Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20221017


Dossier : T‑1106‑20

Référence : 2022 CF 1409

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 octobre 2022

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

SEAN BRUYEA

demandeur

et

SA MAJESTÉ LE ROI

défendeur

Table des matières

I. Contexte 4

A. La nature des allégations 4

B. Les prestations en litige 5

II. Expérience de quelques membres du groupe proposé 9

A. M. Bruyea 9

B. Danny Carvalho Raposa 11

C. Andre Joseph Serge St‑Jean 13

D. Perry Robert Gray 15

E. Ronald Joseph Cundell 16

III. Question préliminaire : la négligence systémique ou la déclaration inexacte faite par négligence, et la Cour devrait-elle autoriser le demandeur à modifier la nouvelle déclaration modifiée. 17

IV. Survol des positions des parties 19

A. Le demandeur 19

B. Le défendeur 23

V. La déclaration modifiée, la nouvelle déclaration modifiée et le projet de nouvelle déclaration modifiée 24

A. Les allégations 24

B. Le groupe proposé 29

VI. Les dispositions législatives applicables 30

VII. La question en litige 30

VIII. Les actes de procédure révèlent‑ils une cause d’action valable? 31

A. La négligence systémique – ou, subsidiairement, la déclaration inexacte faite par négligence – est‑elle une cause d’action valable? 33

(1) Les observations du demandeur 33

(2) Les observations du défendeur 38

(3) L’allégation de négligence systémique n’a aucune chance raisonnable de succès 40

(4) Le demandeur peut modifier l’acte de procédure afin d’alléguer expressément une cause d’action subsidiaire fondée sur l’existence d’une déclaration inexacte faite par négligence 44

(5) La déclaration inexacte faite par négligence est une cause d’action valable 45

B. Le manquement à une obligation fiduciaire 50

(1) Les observations du demandeur 50

(2) Les observations du défendeur 51

(3) L’allégation de manquement à une obligation fiduciaire n’est pas une cause d’action valable 53

C. L’enrichissement sans cause 58

(1) Les observations du demandeur 58

(2) Les observations du défendeur 60

(3) L’allégation d’enrichissement sans cause n’est pas une cause d’action valable 61

IX. Le demandeur a‑t‑il établi un « certain fondement factuel » pour les autres conditions d’autorisation? 64

A. Les principes généraux 64

D. Un groupe identifiable 65

C. Les allégations soulèvent‑elles des points de droit ou de fait communs? 68

(1) Les observations du demandeur 68

(2) Les observations du défendeur 72

(3) Il existe des points communs 75

D. Le recours collectif est-il le meilleur moyen de procéder? 79

(1) Les observations du demandeur 79

(2) Les observations du défendeur 80

(3) Le demandeur a établi qu’il existe un certain fondement factuel tendant à indiquer qu’un recours collectif est le meilleur moyen de procéder 81

(4) M. Bruyea est un représentant demandeur adéquat 85

X. Conclusion 86

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Le demandeur dépose la présente requête en vue de faire autoriser l’action comme recours collectif au nom d’un nombre estimatif de 10 000 vétérans qui, en 2019, étaient admissibles à une prestation de retraite supplémentaire et qui soit ne l’ont pas reçue, soit l’ont reçue mais son montant était inférieur à ce qu’il aurait dû être, et ce, aux dires du demandeur, en raison de la conduite du défendeur.

[2] La question en litige dans la présente requête ne consiste pas à savoir si le demandeur a prouvé sa réclamation, mais s’il a établi que les conditions énoncées au paragraphe 334.16(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles) sont réunies, car c’est ce qui permet à la Cour de décider s’il y a lieu d’autoriser une action comme recours collectif ou non. Autrement dit, le demandeur doit démontrer ce qui suit :

  • les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;

  • il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;

  • les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, que ceux‑ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre;

  • le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs;

  • il existe un représentant demandeur adéquat.

[3] Pour les motifs qui suivent, la requête du demandeur est accueillie. Je conclus qu’il a satisfait aux exigences de l’article 334.16 des Règles. Les présents motifs expliquent le contenu de l’ordonnance qui est rendue conformément à l’article 334.17 des Règles.

[4] En résumé, je suis d’avis que les allégations du demandeur quant à la négligence systémique, au manquement à une obligation fiduciaire et à l’enrichissement sans cause n’ont aucune chance raisonnable de succès. Le demandeur est autorisé à modifier sa nouvelle déclaration modifiée pour alléguer expressément et subsidiairement qu’il y a eu déclaration inexacte faite par négligence. Je suis d’avis que l’allégation de déclaration inexacte faite par négligence formulée par le demandeur est une cause d’action valable et que le demandeur a établi un certain fondement factuel pour les autres conditions d’autorisation. L’ordonnance formulée ci-après reflète les présents motifs et les exigences de l’article 334.17 des Règles, dont l’énonciation des points communs autorisés. La Cour traitera, dans le cadre du processus de gestion de l’instance, de la question du besoin éventuel de modifier les points communs, le plan de déroulement de l’instance ainsi que d’autres questions de nature procédurale.

I. Contexte

A. La nature des allégations

[5] Le demandeur, M. Sean Bruyea, est le représentant demandeur et un membre du groupe proposé. Il s’est joint aux Forces armées canadiennes [les FAC] en 1982 et a été libéré pour des raisons de santé en 1996. Il dit avoir continué de souffrir de blessures et de maladies liées à son service militaire qui l’ont empêché de réintégrer la population civile active.

[6] Dans la présente requête, M. Bruyea souhaite faire autoriser un recours collectif en son propre nom et au nom d’autres vétérans sur le fondement d’allégations de négligence systémique (et, subsidiairement, de déclaration inexacte faite par négligence, comme il est expliqué ci‑après), de manquement à une obligation fiduciaire et d’enrichissement sans cause de la part du Canada, plus précisément, d’Anciens Combattants Canada [ACC].

[7] M. Bruyea prétend qu’ACC, par le truchement de ses procédures opérationnelles et de gestion, a omis de les informer convenablement, les autres vétérans et lui, des prestations auxquelles ils étaient admissibles, notamment au sujet de la prestation de retraite supplémentaire [la PRS] (décrite ci‑après) et des critères sous‑jacents à cette prestation, ce qui s’est soldé par des versements d’un montant inférieur à celui auquel ils auraient autrement eu droit ou dû recevoir.

B. Les prestations en litige

[8] Pour mieux comprendre ce que M. Bruyea allègue et décider s’il convient d’accueillir la requête en autorisation, la Cour décrit ci-après certaines des prestations qui sont offertes aux vétérans. Cette description ne doit pas être considérée comme exhaustive. Les prestations sont assorties de diverses conditions d’admissibilité. De plus, des modifications apportées au fil des ans aux lois qui les régissent, dans le but de rehausser les prestations offertes aux vétérans, ont eu pour résultat de compliquer davantage la question de savoir qui est admissible à quoi et à quel moment.

[9] Le régime d’assurance‑revenu militaire [le RARM] a été établi en 1969 comme programme d’invalidité de longue durée pour des pertes non liées au service militaire. En 1976, le RARM a été étendu aux blessures liées au service militaire. Le régime d’invalidité de longue durée des FAC [ILD‑FAC] fait partie du RARM et relève du mandat du ministère de la Défense nationale, et non de celui d’ACC. Le régime d’ILD‑FAC est administré par Manuvie et est destiné aux membres des FAC qui sont déclarés [TRADUCTION] « totalement invalides » au sens du régime. [Dans le régime d’ILD‑FAC, le concept d’« invalidité totale » est essentiellement équivalent à la catégorie « invalidité totale et permanente » [ITP] du régime de prestations qu’administre ACC]. Les prestations d’ILD‑FAC qui sont payables équivalent à 75 % de la solde que touchait le vétéran avant sa libération, et elles peuvent être reçues jusqu’à ce que le vétéran atteigne l’âge de 65 ans.

[10] Le 1er avril 2006, la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, LC 2005, c 21 [la Loi de 2006, également appelée la Charte des anciens combattants] est entrée en vigueur. Cette loi a établi plusieurs nouveaux programmes et nouvelles prestations, dont un programme de services de réadaptation et d’assistance professionnelle destiné à aider les vétérans dans leur retour à la vie civile [le Programme de réadaptation]. Pour être admissible au Programme de réadaptation, le vétéran doit avoir été libéré des FAC pour des raisons de santé (article 9 de la Loi de 2006) ou présenter un « problème de santé physique ou mentale qui découle principalement de son service dans les Forces canadiennes et entrave sa réinsertion dans la vie civile » (article 8). Les déposants du défendeur ont dit de ces deux critères d’admissibilité qu’ils étaient les « portes d’entrée » du Programme de réadaptation.

[11] Comme l’ont expliqué les déposants du défendeur, pour être admissible par l’une ou l’autre des portes d’entrée, le vétéran devait présenter une demande et celle‑ci devait être approuvée pour le Programme de réadaptation. Une fois l’approbation obtenue, le vétéran était admissible aussi à l’allocation pour perte de revenus [l’APR] et à la PRS.

[12] L’APR était une prestation de remplacement du revenu offerte aux vétérans participant au Programme de réadaptation (paragraphe 18(1) de la Loi de 2006) qui en faisaient la demande. L’APR continuait d’être payée jusqu’à ce que le vétéran termine son programme de réadaptation ou que celui‑ci soit annulé, ou jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de 65 ans (paragraphe 18(3)). S’il était décidé que le vétéran « ne présent[ait] plus le problème de santé qui a[vait] entraîné son incapacité totale et permanente » ou, à la suite des modifications législatives apportées en 2017, présentait une « diminution de la capacité de gain » [DCG], l’APR continuait d’être versée, même après l’achèvement ou l’annulation du programme de réadaptation, jusqu’à ce que le vétéran atteigne l’âge de 65 ans (paragraphe 18(4)). Cette prestation était appelée l’« APR prolongée ». Dans de tels cas, les décisions relatives aux désignations ITP et DCG étaient prises au cas par cas par le gestionnaire de cas du vétéran, sur le fondement d’un certain nombre de facteurs énoncés dans les documents de politique d’ACC.

[13] Le montant de l’APR était initialement fixé à 75 % du revenu attribué du vétéran (soit le plus élevé des deux montants suivants : la solde que touchait le vétéran avant sa libération ou un minimum prescrit), mais il pouvait faire l’objet de déductions pour certaines sources de revenus [les déductions], dont les prestations d’ILD‑FAC. Étant donné que les APR et les prestations d’ILD‑FAC étaient toutes deux calculées à 75 % du revenu attribué du vétéran, les vétérans qui touchaient déjà des prestations d’ILD‑FAC et qui présentaient une demande d’APR ne recevraient aucun revenu supplémentaire.

[14] Le 1er octobre 2016, l’APR a été haussée à 90 % du revenu attribué du vétéran, et le montant minimal du revenu attribué a été augmenté. Ainsi, les vétérans qui avaient droit à l’APR (mais dont la prestation n’était pas nécessairement payée en raison de la déduction) ont reçu un complément qui s’est ajouté au montant reçu au titre du régime d’ILD‑FAC.

[15] La PRS était un paiement forfaitaire unique, payable le jour où les vétérans atteignaient l’âge de 65 ans. Elle visait à reconnaître la diminution de la capacité qu’avaient les vétérans recevant l’APR à cotiser à un régime de retraite. La PRS était offerte, sur demande, aux vétérans qui avaient obtenu l’autorisation de recevoir des paiements d’APR prolongée à cause d’une désignation ITP ou DCG lorsque leur droit à l’APR avait pris fin, ce qui survenait habituellement à l’âge de 65 ans, ou qui ne répondaient plus aux critères relatifs à la désignation ITP ou DCG (paragraphe 25(1) de la Loi de 2006). La PRS était fixée à 2 % du montant total de l’APR payable (que ce montant soit payé ou non) à un vétéran, sans tenir compte d’aucune déduction pour revenu (art 29 du Règlement sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, DORS/2006‑50).

[16] En cas de décès lié au service du vétéran, l’APR était offerte, sur demande, à son survivant jusqu’à la date à laquelle le vétéran aurait atteint l’âge de 65 ans (articles 22 et 23 de la Loi de 2006), date à laquelle le survivant devenait admissible à la PRS (paragraphes 25(2) et (3)).

[17] Le 1er avril 2019, des modifications apportées à la Loi de 2006, qui avait depuis été rebaptisée Loi sur le bien‑être des vétérans, sont entrées en vigueur et ont remplacé l’APR et la PRS par d’autres prestations, dont la Pension à vie et l’Allocation de sécurité du revenu de retraite [l’ASRR]. Des dispositions transitoires prévues dans les modifications à la Loi sur le bien‑être des vétérans prévoyaient le paiement en un seul versement d’un montant égal à celui de la PRS auquel un vétéran admissible aurait eu droit au 31 mars 2019 [le paiement de la PRS], s’il ne la touchait pas déjà. [Autrement dit, les vétérans qui n’avaient pas atteint l’âge de 65 ans et qui auraient reçu la PRS en atteignant cet âge sous le régime de la Loi de 2006 ont reçu, aux termes des dispositions transitoires, un montant forfaitaire fixé au prorata en fonction de cette date; cette prestation ne leur a pas été refusée, mais ils n’ont pas reçu le montant qu’ils auraient touché à l’âge de 65 ans].

II. Expérience de quelques membres du groupe proposé

[18] M. Bruyea et d’autres vétérans ont produit des affidavits dans lesquels ils déclarent qu’ils avaient de la difficulté à se réinsérer dans la vie civile en raison de leurs blessures liées au service. Les déposants ont décrit leur expérience lorsqu’ils ont cherché à obtenir, et lorsqu’ils ont reçu, des informations d’ACC à propos de la PRS et de l’APR.

A. M. Bruyea

[19] M. Bruyea s’est joint aux FAC en 1982 et a été libéré pour des raisons de santé en 1996. En 2000, il a été déclaré en « situation d’invalidité totale » et a été reconnu admissible aux prestations d’ILD‑FAC. Il déclare avoir entendu parler du Programme de réadaptation d’ACC et de l’APR en 2005, quand la Loi de 2006 a été déposée. Il dit s’être entretenu avec des employés d’ACC à plusieurs reprises entre 2005 et 2011 et qu’on lui a toujours fait comprendre qu’il n’y avait pour lui aucun avantage à présenter une demande dans le cadre du nouveau programme parce que l’APR – à laquelle il aurait droit – serait entièrement neutralisée par ses prestations d’ILD‑FAC. M. Bruyea déclare qu’ACC ne lui a jamais donné de renseignements au sujet de la PRS, des conditions d’admissibilité à cette prestation ou de la manière dont celle‑ci serait calculée.

[20] M. Bruyea raconte qu’il s’est entretenu en 2011 avec son gestionnaire de cas, à ACC, au sujet de la possibilité d’améliorer ses conditions. Le gestionnaire de cas lui a suggéré de présenter une demande d’inscription au Programme de réadaptation et une demande d’APR. Il a présenté une demande d’inscription au Programme de réadaptation, qui a été approuvée au début de 2012. Il a par la suite été déclaré ITP en mars 2012. En septembre 2012, ACC l’a informé par lettre que sa demande d’APR avait été approuvée, mais qu’il n’avait pas droit à un paiement supplémentaire parce qu’il recevait des prestations d’ILD‑FAC. En 2016, quand l’APR a été haussée de 75 % à 90 % de la solde antérieure à la libération, ACC l’a informé qu’il était peut‑être admissible au complément. Il a présenté les formulaires nécessaires et a commencé à recevoir les paiements complémentaires en novembre 2016. M. Bruyea affirme qu’aucune des communications qu’il a reçues d’ACC à cette époque n’a fait mention de la PRS ou des critères d’admissibilité à cette prestation.

[21] M. Bruyea déclare que, en 2019, quand la fin de la PRS a été annoncée, son gestionnaire de cas l’a informé qu’il recevrait un montant forfaitaire équivalant à 2 % du montant total de l’APR auquel il avait droit depuis qu’il avait été admis au Programme de réadaptation en 2012. M. Bruyea explique que ce n’est qu’à ce moment‑là, en 2019, qu’il a compris que s’il avait présenté une demande d’inscription au Programme de réadaptation et une demande d’APR au moment où ces programmes avaient été établis en 2006, plutôt que six ans plus tard, et que ces demandes avait été approuvées, il aurait eu droit à un montant de PRS nettement supérieur.

[22] M. Bruyea dit croire que les employés d’ACC ne comprenaient pas bien les interrelations entre les différents régimes de prestations et que, de ce fait, ils ont omis de lui fournir ainsi qu’à d’autres les renseignements et les conseils nécessaires pour pouvoir tirer pleinement parti des avantages que les régimes offraient. Il s’est plaint au Bureau de l’ombud des vétérans [le BOV] en mai 2019, alléguant qu’ACC l’avait traité de manière inéquitable en raison de la date retenue pour le début du calcul de sa PRS.

B. Danny Carvalho Raposa

[23] M. Raposa déclare qu’il a servi dans les FAC de 1987 jusqu’à sa libération, en novembre 2001, pour des raisons médicales. Il touche des prestations d’ILD‑FAC depuis décembre 2001. Vers le mois de décembre 2005, ACC l’a déclaré ITP.

[24] M. Raposa affirme que ce n’est qu’en 2014 qu’un gestionnaire de cas d’ACC lui a été assigné. Il ajoute qu’il a entendu parler pour la première fois du Programme de réadaptation en 2014, de sources autres qu’ACC. Il a présenté une demande, qui a été approuvée. Il ajoute que son gestionnaire de cas lui a conseillé de présenter une demande d’APR, mais sans lui parler des interrelations entre les différents programmes de prestations. Il déclare que, bien que sa demande d’APR ait été approuvée en 2015, il n’a reçu aucun paiement supplémentaire parce que l’APR (calculée à 75 %) était neutralisée par ses prestations d’ILD‑FAC. Il a commencé à recevoir des paiements au titre de l’APR après que celle‑ci a été haussée à 90 %.

