Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220727


Dossier : IMM-6740-20

Référence : 2022 CF 1122

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 juillet 2022

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

ZHIMING CHEN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Zhiming Chen, sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 30 juillet 2020 par la Section d’appel des réfugiés (la SAR), qui a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), selon laquelle il n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2] Le demandeur craint d’être persécuté en Chine par le Bureau de la sécurité publique (le BSP) en raison de ses croyances religieuses. La SAR a rejeté l’appel du demandeur parce qu’elle a conclu que le demandeur n’était pas crédible, qu’il n’avait pas les problèmes de mémoire qu’il prétendait avoir et qu’il n’était pas vraiment chrétien.

[3] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur dans son analyse de sa demande d’asile sur place. Le demandeur soutient également que la SAR a commis une erreur dans l’appréciation de son identité religieuse et de sa crédibilité.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAR est raisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Les faits

A. Le demandeur

[5] Le demandeur est un citoyen de la Chine âgé de 39 ans. Il prétend qu’il est chrétien et membre de l’Église locale (l’Église locale), une église clandestine chinoise également connue sous le nom des Crieurs.

[6] Le demandeur affirme qu’il a subi un accident de moto le 30 septembre 2016, dans lequel il a été blessé et son collègue de travail a été tué. Le demandeur prétend souffrir de problèmes de mémoire en raison de cet accident. Après l’accident, le demandeur affirme qu’il a été initié au christianisme par un ami et est devenu membre de l’Église locale.

[7] Selon le demandeur, le 31 mai 2017, des membres de son église ont été arrêtés et interrogés par le BSP. À la suite de cet incident, il s’est caché et a demandé l’aide d’un passeur pour quitter la Chine. Toutefois, après la libération des membres de son église, le demandeur est sorti de sa cachette et a recommencé à fréquenter l’église.

[8] Le demandeur affirme que le 13 octobre 2017, le BSP l’a arrêté à cause de ses activités religieuses. Il a été battu et est resté détenu pendant une journée. Il soutient qu’avant sa libération, le BSP lui a dit qu’il serait convoqué pour une enquête plus approfondie. Après sa libération, il a quitté la Chine avec l’aide d’un passeur.

[9] Le demandeur est arrivé au Canada le 18 novembre 2017. Au Canada, il affirme avoir assisté aux services religieux à l’Église à Toronto (l’Église).

B. La décision de la SPR

[10] Dans une décision datée du 21 juin 2019, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur au motif qu’il n’était pas crédible et qu’il n’était pas vraiment un chrétien pratiquant. La SPR a tiré les conclusions suivantes :

  • Plusieurs omissions, divergences et contradictions importantes non expliquées de façon raisonnable ont été relevées dans le témoignage du demandeur, et dans d’autres éléments de preuve qu’il a présentés. La preuve est peu fiable, contradictoire et non crédible.

  • L’affirmation du demandeur selon laquelle il a d’importants problèmes de mémoire qui ont une incidence sur son témoignage n’est pas étayée par la preuve documentaire déposée. Le demandeur n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a subi une lésion cérébrale qui a altéré sa mémoire. Une conclusion défavorable a été tirée quant à la crédibilité.

  • Une conclusion défavorable a été tirée quant à la crédibilité du témoignage du demandeur concernant l’accident de moto; le témoignage était contradictoire et changeant, en plus d’être incompatible avec la preuve documentaire déposée. Le demandeur ne se souvenait pas de la date exacte de l’accident, malgré son importance, et n’a présenté aucun élément de preuve corroborant et convaincant au sujet de l’incident.

  • Les connaissances du demandeur concernant sa foi étaient considérablement lacunaires. Il n’a pas pu expliquer la raison pour laquelle le fait de crier est important pour sa foi et a soutenu que prêcher l’Évangile n’était pas un devoir en tant que croyant, alors que la preuve documentaire indique que les membres de l’Église locale ont le devoir de le diffuser dans le cadre de leur pratique religieuse.

  • Le témoignage du demandeur concernant une lettre provenant de l’Église dans laquelle il est mentionné qu’il assiste aux services depuis le 19 novembre 2017 mine la fiabilité de la lettre. La SPR a accordé peu de poids à cette lettre.

