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Date : 20221019


Dossier : IMM-1802-21

Référence : 2022 CF 1426

Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2022

En présence de l'honorable juge Roy

ENTRE :

PARI SELAHI REIHANI

ET

SIAVASH BALADI

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’égard d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) qui refusait la demande de protection des Demandeurs en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR ou la Loi]. La demande de contrôle judiciaire a été autorisée en vertu de l’article 72 de la Loi.

[2] Les Demandeurs sont des citoyens iraniens qui ont allégué avoir subi des persécutions de la part de leur gouvernement et disent en craindre d’autres dans leur pays de nationalité.

[3] Tant la SPR que la SAR ont rejeté les demandes à cause de crédibilité déficiente des Demandeurs. Une difficulté supplémentaire s’est posée relativement à un élément de preuve qui pourrait avoir son importance, soit un subpoena que le Demandeur, M. Baladi, dit avoir reçu et qui viendrait corroborer, du moins en partie, ses allégations de persécution.

I. Les faits

[4] Les Demandeurs sont arrivés au Canada munis de visas de résidents temporaires obtenus à des dates différentes de l’Ambassade du Canada en Turquie. Madame Reihani est née en 1960 tandis que M. Baladi est né en 1954. Ils sont arrivés ensemble le 15 novembre 2017, mais n’ont fait leur demande de protection que le 12 juin 2018. Les deux auraient été oppressés pour des activités politiques liées d’une certaine manière à leur emploi respectif.

[5] Les Demandeurs ont choisi de ne pas traiter directement devant cette Cour de la preuve qu’ils ont présentée en appui de leurs prétentions, preuve qui a été considérée comme manquant de crédibilité. Cette preuve mérite d’être relatée de manière plus complète pour situer la cause dans son contexte.

[6] Quant à M. Baladi, les autorités iraniennes lui reprocheraient ses opinions politiques qu’il aurait exprimées à son lieu de travail. Ses opinions seraient très critiques du gouvernement en place. Son fondement de demande d’asile ne pèche pas par excès de précision. Il y est allégué qu’il travaillait pour une entreprise désignée comme « Azmayesh technical company » depuis septembre 2003. Il dit avoir été interrogé par le « Heresat office » à quelques reprises au cours des ans : le Demandeur ferait partie d’une famille qui aurait été en opposition au régime en place depuis la révolution de 1979. Un frère du Demandeur aurait d’ailleurs disparu suite à son arrestation en novembre 2015.

[7] M. Baladi a indiqué lors de son témoignage devant la SPR avoir participé à une manifestation d’opposition au régime. Étonnamment, il disait ne pas être certain de l’année, puis du moment au cours de l’année 2015 où il aurait été détenu et sévèrement battu, au point dit-il qu’il aurait subi une chirurgie au dos plusieurs mois plus tard, en 2016. L’audience devant la SPR, dont la Cour a lu la transcription, ne semble pas avoir permis d’établir les causes des problèmes au dos du Demandeur. Je note que le fondement de la demande d’asile indique plus précisément que la détention aurait eu lieu le 27 octobre 2015 et que la chirurgie eut lieu le 11 mars 2016; une convalescence de trois mois s’ensuivit.

[8] Le fondement de la demande d’asile relate ensuite l’arrestation de M. Baladi le 10 septembre 2017 et sa détention. Arrêté sur son lieu de travail pour ses propos à ses collègues de travail au sujet du régime, le Demandeur dit avoir été battu en détention. On l’interrogeait sur ses activités politiques et au sujet de son frère. Ce ne serait que le 16 septembre 2017 où il aurait été transporté dans un hôpital. Ce n’est que grâce au paiement d’une rançon qu’il a été libéré de l’hôpital (où il était sous garde), à la condition de se présenter à ce qui est présenté au fondement de la demande d’asile comme un « procès islamique » (« Islamic trial »). On a prétendu qu’un subpoena a été émis à l’égard de M. Baladi : selon la version traduite dudit subpoena, il aurait été émis le 23 octobre 2017 pour une comparution le 8 novembre 2017. L’infraction reprochée serait la « participation in disturbing public order and disturbing public opinion ».

[9] À la suite de l’agression subie durant la première semaine de septembre, le Demandeur se serait rendu à Ankara pour s’y procurer à l’Ambassade canadienne un visa de résidence temporaire. Il serait arrivé en Turquie le 4 octobre 2017, l’a quittée pour retourner en Iran le 8 octobre et le visa a été délivré le 18 octobre. Malgré que la date de comparution devant le tribunal islamique ait été fixée au 8 novembre 2017, ce n’est que le 15 novembre 2017 que les époux quittaient l’Iran pour le Canada. M. Baladi ne s’est pas conformé au subpoena.

[10] La situation de la Demanderesse n’est pas beaucoup plus claire. Selon son fondement de demande d’asile portant la même date que celui de M. Baladi, son épouse aurait subi du harcèlement durant son emploi comme professeure, pour lequel elle a été engagée en 2000.

[11] Il semble que le harcèlement aurait commencé en 2015. Une mosquée avait été construite sur le site de l’école où Mme Reihani enseignait. Elle était convoquée quelques mois après la construction de la mosquée parce qu’elle ne participait pas tous les jours à la prière du midi. Un mullah lui aurait ordonné d’y participer.

