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Date: 20221018


Dossier : IMM-6797-20

Référence : 2022 CF 1412

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 octobre 2022

En présence de madame la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

ZAKIR HUSSAIN (HOSSAIN)

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] M. Zakir Hussain est un citoyen du Bangladesh arrivé au Canada en 2013 muni d’un visa d’étudiant. Il a présenté une demande d’asile en septembre 2016, mais a été déclaré interdit de territoire pour raison de sécurité en application des alinéas 34(1)c) et f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Cette conclusion n’a pas été contestée et la Cour n’est pas saisie de la question de l’interdiction de territoire du demandeur.

[2] La Cour est saisie du contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue par un agent principal à la suite d’un examen des risques avant renvoi [ERAR]. L’agent principal a conclu que la preuve du demandeur ne permettait pas d’établir qu’il serait exposé à une menace à sa vie ou à sa sécurité s’il devait retourner au Bangladesh.

[3] Le demandeur soutient que l’agent l’a privé de son droit à l’équité procédurale, que l’ERAR restreint dont le demandeur d’asile interdit de territoire peut se prévaloir au titre de la LIPR enfreint les articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (RU), 1982, c 11 [la Charte], et que, de manière générale, la décision de l’agent n’est pas raisonnable.

[4] Pour les motifs exposés ci-dessous, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. La décision faisant l’objet du contrôle

[5] Dans sa demande d’ERAR de janvier 2020, le demandeur s’est fondé sur le formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) qu’il avait déposé à l’appui de sa demande d’asile de septembre 2016. À l’article 45 de sa demande d’ERAR, il a indiqué ce qui suit :

[traduction]

Il est possible que je fasse toujours l’objet de fausses accusations au Bangladesh. Toutefois, je n’ai pas eu l’occasion de le confirmer. Je fournirai plus de renseignements lorsque j’en obtiendrai la confirmation.

[6] La décision relative à l’ERAR a été rendue en novembre 2020. L’agent a jugé que la menace ou le risque auquel serait exposé le demandeur devait être examiné uniquement sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 de la LIPR, par application de l’alinéa 113d) de la LIPR. La question était donc de savoir si le demandeur serait exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

[7] D’abord, l’agent a affirmé avoir examiné attentivement l’exposé circonstancié contenu dans le formulaire FDA du demandeur et a souligné le manque de preuve corroborante. Bien qu’il ait convenu qu’en tant que membre du Parti nationaliste du Bangladesh (PNB) le demandeur a pu, par le passé, être exposé à de mauvais traitements, l’agent a conclu que la preuve ne suffit pas à établir qu’il serait exposé à un risque prospectif à son retour dans son pays.

[8] Pour suppléer le manque de preuve, l’agent a consulté un rapport du Home Office du Royaume-Uni datant de 2018, qui énonce que [traduction] « les militants et les chefs des partis d’opposition sont exposés au harcèlement et à l’intimidation sous diverses formes » et qu’il y a [traduction] « également eu des allégations de torture, de disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires par des agents de l’État pour des motifs politiques » (Home Office du R-U, Country Policy and Information Note: Bangladesh – Opposition to the government, janvier 2018, au para 2.2.4). Le rapport précise également que, puisque les principaux partis politiques, y compris le PNB, comptent apparemment des millions de membres, [traduction] « [d]’une manière générale, la preuve n’indique pas que les sympathisants ou les membres ordinaires d’un parti risquent réellement d’être persécutés ou de subir un préjudice grave de la part d’acteurs étatiques ou autres ». Dans le même paragraphe, le rapport indique que, [traduction] « [s]elon leur situation et leur profil, les militants et les chefs des partis d’opposition peuvent faire l’objet de harcèlement ou être arrêtés et détenus arbitrairement » (au para 2.2.10).