C. La décision faisant l’objet du présent contrôle

[11] Le demandeur a interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR. Dans une décision datée du 30 juillet 2020, la SAR a rejeté l’appel du demandeur et confirmé la décision de la SPR selon laquelle le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger. La SAR a tiré les conclusions suivantes :

  • La SPR a eu raison de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité du témoignage du demandeur concernant l’accident de moto. Vu l’ensemble de la preuve, au mieux, le demandeur a établi qu’il avait été hospitalisé le 30 septembre 2016 et qu’il avait subi une intervention chirurgicale à la mâchoire à la suite de son hospitalisation. Il n’a pas fourni une preuve suffisante pour étayer ses autres allégations concernant ce qui est arrivé, y compris celles touchant ses motifs pour se joindre à l’Église locale.

  • La SPR a eu raison de conclure que les prétendus problèmes de mémoire ne sont pas étayés par la preuve. Selon la prépondérance des probabilités, le demandeur ne souffre pas de problèmes de mémoire comme ceux qu’il a prétendu éprouver.

  • La SPR a eu raison de conclure que le demandeur n’est pas vraiment chrétien, notamment à titre de membre de l’Église locale. Les incohérences correctement décelées par la SPR sont importantes et touchent des principes clés de la pratique des Crieurs.

  • La SPR a commis une erreur en n’examinant pas expressément sa demande d’asile sur place. La SAR a procédé à sa propre analyse pour évaluer si la demande d’asile sur place du demandeur était justifiée en raison de sa pratique du christianisme à Toronto. Les connaissances du demandeur sur le christianisme étaient lacunaires et des divergences sont ressorties entre le témoignage du demandeur et la lettre de l’Église concernant la date à laquelle il a commencé à fréquenter l’Église au Canada. Compte tenu de ce qui précède, la SAR a conclu que le demandeur n’est pas vraiment chrétien et, par conséquent, rien ne lui permet de présenter une demande d’asile sur place.

III. La question en litige et la norme de contrôle

[12] La seule question en litige en l’espèce est celle de savoir si la décision de la SAR est raisonnable.

[13] Les deux parties sont d’avis que la norme de contrôle qui s’applique à la décision de la SAR est celle de la décision raisonnable. Je suis du même avis (Adelani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 23 aux para 13-15; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 SCS 65 [Vavilov] aux para 10, 16-17).

[14] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle fondée sur la déférence, mais rigoureuse (Vavilov, aux para 12-13). La cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle est transparente, intelligible et justifiée, notamment en ce qui concerne le résultat obtenu et le raisonnement suivi (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif, du dossier dont le décideur est saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences (Vavilov, aux para 88-90, 94, 133-135).

[15] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer que la décision comporte une lacune suffisamment capitale ou importante (Vavilov, au para 100). Ce ne sont pas toutes les erreurs ou préoccupations au sujet des décisions qui justifieront une intervention. Une cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, ne doit pas modifier les conclusions de fait de celui-ci (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ni accessoires par rapport au fond de la décision, ni constituer une « erreur mineure » (Vavilov, au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 36).

IV. Analyse

A. L’évaluation de la demande d’asile sur place

[16] La SAR a procédé à sa propre analyse de la question de la demande d’asile sur place après avoir conclu que la SPR avait commis une erreur en n’en tenant pas compte. La SAR a conclu que le demandeur n’était pas vraiment chrétien, étant donné qu’il n’avait pas pu nommer d’autres fêtes chrétiennes importantes à part Pâques et qu’il n’avait pas pu expliquer l’importance de Pâques pour les chrétiens. La SAR a aussi souligné que la lettre de l’Église indiquait qu’il avait commencé à fréquenter l’Église dès le lendemain de son arrivée au Canada, mais que le demandeur avait affirmé avoir commencé à la fréquenter 15 jours après son arrivée. La SAR a tiré une conclusion négative de la divergence susmentionnée et était d’avis que le contenu de la lettre de l’Église n’était pas fiable.

[17] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur dans son analyse de la demande d’asile sur place en tranchant une question que la SPR n’avait pas examinée et que le dossier dont disposait la SPR n’étayait pas. Le demandeur fait valoir qu’il n’a pas eu l’occasion d’expliquer la divergence invoquée par la SAR parce que la SPR n’a pas traité expressément de la question de la demande sur place. En plus de s’appuyer sur une incohérence qui n’a pas été portée à l’attention du demandeur, la SAR a procédé à une « évaluation indépendante » en se fondant sur un dossier qui ne contenait pas certains renseignements pertinents quant à sa décision. La décision de la SAR doit être fondée sur le dossier de la SPR. La SAR aurait dû renvoyer la demande à la SPR pour qu’elle recueille les éléments de preuve pertinents et les examine (Ghamooshi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 225 aux paras 18-21 [Ghamooshi]; Jianzhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 551 [Jianzhu]).

