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Date : 20221021


Dossier : IMM-1277-21

Référence : 2022 CF 1440

Ottawa (Ontario), le 21 octobre 2022

En présence de l'honorable monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

VIKAS KUMAR

ASHU DEVI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] rendue le 10 février 2021, confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] selon laquelle les demandeurs n’ont pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention, ni de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2] La décision de la SAR repose sur la possibilité de refuge intérieur [PRI] pour les demandeurs en Inde, leur pays d’origine.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Les faits

[4] La demanderesse, Ashu Devi, et son époux, Vikas Kumar, sont citoyens de l’Inde. Ils disent craindre être tués par Abhay Singh Choutala, le fils d’un homme politique influent en Inde, après que la demanderesse ait révélé l’implication de M. Choutala dans des crimes incluant l’enlèvement, le viol ainsi que le meurtre d’une jeune fille en février 2016.

[5] Après avoir pris connaissance de ce crime, la demanderesse a rejoint le groupe social, Jeevan Jyotti, lequel a comme mission la défense des femmes et filles victimes de violence. La demanderesse a accompagné les parents de la jeune victime dans le cadre des procédures policières. À la suite de ces démarches, elle a été la cible de menaces, ainsi que d’une attaque menée par quatre hommes contre les demandeurs le 27 septembre 2017. Les demandeurs se sont alors réfugiés à Jalandhar où, cependant, ils ont été victimes d’une nouvelle attaque le 4 janvier 2018. Ils ont donc décidé de quitter l’Inde pour revendiquer l’asile au Canada.

[6] Les demandeurs allèguent que depuis leur arrivée au Canada, les membres de la famille du demandeur ont été menacés par des personnes qui les recherchent.

[7] Le 18 février 2020, la SPR a rejeté les demandes d’asile des demandeurs sur la base qu’il existe une PRI pour eux dans les villes de Bhopal dans l’État du Madhya Pradesh, et de Hyderabad, en Andhra Pradesh. La SPR a jugé les demandeurs crédibles à l’égard de certaines allégations, mais non crédibles à l’égard d’autres, tels l’implication de la demanderesse au sein de Jeevan Jyotti, un organisme non gouvernemental dédié à la protection des droits des femmes, et les problèmes encourus par les membres de sa famille en 2018.

[8] Les demandeurs ont contesté les conclusions de la SPR dans le cadre de leur appel à la SAR, insistant sur le fait qu’ils feraient face à un risque sérieux de persécution advenant leur retour en Inde.

[9] Pour sa part, la SAR a jugé crédible l’ensemble des allégations des demandeurs. Elle a toutefois confirmé la conclusion de la SPR voulant qu’ils disposent d’une PRI dans les villes suggérées.

[10] La SAR a tout d’abord jugé que la SPR avait erré en concluant que l’allégation selon laquelle la demanderesse aurait travaillé au sein de Jeevan Jyotti n’était pas crédible. La SAR a conclu que cette allégation était crédible, et que l’engagement de la demanderesse dans la lutte pour les droits des femmes, dans les circonstances culturelles de l’Inde, pouvait être considéré comme l’expression de ses opinions politiques. De ce fait, la demanderesse devait établir une possibilité sérieuse de persécution en raison de cette opinion politique, ou plus précisément en raison de son travail au sein d’organismes de lutte pour les droits des femmes victimes de violence.

[11] La SAR a conclu que la demanderesse n’avait pas satisfait à ce fardeau puisqu’elle était ciblée par M. Choutala en association avec le cas précis de la jeune victime, et non pas en raison de son travail. Selon la SAR, la crainte de la demanderesse « n’est pas le résultat direct de [son] travail en tant que travailleuse sociale pour conscientiser la population aux droits des femmes, mais plutôt parce [qu’elle avait] informé la police du possible suspect des crimes perpétrés contre la jeune fille ».

[12] La SAR est parvenue à cette conclusion pour les raisons suivantes :

  • a) Lorsque la demanderesse a été conviée par la SPR à indiquer si ses collègues de l’organisation Jeevan Jyotti avaient encouru des problèmes, la demanderesse a répondu par la négative.

  • b) La demanderesse a expliqué qu’elle craint de retourner en Inde par crainte d’être tuée par M. Choutala, car elle savait qu’il était suspect du meurtre de la jeune fille, parce qu’elle aurait appris dans le cadre de son travail qu’un témoin avait vu la victime monter dans la voiture de celui-ci.

  • c) Dans son formulaire de demande d’asile, la demanderesse n’a pas indiqué avoir encouru d’incidents entre 2014 et 2016 dans le cadre de son travail antérieur au sein de l’organisation Asha Social Welfare, une organisation qui lutte également pour la défense des droits des femmes.