[25] M. Raposa déclare avoir reçu un paiement forfaitaire de PRS d’environ 4 000 $ en 2019.

[26] Le défendeur signale qu’ACC a communiqué avec M. Raposa, notamment au sujet de l’approbation de ses demandes d’inscription au Programme de réadaptation et d’APR, le 23 juin 2014. Le 5 novembre 2014, une lettre d’ACC a informé M. Raposa qu’il était considéré comme ITP et qu’il était en droit de toucher l’APR jusqu’à l’âge de 65 ans ou jusqu’à ce que son statut change. La lettre indiquait également que quand l’APR prendrait fin, il pourrait présenter une demande de PRS pour obtenir un paiement forfaitaire imposable s’élevant à 2 % de l’APR qu’il était en droit de toucher. La lettre expliquait aussi qu’il pouvait demander une révision de son cas et donnait un numéro où appeler s’il avait des questions à poser.

[27] Le défendeur précise que, dès qu’il a satisfait aux trois critères, M. Raposa a été immédiatement informé de la possibilité de recevoir la PRS. Même si M. Raposa dit avoir entendu parler de la PRS lors d’une conférence, ACC lui a donné des renseignements à ce sujet, en novembre 2014, au moyen d’une lettre.

[28] En contre‑interrogatoire, il a été demandé à M. Raposa s’il pensait qu’il avait droit à plus que le montant forfaitaire de PRS qu’il avait reçu. Il a reconnu qu’il ignorait de quelle façon le montant était calculé et qu’il ne pouvait donc pas répondre à la question.

C. Andre Joseph Serge St‑Jean

[29] M. St‑Jean a servi dans les FAC de 1976 jusqu’à sa libération en 2013 pour des raisons médicales. Il touche des prestations d’ILD‑FAC depuis août 2013. Il affirme qu’il a également été informé de l’existence du Programme de réadaptation par son gestionnaire de cas en août 2013, qu’il a aussitôt présenté une demande d’inscription et que celle‑ci a été approuvée en septembre 2013.

[30] Par une lettre datée du 2 octobre 2013, ACC l’a informé qu’il avait également droit à l’APR, ajoutant ceci : [TRADUCTION] « Toutefois, comme vous êtes admissible à cette forme de prestation par l’entremise du Régime d’assurance‑revenu militaire d’invalidité de longue durée (RARM ILD), ACC ne peut vous verser aucune allocation pour perte de revenus à l’heure actuelle. » La lettre expliquait également qu’il pouvait demander une révision de son cas et donnait un numéro où téléphoner s’il avait des questions à poser.

[31] Par une lettre datée du 21 mars 2014, ACC a informé M. St‑Jean qu’un programme de réadaptation ne serait pas établi pour lui, car ses besoins en matière de réadaptation n’avaient pas été déterminés, et que l’on considérait que sa participation au programme était terminée. M. St‑Jean n’a pas demandé de révision.

[32] M. St‑Jean déclare qu’ACC ne l’a pas informé que l’achèvement du Programme de réadaptation aurait des répercussions sur l’APR ou la PRS.

[33] Le 19 mai 2015, M. St‑Jean a été informé que sa demande au titre du RARM avait été examinée et que son état correspondait à la définition d’« invalidité totale ».

[34] M. St‑Jean affirme qu’en 2016, après avoir appris que l’APR avait été haussée à 90 %, il s’était renseigné sur la manière de demander le complément. Il déclare qu’un gestionnaire de cas d’ACC l’a informé que son dossier avait été fermé de manière irrégulière en mars 2014 après l’achèvement du programme de réadaptation. Le gestionnaire de cas l’a informé qu’on aurait dû le déclarer ITP à ce moment‑là et qu’il aurait été réintégré dans le programme de réadaptation d’ACC et déclaré ITP de façon à ce qu’il puisse avoir accès au complément de l’APR.

[35] Par une lettre datée du 3 novembre 2016, ACC a informé M. St‑Jean que son APR se poursuivrait jusqu’à l’âge de 65 ans. La lettre expliquait également que lorsque l’APR prendrait fin, il pourrait présenter une demande de PRS, et elle précisait la façon dont cette prestation était calculée. La lettre indiquait de plus qu’il serait peut‑être admissible à l’âge de 65 ans à l’ASRR, prestation offerte aux vétérans admissibles à l’APR pour cause d’ITP et recevant également une prestation d’invalidité. La lettre fournissait des renseignements au sujet de la présentation d’une demande de révision, de même qu’un numéro où téléphoner s’il avait des questions à poser.

[36] En septembre 2019, M. St‑Jean a été informé par ACC que la PRS avait pris fin et que, comme il n’avait pas encore atteint l’âge de 65 ans et n’avait pas touché la PRS, il était admissible à un paiement forfaitaire de 4 938,61 $. Ce montant avait été obtenu en calculant 2 % de l’APR à payer entre avril 2014 et le 25 octobre 2016 (lorsqu’il a été déclaré ITP). M. St‑Jean s’est plaint au BOV et au ministre des Anciens Combattants qu’un décalage dans la date retenue pour le calcul de son APR, en raison de la fermeture irrégulière de son dossier, réduisait le montant de la PRS qui lui était versé. M. St‑Jean déclare que le BOV a conclu qu’il avait été traité injustement.

[37] En mai 2020, ACC a informé M. St‑Jean que sa PRS avait été recalculée de façon à tenir compte de la période de décalage du 30 septembre 2013 au 31 mars 2014. Cependant, le paiement supplémentaire n’était que de 10,93 $, après impôts. M. St‑Jean déclare que le nouveau calcul d’ACC ne tenait pas compte de la période d’avril 2014 à octobre 2016 au cours de laquelle ACC a décidé qu’un programme de réadaptation ne serait pas établi. La lettre du 10 mai 2020 d’ACC inclut la feuille de nouveau calcul et indique qui contacter pour toute question.

D. Perry Robert Gray

[38] M. Gray a servi dans les FAC de 1976 jusqu’à sa libération en 2002 pour des raisons médicales. Il a commencé à toucher des prestations d’ILD‑FAC en 2002 et a par la suite été considéré comme ITP. Il déclare avoir entendu parler de l’APR en 2006, mais ne pas en avoir fait la demande, car AAC lui a dit qu’il n’y était pas admissible. Il ajoute que son gestionnaire de cas, à ACC, ne lui a jamais parlé du Programme de réadaptation, de l’APR ou de la PRS.

[39] M. Gray déclare avoir entendu parler du Programme de réadaptation par un autre vétéran en 2011. Il a alors présenté une demande d’inscription, qui a été approuvée en novembre 2011.

[40] M. Gray affirme qu’ACC l’a informé en 2018 qu’il avait droit à l’APR. Il a présenté une demande et a commencé à recevoir cette allocation en 2018. Il déclare qu’ACC ne lui a pas parlé de l’APR qu’il aurait dû recevoir de 2006 à 2018. Il croit qu’on ne lui a pas fourni assez de renseignements pour lui permettre de comprendre ce que sont le Programme de réadaptation, la désignation ITP, l’APR ou la PRS.

[41] M. Gray déclare avoir reçu un paiement forfaitaire au titre de la PRS en 2019.

[42] En contre‑interrogatoire, M. Gray a dit ne pas se souvenir s’il a reçu d’ACC, en 2006, une demande d’inscription au Programme de réadaptation et une demande d’APR, mais il a reconnu que c’était possible.

E. Ronald Joseph Cundell

[43] M. Cundell a servi dans les FAC de 1981 jusqu’à sa libération en 2000 pour des raisons médicales. Il touche des prestations d’ILD‑FAC depuis 2000.

[44] Il déclare qu’il s’est senti dépassé par les changements apportés en 2006 aux programmes de prestations et qu’il n’a pas compris pour quelles prestations il était tenu de présenter une demande et quelles prestations étaient automatiques. Il explique que c’est à la suite de ses propres recherches qu’il a appris l’existence du Programme de réadaptation en 2006 et qu’il est entré en contact avec ACC. Il ajoute qu’ACC lui a demandé s’il avait l’intention de renoncer à ses prestations d’ILD‑FAC, ce qui l’a amené à penser qu’il ne pouvait pas présenter une demande d’inscription au Programme de réadaptation.

[45] M. Cundell déclare que son gestionnaire de cas, à ACC, a présenté une demande d’APR en son nom en 2011, et il présume que ce gestionnaire a également présenté une demande d’inscription au Programme de réadaptation. Il ajoute que le gestionnaire de cas lui a présenté les formulaires concernant la désignation ITP, l’allocation pour déficience permanente et le supplément de l’allocation pour déficience permanente, qu’il a signés. Il a été déclaré ITP à la fin de 2016 ou au début de 2017.

[46] M. Cundell déclare qu’il a entendu parler pour la première fois de la PRS en septembre 2019, quand il a reçu d’ACC une lettre lui indiquant que la PRS allait prendre fin et qu’il avait droit à un paiement forfaitaire de 7 870,25 $, avant retenues, au titre de la PRS.

[47] M. Cundell déclare que personne, à ACC, ne lui a jamais expliqué les interrelations entre le Programme de réadaptation, l’APR, l’ITP et la PRS.

III. Question préliminaire : la négligence systémique ou la déclaration inexacte faite par négligence, et la Cour devrait-elle autoriser le demandeur à modifier la nouvelle déclaration modifiée.

[48] Lors de l’audition de la présente requête, le défendeur a fait valoir que le demandeur, dans ses observations présentées en réplique, avait soulevé une nouvelle cause d’action fondée sur une allégation de déclaration inexacte faite par négligence. Il a signalé que le demandeur avait modifié sa déclaration tout récemment, le 29 avril 2022, mais sans alléguer la déclaration inexacte faite par négligence. Il a ajouté qu’il était difficile de répondre à une [TRADUCTION] « cible en mouvement ».

[49] Le demandeur a soutenu qu’il avait exposé, dans sa nouvelle déclaration modifiée (avril 2022), les éléments de l’allégation de déclaration inexacte faite par négligence et les faits pertinents au soutien d’une cause d’action fondée sur cette allégation. Il a nié que le défendeur avait été pris par surprise, vu l’argument de ce dernier selon lequel l’allégation de négligence systémique était essentiellement une allégation de déclaration inexacte faite par négligence.

[50] Le demandeur a également fait valoir qu’il pouvait demander de modifier sa nouvelle déclaration modifiée pour alléguer, subsidiairement et expressément, qu’il y avait eu déclaration inexacte faite par négligence, étant donné que le défendeur n’avait pas encore déposé une défense et que les actes de procédure n’étaient pas clos.

[51] À la suite d’observations orales, la Cour a accepté que le défendeur présente de brèves observations écrites, après l’audience, pour traiter de l’allégation subsidiaire de déclaration inexacte faite par négligence. Elle a demandé au demandeur de produire un projet de nouvelle déclaration modifiée afin que le défendeur puisse répondre à l’allégation en question.

[52] Il a été convenu que si la Cour concluait que l’allégation de négligence systémique du demandeur n’était pas une cause d’action valable, elle pouvait examiner la question de savoir si le demandeur avait déjà énoncé les éléments requis de l’allégation de déclaration inexacte faite par négligence dans sa nouvelle déclaration modifiée ainsi que la demande présentée par le demandeur de nouvelle modification de son acte de procédure. Si elle autorisait le demandeur à déposer le projet de nouvelle déclaration modifiée, la Cour déciderait ensuite si l’allégation subsidiaire de déclaration inexacte faite par négligence constitue une cause d’action valable.

[53] Conformément à ce qui avait été convenu, le demandeur a présenté un projet de nouvelle déclaration modifiée, daté du 27 juin 2022, dans lequel il énonce expressément une cause d’action subsidiaire, soit la déclaration inexacte faite par négligence. Le défendeur a fourni après l’audience de brèves observations sur l’allégation subsidiaire de déclaration inexacte faite par négligence.

IV. Survol des positions des parties

A. Le demandeur

[54] Le demandeur soutient que les membres des FAC s’enrôlent volontairement et risquent leur vie pour les Canadiens et d’autres personnes pendant leur service militaire et que, ce faisant, ils s’attendent à ce que le Canada les soutienne s’ils subissent des blessures physiques ou des préjudices psychologiques. Il allègue que les vétérans n’ont pas été suffisamment soutenus.

[55] Le demandeur affirme que le Canada s’est engagé à veiller à ce que les vétérans qui tombent malades ou qui se blessent dans le cadre de leur service soient dédommagés d’une manière qui reflète leur valeur pour le pays et qu’une [TRADUCTION] « partie du mandat d’ACC consiste à informer les vétérans des prestations qui leur sont offertes ainsi qu’à expliquer ces dernières et la manière d’en faire la demande de façon à les maximiser ».

[56] Le demandeur souligne la réponse qu’a donnée l’un des déposants du défendeur en contre‑interrogatoire : [TRADUCTION] « Je dirais qu’il est vrai que le gouvernement du Canada tient à s’assurer que les vétérans qui sont malades ou blessés pendant qu’ils sont au service de leurs pays soient dédommagés et que l’on prenne soin d’eux d’une manière qui reflète leur importance et leur valeur pour le pays ». Le demandeur considère qu’il s’agit de l’engagement pris par le Canada et, plus particulièrement, de celui pris par ACC.

[57] Le demandeur décrit les membres du groupe proposé – dont le nombre est peut être supérieur à 10 000 – comme des vétérans qui, selon ce qu’ACC a déterminé, sont en situation d’incapacité totale ou dont la capacité de gain est réduite. Il soutient que ce groupe est celui dont les besoins sont les plus complexes et qui est le plus vulnérable. Il ajoute que les membres de ce groupe ne sont plus capables de gagner le revenu qu’ils auraient, n’eût été leur situation, gagné dans les FAC et qu’il leur a été impossible de faire des économies en prévision de la retraite de la même manière que d’autres vétérans.

[58] Le demandeur soutient que la conduite d’ACC était systémique : ACC a constamment donné des conseils erronés aux membres du groupe proposé quant à leur admissibilité à des prestations et, plus particulièrement, leur a fait comprendre qu’il serait inutile de présenter une demande d’APR, parce qu’en y devenant admissible tout paiement fait au titre de l’APR serait neutralisé par les prestations d’ILD‑FAC, qui équivalaient initialement à l’APR. Il ajoute qu’ACC a aussi constamment omis d’informer les membres du groupe proposé de la manière dont la PRS serait calculée ou du fait que la PRS dépendait de l’admissibilité à l’APR et à l’approbation de son versement, même si le montant à verser au titre de l’APR était neutralisé par les prestations d’ILD‑FAC.

[59] Le demandeur soutient de plus que les actes et les omissions d’ACC étaient de nature institutionnelle et contraires à son mandat, mandat que le déposant du défendeur a décrit comme suit : veiller à ce que les vétérans soient dédommagés d’une manière qui reflète leur valeur pour le pays, ce qui consiste notamment à les conseiller sur les prestations qui leur sont offertes. Le demandeur interprète cette réponse comme une reconnaissance du fait qu’ACC a pour mandat de dédommager les vétérans et de prendre soin d’eux. Il soutient de plus qu’ACC savait que ces vétérans vulnérables – les membres du groupe proposé – ne comprenaient pas les régimes complexes de prestations. Ce qui est plus troublant encore, les actes et les omissions d’ACC ont fait subir des pertes aux membres du groupe.

[60] Le demandeur invoque le rapport du BOV du 13 mai 2020, intitulé « Paiement de la prestation de retraite supplémentaire (PRS) – Micro‑enquête » [le rapport du BOV], qui répondait à sa plainte et dans lequel il a été conclu, notamment, qu’il n’était pas équitable de la part d’ACC de calculer la PRS en fonction de la date du début de l’APR, compte tenu de son défaut de fournir des renseignements clairs et faciles à comprendre sur les régimes complexes de prestations, que les travailleurs de première ligne d’ACC ne sont pas entièrement informés des programmes complexes de prestations et qu’il est déraisonnable de s’attendre à ce que des vétérans comprennent les critères d’admissibilité. Le demandeur signale également d’autres rapports dans lesquels il a été conclu que les employés d’ACC n’étaient pas suffisamment informés des programmes de prestations.

[61] Le demandeur fait valoir que son allégation de négligence systémique est une cause d’action valable. Cependant, si la Cour n’est pas d’accord, il allègue subsidiairement la déclaration inexacte faite par négligence. Comme il a été mentionné plus tôt, il soutient que les éléments essentiels de cette allégation ont été énoncés dans la nouvelle déclaration modifiée (avril 2022). Le demandeur ajoute que, si elle n’est pas d’accord avec lui, la Cour devrait l’autoriser à modifier ses allégations, telles qu’elles figurent dans le projet de nouvelle déclaration modifiée, étant donné que les actes de procédure ne sont pas clos.

[62] Le demandeur soutient de plus que les allégations de manquement à une obligation fiduciaire et d’enrichissement sans cause sont des causes d’action valables.

[63] Selon le demandeur, toutes les contestations du défendeur à l’égard des causes d’action invoquées ont trait au fond de l’affaire, ce qui, à l’étape de l’autorisation, n’est pas ce qui doit nous intéresser.

[64] Le demandeur ajoute que la nouvelle déclaration modifiée et le projet de nouvelle déclaration modifiée révèlent des causes d’action valables et que la preuve à l’appui de sa demande établit un certain fondement factuel pour tous les autres critères d’autorisation. Il ajoute que le présent recours collectif contribue à promouvoir les objectifs de principe que sont l’accès à la justice, la modification de comportements et l’économie des ressources judiciaires. Il soutient en outre que les points soulevés sont communs au groupe et que la Cour devrait les trancher sur le fondement d’un dossier complet.

B. Le défendeur

[65] Le défendeur reconnaît l’importance du rôle que jouent les membres des FAC, de même que leur engagement envers le Canada. Il affirme que le large éventail de prestations qui sont offertes aux vétérans admissibles n’est pas en litige et que la présente action ne porte que sur la PRS.

