collectivement, Janssen], les défenderesses dans la présente action intentée au titre de l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-113 [le Règlement]. Dans le cadre de l’action sous-jacente, la demanderesse, Apotex Inc. [Apotex], réclame à Janssen des dommages-intérêts pour la perte de ventes d’acétate d’abiratérone.

[2] Dans la présente requête, Janssen demande, au titre de l’article 75 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], l’autorisation de modifier sa défense. Apotex s’oppose à la requête.

[3] Certains des éléments de preuve produits à l’appui de la présente requête sont assujettis à une ordonnance de confidentialité, afin de protéger les renseignements confidentiels des parties qui sont de nature délicate sur le plan commercial. Par conséquent, un projet de décision confidentielle a été envoyé aux parties le 7 octobre 2022 afin qu’elles puissent proposer tout caviardage requis pour la publication de la version publique de la décision. Les parties ont proposé conjointement des caviardages. Comme ceux-ci n’auront aucune incidence sur l’intelligibilité de la décision, je suis convaincu qu’ils établissent un juste équilibre entre la protection des renseignements confidentiels et l’intérêt public dans le cadre de procédures judiciaires ouvertes et accessibles. Par conséquent, deux versions de la présente décision, l’une publique et l’autre confidentielle, seront rendues simultanément.

[4] Comme il sera expliqué plus en détail plus bas, la requête de Janssen sera accueillie, car je conclus que le fait d’autoriser la modification servira les intérêts de la justice en permettant d’atteindre l’objectif qui est de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, sans causer d’injustice à Apotex que des dépens ne pourraient réparer.

II. Le contexte

[5] Janssen commercialise au Canada l’acétate d’abiratérone, un médicament contre le cancer de la prostate, sous le nom de ZYTIGA. Elle a inscrit le brevet canadien no 2,661,422 [le brevet 422] au registre des brevets à l’égard de ZYTIGA.

[6] Apotex a cherché à commercialiser un produit générique à base d’acétate d’abiratérone et a contesté la validité du brevet 422. Pour sa part, Janssen a intenté une action contre Apotex au titre de l’article 6 du Règlement à l’égard des produits à base d’acétate d’abiratérone de cette dernière. Le 6 janvier 2021, le juge Phelan a rejeté la revendication de Janssen et déclaré invalide le brevet 422 (voir Janssen Inc c Apotex Inc, 2021 CF 7).

[7] Le rejet par le juge Phelan de l’action intentée au titre de l’article 6 a cristallisé une cause d’action pour Apotex en vertu de l’article 8 du Règlement. Le 12 avril 2021, Apotex a intenté la présente action en vue de réclamer des dommages-intérêts pour la perte de ventes de son produit à base d’acétate d’abiratérone contre Janssen. L’instruction de l’action devrait commencer le 19 juin 2023.

[8] Dans sa déclaration, Apotex allègue que, n’eût été la conduite de Janssen, elle aurait reçu son avis de conformité de Santé Canada et commencé à vendre ses produits à base d’acétate d’abiratérone au Canada le 8 août 2019. Par conséquent, Apotex allègue que ses ventes ont été retardées du 8 août 2019 au 11 janvier 2021, lorsqu’elle a finalement et réellement reçu son avis de conformité [la période du retard]. Dans sa déclaration, Apotex sollicite une indemnisation pour toutes les pertes subies à partir du 8 août 2019. Plus précisément, sa réclamation s’étend aux pertes futures au-delà de la période du retard.

[9] En réponse, Janssen a plaidé dans sa défense qu’Apotex n’avait pas l’aptitude et/ou la capacité de fabriquer et de fournir des quantités suffisantes de son produit à base d’acétate d’abiratérone pour répondre à la demande du marché canadien des médicaments génériques pour ce médicament. Apotex a rejeté cette allégation dans sa réplique.

[10] Les parties ont terminé la première série d’interrogatoires préalables. Peu de temps avant son interrogatoire préalable du représentant d’Apotex, Janssen a produit des documents [que les parties appellent le document de données des États-Unis] censés contenir des données sur les ventes de produits à base d’acétate d’abiratérone aux États-Unis. Janssen allègue que ces données montrent qu’Apotex a subi une perturbation de l’approvisionnement à partir de mars 2019 et autour de ce mois, ce qui l’a empêchée de fabriquer une quantité suffisante de son produit à base d’acétate d’abiratérone pour répondre à la demande du marché américain.

[11] Au cours de son interrogatoire préalable du représentant d’Apotex, l’avocat de Janssen a posé un certain nombre de questions que celle-ci estimait pertinentes, à savoir si Apotex aurait pu approvisionner le marché canadien à partir d’août 2019 dans le monde hypothétique. Après qu’Apotex eut refusé de répondre à plusieurs questions de ce type, Janssen a présenté une requête visant à obliger Apotex à répondre à ces questions et à d’autres [la requête en production].

[12] Dans une ordonnance datée du 14 juin 2022 [l’ordonnance], la protonotaire Milczynski (maintenant la juge adjointe Milczynski), qui est la juge responsable de la gestion de la présente instance, a ordonné à Apotex de répondre à plusieurs questions, mais a rejeté la requête de Janssen concernant certaines questions qui portaient sur les ventes d’Apotex sur le marché américain et sa relation avec le marché canadien [les questions en litige]. Janssen a interjeté appel de cette partie de l’ordonnance, au titre de l’article 51 des Règles. Les parties ont présenté des arguments dans le cadre de l’appel le même jour que l’audition de la présente requête déposée par Janssen en vue de modifier sa défense. Je me suis penché sur la requête présentée au titre de l’article 51 des Règles dans une décision distincte de celle rendue aujourd’hui, par laquelle j’ai accueilli l’appel interjeté par Janssen [la décision concernant la requête présentée au titre de l’article 51 des Règles]. Comme il ressort de l’examen de la présente décision et de la décision concernant la requête présentée au titre de l’article 51 des Règles, il y a un certain chevauchement dans les arguments soulevés par les parties dans les deux requêtes.