[18] Le défendeur fait valoir que la SAR a conclu de manière raisonnable que « [le demandeur] n’est pas vraiment chrétien, et qu’il n’est pas davantage un Crieur chrétien. Par conséquent, [le demandeur] n’a pas établi le bien-fondé de sa demande d’asile sur place ». Les conclusions de la SAR tiennent compte des arguments que le demandeur a lui-même présentés à la SAR, dans lesquels il a soutenu que la SPR avait commis une erreur en omettant d’évaluer sa demande d’asile sur place fondée sur sa pratique chrétienne à Toronto, et que le bien-fondé d’une demande d’asile sur place était établi en fonction du contenu du dossier d’appel. Dans ses observations devant la SAR, le demandeur n’a pas fait valoir que la SAR ne pouvait pas trancher la question de la demande sur place parce que le dossier était incomplet, ou que l’affaire devrait être renvoyée à la SPR pour une nouvelle audience. Le demandeur n’a pas non plus demandé l’autorisation de présenter de nouveaux éléments de preuve à l’appui de sa demande d’asile sur place si le dossier était incomplet, comme il le prétend. Le défendeur fait valoir que le demandeur, en se fondant sur des arguments qui n’ont pas été présentés pour examen, se livre à une contestation indirecte inadmissible de la décision de la SAR (Yin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 564 aux para 30-31 [Yin]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c R.K., 2016 CAF 272 aux para 6 et 10; Mai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 61 [Mai] au para 44).

[19] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il était raisonnable de la part de la SAR de conclure que rien ne permettait au demandeur de présenter une demande d’asile sur place après avoir conclu qu’il n’avait pas établi de manière crédible qu’il était vraiment chrétien (Mai, au para 47). En outre, comme le souligne le défendeur, la décision de la SPR indique que les incohérences entre le témoignage du demandeur et la lettre de l’Église ont en fait été exposées au demandeur pendant l’audience :

[traduction]
[42] Le demandeur d’asile a fourni une lettre de « l’Église à Toronto » selon laquelle il assistait aux services religieux depuis le 19 novembre 2017, il avait suivi un cours et il était maintenant admissible au baptême. Toutefois, le témoignage du demandeur d’asile concernant cette lettre en mine la fiabilité. Le demandeur d’asile a initialement témoigné qu’il a commencé à fréquenter l’Église environ quinze jours après son arrivée au Canada (il y est arrivé le 18 novembre 2017). Lorsqu’il a été invité à expliquer pourquoi la lettre mentionnait qu’il avait donné le 19 novembre 2017 comme date, le demandeur d’asile a répondu ceci : « En fait, j’ai commencé à fréquenter l’Église avant la date que j’avais dite, c’est que je ne pouvais pas y aller au début, parce que je participais aux activités d’un petit groupe dans un sous-sol ». À la question de savoir pourquoi la lettre mentionnait qu’il avait commencé à fréquenter l’Église le lendemain de son arrivée au Canada, le demandeur d’asile a dit que lorsqu’il avait demandé la lettre, ses interlocuteurs ont dit qu’ils mettraient simplement le jour de son arrivée et il leur a dit d’écrire le jour suivant son arrivée.

[43] Ce qui précède indique au tribunal que la lettre n’est pas exacte ou véridique. Le conseil a renvoyé le tribunal à la pièce 5 à la page 66 qui indique que, selon la politique de l’Église, les confirmations de l’adhésion et de la participation aux réunions sont fondées sur les « registres de l’Église accessibles ». Cependant, d’après le témoignage du demandeur, les renseignements sur sa fréquentation étaient fondés sur une date choisie arbitrairement parce que c’était le lendemain de son arrivée au Canada, et non en fonction d’une consultation des registres de l’Église. Par conséquent, le tribunal accorde peu de poids à cette lettre et tire une conclusion défavorable en matière de crédibilité.

[20] La SAR a pour rôle d’examiner la décision de la SPR selon la norme de la décision correcte, en focalisant sur les erreurs relevées par le demandeur (Yin au para 30, citant Mekhashishvili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 65 au para 17).