[9] L’agent en a déduit que le risque pour le demandeur serait faible puisqu’il n’était pas un [traduction] « membre éminent ». Il a conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il était exposé à un risque prospectif d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou à des traitements ou peines cruels et inusités en raison de son appartenance antérieure au PNB.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[10] Je conviens avec les parties que la norme de contrôle qui s’applique au fond de la décision relative à l’ERAR est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65).

[11] Pour ce qui est de savoir si une audience doit être tenue dans le cadre d’un ERAR, les parties ne s’entendent pas et la jurisprudence diverge quant à savoir s’il s’agit d’une question d’équité procédurale ou d’une question liée à l’interprétation de l’alinéa 113b) de la LIPR et de l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement]. S’il s’agit d’une question d’équité procédurale, comme le fait valoir le demandeur, le contrôle serait assujetti à une norme qui s’apparente à celle de la décision correcte (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54). S’il s’agit d’une question liée à l’interprétation de la LIPR et du Règlement, comme le soutient le défendeur, la norme applicable serait celle de la décision raisonnable. Je suis d’avis que cette dernière approche concorde avec les principes établis dans l’arrêt Vavilov, dans lequel la Cour suprême a souligné l’importance de donner effet à l’intention claire du législateur. La LIPR et le Règlement prévoient les cas où les agents d’immigration chargés d’une demande d’ERAR doivent tenir une audience, et les agents doivent appliquer ces règles aux faits des dossiers dont il sont saisis.

[12] Cela dit, la présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions en litige suivantes :

  • A.Y a-t-il eu un manquement à l’équité procédurale?

  • B.La personne qui est interdite de territoire pour raison de sécurité et qui présente une demande d’ERAR a-t-elle droit à un examen des risques fondé sur l’article 96?

  • C.Dans la négative, le régime d’ERAR restreint est-il incompatible avec les obligations du Canada en matière de droit international?

  • D.Le régime d’ERAR restreint est-il conforme aux articles 7 et 15 de la Charte?

IV. Analyse

A. Y a-t-il eu un manquement à l’équité procédurale?

[13] Le demandeur soutient qu’il a droit à un degré très élevé d’équité procédurale. Il a demandé la protection internationale au Canada et l’ERAR est la seule occasion pour lui de démontrer les risques auxquels il serait exposé s’il devait retourner dans son pays d’origine. Le demandeur affirme que sa situation est différente de celle des demandeurs d’asile ordinaires, qui ont l’occasion de faire évaluer par la Section de la protection des réfugiés et par la Section d’appel des réfugiés les risques auxquels ils sont exposés et, éventuellement, de présenter une demande de contrôle judiciaire à la Cour. De plus, la décision défavorable rendue à la suite de l’ERAR empêche le demandeur de présenter une nouvelle demande d’examen des risques pendant douze mois.

[14] Le demandeur soutient que, bien qu’en pratique l’ERAR soit une procédure administrative, le cadre législatif permet un processus quasi judiciaire complet, qui comprend la tenue d’une audience et la présentation d’éléments de preuve. Il affirme que les obligations internationales du Canada en matière de protection des réfugiés devraient être prises en compte. Il affirme également que, dans le contexte de la pandémie de COVID-19, il avait le droit d’être avisé que sa demande d’ERAR était en cours d’examen afin qu’il puisse présenter des observations et des éléments de preuve supplémentaires.

[15] Le demandeur soutient qu’il est bien établi qu’une audience est nécessaire lorsque la crédibilité est en question. Selon lui, l’agent a tiré une conclusion voilée quant à la crédibilité, qu’il a tenté de faire passer pour une conclusion relative au manque de preuve.

[16] Je ne souscris pas à l’argument selon lequel l’agent a tiré une conclusion voilée quant à la crédibilité.