[13] Voici le libellé de la défense actuelle de Janssen :

[traduction]
22. À titre subsidiaire, Janssen invoque les paragraphes 8(5) et 8(6) du Règlement modifié et fait valoir que les facteurs pertinents suivants devraient être pris en compte par la Cour lors de la détermination du montant de l’indemnité à accorder à Apotex, le cas échéant :

[…]

b. Apotex n’avait pas l’aptitude et/ou la capacité de fabriquer ou d’obtenir le produit Apo-Abiraterone, et encore moins une quantité suffisante pour répondre à la demande du marché canadien des produits génériques à base d’acétate d’abiratérone;

[14] Dans la présente requête, Janssen cherche à modifier le paragraphe 22b comme suit :

b. Apotex n’avait pas l’aptitude et/ou la capacité de fabriquer ou d’obtenir le produit Apo-Abiraterone, et encore moins une quantité suffisante pour répondre à la demande du marché canadien des produits génériques à base d’acétate d’abiratérone; notamment en raison des éléments suivants :

i. Les installations canadiennes d’Apotex fabriquent et fournissent le produit Apo-Abiraterone pour le Canada et d’autres marchés. Apotex a subi des perturbations de l’approvisionnement dans d’autres marchés et au Canada, avant et après le 8 août 2019, notamment (à titre d’exemples non limitatifs) :

1. Apotex a subi des perturbations de l’approvisionnement aux États-Unis à partir de mars 2019 environ, et n’a pas pu répondre à la demande du marché américain;

2. En raison de perturbations de l’approvisionnement qui ont commencé en mars 2019 environ, Apotex n’a pas été en mesure de vendre à ses clients américains des quantités suffisantes du produit Apo-Abiraterone pour répondre à la demande du marché, après quoi certains clients d’Apotex aux États-Unis s’étaient tournés vers d’autres fournisseurs de comprimés d’acétate d’abiraterone;

3. Apotex a de nouveau subi une perturbation dans la fabrication de son comprimé de 500 mg pour le Canada, à partir du 31 mars 2022 environ et au moins jusqu’au 16 mai 2022, et n’a pas pu répondre à la demande du marché canadien;

4. À ce jour, Apotex n’a pas obtenu l’approbation réglementaire pour son comprimé de 500 mg aux États-Unis.

ii. Apotex n’aurait pas été en mesure de fabriquer et/ou de fournir sans interruption des quantités suffisantes du produit Apo-Abiraterone à partir du 8 août 2019. Si Apotex avait lancé le produit en août 2019, il y aurait eu l’une ou l’autre des éventualités suivantes :

1. elle n’aurait pas eu un approvisionnement suffisant pour le marché canadien, car elle aurait canalisé toute son offre disponible vers le marché américain afin de combler son manque à gagner;

2. elle aurait répondu à la demande du marché canadien au détriment de l’approvisionnement d’autres marchés (y compris le marché américain), ce qui lui aurait fait subir des pertes.

III. La question en litige

[15] La seule question en litige dans la présente requête est de savoir si la Cour devrait accorder à Janssen l’autorisation de signifier et de déposer sa défense modifiée.

IV. Analyse

A. Les principes généraux

[16] L’article 75 des Règles confère à la Cour le pouvoir d’autoriser une partie à modifier ses actes de procédure, aux conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties.

[17] Le principe général est qu’une modification devrait être autorisée à tout stade de l’action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties et de faciliter l’examen par la Cour du véritable fond du différend (McCain Foods Limited c JR Simplot Company, 2021 CAF 4 au para 20 [McCain]; Apotex Inc c Bristol-Myers Squibb Company, 2011 CAF 34 au para 33 [BMS]). Toutefois, la Cour doit éviter d’accorder une autorisation de modification qui causerait une injustice à l’autre partie que des dépens ne pourraient réparer, ou qui ne servirait pas les intérêts de la justice (McCain, au para 20).

[18] Dans le cadre de son appréciation, la Cour déterminera si la modification proposée (dans le contexte d’une défense) fait valoir une défense ayant une possibilité raisonnable de succès (Teva Canada Limitée c Gilead Sciences Inc, 2016 CAF 176 au para 31 [Teva]; McCain, au para 20). Il s’agit d’une condition préalable (Teva, au para 31). Il peut être utile que la Cour se demande si la modification, dans le cas où elle faisait déjà partie des actes de procédure, serait un moyen susceptible d’être radié (McCain, au para 22). Aux fins de cette analyse, il est tenu pour acquis que les faits invoqués sont réels (McCain, au para 20; Houle c Canada, [2001] 1 CF 102 [Houle] au para 18).

[19] Une fois établi qu’une modification proposée comporte une possibilité raisonnable de succès, les autres facteurs seront examinés en tenant compte des intérêts de la justice. Ces facteurs comprennent notamment : a) le moment auquel est présentée la requête en modification; b) la mesure dans laquelle les modifications proposées retarderaient l’instruction expéditive de l’affaire; c) la mesure dans laquelle la thèse adoptée à l’origine par une partie a amené une autre partie à suivre dans le litige une ligne de conduite qu’il serait difficile, voire impossible, de modifier; et d) la mesure dans laquelle les modifications demandées faciliteront l’examen par la Cour du véritable fond du différend. Ces facteurs ne sont pas exhaustifs ni limitatifs; un exercice de pondération est nécessaire puisqu’aucun facteur n’est censé être prédominant. Il s’agit, en fin de compte, de s’attarder à la simple équité, au sens commun et à l’intérêt qu’ont les tribunaux à ce que justice soit faite (Sunovion Pharmaceuticals Canada Inc c Taro Pharmaceuticals Inc, 2021 CF 37 au para 34, citant Janssen Inc c Abbvie Corporation, 2014 CAF 242 au para 3).