[21] Pour étayer sa position, le demandeur invoque la décision Ghamooshi, au paragraphe 20, dans laquelle notre Cour souligne que la SAR ne peut soulever une nouvelle question, qui n’a pas été tranchée par la SPR, sans autre avis à l’appelant :

La Cour, en lisant l’alinéa 111(1)b) de la LIPR, a déclaré que la SAR, en soi, ne peut pas soulever une nouvelle question, non définie par la SPR, sans autre avis aux parties (Ojarikre c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 896; Jianzhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 551 [Jianzhu]). Par conséquent, il serait déraisonnable pour la SAR de trancher de façon indépendante une demande sur place lorsque la SPR n’a pas rendu de décision sur la question (Jianzhu, précité au paragraphe 12). En conséquence, compte tenu des circonstances, il incombait à la SAR de fournir un avis aux demandeurs quant aux préoccupations non divulguées de la SAR au sujet de la crédibilité des demandeurs.

[22] Toutefois, en l’espèce, contrairement à ce qui s’est passé dans l’affaire Ghamooshi, le demandeur a soulevé directement la question de la demande d’asile sur place dans ses observations devant la SAR. Ce n’est pas la SAR qui a soulevé indépendamment la question.

[23] Le demandeur s’est aussi appuyé sur la décision Jianzhu, au paragraphe 12, dans laquelle notre Cour déclare ce qui suit :

Selon moi, la SAR n’avait pas compétence pour trancher en toute indépendance la question de la demande d’asile sur place. La SAR n’invoque aucun fondement l’autorisant à le faire, et l’alinéa 111(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] ne s’applique pas, parce qu’il n’y avait pas de décision de la SPR à casser. Dans ces circonstances, puisqu’elle estimait que la question aurait dû être tranchée, la SAR devait renvoyer la demande d’asile sur place à la SPR pour que celle‐ci rende une décision. Étant donné que la SAR n’a pas adopté cette approche, sa décision était déraisonnable.

[24] J’estime que la présente affaire se distingue de l’affaire Jianzhu. Dans l’affaire Jianzhu, ni les demandeurs ni la SPR n’avaient soulevé la question de la demande d’asile sur place et il s’agissait d’une question d’équité pour les demandeurs — ils n’avaient pas eu l’occasion de s’expliquer concernant cette question avant qu’elle soit tranchée par la SAR. Dans la présente affaire, le demandeur a soulevé directement la question de la demande d’asile sur place dans les observations qu’il a présentées à la SAR. Comme l’a signalé le défendeur avec justesse, le demandeur a aussi eu l’occasion de présenter de nouveaux éléments de preuve devant la SAR et ne l’a pas fait.

[25] Je suis convaincu que la SAR a procédé à une évaluation indépendante de la demande d’asile sur place, notamment en tenant compte des observations du demandeur. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il incombait au demandeur d’expliquer en quoi la SPR avait commis une erreur et en quoi sa fréquentation de l’Église posait un risque prospectif. Je conclus que, dans son analyse de la demande d’asile sur place, la SAR a tenu valablement compte des questions et des préoccupations centrales soulevées par le demandeur (Vavilov, aux para 127‐128).

B. L’identité religieuse

[26] Selon le demandeur, la SAR a commis une erreur dans l’appréciation de son identité religieuse en fondant sa décision sur ses connaissances religieuses sans tenir compte de l’authenticité de sa foi religieuse ni de l’aspect central de son identité religieuse. Au paragraphe 18 de la décision Ren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1402 [Ren], notre Cour souligne « ce n’est pas l’objectivité des croyances religieuses d’un demandeur qui importe ou la validité ou l’exactitude de celles‐ci, mais plutôt la sincérité ou l’authenticité des croyances religieuses du demandeur ».

[27] Le défendeur ne conteste pas qu’il suffisait au demandeur de prouver l’authenticité de sa foi. Cependant, il devait tout de même établir un lien entre ses croyances et les particularités de sa religion, en l’occurrence, celles de l’Église locale, et il n’a pas réussi à le faire. Aux paragraphes 11 et 12 de la décision Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1193, notre Cour fait les observations suivantes :

[...] La prétention d’avoir adhéré à des croyances doit être suffisamment fondée pour convaincre un décideur, même s’il n’est pas nécessaire de faire preuve d’une compréhension thomasienne de la théologie.

[12] En l’espèce, l’incapacité du demandeur à exprimer certains des préceptes les plus fondamentaux relatifs aux croyances des Crieurs fournit un motif raisonnable de douter à la fois des déclarations faites sur la Chine et de la portion sur place de la demande d’asile.