  • d) Autres que les allégations de menaces et d’agression en lien avec l’affaire de la jeune fille victime de meurtre et dont M. Choutala serait le suspect, la demanderesse n’a pas allégué avoir fait l’objet de menaces ou avoir été victime de violence en lien avec ses activités.

  • e) Il ne ressort pas des Cartables nationaux de documentation [CDN] sur l’Inde que les membres des organisations qui luttent pour les droits des femmes sont la cible d’actes de violence « de manière systématique » dans le cadre de leurs fonctions, à cause de leur engagement social ou opinion politique.

[13] La SAR s’est fondée sur ces mêmes raisons exposées au paragraphe précédent lorsqu’elle a rejeté l’argument des demandeurs voulant qu’ils ne puissent se relocaliser dans les PRIs suggérées car la demanderesse continuera à œuvrer dans ces organisations.

III. Analyse

A. Manquement à l’équité procédurale

[14] La demanderesse reproche à la SAR d’avoir manqué à son obligation d’équité procédurale puisque les demandeurs n’ont pas été convoqués à une audience afin de vérifier si la demanderesse avait subi d’autres actes de persécution dans le cadre de ses fonctions. Cet argument est mal fondé.

[15] En l’espèce, les demandeurs n’ont pas soumis, dans le cadre de leur appel devant la SAR, de nouveaux éléments de preuve au sens du paragraphe 110(4) de la LIPR. De plus, ils ne se sont pas conformés à la Règle 3(3)g)(ii) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257 [Règles], soit d’inclure dans leur mémoire d’appel des observations complètes et détaillées sur la façon dont les nouveaux éléments de preuve soumis seraient conformes aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR. Ils ne se sont pas non plus conformés à la Règle 3(3)g)(v) des Règles, soit d’indiquer dans leur mémoire d’appel les motifs pour lesquels la SAR devrait tenir l’audience visée au paragraphe 110(6) de la LIPR. Par conséquent, la SAR n’avait pas à convoquer les demandeurs à une audience.

[16] Il convient de rappeler qu’un appel interjeté devant la SAR n’a pas pour objectif d’offrir à un demandeur d’asile une deuxième chance de présenter des éléments de preuve pour corriger les faiblesses relevées par la SPR. Tel que statué par la Cour d’appel fédérale, un appel à la SAR n’est pas une occasion de compléter une preuve déficiente ou un dossier incomplet soumis à la SPR (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 au para 54).

[17] Les demandeurs prétendent que la SAR a violé, encore une fois, l’équité procédurale, en indiquant que la preuve documentaire objective du CND sur l’Inde sur laquelle la SAR se base au paragraphe 17 de ses motifs n’était pas en preuve devant la SPR. La décision de la SAR est donc fondée sur des motifs sur lesquels les demandeurs n'ont pas pu s'exprimer. Ce moyen n’est pas fondé.

[18] La SAR est tenue de communiquer la version du CND sur laquelle elle se fonde si les deux facteurs suivants sont présents : (1) la version du CND sur laquelle la SAR s’est fondée pour rendre sa décision n’était ni disponible, ni accessible au public lorsque le demandeur d’asile a mis son appel en état et présenté ses observations, et (2) si les renseignements les plus récents de cette version du CND sont suffisamment différents, nouveaux et importants, et font état d’un changement dans la situation générale dans le pays visé. Or, il revient aux demandeurs d’établir l’erreur alléguée, et donc de démontrer que les facteurs indiqués ci-dessus sont présents, ce qui n’a pas été fait.

[19] Quoi qu’il en soit, les demandeurs ont mis en état leur appel le ou vers le 2 octobre 2020. Le CND le plus récent sur l’Inde, au moment où la SAR a rendu sa décision, date du 17 juillet 2020. Ce CND était donc disponible et accessible au moment où les demandeurs ont mis en état leur appel.

[20] Pour ces raisons, les demandeurs n’ont donc pas démontré une atteinte à l’équité procédurale.

B. Raisonnabilité de la décision

[21] Les demandeurs prétendent que la conclusion de la SAR à l’égard de la PRI est déraisonnable.

[22] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Durojaye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 700 au para 6). Ainsi, selon cette norme, il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 100).

[23] Ayant considéré la preuve dans son ensemble, la SAR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi qu’il existait un risque sérieux de persécution dans les PRIs proposées, advenant un retour en Inde.

[24] Il convient de rappeler que la question de PRI est essentielle pour établir si une personne a qualité de réfugié au sens de la Convention ou qualité de personne à protéger. La protection internationale n’est offerte à un demandeur d’asile que si son pays de citoyenneté ne peut lui assurer une protection adéquate sur l’ensemble de son territoire.