[20] En fin de compte, il appartient au juge de première instance de déterminer s’il y a lieu d’autoriser une modification en vertu des Règles, et il doit se laisser guider par sa perception de la justice (Canderel Ltée c Canada, [1994] 1 CF 3 (CAF) aux para 10, 13).

B. Le conflit jurisprudentiel

[21] Bien qu’elles semblent s’entendre sur les principes généraux énoncés ci-dessus, les parties ne sont pas d’accord sur l’état actuel de la jurisprudence quant à la facilité avec laquelle une partie peut obtenir l’autorisation de modifier ses actes de procédure, même à une étape avancée d’un litige.

[22] Janssen soutient que la loi permet que les requêtes en modification soient autorisées même dans les cas extrêmes de négligence, d’inattention ou de retard indu de la part de la partie qui sollicite la modification proposée (selon Janssen, aucun de ces cas ne s’applique en l’espèce), pourvu que cette modification puisse être apportée sans causer une injustice à l’autre partie. Dans ses observations écrites, Janssen cite le premier paragraphe de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Visx Inc c Nidek Co, [1998] ACF no 1766 (CAF) [Visx] à l’appui de sa position.

[23] Apotex fait valoir que, en particulier dans le contexte de litiges complexes aux enjeux élevés, y compris dans le domaine pharmaceutique, le droit a évolué depuis l’arrêt Visx pour mettre davantage l’accent sur le fait que les parties sont tenues d’élaborer et de faire valoir leurs positions rapidement et efficacement. Apotex invoque l’arrêt BMS, par lequel la Cour d’appel fédérale a annulé une décision autorisant la modification d’un acte de procédure et a expliqué ce qui suit (BMS, au para 37) :

37. Ces affaires complexes de propriété intellectuelle, où les enjeux sont extrêmement élevés, sont soumises à des règles de procédure qui visent à assurer l’équité et l’efficacité du procès, ainsi que la communication intégrale et opportune des éléments de preuve. La non‑divulgation, le manque d’éclaircissements ou l’inaction délibérée pour des raisons d’ordre stratégique, comme cela a été le cas en l’espèce selon la protonotaire et la juge de la Cour fédérale, démontrent un manque de respect à l’égard des règles applicables et de leur objet. Ceux qui ne respectent pas les règles et leur objet ne peuvent guère s’attendre à ce que les tribunaux leur fassent bon visage lorsqu’ils leur demandent d’exercer en leur faveur le pouvoir discrétionnaire que les règles leur confèrent.

[24] Janssen s’oppose à l’observation d’Apotex selon laquelle l’arrêt BMS représente un changement dans le droit. Elle soutient que l’issue de l’affaire BMS doit être interprétée comme étant motivée par les faits particuliers dans cette affaire. Je souscris à l’interprétation de Janssen. Dans l’arrêt BMS, la Cour d’appel fédérale a reconnu que la modification d’un acte de procédure devrait être autorisée dans le but de déterminer les véritables questions litigieuses. La Cour a noté qu’un acte de procédure peut être modifié à tout moment dans le but d’atteindre cet objectif, même après le début d’un procès. En effet, la Cour d’appel fédérale a déclaré que, même dans une affaire comme celle dont elle était saisie où, sans justification, une nouvelle question d’importance majeure avait été soulevée à la dernière minute, il lui appartenait de considérer comme important le besoin de bien cerner les questions en litige (BMS, au para 33).

[25] Dans l’arrêt BMS, la Cour d’appel fédérale a néanmoins rejeté la modification proposée en raison des antécédents particuliers de la demanderesse en ce qui concernait sa conduite dans cette affaire. La Cour d’appel fédérale a expliqué que, pendant environ une décennie, la demanderesse s’était comportée comme si les questions qu’elle tentait de plaider n’étaient pas vraiment en cause. La demanderesse tentait de soulever ces questions des années après l’échange des mémoires relatifs à la conférence préparatoire, sans que l’on puisse faire état de faits ou de circonstances nouveaux et importants. De plus, même à la veille du procès, la demanderesse n’était pas parvenue à exposer de manière suffisamment précise les prétendues véritables questions en litige (BMS, au para 34). La Cour a en outre conclu que la demanderesse avait, de façon délibérée et pour des motifs d’ordre stratégique, décidé de ne pas éclaircir plus tôt sa position sur ces questions, une approche qui était contraire au droit qu’ont les parties de voir l’instruction de l’affaire procéder de manière ordonnée jusqu’au procès (BMS, au para 36).

[26] L’arrêt BMS est certainement instructif, car il souligne le fait qu’une partie ne doit pas présumer que les modifications demandées seront autorisées automatiquement, sans un examen minutieux de l’historique du litige et de la conduite des parties au cours de celui-ci. Toutefois, à mon avis, l’arrêt BMS ne s’écarte pas des principes régissant les modifications abordées plus haut dans les présents motifs. Comme le fait remarquer Janssen, l’explication de ces principes dans la décision McCain, rendue relativement récemment, est largement postérieure à l’arrêt BMS.

