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Date : 20221024


Dossier : IMM‑5806‑19

Référence : 2022 CF 1446

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 octobre 2022

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

SHABANA KOUSAR

MUHAMMAD NAZAM

MUHAMMAD USMAN (PERSONNE MINEURE)

SMMAVIAH NOOR (PERSONNE MINEURE)

HUSSNAIN UL HASSAN (PERSONNE MINEURE)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs, Muhammad Nazam (Muhammad), l’épouse de ce dernier et leurs trois enfants mineurs sont tous citoyens du Pakistan. Ils sont arrivés au Canada le 11 février 2017 et ont présenté une demande d’asile.

[2] Ils sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision rendue par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) le 26 juin 2019 (la décision contestée) a conclu que les demandeurs n’ont ni qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger.

[3] La demande de contrôle judiciaire est accueillie, puisque la SPR a commis une erreur en concluant que les demandeurs ne pouvaient pas être repérés à Hyderabad.

II. Le contexte factuel

[4] Muhammad, sa mère et sa sœur ont hérité d’une terre appartenant au père du demandeur, mais les oncles de Muhammad en ont pris illégalement possession pendant qu’il travaillait en Arabie saoudite. Le beau‑frère de Muhammad a tenté de résoudre le problème, mais en vain; Muhammad a donc intenté une action en justice contre ses oncles.

[5] Le beau‑frère a violemment pris à partie la famille des oncles et deux cousins ont été blessés par balle. Muhammad est retourné au Pakistan dans l’espoir de parvenir à une entente. Il a demandé aux anciens de l’aider à régler l’affaire en faisant appel à un panchayat, soit une réunion du conseil local.

[6] Le panchayat a jugé que le camp de Muhammad était responsable de l’agression et qu’il devait donc offrir une indemnisation.

[7] Il a été déclaré que la fille de Muhammad, âgée de 11 ans, devait être offerte à l’un des cousins qui était âgé de 15 ans. Muhammad a refusé de se plier à la volonté du panchayat et il a communiqué avec la police, mais comme il n’avait aucune preuve écrite, la police n’a pas voulu consigner sa plainte. Muhammad a également été prévenu que, s’il rejetait l’entente, la collectivité mettrait fin aux relations avec sa famille, que sa maison et ses terres seraient saisies et qu’elle lui ferait du mal, à lui et à sa famille.

[8] Muhammad est retourné en Arabie saoudite en vue de trouver une solution. Pendant ce temps, les membres du panchayat ont harcelé son épouse et l’un d’entre eux a menacé d’enlever sa fille. Muhammad a emmené sa famille en Arabie saoudite pour qu’elle soit en sécurité.

[9] Les demandeurs ont présenté une demande de visa pour se rendre aux États‑Unis, avec l’intention de venir au Canada, car le frère de l’épouse de Muhammad y vit. Le 16 novembre 2017, la famille est arrivée au Canada en vertu de l’Entente sur les tiers pays sûrs.

III. La décision

[10] Les faits contextuels exposés ci‑dessus sont tirés de la décision contestée.

[11] Lorsqu’elle a rejeté les demandes d’asile, la SPR a jugé déterminant le fait que les demandeurs disposaient d’une possibilité de refuge interne (PRI) à Hyderabad.

[12] La SPR a jugé que Muhammad a témoigné avec franchise et elle a conclu qu’il n’y avait aucune contradiction entre son témoignage et les renseignements figurant dans son formulaire de demande ou la preuve documentaire.

[13] En ce qui concerne la possibilité de refuge intérieur, la SPR a conclu que les demandeurs pouvaient déménager à Hyderabad, au Pakistan, en toute sécurité.

[14] Dans son témoignage, Muhammad a déclaré que lui et sa famille pourraient être retrouvés à Hyderabad, parce qu’il serait tenu de fournir sa carte d’identité nationale à un locateur et à la police. La SPR a indiqué qu’elle avait examiné le Cartable national de documentation [le CND] et que cette exigence n’y était pas mentionnée.

IV. La question en litige

[15] La question déterminante est celle de savoir si la conclusion relative à la PRI est raisonnable.

V. La norme de contrôle

[16] La Cour suprême du Canada a conclu que, lors du contrôle judiciaire d’une décision administrative sur le fond (le contrôle judiciaire d’une mesure administrative qui ne porte pas sur un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale), la norme de contrôle présumée est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23 [Vavilov].

[17] Une cour qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif. Elle ne tente pas de prendre en compte l’« éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème : Vavilov, au para 83.

[18] Le décideur peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise. À moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas les conclusions de fait du décideur. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » : Vavilov, au para 125.

VI. Analyse

[19] La SPR a conclu que, dans le CND, il n’y avait pas mention de l’obligation de s’inscrire auprès de la police en tant que locataires au Pakistan.