[66] Le défendeur est d’avis que la demande du demandeur ne satisfait pas aux critères d’autorisation qui s’appliquent à un recours collectif. Il fait valoir ce qui suit : il n’existe pas de cause d’action valable à l’égard des allégations de négligence systémique, de manquement à une obligation fiduciaire ou d’enrichissement sans cause; la définition initiale du groupe ne révèle pas l’existence d’un groupe identifiable; les points soulevés ne sont pas communs parce qu’un grand nombre d’entre eux, sinon tous, obligent à rendre des décisions individuelles, et un recours collectif n’est pas le meilleur moyen de procéder.

[67] Comme on l’a vu, le défendeur soutient que la négligence alléguée n’atteint pas le niveau d’une négligence systémique. Il ajoute que l’allégation de négligence systémique est en fait une allégation déguisée de déclaration inexacte faite par négligence et qu’il convient de la radier.

[68] Le défendeur estime de plus que l’allégation subsidiaire proposée, soit la déclaration inexacte faite par négligence, ne peut pas être retenue au titre du recours collectif parce que son règlement dépend de l’interaction entre ACC et des vétérans en particulier et que les points individuels supplantent tous les éventuels points de droit ou de fait communs.

[69] Le défendeur signale que tous les déposants du demandeur ont relaté des expériences et des interactions différentes avec ACC et que certains ont reconnu qu’ils ignoraient s’ils s’étaient fait « rouler » pour ce qui est du montant de la PRS.

[70] Le défendeur estime que le demandeur ne peut pas invoquer le rapport du BOV ou les autres rapports pour étayer la cause d’action fondée sur une allégation de négligence systémique (Canada c Greenwood, 2021 CAF 186 au para 91 [Greenwood]) ou pour établir un certain fondement factuel pour les points communs liés à la cause d’action. Le rapport du BOV ne peut fournir qu’un contexte, et non un fondement factuel.

[71] Le défendeur soutient de plus que les allégations du demandeur de manquement à une obligation fiduciaire et d’enrichissement sans cause sont indéfendables.

V. La déclaration modifiée, la nouvelle déclaration modifiée et le projet de nouvelle déclaration modifiée

A. Les allégations

[72] Comme on l’a vu, le demandeur prétend que d’autres membres du groupe et lui ont subi des blessures physiques et des préjudices psychologiques débilitants en raison de leur service au sein des FAC. Il explique que les membres du groupe et lui sont tous soit « totalement invalides » (l’expression employée dans le cadre du régime d’ILD‑FAC) ou déclarés ITP ou DCG et que, en raison de leurs invalidités, ils sont, par définition, vulnérables et marginalisés. Il allègue que les employés d’ACC ne bénéficient pas d’une formation, d’une expertise, d’une compréhension et d’une connaissance suffisantes des programmes pour pouvoir expliquer aux vétérans les programmes et leurs conditions d’admissibilité. Il ajoute qu’ACC ne disposait pas des procédures opérationnelles et de gestion appropriées qui auraient raisonnablement garanti la fourniture en temps opportun de renseignements exacts et fiables sur l’admissibilité à la PRS. Il soutient également qu’il règne beaucoup de confusion et de désinformation à cause du manque d’expertise et de connaissances des employés d’ACC en ce qui concerne les programmes de prestations, la complexité de ces programmes et la vulnérabilité des vétérans qui ont droit aux prestations. Il ajoute que, de ce fait, des vétérans n’ont pas reçu les prestations auxquelles ils avaient droit ou ont reçu des montants inférieurs à ceux qu’ils auraient reçus ou auraient dû recevoir s’ils avaient été convenablement informés des critères d’admissibilité et du processus à suivre pour obtenir les prestations. Selon lui, la conduite d’ACC est assimilable à de la négligence systémique (ou, subsidiairement, à une déclaration inexacte faite par négligence), à un manquement à une obligation fiduciaire ainsi qu’à un enrichissement sans cause.

[73] Le demandeur a engagé la présente instance le 16 septembre 2020. Sa déclaration, datée du 15 septembre 2020, a été modifiée le 20 mai 2021 (la déclaration modifiée). Il a déposé une nouvelle déclaration modifiée le 29 avril 2022.

[74] Dans la nouvelle déclaration modifiée (avril 2022), le demandeur sollicite, en son propre nom et au nom des membres du groupe proposé, l’autorisation de l’action comme recours collectif, ainsi que sa nomination à titre de représentant demandeur. Il sollicite, entre autres choses, un jugement déclaratoire portant qu’ACC a été systématiquement négligent et a commis une erreur en omettant d’informer convenablement les membres du groupe et lui-même des conditions d’admissibilité à la PRS ainsi que des mesures nécessaires pour maximiser les prestations auxquelles ils avaient droit.

[75] Le projet de nouvelle déclaration modifiée (27 juin 2022) est fondé sur les conclusions de la Cour selon lesquelles la négligence systémique n’est peut‑être pas une cause d’action valable et la prétention subsidiaire de déclaration inexacte faite par négligence n’avait pas été antérieurement alléguée de manière suffisante ou expresse.

[76] Dans le projet de nouvelle déclaration modifiée (juin 2022), le demandeur allègue, subsidiairement et expressément, qu’ACC s’est rendu coupable de déclaration inexacte faite par négligence. Il affirme qu’il existait entre AAC et les membres du groupe, dont lui‑même, une relation de confiance étroite et directe, qu’il s’agissait d’un lien de proximité et que les préjudices que le demandeur et les membres du groupe ont subis étaient, pour ACC, raisonnablement prévisibles.

[77] Le demandeur affirme qu’ACC s’est engagé, de façon expresse ou implicite, à lui fournir, ainsi qu’aux membres du groupe, des renseignements exacts sur leur droit à l’APR et à la PRS, sur les interrelations des régimes de prestations et sur la manière dont la PRS était calculée. Il déclare aussi qu’ACC devait assumer la responsabilité qui lui incombait, expressément ou implicitement, du fait de son défaut d’avoir fourni, à lui ainsi qu’aux autres membres du groupe, des renseignements erronés et inexacts sur les programmes de l’APR et de la PRS. Il affirme que les engagements d’ACC envers lui et les autres membres du groupe découlent du mandat et des obligations que la loi confère à ACC, à savoir les aider à se réinsérer dans la vie civile, ainsi que de la relation spéciale que doit avoir le Canada, par l’intermédiaire d’ACC, avec les vétérans et du lien étroit et direct qui existe entre ACC – à titre d’administrateur des programmes de l’APR et de la PRS – et lui-même et les membres du groupe – à titre de bénéficiaires de ces programmes.

[78] Le demandeur affirme qu’il existe un lien de proximité avec ACC et, de ce fait, une obligation de diligence. Il ajoute qu’en raison des faits énoncés dans la demande, il n’existe aucun motif de principe de nier l’existence de cette obligation.

[79] Le demandeur affirme également qu’ACC a fait des déclarations fausses, inexactes ou trompeuses aux membres du groupe proposé relativement à l’APR et à la PRS.

[80] Le demandeur déclare que lui‑même et les membres du groupe se sont fondés sur les déclarations inexactes et qu’ils ont modifié leur position, renonçant ainsi à des démarches subsidiaires et plus avantageuses qu’ils auraient pu faire, et qu’ils ont subi de ce fait un préjudice économique. Il ajoute qu’il était raisonnable de sa part et de celle des membres du groupe proposé de se fier aux déclarations d’ACC, ce qu’ils ont fait à leur détriment, et qu’ACC pouvait prévoir cette conséquence. Le demandeur prétend que si lui‑même et les autres membres du groupe avaient présenté une demande d’APR au moment où ils y étaient admissibles la première fois, leur PRS aurait été supérieure à celle qu’ils ont en fait reçue (parce que l’APR, qu’elle soit « payable » ou pas, a servi à calculer la PRS).

[81] Le demandeur sollicite également un jugement déclaratoire portant qu’ACC a manqué à son obligation fiduciaire envers lui et les membres du groupe en omettant de les informer convenablement des conditions d’admissibilité à la PRS ainsi que des mesures qu’il leur fallait prendre pour maximiser leurs prestations.

[82] De plus, le demandeur sollicite un jugement déclaratoire portant que le Canada s’est enrichi sans cause en ne payant pas les prestations auxquelles avaient droit les membres du groupe.

[83] Le demandeur sollicite essentiellement, au nom de chacun des membres du groupe, des versements plus élevés au titre de la PRS, calculés en fonction de la date la plus ancienne possible d’admissibilité de chaque vétéran à l’APR, plus les intérêts.

[84] Plus précisément, le demandeur et les membres du groupe proposé souhaitent obtenir les arriérés de paiement et d’autres pertes imputables à la négligence du Canada et d’ACC ainsi qu’à un manquement à leurs obligations fiduciaires, des dommages‑intérêts généraux, des dommages‑intérêts spéciaux, des dommages‑intérêts exemplaires et punitifs, des frais divers, une ordonnance rendue conformément aux paragraphes 334.28(1) et (2) des Règles relativement à l’évaluation globale d’une réparation pécuniaire et sa distribution, la restitution des profits du Canada, des intérêts avant et après jugement, de même que les dépens, dont ceux liés à la production d’un avis et à l’administration du plan de distribution.

B. Le groupe proposé

[85] La nouvelle déclaration modifiée (avril 2022) décrit le groupe proposé comme étant formé de tous les anciens membres des Forces armées canadiennes (vétérans) dont la demande d’inscription au Programme de réadaptation a été approuvée, qui ont été déclarés ITP ou DCG, et dont la demande d’APR « prolongée » a été approuvée, ainsi que ceux qui [TRADUCTION] « auraient » répondu à ces conditions et ceux qui ont reçu la PRS ou [TRADUCTION] « auraient été » admissibles à la recevoir.

[86] Le défendeur s’oppose à la définition proposée, notant qu’elle manque d’objectivité à cause de l’emploi de termes imprécis, dont le verbe [TRADUCTION] « auraient », en lien avec les conditions d’admissibilité.

[87] Le demandeur soutient maintenant, sur la foi de renseignements recueillis depuis la modification d’avril 2022 apportée à sa déclaration et lors de l’audition de la présente requête, ainsi qu’à la suite des objections du défendeur, que le groupe proposé peut être décrit de manière plus claire et plus objective. Il en fait la description suivante dans le projet de nouvelle déclaration modifiée :

[traduction]

Tous les anciens membres des Forces armées canadiennes (vétérans) :

1. qui ont obtenu l’autorisation de s’inscrire au Programme de réadaptation d’ACC, parrainé et administré par le défendeur;

2. qui ont été déclarés en situation d’incapacité totale et permanente ou qui ont subi une diminution de la capacité de gain, selon la définition qui en donnée dans les programmes parrainés et administrés par le défendeur, y compris les vétérans dont la demande au titre du régime d’ILD‑FAC a été approuvée et ont été déclarés « totalement invalides »;

3. dont la demande d’allocation pour perte de revenus (APR) a été approuvée, et qui la reçoivent, cette allocation étant parrainée et administrée par le défendeur, indépendamment du fait que le paiement [le montant de l’APR devant leur être versé] aurait été neutralisé par d’autres revenus ou paiements;

et qui, de ce fait, ont reçu la prestation de retraite supplémentaire, ainsi que les survivants des vétérans, dans le cas où ces survivants ont reçu la prestation de retraite supplémentaire dans le cadre du régime législatif et des programmes du défendeur.

VI. Les dispositions législatives applicables

[88] C’est la partie 5.1 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles) qui régit les recours collectifs, et le paragraphe 334.16 des Règles énonce les critères d’autorisation.

VII. La question en litige

[89] La question en litige consiste à savoir si le demandeur a établi qu’il a satisfait aux critères d’autorisation de la présente action en tant que recours collectif. Ainsi, la Cour doit déterminer :

  • 1)si les actes de procédure révèlent une cause d’action valable (c’est-à-dire s’il est évident et manifeste que l’action n’a aucune chance raisonnable de succès, si les faits allégués sont tenus pour avérés);

  • 2)si le demandeur a établi un certain fondement factuel pour toutes les autres conditions d’autorisation (groupe identifiable, points communs, meilleur moyen de procéder et représentant demandeur).

[90] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Jost, 2020 CAF 212 [Jost], la Cour d’appel fédérale a résumé, aux paragraphes 25 à 28, les avantages d’un recours collectif, ainsi que les principes généraux établis :

[25] Comme la Cour suprême l’a fait observer, les recours collectifs permettent d’offrir un meilleur accès à la justice à ceux qui, autrement, pourraient ne pas être en mesure de revendiquer leurs droits au moyen du processus des litiges traditionnel. Les recours collectifs améliorent également l’économie judiciaire en permettant d’intenter une seule action pour trancher un grand nombre de demandes relatives à des questions similaires. Enfin, les recours collectifs favorisent un changement de comportement de la part de ceux qui causent des préjudices : Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, 2001 CSC 46, [2001] 2 R.C.S. 534, par. 27 à 29; Hollick c. Toronto (Ville), 2001 CSC 68, [2001] 3 R.C.S. 158, par. 27; et Rumley c. Colombie‑Britannique, 2001 CSC 69, [2001] 3 R.C.S. 184.

[26] La Cour suprême a aussi conclu que, pour que l’on puisse tirer pleinement parti des recours collectifs, il faut éviter d’interpréter la loi relative à une autorisation de recours collectif de manière trop restrictive : arrêt Western Canadian Shopping Centres, précité, par. 46; arrêt Hollick, précité, par. 15.

[27] Comme l’a fait observer notre Cour dans l’arrêt M. Untel, à l’étape de la requête en autorisation, toute l’importance doit être accordée à la forme de l’action. À ce stade, la question n’est pas de savoir s’il est probable que la demande aboutisse, mais plutôt si son instruction est poursuivie de manière appropriée, comme recours collectif : précité, par. 23 et 24.

[28] Dans le cadre d’une requête en autorisation, il incombe au demandeur d’étayer sa demande d’autorisation : arrêt Hollick, précité, par. 25; arrêt M. Untel, précité, par. 24. En d’autres termes, le demandeur doit établir, selon un certain fondement factuel, chacune des conditions d’autorisation, à l’exception de la condition que les actes de procédure révèlent une cause d’action valable. Chacune des causes d’action invoquées sera abordée tour à tour.

VIII. Les actes de procédure révèlent‑ils une cause d’action valable?

[91] Dans sa nouvelle déclaration modifiée (avril 2022), le demandeur allègue trois causes d’action : négligence systémique, manquement à une obligation fiduciaire, et enrichissement sans cause. Dans son projet de nouvelle déclaration modifiée, il ajoute, subsidiairement à la négligence systémique, la déclaration inexacte faite par négligence.

[92] Il ressort de la jurisprudence que, pour déterminer si l’acte de procédure révèle une cause d’action valable, la question est de savoir si, en présumant que les faits allégués sont véridiques, il est évident et manifeste que l’acte de procédure ne révèle aucune cause d’action valable, c’est‑à‑dire qu’il n’y a aucune chance raisonnable de succès : Hollick c Toronto (City), 2001 CSC 68 au para 25 [Hollick]; Canada c M. Untel, 2016 CAF 191 au para 23 [M. Untel]; Jost, au para 29; Greenwood, au para 91. À ce stade, la Cour n’examine pas d’éléments de preuve : M. Untel, au para 23; Greenwood, au para 91.

[93] Dans l’arrêt M. Untel, au paragraphe 23, la Cour d’appel a expliqué :

Pour ce qui concerne le premier critère — à savoir que les actes de procédure doivent révéler une cause d’action valable —, les principes sont les mêmes que ceux qui s’appliquent aux requêtes en radiation. Les faits énoncés dans la déclaration sont tenus pour avérés, et aucun élément de preuve ne peut être pris en considération. Le critère consiste à se demander s’il est « manifeste et évident » que l’acte de procédure, si l’on tient pour avérés les faits y sont allégués, ne révèle pas de cause d’action valable. Autrement dit, les demandeurs doivent établir que leur prétention a une possibilité raisonnable d’être accueillie si la tenue d’un procès est autorisée (Hollick c. Toronto (Ville), 2001 CSC 68, [2001] 3 R.C.S. 158, par. 25 [Hollick]; Pro‑Sys, par. 63; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, p. 980, 1990 CanLII 90 [Hunt]; et R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 R.C.S. 45, par. 17 et 70). Si l’on tient pour avérés les faits allégués, il n’en reste pas moins qu’ils doivent être invoqués au soutien de chaque cause d’action. Les simples affirmations ne constituent pas des allégations de faits substantiels et ne peuvent fonder une cause d’action (Merchant Law Group c. Canada Agence du revenu, 2010 CAF 184, par. 34; Mancuso c. Canada (Santé nationale et Bien‑être social), 2015 CAF 227, par. 27).

[94] Au paragraphe 23 de l’arrêt Canada c Harris, 2020 CAF 124, la Cour d’appel a fait remarquer que dans le cas d’une requête en radiation le critère « est généreux à l’égard des demandeurs » et a ensuite précisé, au paragraphe 24, que « [l]es faits exposés par le plaideur doivent cependant être suffisants pour étayer sa déclaration », notant que ce sont les actes de procédure qui cernent les questions en litige.

A. La négligence systémique – ou, subsidiairement, la déclaration inexacte faite par négligence – est‑elle une cause d’action valable?

(1) Les observations du demandeur

[95] Le demandeur soutient que les faits invoqués justifient une allégation de négligence qui a une chance raisonnable de succès, à savoir l’existence d’une obligation de diligence, d’un manquement d’ACC à cette obligation et de préjudices causés au demandeur en raison de ce manquement.

[96] Le demandeur soutient que, dans la présente affaire, les membres du groupe – qui sont invalides et, de ce fait, font partie des vétérans les plus vulnérables – se trouvaient dans une situation où ils s’en remettaient entièrement à ACC pour l’obtention en temps opportun de renseignements exacts sur leur droit à la PRS. Comme on l’a vu, le demandeur prétend qu’ACC a pour mandat de dédommager les vétérans et de prendre soin d’eux, ce qui consiste notamment à leur donner des conseils sur les prestations disponibles de manière à ce qu’ils puissent les maximiser, et qu’ACC est tenu de veiller aux intérêts des membres du groupe lorsqu’il administre ses programmes et ses prestations.