C. La véritable question en litige et la possibilité raisonnable de succès

(1) La position de Janssen

[27] Janssen soutient que l’une des questions centrales en litige dans la présente action est de savoir si Apotex aurait pu lancer son produit à base d’acétate d’abiratérone le 8 août 2019, en quantité suffisante pour approvisionner le marché canadien des produits génériques. Le paragraphe 22b de la défense de Janssen plaide actuellement qu’Apotex n’avait pas l’aptitude et/ou la capacité de fabriquer ou d’obtenir de l’acétate d’abiratérone, et encore moins une quantité suffisante pour répondre à la demande du marché canadien des produits génériques. Elle fait valoir que ses modifications proposées ne font que préciser des faits importants qu’elle souhaite plaider en ce qui concerne la question centrale de la capacité d’Apotex à approvisionner le marché. Les modifications proposées concernent la situation qu’Apotex a réellement connue sur les marchés américain et canadien qui, selon Janssen, est pertinente pour le monde hypothétique en cause dans la présente action.

[28] Janssen soutient que l’expérience d’Apotex aux États-Unis est pertinente pour deux raisons. Premièrement, elle explique sa position selon laquelle les comprimés d’acétate d’abiratérone d’Apotex semblent avoir été fabriqués ||||||||||||||||||||. À l’appui de cette observation, Janssen invoque ce qu’elle décrit comme des documents publics sur l’étiquetage aux États-Unis, qui confirment qu’Apotex fabrique son produit à base d’acétate d’abiratérone pour le marché américain à ce qu’elle appelle l’usine de Signet. ||||||||||||||||||||. Janssen fait également référence à des documents produits par Apotex dans le cadre du présent litige, qui démontrent, selon elle, que l’ingrédient pharmaceutique actif [IPA] du produit d’Apotex à base d’acétate d’abiratérone destiné aux marchés américain et canadien a été expédié à l’usine ||||||||||||||||||||

[29] Deuxièmement, en se basant sur le document de données des États-Unis, Janssen soutient qu’Apotex a connu une baisse soudaine et précipitée des ventes de ses comprimés de 250 mg sur le marché américain dans les mois qui ont précédé le 8 août 2019. En se fondant sur la combinaison de ces faits concernant le marché américain, Janssen allègue qu’Apotex a connu des problèmes d’approvisionnement qui auraient eu une incidence sur sa capacité de commercialisation au Canada. Janssen souhaite apporter des précisions au paragraphe 22d de ses actes de procédure en renvoyant à ces faits.

[30] En ce qui concerne le marché canadien, Janssen affirme qu’Apotex a subi des perturbations de l’approvisionnement quant à ses comprimés de 500 mg à compter de mars 2022. À l’appui de cette affirmation, Janssen invoque ce qu’elle décrit comme des rapports publics qui ont été diffusés au moment de l’interrogatoire préalable en mars 2022 et qui ont révélé qu’Apotex avait subi une perturbation de la fabrication de son comprimé d’acétate d’abiratérone de 500 mg au Canada qui avait durée jusqu’au 20 mai 2022. Bien que cette perturbation ait dépassé la période du retard, Janssen soutient qu’elle est pertinente à la réclamation d’Apotex parce qu’elle vise des pertes qui s’étendent au-delà de cette période.

[31] Les modifications proposées par Janssen comprennent également l’allégation selon laquelle Apotex n’a pas encore reçu l’approbation pour les comprimés de 500 mg aux États-Unis. Janssen soutient que ce fait, qui pourrait dépendre de la capacité d’Apotex à fabriquer son produit selon la norme nécessaire pour obtenir l’approbation réglementaire, milite en faveur de sa position selon laquelle Apotex a connu des problèmes de fabrication et/ou d’approvisionnement relativement à son comprimé de 500 mg, ce qui aurait eu une incidence sur sa capacité d’accroître sa fabrication et/ou son approvisionnement de produits destinés au marché canadien dans le monde hypothétique.

(2) La position d’Apotex

[32] Dans son opposition à la requête de Janssen, Apotex s’appuie largement sur les éléments de preuve qu’elle a présentés dans le cadre du présent litige, c’est-à-dire la communication préalable de la preuve documentaire, le témoignage de son représentant lors de l’interrogatoire préalable par l’avocat de Janssen, et les réponses subséquentes aux engagements pris dans le cadre de l’interrogatoire préalable.

[33] La preuve documentaire comprend un tableau montrant les capacités annuelles de production de l’usine de Signet d’Apotex et d’une autre usine à Etobicoke, de 2017 à 2021. Selon Apotex, ce tableau comprend les capacités maximales théoriques et la production réelle des deux usines. Apotex fait valoir que cet élément de preuve établit que son installation de Signet avait une capacité excédentaire plus que suffisante pour répondre à la demande du marché d’acétate d’abiratérone au Canada. Apotex a également produit une feuille de calcul présentant ses facturations réelles qui, selon elle, appuie sa position selon laquelle elle avait commencé à vendre le produit immédiatement après avoir reçu son avis de conformité et avait effectué des ventes continues d’acétate d’abiratérone jusqu’au jour où la feuille de calcul avait été créée en juillet 2021.

[34] L’interrogatoire préalable sur lequel Apotex s’appuie comprend la confirmation que ||||||||||||||||||||. Apotex a également confirmé avoir réellement fabriqué son produit canadien à base d’acétate d’abiratérone canadien à son installation |||||||||||||||||||| mais qu’elle aurait pu utiliser son installation |||||||||||||||||||| si nécessaire. Elle a en outre confirmé qu’elle n’avait pas connu de retards ou de difficultés dans l’obtention des excipients ou des ingrédients autres que les IPA pour son produit, et elle a fourni des factures de fournisseurs et un inventaire de l’approvisionnement des produits liés à ses comprimés d’abiratérone. Apotex soutient que cet élément de preuve démontre qu’elle avait |||||||||||||||||||| des IPA disponibles au cours de la période concernée.