[12] Puis, elle était avisée par l’école (« school office ») qu’elle ne devait pas encourager les jeunes filles à résister de se marier en bas âge et de fonder une famille. Mme Reihani dit avoir été insultée par le « Hezbollah principal » et forcée de signer un engagement de se conformer. Quelque temps plus tard, le 1er décembre 2016, Mme Reihani demandait à ses étudiantes de produire des essais relativement à l’un de deux sujets : l’un était relatif aux droits humains alors que l’autre devait traiter de l’ouverture d’une société à la critique. Lorsque les étudiantes ont été invitées le 4 décembre à discuter de leurs essais, cela a donné lieu à une algarade entre deux étudiantes. Le « Hezbollah principal » devait intervenir. La Demanderesse a été accusée par celui-ci de provocation des étudiantes. Elle aurait été détenue pendant trois jours au cours desquels elle dit avoir été insultée, interrogée et battue; de plus, sa maison aurait été fouillée. Mme Reihani a été congédiée.

[13] Trois mois plus tard, le 21 mars 2017, elle arrivait au Canada où un fils réside. Pour ce faire, Mme Reihani s’est rendue en Turquie, dès le 22 décembre 2016 pour s’y procurer un visa de résidence temporaire pour le Canada, qu’elle obtenait le 29 décembre 2016.

[14] Elle devait retourner en Iran le 21 septembre 2017. Devant la SPR, la Demanderesse a témoigné qu’elle était retournée parce que son époux était détenu. Elle devait être arrêtée à l’aéroport lors de son retour. Sa détention aura duré une semaine selon son témoignage. Elle aurait été relaxée sur cautionnement et un engagement écrit. On n’en sait pas davantage. Mme Reihani et M. Baladi quittent l’Iran ensemble le 15 novembre 2017 sans être importunés. Ils sont au Canada depuis.

II. La décision dont contrôle judiciaire est demandé

[15] À l’examen de la transcription de l’audience devant la SPR, on voit facilement que la SPR recherche la corroboration manquante du récit des Demandeurs. Par exemple, la SPR se questionne à haute voix sur la blessure au dos du Demandeur qui aura requis une chirurgie plusieurs mois après les incidents allégués comme ayant causé la blessure (la manifestation suivie de l’arrestation du Demandeur). De même, des questions se posaient au sujet de l’emploi du Demandeur durant les années 2016-2017. Cette relative obscurité a donné au subpoena pour la comparution du Demandeur le 8 novembre 2017 une importance qu’il n’aurait pas reçue probablement.

[16] Tant pour la SPR que la SAR, la question déterminante était la crédibilité des récits des Demandeurs. Mais ce n’est bien sûr que la décision de la SAR qui fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire.

[17] Dès le départ, la SAR note que la SPR avait considéré la copie du subpoena comme douteuse, d’autant que le Demandeur n’avait fait aucun effort pour en produire l’original. Il apparaît que le subpoena constitue une corroboration d’un incident impliquant le Demandeur. Sans lui, il y a peu de preuve directe pour soutenir les allégations outre les versions données par les Demandeurs. Il existe d’ailleurs un flou obscur autour du subpoena au cours de l’audience devant la SPR. On finira par apprendre que le document déposé (P-13) est en fait un document envoyé au Demandeur par sa fille en Iran par voie de courriel. On est loin de la meilleure preuve. La SPR aura aussi tiré une inférence négative d’absence de documentation au sujet de la chirurgie au dos qui aurait été nécessaire à la suite de mauvais traitements aux mains des autorités en 2015.

[18] De plus, alors même que la Demanderesse dit avoir été détenue et malmenée en décembre 2016, elle aurait pu quitter l’Iran sans difficulté trois mois plus tard lorsqu’elle est venue au Canada pour y visiter son fils. La SAR met en exergue que selon la SPR, la capacité des Demandeurs de quitter l’Iran sans être importunés par les autorités porte atteinte à la crédibilité de leur récit quant aux abus passés et ceux qui pourraient survenir à l’avenir.

[19] L’appel devant la SAR est ainsi rejeté parce que la crédibilité des Demandeurs est entachée. De fait, des questions de crédibilité ont été soulevées proprio motu par la SAR afin de recevoir les observations des Demandeurs. Ces interrogations portaient sur le nombre de fois que Mme Reihani disait avoir été détenue, où la SAR semblait voir une certaine confusion. Alors que Mme Reihani témoignait que son retour en Iran était parce que son mari y avait été arrêté, la SAR notait une lettre de son fils suggérant qu’elle projetait son retour en Iran dès août 2017. Ce ne serait donc pas la détention de son mari qui aurait incité la Demanderesse à retourner en Iran. Enfin, le Cartable national de documentation avait été amendé depuis la décision de la SPR et de la nouvelle information sur les entrées et sorties d’Iran pourrait porter atteinte à la crédibilité des Demandeurs. La SAR y voyait des contrôles sévères pour des personnes comme les Demandeurs se présentaient, ce qui pouvait porter ombrage aux prétentions des Demandeurs qui, si ces prétentions sont véridiques, auraient dû rencontrer des obstacles quant à leurs entrées et sorties d’Iran.