[17] Premièrement, il incombait au demandeur de présenter un dossier complet à l’agent chargé de l’ERAR. C’était à lui qu’il revenait de convaincre l’agent qu’il serait exposé à un risque prospectif s’il devait retourner au Bangladesh, ce qu’il n’a tout simplement pas fait. Bien que le demandeur ait été représenté par un conseil, il n’a fourni aucune observation écrite ou preuve documentaire à l’appui de sa demande d’ERAR. L’unique élément de preuve que le demandeur a déposé est un exposé circonstancié antérieur dans lequel il relate des faits qui ont eu lieu entre 2011 et 2015, alors qu’il était étudiant au Bangladesh.

[18] L’agent avait le droit d’évaluer le caractère suffisant et la valeur probante de la preuve — c’est-à-dire de déterminer si les éléments de preuve présentés, à supposer qu’ils soient admis, pouvaient vraisemblablement permettre au demandeur de s’acquitter du fardeau qui lui incombait de prouver sa demande selon la prépondérance des probabilités — avant de s’engager dans une évaluation de la crédibilité du demandeur. Après avoir examiné la preuve dont disposait l’agent, je suis d’avis qu’il lui était raisonnablement loisible de conclure que la preuve ne permettait pas d’établir que le demandeur serait toujours activement recherché par la ligue Awami et par les autorités s’il devait retourner au Bangladesh.

[19] L’agent n’avait l’obligation ni de faire part au demandeur de ses doutes ni de lui demander s’il avait des éléments de preuve supplémentaires à présenter avant qu’il rende sa décision (voir par ex Borbon Marte c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 930 au para 40; Ikeji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1422 au para 50; Garces Canga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 749 au para 28).

[20] Le demandeur a présenté sa demande d’ERAR en janvier 2020. Il soutient qu’il a été privé de son droit de connaître la preuve à réfuter parce que l’agent ne l’a pas avisé qu’il avait reçu sa demande et que celle-ci allait être examinée. Selon lui, il n’était plus certain si sa demande d’ERAR avait effectivement été reçue par IRCC. Pourtant, il n’explique pas pourquoi il n’aurait pas pu demander à IRCC de confirmer que sa demande avait bel et bien été reçue. La demande avait été envoyée par le conseil du demandeur en colis accéléré et Postes Canada lui avait fourni un numéro de repérage.

[21] Plus important encore, la décision relative à l’ERAR n’a pas été rendue avant novembre 2020. Le demandeur avait dix mois pour mettre son dossier en état ou, du moins, pour aviser l’agent de son intention de le faire, et il ne l’a pas fait. La seule référence à des éléments de preuve supplémentaires se trouve dans l’extrait de la demande d’ERAR reproduit au paragraphe 5 des présents motifs. Le demandeur y indique qu’il « est possible [qu’il] fasse toujours l’objet de fausses accusations » dans son pays, et qu’il n’a « pas eu l’occasion de le confirmer ». Cela ne prouve certainement pas que le demandeur fait l’objet de fausses accusations et ne constitue pas non plus une demande pour obtenir plus de temps afin de présenter des éléments de preuve supplémentaires. De plus, l’agent chargé de l’ERAR n’est pas tenu de mentionner chaque élément de preuve documentaire sur la situation dans le pays. Une fois de plus, il incombait au demandeur de présenter une demande claire, détaillée et complète, ce qu’il n’a pas fait.

[22] Deuxièmement, je suis d’avis que l’agent n’était pas obligé de tenir une audience.

[23] Je conviens avec le défendeur que la demande d’ERAR exige un degré relativement peu élevé d’équité procédurale. La procédure pour rendre une décision relative à un ERAR n’est pas contradictoire. Il s’agit d’une procédure de nature administrative et le législateur a spécifiquement décidé que, par défaut, elle serait menée sur la base d’observations écrites. Le législateur n’a prévu aucune exception dans les cas où les risques n’ont pas préalablement été examinés parce que le demandeur est interdit de territoire pour raison de sécurité, comme c’est le cas en l’espèce.

[24] L’alinéa 113b) de la LIPR, lu conjointement avec l’article 167 du Règlement, prévoit que la tenue d’une audience est généralement requise si des éléments de preuve importants pour la prise de la décision soulèvent des doutes quant à leur crédibilité et que ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande soit accueillie (Strachn c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 984 au para 34; Ullah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 221 au para 25; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1439 au para 41).