[28] Je suis d’accord avec le défendeur. À mon avis, la SAR a effectué une évaluation raisonnable de l’identité religieuse du demandeur. Contrairement à l’argument du demandeur, je ne suis pas d’avis que la SAR a fondé sa décision uniquement sur les connaissances religieuses du demandeur. Même s’il a prétendu avoir participé presque chaque semaine à des activités religieuses pendant deux ans et demi, le demandeur a démontré des connaissances minimales de l’Église locale et de la foi chrétienne en général. À l’audience de la SPR, des questions générales et ouvertes ont été posées au demandeur sur sa compréhension des préceptes de base de l’Église locale et des fêtes chrétiennes importantes, ainsi que sur la façon dont elles sont liées à l’authenticité ou à la sincérité de ses croyances. Néanmoins, les réponses du demandeur étaient vagues et incompatibles avec les éléments de preuve documentaire sur les pratiques de l’Église locale. Il a également été incapable d’expliquer pourquoi ses connaissances étaient si lacunaires. Il était donc raisonnable de la part de la SAR de confirmer la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’avait pas réussi à expliquer adéquatement ses connaissances de sa religion. L’évaluation de la SAR est conforme à l’esprit de la décision Ren, dans laquelle notre Cour mentionne ceci au paragraphe 19 :

En bref, les questions posées à un demandeur d’asile au sujet de ses croyances religieuses ne sont justifiées que si elles portent sur la sincérité de la croyance, et toute conclusion d’absence d’authenticité ou de sincérité quant aux croyances religieuses est fondée non pas sur l’exactitude de la réponse, mais plutôt sur l’incohérence, l’imprécision et l’aspect non éclairant ou contradictoire des réponses à de telles questions.

[29] Dans l’ensemble, je suis d’avis que la SAR n’a pas perdu de vue la question centrale de l’authenticité ou de la sincérité des croyances du demandeur.

C. Les doutes de la SAR quant à la crédibilité

1) Les documents justificatifs du demandeur

[30] Le demandeur soutient que la SAR a conclu à tort que la lettre de confirmation de mise en liberté du BSP (la lettre du BSP) n’est pas un document digne de foi. La SAR a omis d’appliquer la présomption de véracité, car les documents étrangers sont présumés être authentiques et crédibles à première vue, à moins qu’il n’y ait une raison valable de les rejeter (Ramalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 7241 (CF) au para 5). De plus, la SAR a omis d’évaluer l’authenticité du certificat d’incinération soumis comme preuve de décès du collègue de travail du demandeur. La SAR a aussi commis une erreur en omettant d’évaluer l’authenticité des documents. Le demandeur invoque la décision de la Cour dans l’affaire Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2012 CF 157 pour faire valoir que « [l]e simple fait que des documents frauduleux soient faciles à obtenir en RPC n’implique pas nécessairement, à lui seul, que les documents du demandeur étaient frauduleux » (au para 53).

[31] Le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement conclu que la lettre du BSP ne permettait pas d’étayer l’allégation du demandeur selon laquelle il avait été arrêté le 13 octobre 2017 en raison de sa pratique religieuse. La SAR a également raisonnablement conclu que le certificat d’incinération était insuffisant pour étayer les allégations du demandeur, y compris celles touchant ses motifs pour se joindre l’Église locale.

[32] Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que le simple fait qu’il soit facile d’obtenir des documents frauduleux en Chine ne justifie pas le rejet d’un document pour ce seul motif (Guo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 400 au para 4). Toutefois, la référence de la SAR à la facilité avec laquelle il est possible d’obtenir des documents frauduleux en Chine n’était pas la seule raison pour laquelle elle n’a accordé aucun poids à la lettre du BSP. La SAR a également constaté l’absence d’autres éléments de preuve concernant la provenance de la lettre du BSP et l’absence d’un mandat d’arrestation ou d’un avis d’arrestation adressé aux membres de la famille du demandeur.

[33] Comme l’a souligné à juste titre le défendeur, à première vue, la lettre du BSP n’a aucun lien avec le demandeur et ne corrobore pas sa prétendue détention. La traduction de la lettre du BSP figurant au dossier indique ceci : [TRADUCTION] « Chen, Guo Long (sexe masculin, né le 13 octobre 1978, adresse : 36, ShangCuo, village de BaoMei, ville de LongTian, cité de Fuqing), a enfreint les lois en participant aux activités d’une maison église clandestine illégale [...] ». D’après le dossier, les renseignements ne correspondent pas au nom du demandeur (Zhi Ming Chen) ni à sa date de naissance (le 30 octobre 1982) ni à son adresse (10, XiCuo, village de WenFang, ville de JiangJin, cité de Fuqing). Qui plus est, la lettre du BSP indique que M. Guo Long Chen a été placé en détention le 13 octobre 2017 et libéré le 12 novembre 2017, tandis que le demandeur allègue que sa détention n’a duré qu’un jour. J’estime qu’il était donc raisonnable de la part de la SAR de rejeter la lettre BSP en raison de l’absence d’éléments de preuve du lien entre la lettre du BSP et le demandeur, et de l’insuffisance d’éléments de preuve concernant la provenance du document.