[20] Ceci dit, la SAR conclut après son examen indépendant à la crédibilité défaillante des Demandeurs. Elle rejette l’allégation faite que la SPR a manqué à l’impartialité requise. Cette allégation était fondée sur l’interprétation donnée par la SPR à la preuve fournie par les Demandeurs. Or, c’est son rôle que de peser la preuve et tirer des conclusions. Cela ne constitue pas de la partialité.

[21] La SAR a mis en doute que les Demandeurs aient pu quitter l’Iran comme ils disent avoir pu le faire si tant est que leurs prétentions sont véridiques. Mme Reihani a dit avoir été détenue à son retour du Canada en septembre 2017. M. Baladi a été arrêté le 17 septembre 2017 et détenu pendant une semaine. Un subpoena aurait été émis pour qu’il se présente au tribunal islamique le 8 novembre : il ne l’a pas fait et a plutôt quitté le pays le 15 novembre. Face à de telles allégations et la nouvelle information au Cartable national de documentation voulant qu’il existe des contrôles stricts de départ et d’arrivée en Iran pour qui est impliqué dans des cas dits « politiques », la SAR ne croit pas crédibles les allégations des Demandeurs, d’autant que leurs activités ont été vues par les autorités comme entraînant des détentions et remises en liberté avec engagements. Si les prétentions des Demandeurs sont véridiques, il serait douteux qu’ils aient pu entrer et sortir d’Iran aussi facilement. En plus, M. Baladi n’aurait pas respecté un subpoena, ce qui donne évidemment du poids à sa prétention qu’il était oppressé dans son pays, mais rend moins probable qu’il ait pu quitter le pays une semaine plus tard.

[22] Ce ne sont pas seulement les activités politiques que les Demandeurs mettent de l’avant qui posent problème; ce sont davantage les représailles engendrées qu’ils disent avoir subies qui montrent la sévérité de la situation. Ainsi, il n’est pas crédible que les Demandeurs aient pu quitter l’Iran si leurs allégations quant à la sévérité des traitements subis sont vraies, c’est-à-dire qu’ils ont subi des représailles en ce qu’ils ont été arrêtés, détenus et relaxés moins de deux mois avant leur départ, alors même que M. Baladi ne se serait pas soumis à un subpoena relativement à des accusations de type politique. Dit autrement, la sévérité des traitements allégués en aurait fait des personnes d’intérêt pour les autorités iraniennes. Se mettant en garde contre une conclusion d’invraisemblance, la SAR considère la preuve claire et fondée pour en arriver à sa conclusion.

[23] La SAR en a contre le subpoena qui ne serait pas fiable non plus. La SPR avait ses doutes au sujet de l’apparence du document et se plaignait que l’original n’avait pas été produit. Aucune explication n’avait été offerte à la SPR pour ne pas fournir un original. Même une copie certifiée n’a pas été produite. La SAR a aussi ses doutes.

[24] La SAR a présenté un imbroglio qui a fait l’objet de l’audience devant cette Cour dans une bonne mesure. Vu l’importance qu’a prise l’imbroglio, je reproduis les paragraphes 36 à 38 de la décision de la SAR :

[36] The RAD made a request to the Appellants to produce the copy of the subpoena that was produced to the RPD (the “RPD Copy”), and counsel confirmed that the RPD Copy was provided in the Appellants’ Record. A review of the Appellants’ Record contained in the RAD file confirmed that it did not contain the RPD Copy of the subpoena. RAD Rule 3 requires that an appellant provide two copies of their Appellant’s Record to the RAD, and the RAD Registry is required to forward one copy of the record to the Minister. Thus, it was presumed that the copy of the Appellants’ Record containing the RPD Copy of the subpoena was inadvertently sent to the Minister. The RAD Registry subsequently made efforts to obtain the RPD Copy from the Minister, which were unfortunately unsuccessful.

[37] However, having reviewed the copy of the subpoena in the RAD file (the “RAD Copy”), I am able to observe that the RPD correctly found that parts of the document are very precise while other parts appear fuzzy. While I do not have the same copy before me as was before the RPD, given that I can identify the same issues that were noted by the RPD, I do not find that the RPD had any meaningful advantage in reviewing the RPD Copy. I find that I am able to conduct my analysis of the subpoena’s appearance based on the RAD Copy of the document, and on the basis of that analysis, I agree with the RPD’s finding that the inconsistent appearance raises concerns as to the authenticity of the original document.

[38] Given my concerns with the appearance of the document, as well as the Principal Appellant’s failure to produce the Certified Copy, which was not reasonably explained, I am not satisfied that the document provided is a true copy of an authentic subpoena, on a balance of probabilities. As such, I find that the allegation that the Principal Appellant was subject to an outstanding subpoena at the time of his departure is not credible.

Il s’agit d’un sujet auquel on devra revenir puisque je suis d’avis que cela mérite que l’affaire soit retournée à la SAR.