[25] Le demandeur soutient que l’agent a tiré une conclusion voilée quant à la crédibilité, qu’il a tenté de faire passer pour une conclusion quant à la preuve ou à la valeur probante de la preuve. Comme je l’ai déjà indiqué, je ne souscris pas à cet argument. Même si la preuve du demandeur avait été admise d’emblée, il était raisonnable pour l’agent de conclure qu’elle ne démontrait pas selon la prépondérance des probabilités que le demandeur serait exposé à un risque prospectif.

[26] À mon avis, l’agent a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire en ne tenant pas d’audience et a correctement interprété la LIPR et le Règlement.

B. La personne qui est interdite de territoire pour raison de sécurité et qui présente une demande d’ERAR a-t-elle droit à un examen des risques fondé sur l’article 96?

[27] Le demandeur fait valoir que l’agent a commis une erreur en examinant les risques du demandeur uniquement au titre de l’article 97 et non au titre de l’article 96. Il soutient que le libellé de la LIPR démontre clairement que l’intention du législateur était seulement d’empêcher que l’asile soit conféré aux personnes interdites de territoire. Selon lui, le législateur n’a pas clairement empêché qu’un examen des risques fondé sur l’article 96 soit mené à l’égard de ces personnes. Le demandeur soutient que, étant donné le manque de clarté de la loi, la Cour devrait adopter une interprétation plus large du paragraphe 112(3) et de l’article 113 de la LIPR, ce qui permettrait de mener un examen des risques fondé tant sur l’article 96 que l’article 97.

[28] En toute déférence, je ne suis pas d’accord. À mon avis, le libellé du paragraphe 112(3) et de l’article 113 de la LIPR est tout à fait clair. L’interprétation législative repose sur une analyse à trois volets, soit une analyse textuelle, contextuelle et téléologique (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27 au para 21). Il ressort clairement de la loi que les personnes dans la même situation que le demandeur ne peuvent pas invoquer l’article 96, tel que le décrit l’alinéa 112(3)a) de la LIPR.

[29] L’alinéa 113d) mentionne tout aussi clairement que l’ERAR d’une personne visée au paragraphe 112(3) est mené sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 seulement (voir par ex Tapambwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 34 au para 2).

[30] Cette conclusion est encore plus évidente à la lumière de l’analyse article par article présentée par le défendeur. Le document montre que les motifs énoncés à l’article 96 sont destinés à répondre aux obligations internationales du Canada découlant de la Convention des Nations Unies relative au statut de réfugié, 28 juillet 1951, 189 RTNU 150 (entrée en vigueur le 22 avril 1954) [la Convention relative aux réfugiés], alors que l’article 97 vise à répondre aux obligations du Canada découlant de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, 1465 RTNU 113 (entrée en vigueur le 26 juin 1987) [la Convention contre la torture]. Les personnes visées au paragraphe 112(3) sont exclues de la définition de réfugiés au sens de la Convention par application de la section F de l’article premier de la Convention relative aux réfugiés. L’objet de l’article 113 est donc de garantir que ces personnes conservent le droit à un examen des risques conformément aux obligations du Canada découlant de la Convention contre la torture.

[31] Il s’ensuit que l’agent n’a pas commis d’erreur dans son interprétation de la LIPR et qu’il a raisonnablement limité son examen des risques aux éléments mentionnés à l’article 97.

C. Dans la négative, le régime d’ERAR restreint est-il incompatible avec les obligations du Canada en matière de droit international?

[32] Le demandeur soutient qu’il existe une présomption, en matière d’interprétation législative, que l’intention du législateur était d’agir conformément aux obligations du Canada en matière de droit international.