[97] Pour ce qui est de la cause d’action fondée sur l’allégation de négligence systémique, le demandeur soutient qu’ACC, en tant qu’administrateur des prestations, a manqué, en s’acquittant de ses fonctions de gestion et exerçant ses activités ou en raison de l’absence de procédures opérationnelles adéquates, à son obligation de fournir des renseignements exacts au sujet de la PRS et de son calcul fondé sur l’APR ainsi qu’à son obligation de ne pas fournir de renseignements erronés au sujet de l’APR et de la PRS. Le demandeur allègue que, de ce fait, les membres du groupe ont perdu des prestations qu’ils auraient dû recevoir. Il fait valoir que les manquements d’ACC étaient [TRADUCTION] « institutionnels » et contraires à son mandat.

[98] Le demandeur invoque la décision Lin c Airbnb, Inc, 2019 CF 1563 [Lin], où la Cour a écrit ceci, au paragraphe 59 :

[59] […] Pour conclure qu’il est « évident et manifeste » qu’il n’y a aucune cause d’action valable, il faut « un dossier portant exactement sur la même question, issu de la même juridiction, et démontrant que cette même question a été clairement abordée et rejetée » (Arsenault, par. 27, citant Dalex Co. c Schwartz Levitsky Feldman (1994), 19 OR (3d) 463, 1994 CanLII 7290 (SC); voir aussi Finkel, par. 17).

[99] Le demandeur soutient qu’étant donné qu’il n’existe aucune décision sur les questions qu’il a soulevées, la Cour ne peut pas conclure qu’il est évident et manifeste que la cause d’action fondée sur l’allégation de négligence systémique n’a aucune chance de succès.

[100] Le demandeur prétend également que la Cour n’a même pas besoin de se livrer à une analyse de la proximité pour déterminer s’il existe une obligation de diligence de la part d’ACC parce que l’existence d’une obligation de diligence analogue a été établie dans l’arrêt Jost.

[101] Le demandeur fait observer que, dans l’arrêt Jost, la Cour d’appel a conclu qu’il n’était pas évident et manifeste que le Canada, en tant qu’administrateur du régime de pension, n’avait aucune obligation de diligence envers les membres du groupe, signalant la « jurisprudence abondante où les tribunaux ont conclu que le lien entre les administrateurs d’un régime de pension et les adhérents à un régime de pension est suffisamment étroit pour donner lieu à une obligation de diligence » (Jost, aux para 67–71).

[102] Le demandeur fait valoir que le raisonnement suivi dans l’arrêt Jost s’applique à ses propres allégations, car l’APR et la PRS sont des prestations sociales semblables à des prestations de retraite, l’APR et la PRS ne sont pas discrétionnaires, les vétérans souffrant d’une maladie ou d’une blessure ont légalement droit à ces prestations, et le Canada, en tant qu’administrateur de l’APR et de la PRS, savait ou aurait dû savoir que le défaut d’agir avec diligence raisonnable pour s’assurer que les vétérans comprenaient la PRS et la manière dont elle était calculée causerait préjudice aux membres du groupe proposé.

[103] Le demandeur réitère que les membres du groupe proposé sont ceux qui ont les besoins les plus complexes et qui sont les plus vulnérables. Ils se trouvaient dans une situation de dépendance envers ACC pour l’obtention de renseignements exacts sur ces prestations.

[104] Le demandeur ajoute que peu importe que la Cour se fonde sur l’arrêt Jost pour établir l’obligation de diligence ou qu’elle se livre à une analyse de la proximité, il existe un lien étroit et direct entre ACC et les membres du groupe, ce qui est une caractéristique distinctive de l’obligation de diligence.

[105] Le demandeur fait valoir qu’ACC, en raison de son mandat, ne peut pas nier l’existence d’un lien de proximité avec les membres du groupe proposé. Il affirme que la conduite d’ACC se situait en deçà de la norme de diligence exigée et que le préjudice était prévisible. À cause de ses actes et de ses omissions, les membres du groupe ont subi un préjudice parce qu’ils ont reçu, au titre de la PRS, un montant inférieur à celui qui leur aurait été versé s’ils avaient reçu des renseignements appropriés. Il ajoute qu’il n’existe aucune autre considération de principe susceptible de démontrer qu’il est évident et manifeste qu’il n’existe aucune obligation de diligence, notamment pas à ce stade, où la Cour ne soupèse pas la preuve.

[106] Le demandeur fait valoir aussi que son allégation de négligence systémique n’est pas une allégation de perte purement économique; elle découle plutôt de la conduite d’ACC et de la violation de ses droits. Cependant, si l’allégation – en particulier le manquement d’ACC à l’obligation de ne pas fournir de renseignements erronés – était considérée comme une allégation de perte purement économique, elle se rangerait dans la catégorie de la déclaration inexacte faite par négligence (1688782 Ontario Inc c Aliments Maple Leaf Inc., 2020 CSC 35 aux para 20–21 [Maple Leaf]). Le demandeur ajoute qu’indépendamment de la forme de négligence alléguée, le critère est le même et il débute par un lien de proximité (Maple Leaf, aux para 23, 30, 31), lequel, selon lui, a été établi.

[107] Le demandeur soutient que, même sans aucune autre modification, la nouvelle déclaration modifiée révèle l’existence d’une cause d’action valable fondée sur l’allégation de déclaration inexacte faite par négligence.

[108] Dans le projet de nouvelle déclaration modifiée (juin 2022), décrit précédemment de manière plus détaillée, le demandeur allègue expressément, de sa façon subsidiaire à l’allégation de négligence systémique, qu’ACC est coupable de déclaration inexacte faite par négligence. Il affirme que, vu le mandat d’ACC, il existait un lien étroit et direct de confiance entre ACC et les membres du groupe. Il s’agissait d’un lien de proximité et les préjudices que les membres du groupe et lui ont subis étaient raisonnablement prévisibles. Le demandeur fait également valoir qu’ACC avait, expressément ou implicitement, la responsabilité de leur fournir, à lui ainsi qu’aux membres du groupe, des renseignements exacts – non erronés – sur leur droit à l’APR et à la PRS, sur les interrelations entre les régimes de prestations ainsi que sur la manière dont la PRS était calculée.

[109] Le demandeur déclare qu’ACC leur a fait des déclarations fausses, inexactes ou trompeuses au sujet de l’APR et de la PRS. Il affirme de nouveau que si les autres membres du groupe et lui avaient présenté une demande d’APR quand ils y avaient eu droit la première fois, la PRS payée aurait été supérieure à celle qu’ils ont en fait touchée.

[110] Le demandeur ajoute que, compte tenu des faits énoncés dans la demande, il n’y a aucune raison de principe de nier l’existence de l’obligation de diligence qui incombe à ACC.

[111] En conclusion, le demandeur soutient qu’il n’est pas évident et manifeste que son allégation de négligence systémique ou, subsidiairement, son allégation de déclaration inexacte faite par négligence n’ont aucune chance de succès.

(2) Les observations du défendeur

[112] Le défendeur soutient que l’allégation de négligence systémique du demandeur ne peut pas être retenue pour les raisons suivantes : il n’existe aucune obligation d’informer d’éventuels bénéficiaires d’un régime législatif de leurs droits possibles à des prestations, des critères d’admissibilité ou de la manière de maximiser les prestations, et l’allégation du demandeur selon laquelle ACC ne disposait pas de [traduction] « procédures opérationnelles ou de gestion adéquates » ne fait pas naître un lien étroit et direct entre ACC et les membres du groupe. Il explique que le lien entre le demandeur et les administrateurs des prestations – qui mettent en œuvre des politiques et des procédures – est différent de celui qui existe entre le demandeur et les représentants de service ou les gestionnaires de cas d’ACC.

[113] Le défendeur fait par ailleurs valoir qu’il y a lieu de radier l’allégation de négligence systémique parce qu’il s’agit en réalité d’une allégation de déclaration inexacte faite par négligence [TRADUCTION] « déguisée » en une allégation de négligence générale. Il ajoute que le demandeur a tenté de transformer son allégation en une allégation de négligence systémique en alléguant qu’il n’y a pas de mécanismes de contrôle internes ou de procédures adéquates. Toutefois, aucun fait substantiel n’étaye cette thèse.

[114] Le défendeur est d’avis que l’allégation du demandeur n’établit pas que les membres du groupe se sont fiés à leur détriment à un engagement quelconque d’ACC – implicite ou explicite – de s’assurer qu’il existait des procédures opérationnelles et de gestion adéquates ou que celles‑ci ont fait subir une perte aux membres du groupe. Il ajoute que ce que le demandeur allègue est simplement qu’ACC lui a dit qu’il n’était pas avantageux de s’inscrire au Programme de réadaptation ou à l’APR pendant qu’il recevait des prestations d’ILD‑FAC.

[115] Selon le défendeur, l’analyse de la proximité dépend du lien et il faut qu’il y ait quelque chose de plus que le lien entre le gouvernement et le groupe touché par le travail du gouvernement pour établir l’existence d’un lien étroit et direct.

[116] Le défendeur nie que l’arrêt Jost établit qu’il existe une obligation de diligence entre ACC et les membres du groupe proposé.

[117] Le défendeur fait valoir également qu’en alléguant la négligence systémique, le demandeur sollicite des dommages‑intérêts pour pure perte économique et que les allégations de cette nature doivent s’inscrire dans une catégorie reconnue, comme celle de la déclaration inexacte faite par négligence. Il nie que le demandeur a énoncé les éléments de l’allégation de déclaration inexacte faite par négligence dans sa nouvelle déclaration modifiée.

[118] Le défendeur ajoute que le projet de nouvelle déclaration modifiée du demandeur confirme que son allégation de négligence systémique est bel et bien une forme déguisée d’allégation de déclaration inexacte faite par négligence et que le demandeur n’avait pas invoqué, dans ses actes de procédures initiaux, les éléments requis pour étayer l’existence d’une cause d’action subsidiaire fondée sur l’allégation de déclaration inexacte faite par négligence.

[119] Le défendeur reconnaît que le demandeur allègue, dans son projet de nouvelle déclaration modifiée, les éléments requis de la déclaration inexacte faite par négligence invoquée. Il soutient toutefois que le demandeur n’a pas établi de faits qui étayent la totalité des éléments de cette allégation, lesquels ont été énoncés dans l’arrêt Queen c Cognos Inc, [1993] 1 RCS 87 aux p 88‑89, [1993] ACS no 3 (QL) [Cognos]. Il soutient qu’il n’y a pas de lien de proximité entre ACC et les membres du groupe proposé qui permettrait d’établir l’existence d’une obligation de diligence qui justifierait une allégation de négligence.

(3) L’allégation de négligence systémique n’a aucune chance raisonnable de succès

[120] Comme on l’a vu, la question en litige consiste à savoir si le demandeur a invoqué des faits substantiels à l’appui de chacun des éléments des causes d’action alléguées et s’il est évident et manifeste que la cause d’action n’a aucune chance raisonnable de succès. La Cour est tenue de trancher la question sans examiner la preuve mais, en même temps, elle ne se fonde pas sur de simples affirmations (Bigeagle c Canada, 2021 CF 504 au para 71).

[121] Je conclus que l’allégation de négligence systémique du demandeur n’a aucune chance raisonnable de succès et qu’il convient de la radier.

[122] L’allégation de négligence systémique repose sur l’affirmation du demandeur selon laquelle la conduite d’ACC était institutionnelle et systémique, qu’ACC ne disposait pas de procédures opérationnelles ou de gestion adéquates et que, contrairement à son mandat, ACC n’a pas fourni de renseignements exacts sur l’APR et la PRS de façon à ce que les vétérans puissent maximiser leurs prestations, et a plutôt fourni des renseignements erronés sur ces deux types de prestations.

[123] Le demandeur n’invoque pas de faits à l’appui de son affirmation selon laquelle ACC ne disposait pas de procédures opérationnelles ou de gestion adéquates, ce qui constitue le fondement de son allégation – ou, comme le prétend le défendeur, à l’appui de ce qu’il affirme pour transformer son allégation en une allégation de négligence systémique, à savoir qu’ACC a omis, de manière systématique et systémique, d’informer les vétérans des prestations auxquelles ils pouvaient avoir droit ou a fourni des renseignements erronés.

[124] Je conviens avec le défendeur que le demandeur n’a pas invoqué de faits à l’appui d’une allégation de négligence systémique. L’affirmation du demandeur selon laquelle le mandat d’ACC comporte une obligation d’informer les vétérans au sujet des prestations qui leur sont offertes et de les expliquer, de la manière d’en faire la demande et de la façon de les maximiser repose uniquement sur la façon dont il interprète lui‑même ce mandat. Les réponses données lors du contre‑interrogatoire de l’un des déposants du défendeur sur lesquelles le demandeur se fonde ne fournissent pas de faits qui appuient l’existence d’une obligation ou d’un engagement quelconque de la part d’ACC à s’assurer qu’il dispose des procédures requises pour informer les vétérans de la manière de maximiser leurs prestations. Par ailleurs, à la présente étape, la Cour n’examine pas d’éléments de preuve. De plus, une réponse donnée en contre‑interrogatoire et interprétée d’une manière particulière par le demandeur ne peut pas étayer une conclusion selon laquelle ACC était investie d’un mandat particulier qui n’est pas énoncé dans les lois qui le régissent. Dans le meilleur des cas, la réponse du déposant exprime la propre conception qu’a ce dernier du rôle que joue ACC pour ce qui est du dédommagement des vétérans.

[125] Le demandeur n’allègue pas que les membres du groupe proposé ou lui-même se sont fondés sur un quelconque engagement – implicite ou explicite – de la part d’ACC à disposer de procédures opérationnelles ou de gestion adéquates ou que l’absence de telles procédures a fait subir une perte aux membres du groupe proposé.

[126] Le demandeur n’énonce pas de faits liés à l’absence de procédures adéquates au niveau institutionnel. Comme le signale le défendeur, le demandeur soutient principalement que des représentants d’ACC lui ont dit ainsi qu’à d’autres qu’il était inutile de présenter une demande d’APR pendant qu’ils touchaient des prestations d’ILD‑FAC parce que celles‑ci neutraliseraient l’APR.

[127] Le demandeur ne peut pas se fonder sur le rapport du BOV ou d’autres rapports produits par le gouvernement comme étant des faits substantiels qui établissent l’allégation de négligence systémique.

[128] Comme on l’a vu précédemment, la Cour n’évalue et ne soupèse pas d’éléments de preuve pour décider s’il convient de radier ou non une cause d’action. Pour ce qui est des autres éléments du critère d’autorisation, le rapport du BOV et les autres rapports que le demandeur a cités ne peuvent être considérés que comme établissant un « certain fondement factuel » (Greenwood, aux para 90‑96).

[129] Le demandeur ne peut pas se fonder non plus sur la preuve par affidavit de vétérans (décrite aux para 19–47 des présents motifs) et considérer qu’elle établit des faits étayant l’allégation de négligence systémique, car ces déposants ont tous reçu d’ACC des renseignements sur leurs prestations, bien que cela ait pu avoir lieu à des moments différents et de manières différentes. Les déposants décrivent qu’en ce qui concerne les renseignements relatifs à la déduction des prestations d’ILD‑FAC, ils ont vécu des expériences semblables, mais aucun d’eux ne soutient qu’il y a eu un défaut systémique ou institutionnel de la part d’ACC dans la fourniture de renseignements ou qu’ACC ne disposait pas de procédures adéquates pour fournir des renseignements et administrer les prestations.

[130] Je garde à l’esprit la jurisprudence qui précise que la norme de preuve pour établir une cause d’action valable est peu élevée et que la Cour devrait éviter d’adopter une approche stricte. En revanche, il n’est dans l’intérêt de personne de laisser une action suivre son cours si elle est vouée à l’échec ou si, comme en l’espèce, il est possible de la régler au moyen d’une allégation subsidiaire.

[131] Le demandeur invoque le paragraphe 59 de la décision Lin pour soutenir qu’il n’est pas évident et manifeste que la cause d’action fondée sur l’allégation de négligence systémique ne peut pas être retenue parce qu’il n’existe aucune autre affaire tranchée par notre Cour qui porte exactement sur la question pertinente « et [qui démontre] que cette même question a été clairement abordée et rejetée », mais, ce faisant, il néglige qu’il doit quand même alléguer des faits à l’appui des éléments requis de la cause d’action et qu’il ne peut pas se fonder sur des affirmations.

[132] Comme il a été mentionné précédemment, le défendeur qualifie aussi l’allégation de négligence systémique du demandeur d’allégation de perte économique, ce que le demandeur conteste. Cependant, il n’est pas nécessaire de se pencher sur la jurisprudence en matière de perte économique (p. ex., Maple Leaf, aux para 18–23). Le demandeur et le défendeur semblent tous deux convenir que la déclaration inexacte faite par négligence est un moyen subsidiaire de qualifier l’allégation.

(4) Le demandeur peut modifier l’acte de procédure afin d’alléguer expressément une cause d’action subsidiaire fondée sur l’existence d’une déclaration inexacte faite par négligence

[133] Dans la nouvelle déclaration modifiée, le demandeur énonce des éléments de négligence, mais sans alléguer expressément la déclaration inexacte faite par négligence. Dans le projet de nouvelle déclaration modifiée (27 juin 2022), le demandeur invoque expressément la déclaration inexacte faite par négligence. Comme le demandeur l’a signalé, les actes de procédure ne sont pas encore clos. Je conclus que le demandeur devrait être autorisé à modifier son acte de procédure de la manière proposée.

(5) La déclaration inexacte faite par négligence est une cause d’action valable

[134] Vu l’acte de procédure modifié, la question en litige consiste maintenant à savoir s’il est évident et manifeste que la cause d’action fondée sur l’allégation de déclaration inexacte faite par négligence n’a aucune chance raisonnable de succès.