[25] La SAR trouve aussi appui pour sa conclusion de crédibilité défaillante sur le fait que le Demandeur avait indiqué, lors de l’obtention de son visa de résidence temporaire au Canada en octobre 2017, que son employeur était Tasalsol Nasb Co plutôt que « Azmayesh » qui l’avait employé depuis 2003. Les Demandeurs arguent que l’absence de documentation par rapport à Azmayesh, puisque le Demandeur avait été congédié, est expliqué par le fait qu’un « facilitateur » aurait pris sur lui de produire une documentation fictive au sujet d’un autre employeur. Cette explication n’est pas acceptée. Trois raisons sont données. D’abord il n’y a aucune preuve qu’un facilitateur ait obtenu telle preuve. Ensuite, le Demandeur a témoigné avoir travaillé pour les deux compagnies concernées, ce qui peut apparaître contradictoire si c’est effectivement de la documentation fictive qui a été produite. Finalement, s’il était vrai que le Demandeur a effectivement travaillé chez Tasalsol Nasb Co, il reste qu’il n’en a pas fait mention dans sa demande de réfugié au Canada.

[26] Quant à Mme Reihani, la SAR aura vu dans la preuve offerte une différence sur le nombre de détentions subies. La SAR compte parmi elles la convocation en 2015 devant un mullah parce que la Demanderesse ne participait pas quotidiennement à la prière du midi.

[27] La SAR dispose de la preuve dite corroborative sous forme de lettres d’appui. Essentiellement, la SAR leur trouve peu de valeur probante puisque les lettres tendent à corroborer réprimandes et harcèlement, mais non ce qui est au cœur de la revendication des Demandeurs, c’est-à-dire qu’ils ont été arrêtés et ont été assujettis aux abus des autorités iraniennes pour des questions politiques. Une de ces lettres comprenait même une allégation complètement nouvelle : la Demanderesse, selon cette lettre, s’était déplacée de ville en ville avant son départ pour le Canada pour sauver sa vie. On ne sait trop d’où provient cette information. Cette preuve n’a qu’une valeur probante faible.

[28] Quant à la disparition du frère de M. Baladi, elle n’est tout simplement pas pertinente : sa disparition n’a jamais été liée aux activités de M. Baladi. Finalement, quoiqu’une allusion ait été faite au fondement de la demande d’asile au sujet de l’ethnicité des Demandeurs, les Demandeurs ont allégué une crainte du gouvernement auquel ils s’opposent. Mais aucune allégation précise n’a jamais été présentée quant à une crainte fondée sur l’ethnicité.

III. Arguments et analyse

[29] Alors que la SAR a conclu dans ses motifs à des difficultés importantes relatives à la crédibilité des Demandeurs et à la qualité de leurs allégations, les Demandeurs, sur contrôle judiciaire, sèment tous azimuts. À mon avis, les griefs faits à la décision de la SAR peuvent tous être rejetés sans trop de difficulté. Cependant, la question qui s’est posée tout au long de l’audition de cette affaire au sujet du traitement à accorder au subpoena qui aurait été émis à l’égard de M. Baladi, et pour lequel des notes supplémentaires ont été requises, fait en sorte qu’il est nécessaire et prudent de retourner le dossier à la SAR pour reconsidération. De fait, une preuve supplémentaire a été présentée par les Demandeurs le 26 janvier 2022, et par le Défendeur les 10 février et 22 mars 2022.

[30] Pour toutes les questions soulevées relatives à la crédibilité des Demandeurs, ce sera la norme de la décision raisonnable qui présidera. En effet, il s’agit de la norme présomptive depuis l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653 [Vavilov]; il n’existe aucune raison pour s’en écarter. Personne n’en disconvient. Par ailleurs, les Demandeurs ont fait valoir, tant devant la SAR que devant cette Cour, que le subpoena émis à l’endroit de M. Baladi, dans une version « originale », a été produit au dossier de la SAR, mais a été perdu par celle-ci. Cette difficulté procède de l’occasion d’être entendu par le tribunal administratif. Cela emporte la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 RCS 502 au para 74) ou que la cour de révision se satisfasse de la qualité de l’équité procédurale dans le cas d’espèce (Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267 au para 14, référant à Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 RCF 121). D’une manière ou d’une autre, la cour de révision ne doit aucune déférence particulière à l’égard du tribunal administratif.

[31] Je commence par les différents griefs en appel dont je dispose. Les Demandeurs mettaient de l’avant trois moyens devant cette Cour :

  • a) analyse contraire à la preuve, erreur de droit sur le critère de l’invraisemblance et contradictions sur la sortie d’Iran;

  • b) analyse globale d’absence de crédibilité avant d’avoir évalué l’ensemble de la preuve et omission de se prononcer sur les éléments au cœur de la demande d’asile;

  • c) violation de la justice naturelle vu la perte de l’original du subpoena.

A. Les questions soumises à la norme de la décision raisonnable

[32] Les Demandeurs ont soumis que la SAR aurait erré en ne retenant pas la preuve en corroboration constituée de lettres en soutien. Ils disent qu’il s’agirait d’une « analyse globale d’absence de crédibilité avant d’évaluer la preuve ». Les Demandeurs invoquent deux décisions de cette Cour qui rappellent qu’est « déraisonnable d’arriver à une conclusion de non-crédibilité sans tenir compte de la preuve corroborante, puis de rejeter la preuve corroborante en se fondant sur le fait que le demandeur avait été jugé non crédible » (Cheema c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1055 au para 49; au même effet, Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 44 au para 13).