[33] Tout d’abord, le principe du non-refoulement, énoncé au paragraphe 33(1) de la Convention relative aux réfugiés, empêche les États contractants d’expulser un réfugié sur un territoire où il pourrait être persécuté. Le demandeur soutient que la procédure d’ERAR contrevient au principe du non-refoulement à l’égard des demandeurs qui sont interdits de territoire en ne leur offrant pas la possibilité de faire l’objet d’un examen juste et complet des risques et en les renvoyant dans un pays où ils craignent avec raison d’être persécutés.

[34] En outre, le demandeur soutient que le constat d’interdiction de territoire établi à son égard par le Canada en raison de son appartenance au PNB ne concorde pas avec l’exclusion prévue à la section F de l’article premier de la Convention relative aux réfugiés. Il fait remarquer que, dans l’arrêt Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2013] 2 RCS 678, 2013 CSC 40, la Cour suprême a déclaré que le demandeur doit avoir « contribué de manière significative et consciente » aux crimes d’une organisation avant d’être exclu en vertu de l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention relative aux réfugiés. Le demandeur soutient donc que le fait qu’il ne puisse pas faire l’objet d’un examen des risques fondé sur l’article 96 va à l’encontre des obligations internationales du Canada.

[35] Encore une fois, je ne suis pas d’accord. Selon le principe de la suprématie du Parlement, lorsque les dispositions législatives ne sont pas ambiguës, il faut leur donner effet, même si elles sont contraires aux obligations internationales du Canada ou au droit international (Németh c Canada (Justice), [2010] 3 RCS 281, 2010 CSC 56 au para 35; Nation Gitxaala c Canada, 2015 CAF 73 au para 16). Cependant, à moins d’indications contraires, il existe une présomption que les dispositions législatives mettent en œuvre les valeurs et les principes du droit international coutumier et conventionnel (B010 c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2015] 3 RCS 704, 2015 CSC 58 au para 47; Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd., Markham, LexisNexis Canada Inc., 2014 au § 18.6).

[36] Cela dit, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le régime d’ERAR restreint est conforme aux obligations internationales du Canada.

[37] Tant la Convention relative aux réfugiés que la LIPR reconnaissent que le droit à un examen des risques au titre de l’article 96 n’est pas absolu. Le paragraphe 33(2) de la Convention relative aux réfugiés énonce clairement qu’un demandeur d’asile peut être exclu de la protection contre le refoulement s’il y a des raisons sérieuses de le considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve. La section F de l’article premier prévoit que les dispositions de la Convention relative aux réfugiés ne sont pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser qu’elles ont commis un crime de guerre, un crime contre l’humanité ou un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil. Elle exclut également les personnes qui se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. Ces exclusions se reflètent clairement à l’article 98 de la LIPR.

[38] Pour rendre une décision quant à l’interdiction de territoire d’un demandeur au sens de l’alinéa 34(1)c) de la LIPR, la Section de l’immigration est également liée par le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, qui l’oblige à accepter les conclusions de fait tirées par la Section de la protection des réfugiés relativement à l’exclusion suivant la section F de l’article premier de la Convention relative aux réfugiés.

[39] Enfin, la question de l’interdiction de territoire du demandeur ne m’a pas été soumise et ne pouvait pas non plus être réexaminée par l’agent chargé de l’ERAR (Tapambwa, au para 41).

[40] Pour ces motifs, je suis d’avis que le régime d’ERAR restreint dont le demandeur peut se prévaloir n’est pas incompatible avec les obligations internationales du Canada.

D. Le régime d’ERAR restreint est-il conforme aux articles 7 et 15 de la Charte?

[41] Le demandeur soutient que la présente affaire peut être distinguée de l’affaire Tapambwa, dans laquelle la Cour d’appel fédérale a conclu que l’ERAR restreint ne portait pas atteinte à l’article 7 de la Charte. Le demandeur estime que son dossier est différent parce qu’il demande un examen des risques fondé sur l’article 96 et qu’il n’affirme pas que le refus de lui accorder l’asile était inconstitutionnel. Il soutient que le manque d’équité procédurale et l’ERAR restreint sont contraires à l’obligation de non-refoulement du Canada, ce qui est différent des arguments avancés dans l’affaire Tapambwa.