[34] En ce qui concerne le certificat d’incinération, la SAR a conclu qu’il ne corroborait pas d’autres renseignements que la date de décès du collègue de travail du demandeur qui serait décédé dans le même accident que celui qui a entraîné les blessures du demandeur. Le document indiquait qu’une personne du nom de Ding Guo Xue est décédée le 30 septembre 2016 dans un accident d’automobile. À mon avis, il était raisonnable pour la SAR de conclure que le certificat était insuffisant pour corroborer les allégations du demandeur, y compris celles liées à ses motifs pour se joindre l’Église locale.

2) Les problèmes de mémoire du demandeur

[35] À l’audience devant la SPR, le demandeur a expliqué que ses problèmes de mémoire, qui découlaient d’un traumatisme crânien, avaient une incidence sur son témoignage. La SPR n’a pas admis l’allégation relative à des problèmes de mémoire du demandeur en raison de l’absence de preuve médicale et du fait qu’il n’en était pas question dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (le formulaire FDA). En effectuant une analyse indépendante, la SAR a conclu que les éléments de preuve étaient insuffisants pour établir l’allégation de problèmes de mémoire du demandeur. La SAR a souligné que les documents médicaux versés au dossier ne faisaient référence qu’à la chirurgie de la mâchoire du demandeur et ne mentionnaient ni lésion traumatique cérébrale, ni perte de mémoire, ni coma, et qu’il n’y avait aucune preuve selon laquelle il aurait reçu un traitement pour des pertes de mémoire au Canada. Le formulaire FDA du demandeur ne fait aucune mention de traumatisme crânien ou de problèmes de mémoire, et le demandeur n’a pas demandé d’aide ni la prise de mesures particulières à l’audience de la SPR en raison de ses problèmes de mémoire.

[36] Le demandeur soutient que la SAR a traité à tort ses pertes de mémoire comme un problème de crédibilité. Il soutient qu’il est le mieux placé pour savoir s’il a des pertes de mémoire en raison de son accident, un fait qui n’a pas à être fondé sur une preuve médicale. Le fait qu’il ait choisi de vivre en composant avec ses pertes de mémoire, sans chercher à obtenir d’autres soins médicaux, ne rend pas ses pertes moins réelles ni son témoignage moins crédible.

[37] Les arguments du demandeur ne me convainquent pas. Je suis d’accord avec l’argument du défendeur lorsque celui-ci affirme que la SAR n’était pas tenue d’accepter les affirmations du demandeur selon lesquelles il a des pertes de mémoire pour expliquer les divergences dans son témoignage. Étant donné l’importance des prétendus problèmes de mémoire, je trouve qu’il était raisonnable de la part de la SAR d’attendre du demandeur qu’il fournisse des éléments de preuve de son état ou, à tout le moins, qu’il expose la question dans son formulaire FDA. Comme l’a fait remarquer à juste titre l’avocate du défendeur au cours de l’audience, le demandeur n’a pas non plus présenté d’affidavit pour expliquer en quoi ses pertes de mémoire avaient nui à son témoignage, ou pourquoi aucune mesure particulière n’avait été demandée au cours de l’audience. Il revenait au demandeur de prouver que les questions de crédibilité soulevées par son témoignage étaient dues à un traumatisme crânien et aux problèmes de mémoire associés. J’estime que la SAR a raisonnablement conclu que la preuve des problèmes de mémoire du demandeur était insuffisante pour expliquer les problèmes de crédibilité.

[38] Dans l’ensemble, je suis d’avis qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure que le demandeur n’avait pas établi de façon crédible ses motifs pour se joindre à l’Église locale et qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour dissiper ses doutes.

V. Conclusion

[39] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la SAR a effectué une évaluation raisonnable de la demande d’asile sur place du demandeur, de son identité religieuse et de sa crédibilité. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été soumise aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6740-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Noémie Pellerin Desjarlais


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6740-20

 

INTITULÉ :

ZHIMING CHEN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 MAI 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 JUILLET 2022

 

COMPARUTIONS :

Seyfi Sun

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Amina Riaz

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Cabinet d’avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.