[35] Enfin, dans le cadre de la requête présentée par Janssen visant à l’obliger à répondre aux questions qui avaient été refusées lors de l’interrogatoire préalable, Apotex souligne qu’elle a accepté de fournir des renseignements supplémentaires sur ses capacités de fabrication au Canada, lesquels, selon elle, porteront davantage sur sa capacité d’approvisionner le marché canadien au cours de la période pertinente.

[36] À la lumière de cette preuve, Apotex fait valoir que la Cour a un dossier étoffé contenant les renseignements qu’elle a fournis à ce jour au sujet de ses capacités de fabrication pendant la période du retard, renseignements qui abordent les prétendues controverses que Janssen cherche à introduire dans la présente action et qui les dissipent en totalité. Compte tenu de ces renseignements, Apotex soutient qu’il est clair que les arguments de Janssen ne peuvent être retenus, et qu’il n’y a pas de controverse ou de différend quant à sa capacité de fabriquer des comprimés d’acétate d’abiratérone et d’approvisionner le marché canadien dans le monde hypothétique au cours de la période en cause. Apotex fait valoir que les actes de procédure proposés par Janssen sont donc voués à l’échec et frivoles, et seraient susceptibles d’être radiés, parce qu’ils s’opposent au contexte factuel connu de la présente instance comme l’a révélé le processus d’interrogatoire préalable.

[37] Apotex soutient également que, comme dans l’affaire BMS, les actes de procédure proposés sont contraires à une position prise par Janssen plus tôt dans le présent litige. Apotex présente cette observation en se concentrant sur les actes de procédure proposés relatifs aux faits qui suivent la période du retard. Apotex renvoie la Cour aux faits nouveaux révélés pendant l’instruction de la requête en production devant la juge responsable de la gestion de l’instance. Apotex soutient qu’au cours de celle-ci, Janssen a d’abord posé des questions concernant les faits relatifs à la période du retard, mais a ensuite abandonné ces questions, ce qui démontre une reconnaissance qu’elles n’étaient pas pertinentes.

[38] Bien qu’Apotex reconnaisse qu’elle réclame des pertes futures qui suivent la période du retard, elle soutient que les faits postérieurs à cette période ne sont pas pertinents pour cette réclamation. Elle soutient que ces pertes découlent du fait qu’elle a été privée de la possibilité d’être la première à commercialiser un produit générique à base d’acétate d’abiratérone au Canada. Plus précisément, Apotex fait valoir que les pertes futures découlent strictement des faits et des pertes connexes qui se sont produits pendant la période du retard.

(3) Les arguments concernant la preuve

[39] À ce stade de l’analyse, il est également nécessaire de cerner les arguments avancés par chacune des parties concernant les lacunes dans la preuve de l’autre. Apotex est d’avis que Janssen est incapable de s’en remettre au document de données des États-Unis et à d’autres éléments de preuve documentaires pour appuyer sa requête, car elle n’a pas prouvé l’existence des documents ni leur contenu. Les documents font partie du dossier de la présente requête en tant que pièces jointes à l’affidavit d’un auxiliaire juridique du cabinet d’avocats de l’avocat de Janssen, qui jure seulement qu’il joint des documents particuliers. Bien que l’argument d’Apotex concernant la preuve soit largement axé sur le document de données des États-Unis, je comprends qu’elle prend la même position par rapport au document d’étiquetage des États-Unis, sur lequel Janssen s’appuie pour établir qu’Apotex fabrique de l’acétate d’abiratérone destiné au marché américain à l’usine de Signet, et que Janssen décrit comme un rapport public démontrant qu’Apotex a subi une perturbation de la fabrication de son comprimé d’acétate d’abiratérone de 500 mg.

[40] En réponse à cette position, Janssen relève ce qu’elle considère être des lacunes dans la preuve d’Apotex dans la présente requête. Janssen renvoie la Cour à la décision South Yukon Forest Corp c Canada, 2004 CF 1645 [South Yukon], qui porte sur une requête visant à obtenir l’autorisation de modifier une déclaration et qui a confirmé l’opposition de la défenderesse aux efforts déployés par la demanderesse pour s’appuyer sur des extraits de l’interrogatoire préalable du représentant de la demanderesse. La Cour a expliqué que les Règles autorisent l’utilisation de l’interrogatoire préalable par une partie adverse, mais elles ne prévoient pas cette utilisation par la partie dont le représentant a fourni cette preuve lors de l’interrogatoire préalable (South Yukon, aux para 11-13).

[41] Janssen fait valoir que, si Apotex n’est pas en mesure de s’en remettre à son propre interrogatoire préalable, les seuls autres éléments de preuve à l’appui de sa position sont les documents joints à un affidavit souscrit par un auxiliaire juridique du bureau de l’avocat d’Apotex. Janssen soutient que cela n’est pas différent de la façon dont elle a présenté sa preuve documentaire.

[42] Apotex réplique que la préoccupation soulevée dans la décision South Yukon ne s’applique pas à la présente situation où elle s’est fondée sur l’interrogatoire préalable de son représentant. Elle soutient que Janssen s’est appuyée sur des parties de l’interrogatoire préalable du représentant d’Apotex, et que celle-ci a donc le droit de compléter le dossier en fournissant des éléments de preuve supplémentaires provenant de l’interrogatoire préalable.

[43] Les parties ont présenté des arguments similaires dans la requête présentée au titre de l’article 51 des Règles. Dans la décision concernant cette requête, les conclusions que j’ai tirées relativement à la preuve étaient similaires à celles expliquées plus bas.