[42] Le demandeur fait valoir que l’expulsion met en cause l’article 7 (Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), [2002] 1 RCS 3, 2002 CSC 1; Seklani c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 778). L’agent chargé de l’ERAR a pris acte du fait que le demandeur était membre du PNB, mais n’a quand même pas examiné ses risques aux termes de l’article 96. Par conséquent, le demandeur est exposé à un risque de persécution et de violation de ses droits fondamentaux s’il retourne au Bangladesh.

[43] À mon avis, les arguments du demandeur fondés sur l’article 7 ont été examinés et rejetés dans l’arrêt Tapambwa, dans lequel la Cour d’appel fédérale s’est exprimée sans ambiguïté :

[82] Il s’ensuit que la thèse des appelants portant que leurs risques doivent être appréciés en fonction des critères de l’article 96 est contraire à la jurisprudence de la Cour suprême. Comme la détermination d’exclusion ou d’interdiction de territoire ne met pas en cause l’article 7, il s’ensuit nécessairement que l’article 7 n’est pas mis en cause par le refus d’une évaluation des risques aux termes de l’article 96. Il s’agit de la conséquence de la trilogie des décisions de la CSC (arrêts Suresh, Febles et B010). L’exclusion retire les appelants du processus de détermination du statut de réfugié et, par conséquent, de l’évaluation des risques prévue par l’article 96.

[44] Il n’est donc pas possible d’établir une distinction en l’espèce et de conclure que les droits du demandeur garantis à l’article 7 de la Charte ont été violés en raison du fait que l’agent d’ERAR n’a pas examiné le risque lié au retour au Bangladesh sur la base de l’article 96.

[45] En plus de la violation de l’article 7, le demandeur soutient que le régime d’ERAR restreint est discriminatoire envers les personnes interdites de territoire. Il fait valoir que l’article 113 crée une différence de traitement entre les demandeurs interdits de territoire et les autres demandeurs dont la demande d’asile est jugée irrecevable, qui peuvent faire l’objet d’un examen des risques fondé sur les articles 96 et 97. Le demandeur prétend qu’il est exposé à un risque de persécution en raison de ses opinions politiques, mais que l’article 113 exige qu’il établisse également, aux termes de l’article 97 de la LIPR, qu’il serait personnellement et sérieusement exposé à une menace à sa vie, au risque d’être soumis à la torture ou au risque de traitements ou peines cruels ou inusités.

[46] Dans l’arrêt R c CP, 2021 CSC 19, la Cour suprême du Canada, citant le paragraphe 27 de l’arrêt Fraser c Canada (Procureur général), 2020 CSC 28, a récemment réaffirmé le critère à appliquer pour conclure à une violation de l’article 15 de la Charte :

[56] […] Pour prouver une violation à première vue du par. 15(1), le demandeur doit démontrer que la loi contestée :

crée, à première vue ou de par son effet, une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue;

impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage.

[47] La Cour suprême a déjà expliqué, dans l’arrêt Corbiere c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 RCS 203, les critères pour qualifier d’analogue un motif de distinction :