[135] Comme le signale le défendeur, les éléments sur lesquels fonder l’allégation de déclaration inexacte faite par négligence ont été établis dans l’arrêt Cognos, aux paragraphes 88 et 89 :

(1) il doit y avoir une obligation de diligence fondée sur un « lien spécial » entre l’auteur et le destinataire de la déclaration;

(2) la déclaration en question doit être fausse, inexacte ou trompeuse;

(3) l’auteur doit avoir agi d’une manière négligente en faisant la déclaration;

(4) le destinataire doit s’être fié d’une manière raisonnable à la déclaration inexacte faite par négligence;

(5) le fait que le destinataire s’est fié à la déclaration doit lui être préjudiciable en ce sens qu’il doit avoir subi un préjudice.

[136] Même si le défendeur fait valoir, entre autres choses, qu’il n’existe aucune obligation de diligence entre ACC et les membres du groupe, car il n’existe aucun lien spécial ou de proximité, et nie qu’ACC ait fourni des renseignements trompeurs ou en temps inopportun, les arguments qu’il présente ont davantage trait au bien‑fondé et à la force de l’allégation du demandeur. Le rôle de la Cour, à ce stade‑ci, consiste à déterminer s’il est évident et manifeste qu’il n’existe aucun lien de proximité et aucune obligation de diligence de la part d’ACC, c’est‑à‑dire si les faits allégués et tenus pour avérés étayent l’existence d’une obligation de diligence de la part d’ACC envers les membres du groupe.

[137] Comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada au paragraphe 66 de l’arrêt Alberta c Elder Advocates of Alberta Society, 2011 CSC 24 [Elder Advocates], pour répondre à la question de savoir si les allégations étayent l’existence d’une obligation de diligence, la Cour doit d’abord se demandeur si le défendeur et les membres du groupe entretenaient une relation ayant donné lieu à une obligation de diligence prima facie, fondée sur la prévisibilité et la proximité, et, dans l’affirmative, si cette obligation est écartée par des considérations de politique générale.

[138] Plus récemment, dans l’arrêt Jost, au paragraphe 66, la Cour d’appel a renvoyé au même critère, citant l’arrêt Cooper c Hobart, 2001 CSC 79 [Cooper] :

[66] […] Dans cet arrêt, la Cour suprême a conclu qu’un critère à deux étapes s’applique pour établir l’existence d’une obligation de diligence dans une affaire donnée. La première question consiste à déterminer si les exigences de prévisibilité raisonnable et de proximité ont été respectées. Si la Cour conclut qu’une obligation de diligence prima facie existe, il faut alors déterminer s’il existe des motifs de politique résiduels qui militent contre l’imposition d’une obligation de diligence : par. 38 et 39.

[139] Pour ce qui est de la question de savoir si des motifs de politique résiduels mineraient l’obligation de diligence, la Cour d’appel a fait remarquer ceci au paragraphe 74 :

Il existe toutefois une jurisprudence qui établit que les tribunaux devraient être réticents à rejeter un recours collectif projeté, au motif qu’il ne révèle aucune cause d’action valable [traduction] « fondée sur des motifs stratégiques, à l’étape de la présentation de la requête, avant d’obtenir un dossier sur lequel un tribunal peut s’appuyer pour analyser les points forts et les points faibles des arguments stratégiques » : Haskett v. Equifax Canada Inc., 224 D.L.R. (4th) 419, [2003] O.J. No. 771, par. 52; voir aussi l’arrêt Williams v. City of Toronto, 2011 ONSC 6987, 346 D.L.R. (4th) 173, par. 47.

[140] Comme on l’a vu, le demandeur, se fondant sur l’arrêt Jost, soutient que l’obligation de diligence est reconnue dès lors qu’il est établi que cette obligation existait entre l’administrateur des pensions de retraite et les pensionnés. Le demandeur fait valoir que, par analogie, en tant qu’administrateur des prestations destinées à des vétérans, ACC a une obligation de diligence envers les membres du groupe proposé.

[141] Je ne suis pas d’accord pour dire que l’obligation de diligence dont il est question dans l’arrêt Jost est analogue à celle invoquée en l’espèce ni que cette obligation devrait s’étendre aux administrateurs d’autres régimes d’avantages sociaux. Les pensionnés qui ont cotisé à un régime de retraite pendant de nombreuses années et qui ont le droit de toucher leur pension de retraite, mais qui la reçoivent avec retard, sont différents des membres du groupe proposé, qui peuvent être – ou non – admissibles à diverses prestations, suivant des critères d’admissibilité précis.

[142] Cependant, je suis d’avis que l’application du critère établi dans l’arrêt Anns c Merton London Borough Council (1977), [1978] AC 728 (HL (Eng)) [Anns] et adopté dans l’arrêt Cooper [connu sous le nom du critère ou de l’analyse Anns/Cooper] mène à la conclusion qu’il n’est pas évident et manifeste qu’ACC n’avait aucune obligation de diligence envers les vétérans qui font partie du groupe proposé.

[143] Les faits permettent de conclure à l’existence d’un lien de proximité entre les membres du groupe proposé, qui recevaient tous l’APR et qui faisaient tous, ou presque tous, affaire avec un gestionnaire de cas d’ACC ou entretenaient d’autres contacts réguliers avec des représentants d’ACC. Comme l’a signalé le demandeur, ACC est entré en contact avec les bénéficiaires de l’APR en 2016 quand le supplément est devenu disponible. De plus, comme l’a expliqué le demandeur, ce groupe avait des besoins élevés, car presque tous recevaient l’APR prolongée.

[144] Le demandeur fait valoir (dans la nouvelle déclaration modifiée ainsi que dans le projet de nouvelle déclaration modifiée) qu’il existe un lien spécial entre les parties, que les membres du groupe et lui‑même souffrent d’invalidités attribuables à leur service militaire et qu’ACC a le mandat et l’obligation, de par la loi, de les aider à se réinsérer dans la vie civile.

[145] Comme on l’a vu, le demandeur allègue expressément la déclaration inexacte faite par négligence dans le projet de nouvelle déclaration modifiée (juin 2022). Il affirme qu’il existait un lien de confiance étroit et direct entre ACC et les membres du groupe; il s’agissait d’un lien de proximité, et ses blessures ainsi que celles des membres du groupe étaient raisonnablement prévisibles.

[146] Le demandeur affirme également qu’ACC leur a fait des déclarations fausses, inexactes ou trompeuses au sujet de l’APR et de la PRS.

[147] Les faits allégués sont que le demandeur et les membres du groupe proposé ont reçu d’ACC des renseignements de diverses façons, y compris de la part de gestionnaires de cas. Les faits allégués, tenus pour avérés, confirment que le lien était un lien de proximité – étroit et direct – et qu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’ACC prenne des mesures raisonnables pour éviter de causer tout préjudice qui pourrait survenir s’il fournissait des renseignements erronés. (La Cour ne conclut pas ici que des renseignements erronés ont été fournis, mais juste qu’il n’est pas évident et manifeste qu’il n’existe aucun lien de proximité ou aucune obligation de diligence.)

[148] Je suis d’avis que le demandeur a allégué tous les éléments de la déclaration inexacte faite par négligence ainsi que tous les faits à l’appui de ces éléments, notamment ceci : des représentants d’ACC ont fait des déclarations fausses, inexactes ou trompeuses au sujet des conditions d’admissibilité à l’APR et à la PRS; les représentants d’ACC n’avaient pas l’expertise voulue; le demandeur et les membres du groupe se sont fiés aux déclarations d’ACC; le demandeur et les membres du groupe ont subi un préjudice parce que s’ils avaient reçu des renseignements complets et en temps opportun, ils auraient pu toucher un montant plus élevé au titre de la PRS.

[149] Compte tenu des faits allégués et de la norme de preuve peu élevée pour établir l’existence d’une cause d’action valable et du fait que la jurisprudence rappelle qu’une approche exagérément restrictive est à éviter (Jost, au para 66), et notant que la question en litige à ce stade‑ci consiste seulement à savoir si l’action devrait suivre son cours en tant que recours collectif et non si elle sera accueillie, je ne puis conclure qu’il est évident et manifeste qu’ACC, en tant qu’administrateur de la PRS et des prestations connexes, n’a aucune obligation de diligence envers les membres du groupe proposé.

[150] Je ne puis non plus conclure, à ce stade‑ci, qu’il existe des motifs de politique résiduels qui militent contre l’imposition d’une obligation de diligence, car la Cour ne dispose d’aucun élément au dossier au sujet de la politique qui sous‑tend les prestations en litige (Jost, au para 74).

[151] En conclusion, l’allégation de déclaration inexacte faite par négligence est une cause d’action raisonnable et pourra être examinée.

B. Le manquement à une obligation fiduciaire

(1) Les observations du demandeur

[152] Le demandeur soutient que le Canada (c’est-à-dire ACC) agissait comme fiduciaire à l’égard de vétérans vulnérables et invalides et qu’il a manqué à son obligation fiduciaire.

[153] Le demandeur affirme qu’il a allégué les faits substantiels qui sont nécessaires pour établir les éléments d’une allégation de manquement à une obligation fiduciaire : un engagement de la part du fiduciaire à agir au mieux des intérêts du bénéficiaire; l’existence d’une personne ou d’un groupe de personnes définies vulnérables au contrôle du fiduciaire; un intérêt juridique ou un intérêt pratique important des bénéficiaires sur lequel l’exercice, par le fiduciaire, de son pouvoir discrétionnaire ou de son contrôle pourrait avoir une incidence défavorable.

[154] Le demandeur fait valoir une fois de plus qu’ACC a pour mandat de fournir des renseignements et une aide aux vétérans qui souffrent d’une maladie ou d’une blessure afin qu’ils puissent avoir accès à leurs prestations et les maximiser. Ainsi, le Canada s’est implicitement engagé à agir dans l’intérêt supérieur de ce groupe hautement vulnérable de vétérans et à s’assurer qu’ils comprennent les programmes disponibles. Il ajoute que la situation unique dans laquelle se trouvent les membres du groupe proposé – qui sont devenus invalides en raison de leur service militaire pour le Canada – fait naître un lien spécial qui est susceptible d’étayer cet engagement implicite à agir au mieux de leurs intérêts.

[155] Le demandeur invoque une fois de plus l’arrêt Jost, au paragraphe 41, pour faire valoir qu’il existe une obligation fiduciaire. Il soutient que le fondement de son allégation de manquement à une obligation fiduciaire est plus solide que celui qui était invoqué dans l’affaire Jost à cause du lien unique qui existe entre les membres du groupe proposé et ACC.

(2) Les observations du défendeur

[156] Le défendeur fait remarquer qu’une allégation d’obligation fiduciaire doit être étayée par des termes clairs dans la loi habilitante pour pouvoir créer un engagement à agir au mieux des intérêts d’un groupe particulier, en faisant passer ces intérêts avant ceux de tous les autres groupes et aux dépens de tous les autres groupes (Elder Advocates, au para 44).

[157] Le défendeur soutient que le demandeur n’a relevé aucun engagement du Canada ou d’ACC, qui découle des lois applicables, à agir au mieux des intérêts de ce groupe de vétérans en les faisant passer avant ceux de tous les autres vétérans. Il ajoute que l’admissibilité aux prestations qui est décrite dans la loi ne confère pas plus d’importance à l’APR et à la PRS et à leurs bénéficiaires qu’à d’autres prestations ou à d’autres bénéficiaires.

[158] Le défendeur invoque l’arrêt Institut professionnel de la fonction publique du Canada c Canada (Procureur général), 2012 CSC 71 [IPFPC], qui concernait des surplus dans des comptes de pension de retraite, où la Cour suprême du Canada a confirmé, aux paragraphes 124 à 127, que le fiduciaire est tenu d’agir au mieux des intérêts du groupe particulier et de renoncer aux intérêts de tous les autres. Le défendeur réitère que rien dans la Loi de 2006 ou dans les modifications qui y ont été apportées par la suite n’étaye un tel engagement à renoncer aux intérêts de tous les autres en faveur de ceux des membres du groupe proposé.

[159] Le défendeur soutient par ailleurs qu’il n’existe aucun engagement implicite à agir au mieux des intérêts des membres du groupe proposé en faisant passer ces intérêts avant ceux d’autres groupes.

[160] Le défendeur signale qu’il est rare que des obligations fiduciaires se rattachent au lien qui existe entre le gouvernement et les personnes touchées par les mesures qu’il prend parce que le gouvernement se trouve dans l’obligation d’agir au mieux des intérêts de la société dans son ensemble.

[161] Le défendeur soutient que l’arrêt Jost, qui met en cause des faits différents, n’étaye pas l’existence d’une obligation fiduciaire. La Cour d’appel a conclu seulement que, dans le contexte du régime de retraite en litige et du retard à payer les pensionnés, la Cour suprême n’avait « pas exclu » que l’administrateur du régime de pension puisse avoir une obligation fiduciaire. Selon le défendeur, cette possibilité est exclue en l’espèce.

[162] Le défendeur affirme qu’une allégation ne peut créer un engagement explicite ou implicite s’il n’en existe aucun en droit. Selon lui, le demandeur se fonde une fois de plus sur la réponse de l’un des déposants du défendeur, réponse que le demandeur a « étirée » et interprétée erronément pour faire valoir que la portée du mandat d’ACC établit l’existence d’un engagement. Il ajoute que, pour évaluer la cause d’action, cette preuve ne peut pas être prise en compte.

[163] Le défendeur soutient de plus que la vulnérabilité des vétérans n’est pas un élément suffisant pour fonder l’existence d’un engagement implicite.

(3) L’allégation de manquement à une obligation fiduciaire n’est pas une cause d’action valable

[164] Dans l’arrêt Elder Advocates, la Cour suprême du Canada a résumé au paragraphe 36 les exigences auxquelles il faut satisfaire pour établir l’existence d’une obligation fiduciaire :

En bref, pour prouver l’existence d’une obligation fiduciaire ad hoc, le demandeur doit démontrer, en plus de la vulnérabilité découlant du rapport décrit par la juge Wilson dans l’arrêt Frame : (1) un engagement de la part du fiduciaire à agir au mieux des intérêts du bénéficiaire ou des bénéficiaires; (2) l’existence d’une personne ou d’un groupe de personnes définies vulnérables au contrôle du fiduciaire (le bénéficiaire ou les bénéficiaires); et (3) un intérêt juridique ou un intérêt pratique important du bénéficiaire ou des bénéficiaires sur lequel l’exercice, par le fiduciaire, de son pouvoir discrétionnaire ou de son contrôle pourrait avoir une incidence défavorable.

[165] La Cour a indiqué, au paragraphe 45, que le libellé de la loi doit manifestement appuyer l’engagement invoqué, s’il est allégué qu’il découle de la loi.

[166] La Cour a expliqué pourquoi il serait rare – mais pas impossible – de conclure que le gouvernement est assujetti à une obligation fiduciaire :

[44] Obliger un fiduciaire à faire passer les intérêts du bénéficiaire avant les siens est donc essentiel à la relation. Imposer un tel fardeau à l’État va naturellement à l’encontre de son obligation d’agir au mieux des intérêts de la société dans son ensemble et de répartir les ressources limitées entre les groupes opposés dont les demandes d’aide sont tout aussi valables : Sagharian (Litigation Guardian of) c. Ontario (Minister of Education), 2008 ONCA 411, 172 C.R.R. (2d) 105, par. 47‑49. Cela ne se produira que dans de rares circonstances. Vu la responsabilité générale de l’État d’agir dans l’intérêt public, son obligation de loyauté envers une personne ou un groupe en particulier ne sera démontrée que dans de rares cas : voir Harris c. Canada, 2001 CFPI 1408, [2002] 2 C.F. 484, par. 178.

[167] Dans l’arrêt IPFPC, la Cour suprême du Canada a traité des obligations fiduciaires d’un administrateur de régime de pension envers les membres de certains régimes de pension, relativement à un surplus actuariel dans les comptes de ces régimes. La Cour a conclu que le gouvernement n’avait aucune obligation fiduciaire envers les membres des régimes quant au surplus actuariel. Pour ce qui était de la nature de l’engagement, la Cour a indiqué ce qui suit, au paragraphe 124 :

Il est maintenant bien établi que l’engagement exprès ou implicite du fiduciaire à agir dans le respect d’un devoir de loyauté constitue un élément essentiel d’une relation fiduciaire ad hoc. Il est indispensable que le bénéficiaire présumé puisse démontrer que, relativement à l’intérêt particulier en jeu, le fiduciaire a renoncé aux intérêts de toute autre partie en faveur de ceux du bénéficiaire.

[168] Dans l’arrêt Jost, sur lequel se fonde le demandeur, la Cour d’appel fédérale a fait état des principes énoncés dans les arrêts Elder Advocates et IPFPC. Elle a décrit les liens qui peuvent donner naissance à une obligation fiduciaire, réitérant qu’il doit y avoir un engagement évident à agir au mieux des intérêts du bénéficiaire (au para 34), et que la responsabilité qu’a le gouvernement d’agir dans l’intérêt public signifie que son obligation de loyauté envers une personne ou un groupe en particulier ne sera constatée que dans de rares cas (au para 36).

[169] La Cour d’appel a fait remarquer, au paragraphe 40, que bien qu’aucune obligation fiduciaire n’ait été reconnue dans l’arrêt IPFPC, les faits étaient différents et que « la Cour n’a pas conclu qu’une relation fiduciaire ne pouvait jamais exister entre le gouvernement, en qualité d’administrateur d’un régime de pension[,] et les adhérents au régime. En effet, la Cour a expressément déclaré qu’il n’était pas nécessaire de déterminer “quelle serait l’étendue précise d’une obligation fiduciaire susceptible d’exister entre le gouvernement, en qualité d’administrateur des régimes de pension, et les bénéficiaires des régimes, ni si leur relation emporte intrinsèquement certaines obligations fiduciaires” : arrêt IPFPC, précité, par. 120 » (non souligné dans l’original).