[25] Un test à deux volets a été élaboré par la Cour d’appel fédérale dans Rasaratnam c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA) pour déterminer s’il existe une PRI :

  1. Le tribunal administratif doit être persuadé, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a aucune possibilité sérieuse que le demandeur d’asile sera persécuté dans la région où la PRI est envisagée;

  2. Les conditions qui ont cours dans ladite région doivent être telles qu’il n’est pas déraisonnable compte tenu de l’ensemble des circonstances – que le demandeur d’asile y trouve refuge.

[26] Il est bien établi qu’en matière de PRI, le fardeau de preuve appartient au demandeur d’asile. En l’espèce, les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau quant aux deux volets du test. Je m’explique.

[27] En ce qui a trait au premier volet du test, la SAR a conclu que les demandeurs n’ont pas satisfait à ce volet, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas établi selon la prépondérance des probabilités une possibilité sérieuse qu’ils soient persécutés dans les régions où la PRI est envisagée.

[28] Les demandeurs n’ont pas contesté les conclusions de la SAR voulant que M. Choutala n’a ni l’intérêt ni la capacité de les retrouver dans les PRIs suggérées. Par conséquent, ces conclusions doivent être tenues pour avérées.

[29] De plus, la SAR a accepté l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle a travaillé au sein de l’organisation Jeevan Jyotti et que son engagement dans la lutte pour les droits des femmes, dans les circonstances culturelles de l’Inde, pouvait être considéré comme l’expression de ses opinions politiques.

[30] La SAR a conclu que la demanderesse était ciblée par M. Choutala en association avec le cas précis de la jeune victime, et non pas en raison de son rôle en tant que travailleuse sociale pour conscientiser la population aux droits des femmes. À mon avis, la SAR pouvait raisonnablement tirer cette conclusion selon la preuve au dossier, et il n'y a pas lieu d'intervenir à cet égard.

[31] Dans son affidavit à l’appui de la demande de contrôle judiciaire, la demanderesse indique que la SPR n’a jamais posé de questions quant aux problèmes qu’elle aurait subis en lien avec son travail entre 2014 et 2016 et affirme qu’elle a été « insultée, attaquée et menacée ». Or, le dossier de la preuve qui est soumis à notre Cour lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire se limite en général au dossier de preuve dont disposait le tribunal. En d'autres termes, les éléments de preuve qui n'ont pas été portés à la connaissance de la SPR et qui ont trait au fond de l'affaire soumise à la SAR ne sont pas admissibles dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire présentée à notre Cour. Une fois la question de la PRI soulevée par la SPR, il appartenait aux demandeurs d’établir soit qu’ils seraient en danger une fois dans la PRI, soit qu’il serait déraisonnable pour eux de s’y installer. On ne peut pas reprocher à la SAR de ne pas avoir tenu compte de facteurs ou de preuves dont elle ne disposait pas.

[32] La SAR a aussi conclu que les demandeurs n’ont pas établi qu’advenant un retour en Inde, ils feraient face à une possibilité sérieuse de persécution dans les villes suggérées comme PRI si la demanderesse continue de travailler pour la conscientisation des droits des femmes, rejetant ainsi leurs arguments voulant qu’ils ne puissent pas se relocaliser dans les PRIs suggérées, car la demanderesse continuera à œuvrer dans ces organisations.

[33] Selon la preuve qui avait été soumise à la SPR, ces conclusions sont tout à fait raisonnables. À mon avis, elles sont inattaquables.

[34] En ce qui concerne le second volet du test, les demandeurs devaient démontrer, à l’aide d’une preuve réelle et concrète, l’existence de conditions qui mettraient en péril leur vie et leur sécurité s’ils devaient se relocaliser dans les PRIs proposées. La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas satisfait à ce fardeau de preuve. La SAR a noté que les demandeurs n’avaient pas contesté cette conclusion et, après avoir analysé la conclusion de la SPR sur ce volet et la preuve au dossier, la SAR a conclu que la SPR n’avait pas erré. Compte tenu du fait que les demandeurs ne contestent pas cette conclusion de la SAR portant sur ce volet, cette conclusion doit être tenue pour avérée.

[35] Les demandeurs ne démontrent pas que la décision est entachée d'une quelconque erreur révisable, celle-ci étant plutôt bien structurée et solidement motivée.

[36] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[37] Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1277-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

[en blanc]

« Roger R. Lafrenière »

En blanc/In

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1277-21

INTITULÉ :

VIKAS KUMAR ET ASHU DEVI c LE MINISTRE DE LA CITOYONNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 SEPTEMBRE 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

DATE DES MOTIFS :

LE 21 OCTOBRE 2022

COMPARUTIONS :

Manuel Centurion

Pour LES DEMANDEURS

Yaël Levy

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Manuel Centurion, Avocat

Montréal (Québec)

Pour leS demandeurS

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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