(4) Analyse

[44] À l’appui de son opposition au fait que Janssen s’est fondé sur la preuve documentaire jointe à l’affidavit d’un auxiliaire juridique, Apotex renvoie la Cour aux paragraphes 48 et 54 de la décision Hoffmann-La Roche Limited c Sandoz Canada Inc, 2021 CF 384 [Hoffman], où le juge Manson a déclaré inadmissible l’affidavit d’un auxiliaire juridique auquel était joint de l’art antérieur. Comme l’a expliqué le juge Manson, les éléments de preuve que l’on cherchait à présenter au moyen de l’affidavit d’un auxiliaire juridique concernaient la valeur probante de l’art antérieur. Cette preuve était inadmissible, car elle ne satisfaisait pas aux exigences de la règle de la meilleure preuve (Hoffman, au para 48).

[45] À mon avis, le fait qu’Apotex s’appuie sur cette jurisprudence démontre la faiblesse de son argument relatif à la preuve. La décision Hoffman en est une de première instance. Les parties étaient donc tenues de prouver l’authenticité de la preuve documentaire et la véracité du son contenu, afin d’établir le bien-fondé de leurs positions respectives sur les questions de fond en litige. Les mêmes exigences en matière de preuve ne s’appliquent pas dans le cadre d’une requête en modification d’un acte de procédure. Comme il a été expliqué plus haut dans les présents motifs, les faits qu’une partie souhaite invoquer dans une modification proposée sont tenus pour avérés aux fins de l’analyse visant à déterminer si l’acte de procédure soulève une véritable question litigieuse entre les parties et a une possibilité raisonnable de succès.

[46] En effet, dans l’arrêt Houle, la Cour a fait référence à un principe général selon lequel elle ne devrait pas admettre d’éléments de preuve dans le cadre d’une requête en modification d’un acte de procédure, à moins qu’ils ne soient nécessaires pour clarifier la nature des modifications (Houle, au para 18). Si je comprends bien ses arguments dans la présente requête, Janssen s’appuie sur les documents relatifs à la requête comme preuve lui permettant de cerner des informations qui ont été portés à son attention et qui ont incité ses efforts visant à détailler sa défense. Cette preuve est vraisemblablement inutile aux fins de l’analyse par la Cour servant à déterminer si, à supposer que les faits invoqués soient avérés, la défense a une possibilité raisonnable de succès.

[47] Toutefois, je suis d’accord pour dire que la preuve fournit un contexte qui aide la Cour à comprendre la nature de la modification. Le recours à cette preuve est donc conforme au principe mentionné dans la décision Houle. Il est également conforme au principe selon lequel Janssen n’est pas tenue d’établir la véracité de cette preuve de la même manière que si elle était présentée dans le but d’établir des faits lors d’un procès. Comme je l’ai expliqué au paragraphe 45 de la décision concernant la requête présentée au titre de l’article 51 des Règles, les actes de procédure définissent la portée de l’interrogatoire préalable, et celui-ci a pour objet de permettre à une partie d’obtenir des éléments de preuve dont elle ne dispose pas encore. Cet objet serait contrecarré si la Cour devait imposer une norme de preuve trop élevée à une partie qui cherche à expliquer pourquoi elle souhaite modifier son acte de procédure. De plus, bien qu’Apotex n’ait pas expressément reconnu l’exactitude de l’information dans la preuve documentaire sur laquelle se fonde Janssen, et je suis conscient du fait qu’Apotex conteste l’importance de cette information, je n’interprète pas cela comme un argument selon lequel cette information est inexacte.

[48] En ce qui concerne les objections de Janssen au fait qu’Apotex s’appuie sur son propre interrogatoire préalable, et cadrant une fois de plus avec mon raisonnement dans la décision concernant la requête présentée au titre de l’article 51 des Règles, ma conclusion est que la preuve a été dûment présentée à la Cour. J’accepte l’argument d’Apotex selon lequel elle a le droit, compte tenu du fait que Janssen se fonde sur l’interrogatoire préalable du représentant d’Apotex à l’appui de la présente requête, de compléter le dossier dont dispose la Cour en renvoyant à d’autres parties de ces mêmes éléments de preuve qui tiennent compte de la preuve et des arguments sur lesquels s’appuie Janssen.

[49] Toutefois, à mon avis, la preuve d’Apotex n’appuie pas la conclusion selon laquelle la modification proposée est frivole. L’analyse que la Cour est tenue d’effectuer, en examinant si la modification traite d’une véritable question litigieuse entre les parties et a une possibilité raisonnable de succès, ne comporte pas un examen de la mesure dans laquelle la modification est compatible avec le reste de la preuve qui a été produite dans le litige jusqu’à présent. La Cour devrait déterminer s’il y a une question en litige et non apprécier quelle partie est susceptible d’avoir gain de cause sur cette question. Comme il est expliqué dans la décision Houle, il n’appartient pas à la Cour de prévoir à ce stade si la modification sera invoquée avec succès lors de l’instruction (Houle, au para 18).

[50] Je vais maintenant me pencher sur l’argument d’Apotex selon lequel les modifications proposées par Janssen constituent un changement de position. À l’appui de cet argument, Apotex fait référence à une question contestée de l’interrogatoire préalable, où Janssen a demandé au représentant d’Apotex de confirmer si l’une des installations de fabrication au Canada de son produit à base d’acétate d’abiratérone avait dû ralentir la production ou fermer à n’importe quel moment de 2018 à la date de l’interrogatoire, le 8 mars 2022. Apotex fait valoir qu’elle a par la suite offert de fournir une réponse concernant les années 2019 et 2020, période de deux ans au cours de laquelle elle avait été tenue à l’écart du marché, et que Janssen a accepté cette offre telle que cristallisée dans l’ordonnance de la juge responsable de la gestion de l’instance. Apotex fait valoir qu’en acceptant ce très court délai, Janssen a effectivement admis que les capacités de fabrication d’Apotex de mars à mai 2022 n’étaient pas pertinentes pour les questions de la présente action.