[170] La Cour d’appel est parvenue à la conclusion suivante :

[41] La Cour suprême ayant expressément laissé subsister la possibilité que l’administrateur d’un régime de pension gouvernemental puisse, dans certains cas, avoir une obligation fiduciaire envers les adhérents au régime et sous réserve des commentaires formulés ci‑après, on ne peut pas dire, à ce stade, qu’il est évident et manifeste que la demande liée à une obligation fiduciaire de M. Jost n’a aucune chance raisonnable d’être accueillie.

[171] Comme je l’ai indiqué précédemment, je ne suis pas d’accord pour dire que l’affaire Jost est semblable à celle qui nous occupe. Même si la Cour d’appel a conclu qu’il subsistait la « possibilité » de conclure « dans certains cas » que l’administrateur d’un régime de pension gouvernemental avait une obligation fiduciaire envers les membres de ce régime, les faits étayant l’existence d’une cause d’action valable fondée sur une allégation de manquement à une obligation fiduciaire sont absents en l’espèce. Contrairement aux faits de l’affaire Jost, le versement de prestations de retraite n’est pas en litige et les allégations formulées contre ACC n’ont pas trait à un rôle quelconque qu’ACC peut jouer à titre d’administrateur d’un régime de pension, mais plutôt à titre d’administrateur de divers avantages sociaux assortis de conditions d’admissibilité précises.

[172] En l’espèce, il n’y a dans la loi aucun engagement à faire passer les intérêts des membres du groupe proposé avant ceux d’autres vétérans. Aucun fait substantiel n’étaye l’affirmation du demandeur selon laquelle il existe un engagement implicite de la part du Canada, c’est‑à‑dire d’ACC, à le faire. Le demandeur fonde ce prétendu engagement implicite sur, d’une part, la manière dont il qualifie le mandat d’ACC, à savoir un engagement à [TRADUCTION] « veiller à ce que les vétérans qui tombent malades ou qui se blessent dans le cadre de leur service soient dédommagés d’une manière qui reflète leur valeur pour le pays », ce qui consiste notamment à les informer des prestations qui leur sont offertes et de la manière de présenter une demande en vue de maximiser leurs prestations, et, d’autre part, sur la [TRADUCTION] « situation unique » ou la vulnérabilité des membres du groupe proposé.

[173] Bien que le demandeur ait allégué qu’ils sont, lui et les membres du groupe proposé, vulnérables du fait de leur invalidité et que d’autres déposants et lui aient décrit leurs invalidités, leur vulnérabilité au contrôle qu’exerce ACC n’est pas suffisante pour établir l’existence d’une obligation fiduciaire (Elder Advocates, au para 203). Le demandeur n’a pas établi de faits qui font ressortir l’existence d’un engagement implicite d’ACC à agir au mieux des intérêts de ce groupe en faisant passer ces intérêts avant ceux d’autres vétérans ou d’autres personnes de façon plus générale, ainsi qu’à renoncer aux intérêts de tous les autres. La manière dont le demandeur interprète une réponse donnée par le déposant du défendeur ne fournit pas de faits qui étayent l’existence d’un engagement implicite de la part d’ACC à prendre soin des vétérans, à les indemniser et à leur fournir des renseignements leur permettant de maximiser leurs prestations ou d’un engagement à faire passer leurs intérêts avant ceux de tous les autres. Premièrement, la Cour n’examine pas et ne soupèse pas d’éléments de preuve pour déterminer si la cause d’action a été établie. Deuxièmement, le déposant du défendeur ne soutient pas qu’ACC donne préséance à ce groupe par rapport à d’autres vétérans qui sont admissibles à un éventail de prestations ou de services. Troisièmement, les circonstances ne sont pas les mêmes que dans l’affaire Jost, où l’administrateur du régime de pension avait tardé à verser aux pensionnés leurs pensions, auxquelles ils avaient manifestement droit.

[174] En résumé, la cause d’action du demandeur fondée sur l’allégation de manquement à une obligation fiduciaire n’a aucune chance raisonnable de succès. Il ressort clairement de la jurisprudence qu’il doit y avoir dans la loi applicable un engagement clairement formulé. Il n’en existe aucun dans la Loi sur le bien‑être des vétérans ou la loi qui l’a précédée. Ni le vaste mandat d’ACC ni la situation des membres du groupe proposé ne donne naissance à un engagement implicite à faire passer les intérêts de ces derniers avant ceux de tous les autres vétérans qui peuvent être également admissibles à d’autres prestations ou à une autre aide. Le fait que le demandeur allègue l’existence d’un engagement ne crée pas cet engagement, et le demandeur n’a pas établi l’existence de faits suffisants pour étayer les éléments de la cause d’action. Comme le signale le défendeur, la vulnérabilité de ce groupe de vétérans invalides alléguée par le demandeur pour étayer l’engagement ne suffit pas (Elder Advocates, aux para 28, 36, 57).

C. L’enrichissement sans cause

(1) Les observations du demandeur

[175] Le demandeur soutient une fois de plus que le Canada, en tant qu’administrateur des prestations, entretenait un lien spécial avec les membres du groupe proposé et était tenu envers eux d’agir au mieux de leurs intérêts. Il allègue que le Canada s’est enrichi en dépensant moins au titre de la PRS que si ACC avait correctement conseillé aux vétérans de demander l’APR dès qu’il leur était possible de le faire, de façon à maximiser leurs prestations. Il soutient que les membres du groupe proposé ont subi un appauvrissement correspondant parce qu’ils n’ont pas reçu la PRS ou ont reçu une PRS inférieure à celle qu’ils auraient dû recevoir.

[176] Selon le demandeur, la conduite d’ACC était contraire à la lettre et à l’esprit du régime législatif, qui ne précisait aucune mesure particulière que les vétérans devaient prendre pour obtenir la PRS ou qui n’exigeait aucune autorisation.

[177] Le demandeur affirme que la seule condition préalable à remplir pour avoir droit à l’APR était l’établissement d’un programme de réadaptation. Si le vétéran ne pouvait pas exercer un emploi rémunéré parce qu’il était déclaré ITP ou DCG, il avait droit à l’APR. Le demandeur ajoute que la Loi et le Règlement n’indiquent pas qu’un vétéran devrait présenter une demande d’APR même si le montant en question serait déduit.

[178] Le demandeur soutient que la décision McCrea c Canada (Procureur général), 2015 CF 592 [McCrea], qu’invoque le défendeur, se limite au contexte du paiement de prestations d’assurance‑emploi à d’éventuels demandeurs et n’établit pas qu’il ne peut jamais y avoir d’enrichissement lorsque les fonds proviennent du Trésor public. Il affirme que, si c’était le cas, le Canada ne pourrait jamais être coupable d’enrichissement sans cause. Il ajoute qu’on ignore encore si le Canada s’est enrichi parce qu’il est nécessaire de mener des interrogatoires préalables sur la question et qu’une grande partie de la preuve est entre les mains d’ACC.

[179] Le demandeur fait valoir que le Canada ne peut pas invoquer les dispositions législatives pour justifier, sur le plan juridique, l’enrichissement du Canada et l’appauvrissement des membres du groupe, car, à son avis, l’APR et la PRS n’ont pas été administrées d’une manière conforme à ces dispositions législatives. Selon lui, ACC a fait preuve de négligence dans la façon dont il a agi ou omis d’agir, et cette façon de se comporter était contraire à son obligation fiduciaire.

[180] Le demandeur soutient de plus qu’on ne peut pas encore déterminer s’il existe un motif juridique valable pour l’enrichissement du défendeur et l’appauvrissement des membres du groupe parce qu’il faut d’abord trancher des questions d’interprétation législative.

(2) Les observations du défendeur

[181] Le défendeur soutient que l’allégation d’enrichissement sans cause ne peut pas être retenue, car il ne s’est pas enrichi et la loi constitue un motif juridique justifiant tout prétendu enrichissement.

[182] Le défendeur signale que les fonds servant à verser la PRS proviennent du Trésor public, que le Canada ne s’enrichit pas en ne payant pas des montants qui proviennent du Trésor public. Il ajoute que, même si le Canada s’était enrichi, les dispositions législatives prévoient le motif juridique qui le justifie. La PRS a été payée conformément aux dispositions transitoires des modifications apportées en 2019 à la Loi sur le bien‑être des vétérans. Le régime législatif répond de manière complète à l’allégation d’enrichissement sans cause.

[183] Le défendeur prétend que le demandeur se trompe en affirmant qu’il n’y a aucune condition à remplir pour qu’une demande soit approuvée au titre du Programme de réadaptation ou pour être déclaré ITP ou DCG, ou que les membres du groupe n’avaient pas besoin de présenter une demande d’APR. Il signale que la loi énonce les conditions d’admissibilité au Programme de réadaptation ainsi qu’aux prestations. Il renvoie à l’article 25 de la Loi de 2006, qui énonce les conditions d’admissibilité à la PRS, et le paragraphe 18(4), qui confère au ministre le pouvoir de déterminer le statut d’ITP ou de DCG, ainsi que l’admissibilité à l’APR prolongée. Le Règlement prescrit la manière dont la PRS est calculée. Le défendeur soutient que les prestations ont été fixées d’une manière conforme aux dispositions législatives.

[184] Le défendeur signale que le demandeur n’a pas fait valoir que les renseignements concernant la manière de présenter une demande de PRS en vue de maximiser la prestation auraient dû être énoncés dans la loi et qu’il n’a pas indiqué quelles dispositions législatives ont mené au prétendu enrichissement sans cause.

(3) L’allégation d’enrichissement sans cause n’est pas une cause d’action valable

[185] La cause d’action du demandeur fondée sur l’allégation d’enrichissement sans cause n’a aucune chance raisonnable de succès.

[186] Dans l’arrêt Garland c Consumers’ Gas Co, 2004 CSC 25, la Cour suprême du Canada a énoncé, au paragraphe 30, les éléments de l’enrichissement sans cause :

En général, le critère applicable en matière d’enrichissement sans cause est bien établi au Canada. La cause d’action comporte trois éléments : (1) l’enrichissement du défendeur, (2) l’appauvrissement correspondant du demandeur et (3) l’absence de motif juridique justifiant l’enrichissement (Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834, p. 848; Peel (Municipalité régionale) c. Canada, [1992] 3 R.C.S. 762, p. 784).

[187] Au paragraphe 18 de l’arrêt Gladstone c Canada (Procureur général), 2005 CSC 21, la Cour suprême du Canada déclaré que « [l]’application des dispositions législatives constitue un “motif juridique” de refuser le recouvrement ».

[188] Comme l’a fait remarquer le défendeur, le demandeur n’a signalé aucune disposition législative qui a mené à l’enrichissement sans cause du Canada invoqué. Le demandeur n’allègue pas que la loi aurait dû indiquer de quelle façon les vétérans pouvaient maximiser leurs prestations.

[189] L’affirmation du demandeur selon laquelle il n’y avait aucune condition d’approbation dans le Programme de réadaptation (ou dans tout programme de réadaptation individuel) ou pour l’APR ne concorde pas avec les dispositions législatives. (Les prestations sont décrites aux paragraphes 8 à 17 des présents motifs, avec renvois aux dispositions législatives applicables, et il est expliqué qu’il y avait des [TRADUCTION] « portes d’entrée » – c’est‑à‑dire des conditions d’admissibilité au Programme de réadaptation – et des autorisations qui faisaient ensuite en sorte qu’un vétéran était admissible à présenter une demande d’APR.) L’affirmation du demandeur ne concorde pas non plus avec son propre récit et celui d’autres déposants, qui déclarent qu’à un certain moment ils ont présenté une demande, et que celle‑ci a été approuvée au titre du Programme de réadaptation, et qu’ils en ont fait de même pour l’APR. En outre, la définition que propose le demandeur pour le groupe fait mention de « tous les anciens membres […] qui ont obtenu l’autorisation de s’inscrire au Programme de réadaptation d’ACC, […] [et] dont la demande d’allocation pour perte de revenu (APR) a été approuvée, et qui la reçoivent […] » (non souligné dans l’original).

[190] Rien dans la loi n’exige que l’on fournisse des renseignements aux vétérans pour qu’ils puissent maximiser leurs prestations, et c’est de cela dont ils se plaignent; le demandeur n’allègue pas que les versements de la PRS en 2019 n’ont pas été calculés à partir du montant de l’APR reçue conformément aux dispositions législatives.

[191] Pour ce qui est de la question de savoir s’il peut y avoir enrichissement sans cause si les fonds proviennent du Trésor public, je suis d’accord avec le demandeur pour dire que l’affaire McCrea a pris naissance dans un contexte factuel différent. Il reste à déterminer s’il ne peut jamais y avoir d’enrichissement sans cause si l’argent destiné aux prestations ou aux paiements en litige est détenu dans le Trésor public. Cependant, la source des versements de la PRS demeure un point pertinent.

[192] En l’espèce, la PRS a été payée aux vétérans admissibles, conformément à des dispositions transitoires qui faisaient en sorte que les paiements étaient effectués avant que le vétéran atteigne l’âge de 65 ans, comme cela était prévu au départ. Comme on l’a vu précédemment, les vétérans admissibles n’ont pas été privés de la PRS lorsque celle‑ci a pris fin. De plus, d’autres programmes de prestations ont été lancés pour remplacer l’APR et la PRS, programmes auxquels ce même groupe de vétérans semblerait également être admissible. Dans ce contexte, l’enrichissement du Canada n’est pas évident.

[193] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les paiements de la PRS ont été faits conformément aux dispositions transitoires des modifications apportées en 2019 à la Loi sur le bien‑être des vétérans. L’argument du demandeur selon lequel les dispositions législatives ne peuvent pas constituer un motif juridique parce que le défendeur ne s’est pas acquitté de ses obligations et qu’il a agi de manière négligente et en violation d’une obligation fiduciaire est de nature circulaire. Dans la plupart des cas, ce type d’argument contrecarrerait un motif juridique.

IX. Le demandeur a‑t‑il établi un « certain fondement factuel » pour les autres conditions d’autorisation?

A. Les principes généraux

[194] Dans l’arrêt Greenwood, la Cour d’appel a expliqué au paragraphe 94 les quatre conditions d’autorisation qui restent :

Pour ce qui est des quatre dernières conditions d’autorisation (le groupe identifiable, les questions communes, le meilleur moyen de régler ces questions et la qualité des représentants demandeurs), il incombe aux demandeurs de produire des éléments montrant l’existence d’un « certain fondement factuel » prouvant que ces conditions sont remplies; voir Hollick, au paragraphe 25; Pro‑Sys, au paragraphe 99; et AIC Limitée c. Fischer, 2013 CSC 69, [2013] 3 R.C.S. 949 (Fischer), au paragraphe 40. La norme de preuve applicable est moins rigoureuse que celle de la prépondérance des probabilités, puisque l’étape de l’autorisation n’est pas l’étape où il convient de résoudre les différends quant à la preuve. Cela dit, cette norme moins rigoureuse nécessite quand même que le demandeur dépose suffisamment d’éléments de preuve pour convaincre le juge que les conditions d’autorisation sont réunies, de telle sorte que l’instance devrait être autorisée : Pro‑Sys, aux paragraphes 102–105. Comme l’a noté le juge en chef Winkler dans l’arrêt McCracken v. Canadian National Railway Company, 2012 ONCA 445, 111 O.R. (3d) 745, aux paragraphes 75–76, cité avec approbation par la Cour suprême dans l’arrêt Fischer, au paragraphe 41 :

Le principe posant qu’il faut établir un « certain fondement factuel » répond à deux préoccupations. Premièrement, tous les critères, hormis celui de la cause d’action, étayant l’ordonnance de certification doivent reposer sur une preuve.

Deuxièmement, dans l’esprit du régime procédural établi par la [Loi sur les recours collectifs], l’emploi du mot « certain » indique que la preuve n’a pas à être exhaustive et qu’il ne s’agit certainement pas d’une preuve propre à présider au débat sur le fond.

[195] Dans l’arrêt Pro‑Sys Consultants Ltd. c Microsoft Corporation, 2013 CSC 57 [Pro‑Sys], la Cour suprême du Canada a expliqué, aux paragraphes 101 et 102, que la norme fondée sur l’existence d’un « certain fondement factuel » n’exige pas que le demandeur établisse les conditions d’autorisation selon la prépondérance des probabilités, pas plus qu’il ne requiert « que le tribunal se prononce sur les éléments de fait et les éléments de preuve contradictoires ». La Cour a également signalé, au paragraphe 102, que chaque affaire doit être tranchée en fonction des faits qui lui sont propres.

[196] En d’autres termes, même si la Cour n’a pas à évaluer, à l’étape de l’autorisation, le bien‑fondé de l’allégation, mais doit plutôt chercher à savoir si l’action peut être autorisée en tant que recours collectif, elle doit néanmoins examiner jusqu’à un certain point le caractère suffisant des éléments de preuve.

D. Un groupe identifiable

[197] Comme on l’a vu, le demandeur a initialement proposé une définition du groupe qui englobait les membres qui [TRADUCTION] « seraient » ou [TRADUCTION] « auraient été » déclarés ITP ou DCG et qui [TRADUCTION] « auraient été » admissibles à l’APR. Le défendeur s’est opposé à la définition initiale du groupe proposé, faisant remarquer qu’elle n’était pas objective, car elle incorporait plusieurs évaluations subjectives dont celle de savoir les demandes de qui auraient été approuvées au titre du Programme de réadaptation et de l’APR et qui aurait été déclaré ITP ou DCG. Le défendeur a fait valoir que les membres du groupe éventuel auraient été incapables de s’auto‑identifier, et qu’il n’existe aucune preuve qu’ACC dispose des renseignements nécessaires pour déterminer l’appartenance à la catégorie à partir de cette définition subjective.