[33] Il s’agit là d’une règle qui découle directement de la nature de la preuve corroborante. Celle-ci est constituée d’une preuve indépendante qui tend à confirmer une autre preuve (The Law of Evidence, par D.M. Paciocco et L. Stuesser, 7e Ed., Irwin Law, pages 566 à 575). Comme on le sait, le maître des faits se fonde sur le sens commun et l’expérience humaine lorsqu’il détermine de l’utilité d’une preuve donnée. Il en va contre le sens commun que d’évaluer la crédibilité avant même de considérer la preuve corroborante, pour ensuite la rejeter parce qu’elle serait jugée non crédible à cause de la non-crédibilité d’un demandeur. Il s’agit d’une proposition circulaire qui participe du truisme.

[34] Mais encore faudrait-il que ce soit ce à quoi la SAR s’est livrée. Je ne crois pas que ce soit le cas. Les lettres en appui aux Demandeurs ont reçu peu de poids à cause de leur valeur intrinsèque probante faible; celle-ci découlait du contenu de ces lettres, comme l’explique la SAR aux paragraphes 52 et 53 de la décision sous étude. La SAR leur a vu une certaine valeur corroborative, mais pour des éléments de la preuve qui n’étaient pas au cœur des allégations faites relatives aux arrestations et aux abus allégués avoir été subis par les Demandeurs. Ces évaluations pouvaient être faites par le maître des faits et on ne peut voir en quoi elles seraient déraisonnables. Ces preuves n’ont pas été écartées à cause de la crédibilité des Demandeurs : c’est plutôt la qualité intrinsèque des lettres qui faisait en sorte que leur valeur probante était faible.

[35] Les Demandeurs ont aussi tenté de s’en prendre à la décision parce que celle-ci n’aurait pas suffisamment justifié sa décision. Ce grief est selon moi sans valeur. La décision est justifiée en fonction des questions soumises. La SAR répondait aux motifs d’appel soulevés par les Demandeurs. J’ai lu le mémoire présenté au nom des Demandeurs à la SAR. Il visait la crédibilité entachée. D’ailleurs, dès la première page, le mémoire déclare que « (i)t is our contention that what happened to the claimants is true but they failed to properly express it ». Les Demandeurs avaient été considérés par la SPR comme étant déficients au plan de la crédibilité et l’appel portait sur cette question. On peut difficilement blâmer la SAR d’avoir traité des motifs d’appel qu’on lui présente.

[36] Il y aurait eu, disent les Demandeurs, erreur de droit sur le critère de l’invraisemblance tel que présenté par la SAR. Cette question apparaît parce que la SAR, après avoir prévenu les Demandeurs que le Cartable de documentation avait été amendé depuis la décision de la SPR, demandait les commentaires au sujet des entrées et sorties d’Iran. Cette preuve documentaire nouvelle tendait à démontrer que les entrées et sorties d’Iran étaient contrôlées : des interdictions de voyager sont émises à l’encontre des personnes recherchées dans des « political cases ». La SAR trouvait étonnant que les Demandeurs aient pu si facilement sortir du pays si l’intérêt que leur aurait porté le gouvernement était réel. Il n’était donc pas vraisemblable (dans le texte en anglais de la décision « plausible ») qu’ils aient pu quitter à peine une semaine après que le Demandeur disait avoir fait défaut de se présenter au tribunal islamique (la validité du subpoena était contestée).

[37] Les Demandeurs non seulement ne sont pas d’accord avec la conclusion tirée par la SAR, mais en plus ils prétendent que la SAR n’a pas appliqué le critère juridique approprié sur ce qui peut être invraisemblable. Je ne partage pas l’avis selon lequel la SAR n’a pas reconnu le critère juridique approprié. Au contraire, la décision réfère directement au même critère que celui invoqué par les Demandeurs. Derrière une allégation d’erreur de droit sur le critère à appliquer se trouve en fait une prétention que la preuve sur laquelle se fonde la SAR ne serait pas suffisante pour tirer la conclusion qui est tirée qu’il y a invraisemblance. Le fardeau est bien évidemment sur les Demandeurs de démontrer l’erreur de droit (Vavilov, au para 100) et qu’il ne s’agit pas d’une chasse au trésor à la recherche d’une erreur (Vavilov, au para 102). Ni le mémoire des Demandeurs, ni la plaidoirie de leur avocat à l’audition ne sont persuasifs. La SAR n’a pas commis l’erreur de droit alléguée. Elle a fait preuve de la prudence requise.

[38] Un peu dans la même veine, les Demandeurs argumentent que la SAR aurait présenté un argument contradictoire dans la décision rendue. Je ne suis pas de cet avis.

[39] Si on peut comprendre ce qui est avancé par les Demandeurs, la contradiction proviendrait du fait que la SAR aurait déclaré dans sa décision que l’interdit de voyager aurait été « en raison de leur arrestation, remise en liberté et omission de se conformer au subpoena émis à leur endroit » (mémoire des faits et du droit des Demandeurs, para 23). Cela serait en contradiction avec les assertions de la SAR, disent les Demandeurs, selon lesquelles « c’est l’implication politique des demandeurs qui aurait entraîné un interdit de voyager » (mémoire des faits et du droit des Demandeurs, para 24) puisque ce ne serait donc plus en raison des démêlés judiciaires qu’il y aurait pu y avoir interdit de voyager.