[51] La seule information sur ce point figurant dans l’ordonnance est une énonciation qui indique que, comme convenu dans le dossier de requête en réponse d’Apotex ou pendant les plaidoiries, Apotex fournira une réponse à cette question en ce qui concerne les années 2019 et 2020. Les dossiers que les parties ont déposés devant la Cour dans la présente requête ne comprennent pas les dossiers de requête ou les plaidoiries devant la juge responsable de la gestion de l’instance dans le cadre de la requête en production. Les informations contenues dans l’ordonnance ne fournissent pas suffisamment de détails pour appuyer une conclusion selon laquelle Janssen a admis que les capacités de fabrication d’Apotex à la suite de la période du retard n’étaient pas pertinentes. Certes, je ne peux pas conclure que la position de Janssen dans la présente requête démontre qu’elle revient sur une position antérieure d’une façon similaire à celle décrite dans l’arrêt BMS, où la Cour d’appel fédérale a expliqué que la demanderesse s’était conduite d’une manière particulière sur des questions de fond pendant environ dix ans (BMS, au para 34).

[52] Je ne souscris pas non plus à l’argument d’Apotex selon lequel les parties des modifications proposées par Janssen concernant les faits qui ont suivi la période du retard n’ont aucune possibilité raisonnable de succès, car ces faits ne peuvent pas être pertinents pour sa réclamation relative aux pertes futures. Janssen accepte que les dommages-intérêts réclamés dans l’action sous-jacente doivent découler de ce qui s’est passé pendant la période du retard. Toutefois, elle soutient que les faits qui se sont réellement produits après la période du retard peuvent avoir une incidence sur le calcul de ces dommages-intérêts. Janssen soutient également que, comme les affaires sur lesquelles Apotex s’appuie ont été tranchées sous le régime de la version du Règlement qui est antérieure aux modifications de 2017, elles sont limitées quant à leur application à ce point, en raison des restrictions aux dommages-intérêts qui pourraient être réclamés en vertu de la version antérieure. Sans parvenir à des conclusions sur un point qui pourrait être soulevé lors du procès, je juge que les observations de Janssen sont suffisamment convaincantes pour conclure qu’il n’est pas frivole pour elle de plaider les faits postérieurs à la période du retard pour appuyer un argument selon lequel ces faits réels pourraient avoir une incidence sur le calcul des dommages-intérêts.

[53] En conclusion, j’accepte la position plus large de Janssen selon laquelle ses propositions de modifications constituent des précisions de ses actes de procédure existants qui traitent de véritables questions litigieuses entre les parties, entourant des faits réels allégués qui ont le potentiel d’avoir une incidence sur les dommages-intérêts auxquels aurait droit Apotex dans un monde hypothétique. Je souligne que la question de savoir si Janssen réussira à établir ces faits ou leur importance potentielle est une question litigieuse, et non une question à être examinée dans la présente requête. Toutefois, je suis convaincu que les modifications ne sont pas frivoles et qu’elles ont une possibilité raisonnable de succès au sens de la jurisprudence examinée plus haut dans les présents motifs.

D. L’intérêt de la justice

[54] Je passe donc à l’examen de la question de savoir si d’autres facteurs conformes à l’intérêt de la justice appuient l’autorisation des modifications. Principalement, Apotex fait valoir que Janssen a présenté sa requête trop tard dans la présente instance, qu’elle a délibérément attendu avant de le faire pour des raisons stratégiques, et qu’Apotex et la bonne marche de la présente affaire jusqu’à l’instruction subiront un préjudice en conséquence.

[55] J’accepte que la présente affaire s’oriente vers un procès, qui devrait commencer dans moins de neuf mois, en juin 2023, et qu’une modification des actes de procédure à ce stade puisse être perturbatrice. Comme le soutient Apotex, les parties en sont à un stade de la procédure où la première série d’interrogatoires préalables et la requête relative aux refus sont terminées, et où la deuxième série d’interrogatoires préalables devrait commencer à la mi-octobre 2022, et il est raisonnable de supposer que les parties travaillent avec leurs experts à la préparation de rapports d’experts. Cependant, je dispose de très peu d’éléments de preuve ou d’arguments détaillés qui pourraient aider la Cour à déterminer l’étendue de toute perturbation qui pourrait être causée par les modifications. Certes, je n’ai aucune raison de conclure à ce stade que les précisions de la défense de Janssen telles que représentées par les modifications entraîneront la perte des dates prévues pour le procès.

[56] Il n’y a pas non plus de preuve à l’appui d’une conclusion selon laquelle Janssen a délibérément et stratégiquement retardé les démarches visant à faire autoriser ces modifications. Apotex était consciente que Janssen avançait des arguments de défense relatifs à une interruption alléguée de la fabrication qui, selon Janssen, était étayée par le document de données des États-Unis, depuis l’interrogatoire préalable du représentant d’Apotex en mars 2022. Janssen a par la suite fait valoir ces arguments dans sa requête en production et son appel interjeté en vertu de l’article 51 des Règles. L’allégation selon laquelle Apotex a subi une perturbation dans la fabrication de son comprimé de 500 mg destiné au Canada concerne des faits qui auraient commencé seulement au printemps 2022. Bien qu’elle n’ait été entendue qu’en septembre 2022, la requête en modification dépendait en partie du calendrier de la Cour, puisque la requête de Janssen est datée du 15 juillet 2022.