[20] Cette conclusion était cruciale, puisqu’elle concernait la question de la capacité des agents de persécution de localiser les demandeurs dans une autre région du Pakistan.

[21] Le CND pour le Pakistan consulté par la SPR se trouve dans le dossier certifié du tribunal. Il est daté du 29 mars 2019, soit une date antérieure de trois mois à la décision.

[22] Le CND comprend une réponse à la demande d’information (RDI) qui traite des régimes d’enregistrement des locataires auxquels Muhammad a fait référence.

[23] La RDI #PAK106026 indique qu’une fois qu’un contrat de location entre un locataire et un locateur a été rédigé et signé , une copie de leurs cartes d’identité nationales (CIN) doit être remise au poste de police le plus proche, car ces dernières doivent être enregistrées auprès de la police locale. Dans certaines régions, en plus des CIN en question, deux répondants pouvant confirmer l’identité du locataire ainsi que le CIN de ces derniers sont exigés.

[24] Dans la RDI, on ajoute qu’au Pakistan, le locateur, le locataire ou le gestionnaire, selon le cas, et le courtier immobilier de l’édifice loué doivent fournir, en plus du contrat de location et des CIN en question, les noms et les CIN de deux répondants ainsi que les coordonnées des membres masculins de plus de 14 ans vivant ou résidant avec le locataire :

[traduction]
a. une copie certifiée de l’entente de location;

b. i. une copie certifiée de la carte d’identité nationale informatisée du locataire;

ii. une copie certifiée de la carte d’identité nationale informatisée du locateur;

c. les noms et numéros de téléphone de deux personnes en mesure de confirmer l’identité du locataire, et une copie de leur carte d’identité nationale;

d. les renseignements sur les personnes de sexe masculin de plus de 14 ans qui habitent ou résident avec le locataire.

[25] Ces renseignements, qui se trouvent dans le CND, appuient la déclaration de Muhammad selon laquelle la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il n’y avait aucune mention de l’obligation de fournir sa CIN à un locateur.

[26] Dans son témoignage, Muhammad avait également déclaré que le chef du panchayat était membre de l’Assemblée provinciale et que ce dernier était très influent. La SPR a tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité, puisque les demandeurs n’avaient pas produit d’éléments de preuve à l’appui du témoignage de Muhammad selon lequel le chef du panchayat était influent.

[27] Cette inférence a été déterminante quant à la question de savoir si les demandeurs seraient exposés à un risque s’ils déménageaient à Hyderabad.

[28] Au paragraphe 28 de la décision Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 162, la question de savoir si une preuve corroborante peut être requise a été examinée par le juge Norris :

[28] Il n’existe aucune exigence générale de corroboration, et un tribunal commet une erreur s’il tire une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité en se fondant uniquement sur une absence de preuves corroborantes (Ndjavera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 452, au paragraphe 6). S’il existe des raisons valables pour mettre en doute la sincérité d’un demandeur d’asile, le tribunal peut également prendre en compte le fait que celui‑ci n’a pas produit de preuves corroborantes, mais uniquement s’il ne peut expliquer de manière raisonnable l’absence de telles preuves (Dundar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1026, au paragraphe 22, citant Amarapala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 12, au paragraphe 10).

[29] Ayant jugé que Muhammad a témoigné avec franchise, et qu’il n’y avait aucune contradiction entre son témoignage et les renseignements figurant dans son formulaire Fondement de la demande d’asile ou la preuve documentaire, la SPR a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable en se fondant sur l’absence de preuve corroborante relative à l’influence du chef du panchayat.

VII. Conclusion

[30] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que la SPR a commis une erreur en ne traitant pas avec exactitude du régime d’enregistrement des locataires au Pakistan, en particulier de la nécessité pour les locataires de fournir leur CIN au locateur et à la police. Cette preuve indique que les demandeurs pouvaient être repérés.

[31] Je conclus également que la SPR a commis une erreur lorsque, sans en donner la raison, elle a exigé la corroboration du témoignage de Muhammad concernant l’influence du chef du panchayat, lequel témoignage appuie l’existence d’un risque pour les demandeurs.

[32] La demande en l’espèce est accueillie et la décision est annulée. L’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour qu’il rende une nouvelle décision.

[33] Les faits en l’espèce ne soulèvent aucune question grave de portée générale.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5806‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est accueillie et la décision est annulée. La présente affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour qu’il rende une nouvelle décision.

  2. Les faits en l’espèce ne soulèvent aucune question grave de portée générale.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5806‑19

 

INTITULÉ :

SHABANA KOUSAR, MUHAMMAD NAZAM, MUHAMMAD USMAN (PERSONNE MINEURE), SMMAVIAH NOOR (PERSONNE MINEURE), HUSSNAIN UL HASSAN (PERSONNE MINEURE) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 novembre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

Le 24 octobre 2022

 

COMPARUTIONS :

Hart Kaminker

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Erink Esok

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kaminker and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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