[198] À l’audition de la présente requête, le demandeur a pris acte des doutes du défendeur et a proposé une définition modifiée du groupe, qui est énoncée dans son projet de nouvelle déclaration modifiée.

[199] Le demandeur soutient que des groupes semblables ont été autorisés au nom de membres et de vétérans des FAC. Il déclare également qu’il devrait être possible de déterminer l’appartenance à un groupe en se reportant à des documents, des dossiers et des notes du gouvernement. Par exemple, selon les données d’ACC, 10 884 vétérans ou survivants ont été identifiés pour les versements de la PRS en 2019.

[200] Le demandeur renvoie également à son affidavit et à ceux des autres vétérans, où ils déclarent avoir reçu des renseignements incomplets ou erronés d’ACC quant à leur admissibilité à la PRS. Les avocats du demandeur ont fait savoir qu’ils étaient entrés en contact avec plusieurs autres vétérans d’un peu partout au Canada, qui ont signalé qu’ils se reconnaissent dans le groupe proposé.

[201] Dans la décision Paradis Honey c Canada, 2017 CF 199 [Paradis Honey CF], la Cour a expliqué, aux paragraphes 23 à 25, les critères relatifs à un groupe identifiable :

[23] Dans l’arrêt Hollick c. Toronto (Ville), 2001 CSC 68, [2001] 3 R.C.S. 158 (Hollick), une instance survenue peu de temps après l’arrêt WCSC, précité, la Cour suprême du Canada a déclaré que trois critères permettent de conclure qu’un groupe est « identifiable » : 1) le groupe doit être défini en recourant à un critère objectif, 2) le groupe doit être défini sans se référer au fond de l’action et 3) il doit exister un lien rationnel entre la définition proposée du groupe et les questions communes énoncées.

[24] Il incombe au représentant demandeur proposé d’établir que le groupe est défini de manière suffisamment étroite, de sorte à respecter ces critères (Hollick, précité, au paragraphe 20). Dans son interprétation de l’évolution historique des recours collectifs, la Cour suprême du Canada a indiqué qu’il convient d’interpréter libéralement la loi sur les recours collectifs (Hollick, au paragraphe 14); le représentant n’a donc pas un fardeau exigeant. Le représentant n’est pas tenu de « montrer que tous les membres du groupe partagent le même intérêt dans le règlement de la question commune énoncée » [souligné dans l’original]; il doit cependant montrer que le groupe n’est pas « inutilement large » (souligné dans l’original) (Hollick, au paragraphe 21).

[25] Qui plus est, il est clairement indiqué dans l’arrêt WCSC que le critère selon lequel il doit exister un lien rationnel entre les questions communes et le groupe proposé doit être abordé en fonction de l’objet, de sorte qu’il « n’est pas essentiel que les membres du groupe soient dans une situation identique par rapport à la partie adverse », mais que « leur résolution règle les demandes de chaque membre du groupe » (WCSC, au paragraphe 39).

[202] Je conclus que le demandeur s’est acquitté de son fardeau de définir le groupe proposé d’une manière qui reflète les critères établis dans la jurisprudence. La définition formulée dans le projet de nouvelle déclaration modifiée comporte des critères objectifs qui permettent aux membres du groupe de déterminer facilement s’ils appartiennent ou non à ce groupe. Les critères sont suffisamment étroits : d’anciens membres des FAC, dont la demande d’inscription au Programme de réadaptation a été approuvée, qui ont été déclarés ITP ou DCG, dont la demande d’APR a été approuvée, et, en conséquence, qui ont reçu la PRS, de même que leurs survivants ayant reçu la PRS. Même s’il reste à déterminer les chiffres exacts, le groupe existe aujourd’hui, et ce, sans égard à l’issue du litige. De plus, il y a un lien rationnel entre les points communs proposés et la définition du groupe. La situation des membres du groupe n’est pas exactement la même pour chacun d’eux, mais il existe un certain fondement factuel tendant à indiquer que ces personnes ont eu des échanges semblables avec ACC au sujet de leurs prestations.

[203] Le demandeur et le défendeur conviennent également que la période visée par le recours collectif proposé s’étend du 1er avril 2006 au 1er octobre 2016 (date à laquelle l’APR a été majorée à 90 % et le complément est devenu disponible), plutôt qu’au 31 mars 2019, comme il a été proposé au départ.

C. Les allégations soulèvent‑elles des points de droit ou de fait communs?

(1) Les observations du demandeur

[204] Comme on l’a vu, la prétention principale du demandeur est que la conduite d’ACC était systémique. Le demandeur soutient qu’ACC a omis de lancer une campagne de sensibilisation proactive pour informer les bénéficiaires des prestations d’ILD‑FAC qu’ils devaient présenter une demande d’APR, et que les travailleurs de première ligne étaient insuffisamment formés. En raison de leur formation lacunaire, ces derniers ne comprenaient pas bien les programmes et leurs interrelations, et ils n’ont de ce fait eu cesse de donner des renseignements erronés ou de mauvais conseils, en particulier qu’il n’y avait aucun avantage pour les bénéficiaires des prestations d’ILD‑FAC à présenter une demande d’APR.

[205] Le demandeur soutient que le caractère commun des questions découle de la nature systémique de la conduite d’ACC. Il est donc possible de trancher ces questions de manière générale sans se reporter à des circonstances particulières. Il ajoute qu’il est nécessaire de régler les points communs pour régler la demande de chaque membre du groupe proposé et que cela évitera le dédoublement de recherches des faits et d’analyses juridiques, indépendamment des questions particulières qu’il restera à trancher.

[206] Selon le demandeur, il n’est pas vrai que chaque membre du groupe sera tenu de prouver qu’il s’est fondé sur une déclaration d’ACC. Il est au contraire d’avis que les membres du groupe se sont fiés à ACC pour obtenir des conseils et des renseignements.

[207] Comme on l’a vu, le demandeur fait valoir que les actes et les omissions d’ACC sont contraires à l’engagement qu’a pris ce dernier à aider les vétérans à obtenir les prestations auxquelles ils avaient droit. Le demandeur soutient en outre que les employés et les gestionnaires de cas d’ACC ne comprenaient pas le programme de l’APR et la façon dont la PRS était calculée. Il dit avoir établi qu’il existe un certain fondement factuel tendant à indiquer que l’action soulève des points communs, et il renvoie à son affidavit et à ceux d’autres déposants, au rapport du BOV, au rapport de 2010 d’ACC, intitulé Évaluation de la Nouvelle Charte des anciens combattants, Phase II, à d’autres rapports émanant du gouvernement, ainsi qu’au rapport d’expert de M. Errol Soriano sur les moyens possibles de calculer des dommages‑intérêts globaux.

[208] Le demandeur soutient que la réponse du gouvernement au rapport du BOV importe peu : ce rapport établit un certain fondement factuel concernant l’existence de problèmes systémiques ou généralisés dans la fourniture de renseignements aux vétérans au sujet de leurs prestations. Le demandeur rappelle que la Cour ne peut pas soupeser d’éléments de preuve pour évaluer si les conditions justifiant l’autorisation ont été ou non réunies.

[209] Le demandeur ajoute que, même abstraction faite du rapport du BOV ou d’autres rapports, son affidavit et les affidavits d’autres vétérans établissent un fondement pour son allégation selon laquelle leurs expériences n’étaient pas isolées.

[210] Le demandeur soutient que toutes les allégations des membres du groupe comportent des éléments communs. Toutes les questions découlent du défaut d’ACC de prodiguer des conseils aux vétérans afin de s’assurer qu’ils comprenaient la PRS et la manière dont cette prestation serait calculée.

[211] Le demandeur soutient de plus que les questions relatives à l’obligation de diligence ont trait à la conduite systémique ou généralisée d’ACC et qu’elles peuvent être tranchées sans tenir compte de la situation de chaque membre du groupe. Les points communs qui se rapportent à l’obligation fiduciaire et au manquement éventuel à cette obligation ont également trait à cette conduite systémique et généralisée, et il est possible de les trancher de manière générale. Les points relatifs à l’enrichissement sans cause concernent le groupe dans son ensemble.

[212] Le demandeur soutient également que la question de savoir si un préjudice a été subi et si la Cour peut l’évaluer de manière globale peut être tranchée sans recourir à des évaluations individuelles. Il se fonde sur le rapport de M. Soriano, qui décrit plusieurs méthodes possibles pour évaluer les dommages‑intérêts globaux, et il souligne qu’il est possible de parfaire la méthode à mesure que le litige progresse.

[213] Le demandeur propose les points communs suivants :

(2) Les observations du défendeur

[214] Le défendeur soutient que le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau d’établir qu’un recours collectif réglerait des points de droit ou de fait qui sont communs à tous les membres du groupe.

[215] Le défendeur réitère qu’il n’existe aucun fondement factuel à l’allégation selon laquelle la conduite d’ACC était systémique, c’est‑à‑dire qu’il n’y avait pas de procédures opérationnelles ou de gestion adéquates et que les représentants d’ACC informaient systématiquement les vétérans touchant des prestations du régime d’ILD‑FAC qu’ils n’avaient aucun avantage à présenter une demande d’APR.

[216] Le défendeur signale que le rapport du BOV fait mention de « ce qui pourrait être un problème systémique », mais ce commentaire était fondé sur une unique plainte, formulée par M. Bruyea. Le défendeur fait également remarquer que le ministre des Anciens Combattants n’a pas souscrit au rapport du BOV et à ses recommandations. Le ministre a fourni une réponse complète, signalant le travail utile du BOV, mais concluant que, pour ce qui était des questions dont traitait le BOV, AAC avait fait de sérieux efforts pour informer les vétérans des prestations auxquelles ils avaient droit, dont la PRS.

[217] Le défendeur ajoute que plusieurs des autres rapports que le demandeur a produits ne font pas référence à la PRS et que d’autres comportent des mises en garde quant à leur importance statistique.

[218] Le défendeur soutient que le seul fondement factuel possible pour les points communs est énoncé dans les affidavits d’éventuels membres du groupe. Cependant, les descriptions que font les déposants soulignent le caractère individuel de chaque réclamation : tous les déposants ont décrit des échanges différents avec AAC, dont un qui ne savait même pas s’il aurait dû toucher d’autres prestations.

[219] Le défendeur soutient que si la Cour conclut qu’il existe une cause d’action valable fondée sur l’allégation de déclaration inexacte faite par négligence, l’analyse de l’obligation de diligence reposera sur les déclarations faites par ACC à des membres particuliers du groupe ainsi que sur le fait qu’ils se sont fondés sur les déclarations. Cela requiert une analyse au cas par cas.

[220] Le défendeur soutient que l’allégation selon laquelle ACC a présenté de manière erronée les conditions d’admissibilité à la PRS ne vise pas une déclaration unique et commune faite à tous les membres du groupe. Il signale que les vétérans ont eu accès aux renseignements de façons diverses et à des moments différents et qu’ACC a fourni des renseignements à des moments différents et de manière différente à divers groupes de vétérans (notamment au moyen de publications). Cela donne à penser que les prétendus renseignements erronés auraient varié selon les personnes. Il n’existe aucun point commun pour trancher les questions de fait et de droit soulevées.

[221] Le défendeur est également d’avis que les questions du lien de causalité et des préjudices subis dépendent de conclusions de fait qui sont propres à chaque demandeur et qu’elles ne peuvent pas être réglées de façon collective. Il ajoute que le demandeur a omis de fournir un moyen viable d’évaluer les préjudices subis de manière globale. Le rapport de l’expert du demandeur, M. Soriano, n’énonce aucune méthode réaliste et est fondé sur une compréhension insuffisante des prestations et des réclamations.

[222] Le défendeur ajoute que le plan de déroulement de l’instance proposé – qui n’explique pas le processus à suivre pour trancher les points communs et les points individuels qui restent – est une preuve de plus que le demandeur n’a pas satisfait aux critères relatifs à l’établissement de points communs ni démontré qu’un recours collectif est le meilleur moyen de procéder.

(3) Il existe des points communs

[223] Dans l’arrêt Wenham c Canada (Procureur général), 2018 CAF 199, la Cour d’appel fédérale a cité, au paragraphe 72, le critère énoncé dans l’arrêt Western Canadian Shopping Centres Inc c Dutton, 2001 CSC 46, au paragraphe 39 [WCSC], et a décrit la tâche qui incombe à la Cour à cette étape-ci du processus d’autorisation :

De plus, l’objectif de cette étape de la détermination de l’autorisation n’est pas de déterminer les questions communes, surtout pas sans un dossier complet et des observations juridiques complètes sur la question, mais plutôt d’évaluer si la résolution de la question est nécessaire pour régler la demande de chaque membre du groupe. Plus précisément, les exigences sont les suivantes :

[...] Il faut aborder le sujet de la communauté en fonction de l’objet. La question sous‑jacente est de savoir si le fait d’autoriser le recours collectif permettra d’éviter la répétition de l’appréciation des faits ou de l’analyse juridique. Une question ne sera donc « commune » que lorsque sa résolution est nécessaire pour le règlement des demandes de chaque membre du groupe. Il n’est pas essentiel que les membres du groupe soient dans une situation identique par rapport à la partie adverse. Il n’est pas nécessaire non plus que les questions communes prédominent sur les questions non communes ni que leur résolution règle les demandes de chaque membre du groupe. Les demandes des membres du groupe doivent toutefois partager un élément commun important afin de justifier le recours collectif. Pour décider si des questions communes motivent un recours collectif, le tribunal peut avoir à évaluer l’importance des questions communes par rapport aux questions individuelles. Dans ce cas, le tribunal doit se rappeler qu’il n’est pas toujours possible pour le représentant de plaider les demandes de chaque membre du groupe avec un degré de spécificité équivalant à ce qui est exigé dans une poursuite individuelle.

[224] Les points communs que propose le demandeur découlent de ses allégations initiales de négligence systémique, de manquement à une obligation fiduciaire et d’enrichissement sans cause. Comme je l’ai déjà dit, j’ai conclu que la seule cause d’action valable est l’allégation de déclaration inexacte faite par négligence. Cependant, les points communs que propose le demandeur et la justification invoquée dans le contexte des allégations de comportement systémique appuient également l’existence de quelques points communs qui se rapportent à la question de savoir si la conduite d’ACC est assimilable à une déclaration inexacte faite par négligence.

[225] Même si le défendeur a signalé que le rapport du BOV ne reposait que sur une unique plainte et que le ministère n’y a pas souscrit et, de façon plus générale, que les autres rapports sur lesquels le demandeur se fonde sont dénués de pertinence ou d’importance statistique, le rôle de la Cour à ce stade n’est pas d’évaluer et de soupeser la preuve. Le demandeur peut se fonder sur les rapports pour établir l’existence d’un certain fondement factuel relativement aux conditions d’autorisation – à part l’obligation d’établir une cause d’action valable (Greenwood, aux para 91 et 96). Les rapports présentent effectivement un certain fondement factuel tendant à indiquer que quelques vétérans n’ont peut‑être pas reçu les renseignements nécessaires, que quelques vétérans ont trouvé que les renseignements prêtaient à confusion ou que quelques vétérans ont mal compris les renseignements qu’ils avaient reçus. Sans évaluer leur véracité ou leur valeur probante, ces rapports soulignent à tout le moins que la fourniture de renseignements aux vétérans suscitait des préoccupations.

[226] Même sans prendre en considération les rapports, les descriptions que donnent les déposants de leurs échanges avec des gestionnaires de cas d’ACC ou d’autres représentants fournissent un certain fondement factuel pour les points communs qui se rapportent à la relation générale qu’entretenaient les membres du groupe avec ACC : la question de savoir si ACC avait une obligation quelconque envers les membres du groupe, la portée de cette obligation, le cas échéant, et la question de savoir si les membres du groupe ont subi un préjudice ou une perte. Comme il est signalé dans le résumé de leur preuve, les déposants décrivent tous leurs échanges avec ACC, certains déclarent ne pas être au courant du lien entre l’APR et le calcul de la PRS, et plusieurs disent avoir été informés ou avoir conclu qu’il n’y avait aucun avantage à présenter une demande d’APR, car celle‑ci serait neutralisée par les prestations d’ILD‑FAC.

[227] Les points communs feront progresser l’instance et régleront des aspects importants des allégations des membres du groupe, notamment la question de savoir s’il existait une obligation de diligence. Même s’il sera nécessaire d’évaluer la relation de chaque membre du groupe avec ACC, les renseignements recherchés et fournis, la mesure dans laquelle les vétérans se sont fiés aux renseignements fournis et les droits particuliers qui sont reconnus, le cas échéant, aux membres du groupe, la réclamation des membres du groupe comprend des « éléments communs ».

[228] Les points communs sont énoncés dans l’ordonnance qui suit. Ces points se rapportent uniquement à la cause d’action fondée sur l’allégation de déclaration inexacte faite par négligence. Les points que le demandeur a proposés au sujet du manquement allégué à une obligation fiduciaire et de l’enrichissement sans cause allégué ne figurent pas dans l’ordonnance, car ces deux causes d’action n’ont aucune chance raisonnable de succès.

[229] Les points que propose le demandeur au sujet de la question de savoir s’il convient d’accorder une restitution et des dommages‑intérêts punitifs ne sont pas communs, car le demandeur n’en a pas traité.

[230] Pour ce qui est de l’évaluation de dommages‑intérêts globaux, le demandeur se fonde sur le rapport de M. Soriano, qui déclare qu’il existe une méthode pour déterminer individuellement et globalement les pertes. Je prends acte des préoccupations du défendeur quant à l’imprécision de la méthode proposée et à la mauvaise compréhension possible qu’a M. Soriano des prestations qui sont en litige. Je conclus toutefois que M. Soriano a fourni un certain fondement factuel tendant à indiquer que le préjudice subi peut être évalué de manière globale. Cette méthode peut être révisée à l’aide de données supplémentaires dont ACC dispose vraisemblablement.

[231] Comme l’a souligné le défendeur, les points communs qui se rapportent à l’application de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C‑50, doivent figurer dans l’ordonnance, notamment la question de savoir si l’article 9 exclut une partie ou la totalité des réclamations des membres du groupe, et le délai de prescription applicable.