[40] Avec égards, je ne puis déceler une contradiction quelconque. Les Demandeurs prétendent qu’il fallait choisir entre l’implication politique et les démêlés judiciaires comme entraînant l’interdit de voyager. Or, cet argument est davantage factice que réel. On ne peut voir où se situerait la contradiction alors même que les Demandeurs prétendent avoir subi des traitements abusifs en raison de commentaires critiques quant au gouvernement, pour ce qui est de M. Baladi, et d’enseignements et propos jugés inappropriés par les autorités iraniennes, pour ce qui est de Mme Reihani. Ces activités ont donné lieu, disent les Demandeurs, à leur détention et à leur relaxation sous engagement et, quant à M. Baladi, à l’émission d’un subpoena qu’il dit ne pas avoir respecté. L’un entraîne l’autre. Pour dire les choses simplement, les démêlés judiciaires, qui viennent des activités politiques, et l’interdit de territoire sont cohérents. Tout cela procède d’un même narratif. Les motifs auraient pu être plus clairs, mais la perfection n’est pas recherchée.

[41] En fin de compte, la SAR indique que si le récit des Demandeurs est vrai, ils n’auraient pas été capables de quitter l’Iran si facilement. Leur seul récit, sans autre preuve, est vu comme non crédible parce que des gens comme les Demandeurs ne quittent pas aussi facilement, selon une certaine preuve documentaire. C’est ainsi que le récit n’est pas crédible.

B. Le subpoena

[42] Dans le contexte d’une décision où le récit des Demandeurs est contesté parce que, s’il est véridique les personnes n’auraient pu quitter le pays, l’existence d’un subpoena pour une comparution le 8 novembre 2017 aura pris une certaine importance. Cela peut rehausser la qualité du récit si, de fait, une ordonnance de se présenter à un tribunal islamique a été effectivement émise.

[43] Il pourrait s’agir d’une preuve qui tendrait à démontrer que le Demandeur était visé par le régime. Aussi, le fait de pouvoir quitter le pays sans difficulté malgré un subpoena pourrait ne pas entacher la crédibilité des Demandeurs. La SAR consacre plus d’une page sur une décision qui en compte quatorze pour conclure que le subpoena produit à l’audience devant la SPR n’est pas fiable (« reliable »). La SAR tire une inférence négative du fait qu’un original du subpoena n’a pas été produit (décision, para 35). Ce n’est pas rien. De plus, la SAR note que malgré les prétentions de l’avocat des Demandeurs devant la SAR (qui n’est pas l’avocat œuvrant sur contrôle judiciaire), un original du subpoena n’a pas été retrouvé. Malgré cela, la SAR se déclare capable de conclure que l’apparence d’une copie lui permet de douter de son authenticité (décision, para 37). Cela fait conclure à la SAR :

[38] Given my concerns with the appearance of the document, as well as the Principal Appellant’s failure to produce the Certified Copy, which was not reasonably explained, I am not satisfied that the document provided is a true copy of an authentic subpoena, on a balance of probabilities. As such, I find that the allegation that the Principal Appellant was subject to an outstanding subpoena at the time of his departure is not credible.

[44] L’importance du subpoena me semble inévitable. Il s’agit là d’un élément de preuve documentaire qui donne du poids aux assertions des Demandeurs, outre leur seul témoignage. L’audition devant cette Cour y aura consacré beaucoup de temps alors que les Demandeurs prétendaient que l’original du subpoena avait été produit au dossier d’appel devant la SAR et aurait été égaré. Si tel est le cas, les conclusions tirées par la SAR seraient bien sûr non avenues et c’est le dossier en entier qui devrait être revu étant donné l’importance de ce subpoena non seulement sur la conclusion que les Demandeurs n’auraient pas quitté l’Iran (qu’ils ont de toute évidence quitté), mais aussi quant aux allégations mêmes touchant en cela la crédibilité des Demandeurs que l’on retrouve aux paragraphes 35 à 38 de la décision sous étude.

[45] C’est ainsi que la Cour a requis à la fin de l’audition des notes pour clarifier la situation. Essentiellement, la transcription de l’audience devant la SPR confirmait que la copie du subpoena devant la SPR était un document envoyé par courriel par la fille des Demandeurs. Les Demandeurs ont produit des affidavits à la suite de l’audition devant cette Cour. Ces affidavits expliquent ce qui restait inexpliqué jusqu’alors.

[46] Il est maintenant établi que l’avocat des Demandeurs devant la SAR avait déposé un « original » du subpoena auprès de la SAR. De fait, un représentant du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration écrivait aux Demandeurs le 16 mars 2022 pour s’excuser de l’inconvénient causé par un envoi postal qui ne se serait jamais rendu à la Section d’appel des réfugiés. La lettre, qui n’est pas un modèle de clarté, confirme néanmoins la perte d’un document alors que les affidavits faits au nom des Demandeurs exposent plus clairement la problématique.