[13] En conséquence, quels sont les critères qui permettent de qualifier d’analogue un motif de distinction? La réponse est évidente, il s’agit de chercher des motifs de distinction analogues ou semblables aux motifs énumérés à l’art. 15 -- la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques. Il nous semble que le point commun entre ces motifs est le fait qu’ils sont souvent à la base de décisions stéréotypées, fondées non pas sur le mérite de l’individu mais plutôt sur une caractéristique personnelle qui est soit immuable, soit modifiable uniquement à un prix inacceptable du point de vue de l’identité personnelle. Ce fait tend à indiquer que l’objet de l’identification de motifs analogues à la deuxième étape de l’analyse établie dans Law est de découvrir des motifs fondés sur des caractéristiques qu’il nous est impossible de changer ou que le gouvernement ne peut légitimement s’attendre que nous changions pour avoir droit à l’égalité de traitement garantie par la loi. Autrement dit, l’art. 15 vise le déni du droit à l’égalité de traitement pour des motifs qui sont immuables dans les faits, par exemple la race, ou qui sont considérés immuables, par exemple la religion. D’autres facteurs, que la jurisprudence a rattachés aux motifs énumérés et analogues, tel le fait que la décision produise des effets préjudiciables à une minorité discrète et isolée ou à un groupe qui a historiquement fait l’objet de discrimination, peuvent être considérés comme émanant du concept central que sont les caractéristiques personnelles immuables ou considérées immuables, caractéristiques qui ont trop souvent servi d’ersatz illégitimes et avilissants de décisions fondées sur le mérite des individus.

[48] L’interdiction de territoire au Canada pour raison de sécurité n’est pas un motif de distinction énuméré au paragraphe 15(1) de la Charte. Le demandeur n’a cité aucun précédent pour faire valoir que l’interdiction de territoire pour raison de sécurité devrait être considérée comme un motif analogue; en fait, il n’a présenté aucun argument à cet égard. Je ne vois pas en quoi l’interdiction de territoire au Canada constituerait, comme la Cour suprême l’a énoncé au paragraphe 13 de l’arrêt Corbiere, une distinction fondée « sur une caractéristique personnelle qui est soit immuable, soit modifiable uniquement à un prix inacceptable du point de vue de l’identité personnelle ».

[49] Par conséquent, ce motif de contestation doit lui aussi être rejeté.

V. Les questions proposées aux fins de certification

[50] Le demandeur propose les questions suivantes aux fins de certification par la Cour :

1. Lorsqu’une personne interdite de territoire présente une demande d’ERAR, l’examen des risques peut-il être effectué sans accorder l’asile aux termes des articles 96, 97 et 112 de la LIPR, et l’agent d’immigration a-t-il l’obligation de mener cet examen même si le demandeur est exclu de la protection des réfugiés au titre de l’article 113 de la LIPR?

2. La personne interdite de territoire qui présente une demande d’ERAR, mais dont la crédibilité n’a jamais été évaluée par un organisme judiciaire, quasi judiciaire ou administratif, devrait-elle être présumée avoir droit à une audience dans le cadre du processus d’ERAR?

3. Les obligations internationales du Canada découlant de la Convention relative aux réfugiés, de la Convention contre la torture et d’autres traités internationaux ainsi que son engagement à l’égard du non-refoulement exigent-ils qu’un degré plus élevé d’équité procédurale soit accordé à la personne qui présente une demande d’ERAR si elle est interdite de territoire et imposent-ils au Canada une obligation positive d’assurer les droits fondamentaux de cette personne en matière d’équité procédurale, notamment de veiller à ce qu’elle ait une possibilité réelle de connaître la preuve contre elle, de comparaître devant un organisme judiciaire ou quasi judiciaire indépendant pour plaider sa cause et de fournir des éléments de preuve à l’appui de sa demande?

4. Le Canada manque-t-il à ses obligations internationales, en particulier au principe du non-refoulement, en ne veillant pas à mettre en place un système d’examen des risques équitable et significatif avant le renvoi d’une personne exclue de la protection des réfugiés en vertu de sa législation interne?

[51] Aux termes de l’alinéa 74d) de la LIPR, le jugement consécutif au contrôle judiciaire n’est susceptible d’appel en Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci. La Cour d’appel fédérale a confirmé que l’exigence de certification remplit une fonction de contrôle importante à l’égard des types d’affaires qui peuvent être soumises à la Cour d’appel fédérale (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Galindo Camayo, 2022 CAF 50 aux para 37, 42). Pour qu’une question soit dûment certifiée aux termes de l’article 74 de la LIPR, la question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale (Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130 au para 36; Varela c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145 au para 28). Pour qu’une question soit de portée générale, elle ne peut pas avoir déjà été tranchée dans la jurisprudence (Lewis, au para 39; Mudrak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178 au para 36).