[232] Il sera peut-être nécessaire de réviser les points communs à mesure que l’instance évoluera. Cela pourra se faire dans le cadre du processus de gestion de l’instance. Pour reprendre les mots de l’arrêt Buffalo c Nation Crie de Samson, 2010 CAF 165, au paragraphe 12 :

Je conviens que les tribunaux peuvent être très actifs et souples lorsqu’ils sont saisis d’une requête en autorisation ou après qu’ils y ont fait droit, en raison de la nature complexe et dynamique des recours collectifs. Par exemple, ils doivent toujours être ouverts aux modifications touchant des aspects comme la définition du groupe, les points communs et le plan relatif au litige du représentant demandeur, et ils peuvent jouer un rôle clé dans la gestion de l’instance.

D. Le recours collectif est-il le meilleur moyen de procéder?

(1) Les observations du demandeur

[233] Le demandeur soutient que le fait de poursuivre la présente action en tant que recours collectif offre aux membres du groupe un moyen de surmonter les obstacles auxquels ils se heurtent pour obtenir accès à la justice, comme leurs invalidités psychologiques, cognitives et physiques, ainsi que le coût prohibitif d’un litige individuel. Il ajoute que des actions individuelles feraient double emploi, seraient inefficaces et risqueraient de mener à des résultats incohérents. Il prétend que les points communs l’emportent sur les points individuels. Il allègue en outre qu’un recours collectif est nécessaire pour favoriser une modification de comportement et faire ressortir le défaut de longue date du Canada de bien soutenir les vétérans malades ou blessés.

[234] Le demandeur ajoute que le défendeur n’a présenté aucune solution de rechange viable ou préférable à un recours collectif.

(2) Les observations du défendeur

[235] Le défendeur nie que le demandeur a établi un certain fondement factuel tendant à indiquer qu’un recours collectif est une option équitable, efficace et gérable, et que celle‑ci est préférable à d’autres moyens raisonnables de régler les réclamations des membres du groupe, eu égard aux objectifs d’économie des ressources judiciaires, d’accès à la justice et de modification du comportement.

[236] Le défendeur soutient que les points communs doivent être considérés par rapport à l’ensemble de la réclamation.

[237] Le défendeur allègue qu’un recours collectif n’est pas le meilleur moyen de régler une allégation de déclaration inexacte faite par négligence. Il soutient qu’il y a trop de différences entre les circonstances individuelles des membres du groupe. Il serait nécessaire de tenir un nombre élevé de procès individuels pour régler les questions de la confiance, du lien de causalité, du préjudice subi et des moyens de défense fondés sur la prescription – questions qui requièrent toutes une constatation des faits de façon individuelle. Il allègue de plus qu’il sera nécessaire de déterminer quelles déclarations ont été faites, à quel moment et par qui. En outre, il faudrait déterminer de quelle manière chaque membre du groupe proposé a compris les renseignements communiqués et s’il a donné suite à ces renseignements, s’il a demandé de plus amples conseils, s’il a tardé à présenter une demande ou s’il ne répondait pas aux critères d’admissibilité à l’APR ou à la PRS. Ces déterminations individuelles pèseront lourdement sur les avantages d’un recours collectif et les mineront, notamment en ce qui concerne l’économie des ressources judiciaires et l’accès à la justice.

[238] Dans ses observations de vive voix, le défendeur a déclaré que les vétérans auraient pu demander une révision individuelle des décisions relatives à leur admissibilité au Programme de réadaptation, à l’APR ou à la PRS. Il a également soutenu que, conformément aux Règles des Cours fédérales, des actions individuelles auraient pu être lancées, et ensuite regroupées et entendues ensemble, ou une seule action aurait pu être instruite pendant que les autres restaient en suspens. Il a également affirmé qu’un point de droit commun pourrait être proposé et réglé et qu’il pourrait guider d’autres actions. Le défendeur a signalé que les considérations d’accès à la justice ne justifient pas toujours la poursuite d’un recours collectif, lorsqu’il ne s’agit pas par ailleurs du meilleur moyen de procéder.

(3) Le demandeur a établi qu’il existe un certain fondement factuel tendant à indiquer qu’un recours collectif est le meilleur moyen de procéder

[239] Le paragraphe 334.16(2) des Règles (dont le texte a été reproduit précédemment) prescrit à la Cour de prendre en compte tous les facteurs pertinents pour décider si le recours collectif est le meilleur moyen de régler les points de droit ou de fait communs de façon juste et efficace, et il énonce une liste non exhaustive de considérations.

[240] Au paragraphe 96 de la décision Paradis Honey CF, la Cour a traité du paragraphe 334.16(2) des Règles et résumé les principes établis dans la jurisprudence quant au meilleur moyen de procéder :

[96] La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt AIC Limitée c. Fischer, 2013 CSC 69, [2013] 3 R.C.S. 949 (AIC), aux paragraphes 19 à 23, établit un certain nombre de principes à utiliser pour déterminer si le recours collectif est [le] meilleur moyen :

1) Le point de départ est la disposition législative applicable. Le critère du meilleur moyen est assez large pour englober tous les moyens raisonnables offerts pour régler les demandes des membres du groupe, notamment les voies de droit autres que les poursuites judiciaires.

2) La cour doit considérer les questions communes dans le contexte général de l’action et, dans la comparaison du recours collectif avec d’autres voies de droit possibles, il importe de recourir à une analyse pratique tenant compte des coûts et des avantages et de prendre en considération l’incidence d’un recours collectif sur les membres du groupe, les défendeurs et le tribunal.

3) L’analyse relative au meilleur moyen s’effectue à la lumière des trois principaux objectifs du recours collectif. Les trois principes objectifs du recours collectif sont les suivants : 1) l’économie des ressources, 2) la modification des comportements et 3) l’accès à la justice. Il s’agit d’un exercice comparatif et la question à laquelle il faut ultimement répondre est celle de savoir s’il existe des moyens préférables de régler les demandes, non pas si le recours collectif projeté réalisera pleinement ces objectifs.

[241] La prise en compte de tous les points pertinents, dont ceux énoncés au paragraphe 334.16(2) des Règles, vient appuyer la conclusion que le recours collectif proposé servira les objectifs de l’économie des ressources judiciaires et de l’accès à la justice, et peut‑être celui d’une modification de comportement. Le demandeur a établi qu’il existe un certain fondement factuel tendant à indiquer que le recours collectif est le meilleur moyen de procéder, même s’il n’est peut‑être pas parfait.

[242] Il semble ne pas y avoir d’autres options possibles. Le défendeur a déclaré que les membres du groupe pourraient demander une révision des décisions individuelles prises au sujet de leur paiement de PRS, mais cela n’est pas possible. Le délai prévu pour une telle révision est limité et il a expiré. De plus, vu les allégations du demandeur selon lesquelles les membres du groupe n’ont pas bien compris la manière dont la PRS était calculée et n’avaient pas présenté à la première occasion une demande d’APR en raison de l’absence de renseignements, des renseignements erronés donnés ou d’une mauvaise compréhension, l’affirmation selon laquelle les membres du groupe auraient dû demander une révision du paiement de la PRS au moment pertinent semble passer à côté de leur plainte sous‑jacente.

[243] La prétention du défendeur selon laquelle les membres du groupe pourraient maintenant engager des actions individuelles, que l’on pourrait ensuite regrouper, ne règle pas la question des dépens ou du fardeau que représentent des actions individuelles pour les membres du groupe. Comme le mentionne le demandeur, certains membres du groupe ne poursuivront vraisemblablement pas une action en raison du coût et du stress que cela représente et, de ce fait, ils renonceraient aux prestations auxquelles ils ont peut‑être droit.

[244] Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que le défendeur n’a présenté aucune solution de rechange viable ou préférable à un recours collectif. Aucune des options que le défendeur a suggérées – dans sa plaidoirie seulement – ne réglerait les obstacles à l’accès à la justice ou ne permettrait de parvenir aussi efficacement à la réparation voulue que le recours collectif.

[245] Bien qu’il puisse y avoir d’autres options disponibles pour régler au moins quelques points qui sous‑tendent l’action, elles n’ont pas été proposées.

[246] Un recours collectif n’est pas, sur le plan procédural, parfait, car il subsistera à sa conclusion plusieurs points individuels à régler et il sera nécessaire de procéder à des évaluations individuelles, notamment à propos des échanges entre ACC et les membres du groupe et de la question de savoir si les membres du groupe satisfaisaient aux critères d’admissibilité à l’APR prolongée et à la PRS, et à quel moment. Je suis consciente qu’il serait nécessaire aussi de déterminer de manière individuelle la mesure dans laquelle un membre du groupe s’est fié à une déclaration particulière, la cause de la perte et les délais de prescription applicables, notamment. Toutefois, dans le contexte de l’action dans son ensemble (Paradis Honey CF, au para 96), comparativement aux autres possibilités qui ont été suggérées, lesquelles semblent ne pas être réalistes, et compte tenu des coûts et bénéfices et des aspects pratiques en cause, le recours collectif constitue le meilleur moyen de procéder.

[247] Comme il a été signalé plus tôt, le règlement de points communs importants, dont celui de savoir si ACC avait une obligation de diligence envers les membres du groupe, ouvrira la voie aux évaluations individuelles. Sans cela, chaque membre du groupe qui poursuivrait une action individuelle – si tant est que cela soit même possible – serait tenu d’établir tous les éléments de sa demande. Si un membre du groupe obtenait gain de cause en fin de compte, la somme qui lui serait adjugée serait vraisemblablement fort modeste par rapport aux coûts du litige et au temps et au stress qui accompagnent le processus judiciaire.

(4) M. Bruyea est un représentant demandeur adéquat

[248] M. Bruyea soutient qu’il représenterait de manière juste et adéquate les intérêts du groupe et qu’il a démontré une volonté sincère d’agir au mieux des intérêts de ce groupe. Il déclare qu’il n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe à l’égard des points communs, et il a présenté un projet de plan de déroulement de l’instance et la convention d’honoraires conclue avec ses avocats.

[249] Il ajoute que le plan de déroulement de l’instance répond aux exigences du sous‑alinéa 334.16(1)e)(i) et précise que son plan reste à parfaire et que cela pourrait se faire au besoin dans le cadre du processus de gestion de l’instance.

[250] Le défendeur ne conteste pas que M. Bruyea est un représentant demandeur adéquat s’il est conclu que les autres conditions d’autorisation sont réunies. Il affirme cependant qu’il est nécessaire que le plan de déroulement de l’instance tienne compte, entre autres choses, du dépôt d’éventuelles requêtes et prévoit des délais plus raisonnables pour la production de documents.

[251] Dans l’arrêt WCSC, la Cour suprême du Canada a déclaré ceci au paragraphe 41 :

Quand le tribunal évalue si le représentant proposé est adéquat, il peut tenir compte de sa motivation, de la compétence de son avocat et de sa capacité d’assumer les frais qu’il peut avoir à engager personnellement (par opposition à son avocat ou aux membres du groupe en général). Il n’est pas nécessaire que le représentant proposé soit un modèle type du groupe ni qu’il soit le meilleur représentant possible. Le tribunal devrait toutefois être convaincu que le représentant proposé défendra avec vigueur et compétence les intérêts du groupe.

[252] La Cour convient que M. Bruyea est un demandeur représentant adéquat. Ce dernier a démontré qu’il répond aux critères énoncés à l’alinéa 334.16(1)e) des Règles et qu’il correspond à la description qui est faite d’un tel demandeur dans l’arrêt WCSC.

[253] Pour ce qui est du plan de déroulement de l’instance proposé, comme le défendeur le signale, le calendrier des prochaines étapes doit être modifié, car il ne prévoit pas des délais raisonnables, notamment pour la production de documents par le défendeur, et il ne traite pas de la possibilité que ce dernier dépose des requêtes. Le plan de déroulement de l’instance est qualifié dans le meilleur de cas d’« ébauche ». À ce stade du litige, il suffit de planifier les prochaines étapes de manière générale. Le plan de déroulement de l’instance devra être modifié à mesure que l’instance progressera, ce qui pourra se faire dans le cadre du processus de gestion de l’instance.

X. Conclusion

[254] En conclusion, je suis d’avis que les conditions d’autorisation ont été réunies. L’ordonnance de la Cour reflète les exigences du paragraphe 334.17(1) des Règles. Elle inclut les points communs qui sont autorisés, lesquels se limitent à ceux qui se rapportent à la cause d’action fondée sur l’allégation de déclaration inexacte faite par négligence, et elle ajoute des points concernant la question de savoir si la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif interdit une partie ou la totalité des réclamations, ainsi que les délais de prescription applicables. La définition du groupe est celle qui est énoncée dans le projet de nouvelle déclaration modifiée du demandeur. La période visée s’étend du 1er avril 2006 au 1er octobre 2016. Les questions du moment et de la manière dont des membres du groupe pourront s’exclure du recours collectif seront traitées dans le cadre du processus de gestion de l’instance, et il est possible qu’une ordonnance supplémentaire soit rendue.

[255] Les points communs et le plan de déroulement de l’instance de même que d’autres questions de nature procédurale pourront être examinés et révisés au besoin dans le cadre du processus de gestion de l’instance, après l’autorisation. Par exemple, le plan de déroulement de l’instance doit prévoir le dépôt de requêtes par le défendeur et des délais raisonnables pour la production de documents.


ORDONNANCE dans le dossier T‑1106‑20

LA COUR ORDONNE :

  1. La présente action est par la présente autorisée comme recours collectif contre Sa Majesté le Roi, conformément au paragraphe 334.16(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106.
  2. Le groupe est défini comme suit :

Tous les anciens membres des Forces armées canadiennes (vétérans) :

1. qui ont obtenu l’autorisation de s’inscrire au Programme de réadaptation d’ACC, parrainé et administré par le défendeur;

2. qui ont été déclarés en situation d’incapacité totale et permanente ou qui ont subi une diminution de la capacité de gain, selon la définition qui en est donnée dans les programmes parrainés et administrés par le défendeur, y compris les vétérans dont la demande au titre du régime d’ILD‑FAC a été approuvée et ont été déclarés « totalement invalides »;

3. dont la demande d’allocation pour perte de revenus (APR) a été approuvée, et qui la reçoivent, cette allocation étant parrainée et administrée par le défendeur, indépendamment du fait que le paiement [le montant de l’APR devant leur être versé] aurait été neutralisé par d’autres revenus ou paiements;

et qui, de ce fait, ont reçu la prestation de retraite supplémentaire, ainsi que les survivants des vétérans, dans le cas où ces survivants ont reçu la prestation de retraite supplémentaire dans le cadre du régime législatif et des programmes du défendeur.

  1. La nature générale des allégations formulées au nom du groupe a trait à la négligence dont le défendeur aurait fait preuve lorsqu’il a renseigné les membres du groupe sur l’allocation pour perte de revenus [l’APR] et la prestation de retraite supplémentaire [la PRS].
  2. La réparation que demande le groupe est la suivante :
  • a)les arriérés de paiements et d’autres pertes;

  • b)des dommages‑intérêts généraux;

  • c)des dommages‑intérêts spéciaux;

  • d)les dépenses remboursables et les débours;

  • e)une ordonnance concernant l’évaluation globale du préjudice subi et la réparation pécuniaire, et la distribution de celle‑ci au demandeur et aux membres du groupe;

  • f)les intérêts avant et après jugement;

  • g)les frais d’avis et d’administration du plan de distribution du recouvrement obtenu dans le cadre de la présente action, plus les taxes applicables;

  • h)les dépens.

  1. Les points de droit ou de fait communs qui suivent sont autorisés :
  • a)Le défendeur, à titre de promoteur et d’administrateur du programme de la PRS, avait-il une obligation de diligence envers les membres du groupe pour ce qui était de les informer convenablement des conditions d’admissibilité à la PRS ainsi que des mesures qu’ils devaient prendre pour maximiser la PRS à laquelle ils avaient droit?

b) Si le défendeur avait une obligation de diligence envers les membres du groupe, a‑t‑il contrevenu à la norme de diligence?

c) Si le défendeur a contrevenu à la norme de diligence, les membres du groupe ont‑ils subi un préjudice en raison de son manquement?

d) En ce qui concerne le préjudice subi par les membres du groupe, la question du lien de causalité peut‑elle être tranchée en tant que point commun?

e) L’article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif interdit-il une partie ou la totalité des réclamations formulées par les membres du groupe?

f) Quel est le délai de prescription qui s’applique aux réclamations des membres du groupe?

g) Les membres du groupe ont-ils droit à des intérêts?

h) Le préjudice subi par les membres du groupe peut-il être évalué de manière globale et, dans l’affirmative, à combien peut-on le chiffrer?

i) Faudrait‑il ordonner la distribution de la réparation pécuniaire aux membres du groupe et, dans l’affirmative, quelle méthode faudrait‑il utiliser?

  1. Sean Bruyea est nommé représentant demandeur.
  2. Murphy Battista LLP est le cabinet d’avocats qui représente le groupe.
  3. Les questions du moment et de la manière dont des membres du groupe pourront s’exclure du recours collectif seront traitées ultérieurement dans le cadre du processus de gestion de l’instance.
  4. La forme, les modalités et la teneur de l’avis d’autorisation feront l’objet d’une autre ordonnance de la Cour.
  5. La présente ordonnance est rendue sans dépens, conformément à l’article 334.39 des Règles.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1106‑20

 

INTITULÉ :

SEAN BRUYEA c SA MAJESTÉ LE ROI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

LES 6, 7 ET 8 JUIN 2022 – OBSERVATIONS APRÈS AUDIENCE REÇUES LE 20 JUILLET 2022

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 17 OCTOBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Angela Bespflug

Janelle O’Connor

 

pour Le demandeur

 

Gregory Tzemenakis

Sadian Campbell

James Soldatich

pour Le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Murphy Battista LLP

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

pour Le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour Le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.