[47] Trois affidavits sont présentés au nom des Demandeurs. D’abord, leur nièce, une citoyenne canadienne, témoigne avoir assisté les Demandeurs dans leur demande d’asile : elle était observatrice à l’audience devant la SPR et aurait noté l’importance prise par le subpoena. Ayant considéré la possibilité d’obtenir l’original du subpoena, il a été convenu qu’un envoi postal à partir de l’Iran était contre-indiqué à cause des risques d’interception et de saisie. Une autre solution devait être privilégiée. Le document devait plutôt être transporté à l’extérieur du pays. Cela aura été effectué grâce à un oncle, résident permanent du Danemark en visite en Iran, qu’il a été possible de faire sortir ledit « document original ». C’est une fois de retour au Danemark que l’oncle a expédié le « document original » à l’avocat qui occupait alors pour les Demandeurs afin qu’il soit soumis en appel.

[48] Deuxièmement, l’avocat a lui aussi soumis un affidavit. Il dit avoir constaté à la suite de l’audience devant la SPR l’importance de fournir « l’original subpoena iranien », plutôt que la copie reçue par courriel. L’orignal du subpoena lui fut remis par la nièce des Demandeurs en janvier 2020 qui l’aurait reçu du Danemark.

[49] Le « document original » a été soumis au soutien du mémoire au dossier d’appel après que le dossier lui ait été retourné par la SAR pour ce qui semble être des raisons cléricales.

[50] Le dossier est perdu depuis ce temps. L’avocat-affiant relate des échanges entre la SAR et le ministère pour localiser le dossier. Il confirme au paragraphe 16 de son affidavit qu’il a déposé « l’original » que la nièce des Demandeurs lui avait remis. Il ajoute que « (c)omme Monsieur Baladi a confirmé qu’il s’agissait du document qu’il avait reçu en Iran, alors je soumets que l’original du subpoena remis par l’Iran à Monsieur Baladi fut déposé au dossier d’appel devant la SAR ».

[51] Troisièmement, M. Baladi a soumis un court affidavit. Il y confirme avoir identifié le document reçu par sa nièce « comme étant bel et bien l’original du subpoena remis en Iran » (para 4).

[52] Le Défendeur a produit une affiante qui, nouvelle arrivée au ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration et travaillant de façon virtuelle vu la pandémie, n’a pu que confirmer avoir manipulé le dossier. L’affiante ne pouvait ajouter de l’information au sujet de cette perte de dossier.

[53] Les représentations du Défendeur ne contestent aucunement la perte du dossier. Mais on conteste qu’il y ait violation de justice naturelle. On fait valoir que le nouvel élément de preuve n’avait pas fait l’objet d’une demande en vertu du paragraphe 110(4) de la LIPR. Étonnamment, les représentations affirment que « la détermination de la SAR à l’effet que les demandeurs n’ont pas soumis le subpoena ‘original’ obtenu d’Iran et leur absence de justification à cet effet est fondée ». Des propos tenus, il est suggéré qu’il continue d’exister de la confusion au sujet de ce en quoi consiste cet « original » du subpoena. On croit comprendre qu’on cherche à justifier la décision de la SAR sur la base que c’était l’information qui se trouvait devant le tribunal administratif au moment de la décision. Ceci dit avec égards, c’est faire fi du fait que l’information au sujet de l’original avait été transmise et perdue par le Défendeur. Les représentations suggèrent que la SAR a pu faire son analyse de la « RPD Copy ». Mais là n’est pas la question. Les Demandeurs ont cherché à présenter « l’original » du subpoena, mais ils n’ont pu le faire à cause d’une incurie administrative dont ils ne peuvent porter la responsabilité. Le paragraphe 38 de la décision de la SAR situe l’odieux chez les Demandeurs qui n’ont pas produit une copie certifiée, sans expliquer pourquoi une copie authentique du subpoena n’a pas été produite (j’ai reproduit le paragraphe 38 au paragraphe 43 des présents motifs). Mais il est maintenant indéniable qu’un « original » existe et a été produit. L’avocat des Demandeurs n’a peut-être pas suivi directement la procédure pour soumettre sa nouvelle preuve, mais la preuve présentée par affidavit en cette Cour, non contestée, est que « l’original » du subpoena a été envoyé à la SAR. Cela suffit à mon avis pour disposer des représentations du Défendeur. Mais il y a plus.

[54] Le Défendeur passe en revue les affidavits présentés par les Demandeurs et se fait critique d’assertions qui y sont faites. Or, le Défendeur n’a pas contre-interrogé les affiants. Le Défendeur met en doute les témoignages des trois témoins sur affidavit selon lesquels le document fourni à la SAR était l’original reçu par M. Baladi en Iran. On cherche à susciter, ou maintenir, l’équivoque sans avoir cherché à la résoudre par contre-interrogatoire. Le Défendeur avance que la Cour n’a pas à accepter tout ce qui est dans un affidavit. Mais encore faudrait-il qu’il y ait des raisons pour ce faire. Si le Défendeur avait des difficultés avec certaines déclarations des affiants, il aurait dû chercher à les faire expliquer par leurs auteurs. Cela aurait eu l’avantage d’éclairer la Cour si on le jugeait nécessaire. Cela n’a pas été fait. Beaucoup des critiques faites par le Défendeur portent, d’une manière ou d’une autre, sur la question de déterminer en quoi le document perdu était un original du subpoena. Le Défendeur aura choisi de ne pas contester par contre-interrogatoire ce qui a été dit sous serment.