[57] Compte tenu de ces considérations et des principes jurisprudentiels décrits plus haut, je considère que l’intérêt de la justice est d’appuyer l’autorisation des modifications proposées, puisqu’elles permettront à Janssen de soulever de véritables questions litigieuses entre les parties sans causer d’injustice à Apotex que des dépens ne pourraient réparer. Je vais revenir sur les questions relatives aux dépens sous peu.

[58] Je note que, pour parvenir à cette conclusion, j’ai examiné un argument supplémentaire avancé par Apotex selon lequel la requête en modification de Janssen constitue un effort visant à contourner l’ordonnance de la juge responsable de la gestion de l’instance. Mentionnant la combinaison de la requête en production, de l’appel interjeté en vertu de l’article 51 des Règles et de la présente requête en modification de Janssen, Apotex renvoie la Cour à la jurisprudence selon laquelle des plaideurs ne devraient pas être contraints de répondre à plusieurs requêtes sur des questions semblables, car cette approche est contraire à l’économie des ressources judiciaires (Harris c Canada, 2001 CFPI 758 au para 23; Webster c Canada (Procureur général), 2003 CFPI 296 au para 9). Apotex qualifie la présente requête d’un [traduction] « troisième essai » de la part de Janssen. Toutefois, à mon avis, le fait que Janssen a eu gain de cause dans son appel interjeté en vertu de l’article 51 des Règles réduit la solidité de l’argument d’Apotex. De plus, il y a des éléments de la réparation sollicitée dans la présente requête, sans rapport avec les faits qui seraient démontrés dans le document de données des États-Unis, qui ne chevauchent pas la réparation demandée dans la requête en production et l’appel connexe.

V. Conclusion

[59] En conclusion, je suis prêt à accorder à Janssen l’autorisation de signifier et de déposer la défense modifiée qu’elle propose. Mon ordonnance sera rendue en ce sens.

VI. Les dépens

[60] Janssen sollicite, au titre des dépens afférents à la présente requête, un montant de 5 000 $ qui, selon elle, est supérieur au montant de 3 000 $ qu’elle a demandé à titre de dépens dans son appel interjeté en vertu de l’article 51 des Règles. De plus, elle demande que ces dépens soient payables par Apotex sans délai. Elle soutient que ce montant est justifié, car Apotex aurait dû consentir à la modification proposée, ce qui aurait évité la nécessité de la présente requête.

[61] À l’appui de cette position, lors de l’audition de la présente requête, Janssen a informé la Cour que, dans le cadre d’une autre action fondée sur l’article 8 intentée contre elle par Dr. Reddy’s Laboratories Ltd. et Dr. Reddy’s Laboratories, Inc. [collectivement, Dr. Reddy’s] concernant l’acétate d’abiratérone, dans le dossier de la Cour no T-1168-21, Dr. Reddy’s a consenti à ce que Janssen modifie sa défense afin d’y inclure des allégations détaillées qui étaient similaires à celles en cause dans la présente requête.

[62] En ce qui concerne les dépens, Apotex s’appuie sur un principe selon lequel les dépens liés à la modification d’un acte de procédure devraient généralement être à la charge de la partie qui demande cette modification. Janssen fait référence aux Règles à l’appui de ce principe.

[63] Comme Janssen a eu gain de cause dans la présente requête, je suis convaincu que les dépens de la requête elle-même devraient suivre l’issue de la cause. J’accorderai donc 3 000 $ à Janssen. Je ne juge pas que le consentement donné par Dr. Reddy’s à une modification similaire dans une autre instance puisse servir de motif pour adjuger des dépens supérieurs ou ordonner le paiement de dépens sans délai.

[64] Je suis également conscient du principe des dépens soulevé par Janssen. Le paragraphe 410(1) des Règles prévoit que les dépens afférents à une modification d’un acte de procédure sont à la charge de la partie qui fait la modification, sauf ordonnance contraire de la Cour. Ce paragraphe fait référence à une modification faite sans autorisation, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Toutefois, ce principe est conforme à la jurisprudence applicable (p. ex., Apotex Inc c Pfizer Canada Inc, 2017 CF 951; The Brick Warehouse Corp c Canada (Ministre du Revenu national), 2004 CF 309). Je ne vois actuellement aucune raison de conclure qu’Apotex engagera des dépens particuliers à la suite de ses modifications. Toutefois, mon ordonnance préservera le droit d’Apotex de réclamer de tels dépens dont elle fera état à l’avenir, et le montant de cette réclamation relèvera du pouvoir discrétionnaire de la Cour.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T-607-21

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête des défenderesses est accueillie.

  2. Les défenderesses sont autorisées à signifier et à déposer la défense modifiée qu’elles proposent dans le formulaire joint à l’annexe « A » de leur avis de requête.

  3. Les dépens de la présente requête, fixés à 3000 $, sont adjugés aux défenderesses.

  4. Le droit de la demanderesse de réclamer les dépens occasionnés par les modifications des défenderesses est différé, et le montant d’une telle réclamation relèvera du pouvoir discrétionnaire de la Cour.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christopher Cyr


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-607-21

INTITULÉ :

APOTEX INC. c JANSSEN INC., JANSSEN ONCOLOGY INC. et BTG INTERNATIONAL LTD.

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 SEPTEMBRE 2022

ORDONNANCE ET MOTIFS PUBLICS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 27 OCTOBRE 2022

COMPARUTION POUR LA DEMANDERESSE — APOTEX :

M. Jerry Topolski

POUR LA DEMANDERESSE

COMPARUTION POUR LES DÉFENDERESSES — Janssen Inc. et BTG International LTD. :

M. Peter Wilcox

POUR LES DÉFENDERESSES

COMPARUTION POUR LA DÉFENDERESSE — Janssen Oncology, Inc. :

M. David Yi

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Bellmore Neidrauer LLP et Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

 

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