[55] J’ai été tout particulièrement étonné par deux arguments présentés in extremis par le Défendeur. D’abord, le Défendeur soumet au paragraphe 35 de ses représentations supplémentaires que malgré le dossier égaré, « les demandeurs n’ont pas été empêchés de faire leurs preuves ». Cela me semble contraire à la teneur même de la décision de la SAR. Le subpoena dans sa forme originale est devenu un élément de preuve possiblement charnière. L’importance prise par le subpoena était évidente. La SAR a rejeté que M. Baladi était sujet à un authentique subpoena au moment de son départ. Quant au poids à donner à la preuve que le subpoena existait, ce n’est pas à une cour de révision de se substituer au tribunal administratif à qui le mandat est conféré d’examiner une affaire au mérite.

[56] Ensuite, le Défendeur déclare sans ambages, au paragraphe 36 de ses représentations, que les Demandeurs n’ont pas indiqué quel élément du subpoena aurait été analysé différemment s’il s’était agi du subpoena original d’Iran. La question manifeste peut-être une certaine méprise au sujet des motifs de la décision de la SAR qui exprimait des doutes sur les récits des Demandeurs parce que, si véridiques, ils n’eurent pu quitter l’Iran avec la facilité qu’ils ont présentée. C’est l’existence même d’un subpoena, vu la décision de la SAR, qui a son importance. Ainsi, selon la SAR, si un subpoena avait effectivement été émis pour le genre d’infraction alléguée, et vu les contrôles d’entrée et de sortie, les Demandeurs n’auraient pu quitter le pays. Le fait qu’ils ont pu quitter démontrerait qu’ils ne sont pas des sujets d’intérêt. Or, on ne peut plus leur opposer qu’il n’est pas crédible qu’ils soient visés par le gouvernement s’il existe ce subpoena. L’existence d’un subpoena suggère peut-être le sérieux de l’affaire. L’inférence négative tirée par la SAR du fait que l’original du subpoena n’a pas été produit ne tient plus. En un mot, le fait qu’ils ont pu quitter leur pays malgré qu’un subpoena authentique n’avait pas empêché leur départ change la donne sur la crédibilité des Demandeurs et de leur récit. De combien? Cela n’est pas une question pour la cour de révision pour détermination. Ce qui me semble clair est que les Demandeurs n’ont pas eu droit à la mesure d’équité procédurale proportionnelle à la preuve dont il est question et aux conséquences pour eux d’une décision négative (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 21 à 28; Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c Lafontaine (Village), 2004 CSC 48, [2004] 2 RCS 650 au para 5).

IV. Remède

[57] À mon avis, le dossier doit être retourné à la SAR pour une nouvelle détermination. Il s’agit de remettre les parties et la SAR dans la position où elles auraient été si le dossier contenant le subpoena n’avait pas été perdu. Puisqu’il est maintenant acquis que le subpoena authentique a été perdu, et que les affidavits non contredits attestent de cette authenticité, celle-ci doit maintenant être avérée devant la SAR. Le débat à cet égard est clos. Il faut donc reprendre l’examen de l’appel, en tenant pour acquis que le subpoena authentique est au dossier des Demandeurs en appel. L’authenticité du subpoena n’est pas à être remise en question.

[58] Les Demandeurs pourront faire valoir devant la SAR que le subpoena authentique est disponible (de façon virtuelle), et que le subpoena authentique devrait être admis comme nouvelle preuve en appel devant la SAR en vertu de la LIPR. La SAR pourra décider de tenir une audience dans la mesure où la Loi le permet. Le processus suivra son cours et une nouvelle évaluation de la preuve sera faite.

V. Conclusion

[59] La demande de contrôle judiciaire est accordée. L’importance du subpoena émis à l’égard du Demandeur est telle qu’une nouvelle procédure devant la SAR est requise, prenant pour acquis que l’authenticité du subpoena concernant le Demandeur n’est plus remise en question.

[60] Replaçant les parties au stade du début de l’appel, un nouveau panel sera appelé à mener l’appel et compléter une nouvelle détermination.

[61] Étant donné le caractère tout à fait exceptionnel des circonstances de cette affaire, en plus du fait que les questions relèvent de la preuve particulière dont il est question, il n’y a pas de question grave de portée générale devant être certifiée.

 


JUGEMENT au dossier IMM-1802-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accordée.

  2. Le dossier est retourné pour considération à nouveau par un panel de la SAR autrement constitué.

  3. Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier en vertu de l’article 74 de la LIPR.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1802-21

INTITULÉ :

PARI SELAHI REIHANI ET SIAVASH BALADI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 JANVIER 2022

représentations supplémentaires soumises :

le 27 janvier 2022

et

le 10 février 2022

PREUVE SUPPLÉMENTAIRE :

LE 26 MARS 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 OCTOBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Guillaume Cliche-Rivard

 

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Margarita Tzavelakos

 

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cliche-Rivard, Avocats inc.

Montréal (Québec)

 

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

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