[52] Cela dit, je suis d’avis que les réponses aux deux premières questions sont clairement énoncées dans la LIPR. Il faut donner effet au libellé clair et sans équivoque du paragraphe 112(3) et de l’alinéa 113d) de la LIPR, qui interdisent de conférer l’asile et d’examiner les risques fondés sur la définition de réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96 de la LIPR. La même chose peut être dite du langage clair de l’alinéa 113b) et de l’article 167 du Règlement, qui prévoient les facteurs dont il faut tenir compte pour décider si la tenue d’une audience est requise.

[53] Pour ce qui est de la troisième question, elle n’est pas déterminante en l’espèce et ne permettrait pas de trancher l’appel. La présente affaire est un cas d’espèce et, comme je l’ai déjà mentionné, la question déterminante porte sur le fait que le demandeur n’a pas établi le bien-fondé de ses arguments et n’a pas présenté une preuve suffisante pour établir l’existence d’un risque prospectif.

[54] Enfin, je conviens avec le défendeur que la quatrième question a été traitée en profondeur dans divers arrêts de la Cour suprême du Canada et de la Cour d’appel fédérale (Németh, au para 51; Febles c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2014] 3 RCS 431, 2014 CSC 68 au para 64; Singh c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 RCS 177 aux para 207-210; Atawnah c Canada (Sécurité publique et Protection civile); Suresh, aux para 113-127; et Tampabwa, aux para 76-88). Dans l’arrêt Németh, la Cour suprême du Canada a affirmé que la Convention relative aux réfugiés « ne renferme pas de disposition particulière d’ordre procédural. [E]lle n’impose aux États contractants aucun processus pour la reconnaissance ou le retrait du statut de réfugié. L’engagement international du Canada relatif au non‑refoulement ne l’assujettit donc pas à un régime procédural particulier en matière d’extradition » (au para 51). Dans l’arrêt Febles, la Cour suprême a conclu que la Charte n’accorde aucun droit positif à l’égard de l’asile. Par conséquent, le législateur a le pouvoir d’adopter un texte législatif conforme aux obligations que la Convention relative aux réfugiés impose au Canada, ou un texte législatif qui prévoit une protection plus grande ou moindre que celle prévue par la Convention relative aux réfugiés (Febles, au para 64).

[55] Je suis donc d’avis que la présente demande de contrôle judiciaire ne soulève aucune question de portée générale qui justifierait la certification.

VI. Conclusion

[56] Pour les motifs exposés ci-dessus, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. L’agent n’a pas tiré une conclusion voilée quant à la crédibilité et il n’avait aucune obligation de tenir une audience aux termes de l’alinéa 113b) de la LIPR et de l’article 167 du Règlement.

[57] Le demandeur a été déclaré interdit de territoire en raison de son appartenance au PNB. Il n’a pas contesté cette décision et n’a pas demandé une dispense ministérielle. Il n’a donc eu droit qu’à un ERAR restreint. Malgré tout, il n’a pas mis son dossier en état.

[58] L’ERAR restreint est conforme aux obligations internationales du Canada, mais même s’il ne l’était pas, la LIPR l’emporterait à titre de source de droit interne.

[59] Enfin, il n’y a eu aucune violation des droits garantis aux articles 7 et 15. Pour ce qui est de l’allégation relative à l’article 7, la Cour d’appel fédérale a conclu, dans l’arrêt Tapambwa, que le régime d’ERAR restreint n’enfreint pas l’article 7. En ce qui a trait à l’article 15, le demandeur n’a pas établi l’existence d’un motif analogue.

[60] Le nom du demandeur est épelé « Hossain » dans son passeport du Bangladesh, dans sa demande d’ERAR et dans la lettre de décision relative à l’ERAR. L’intitulé de la présente décision sera donc modifié de manière à ce que le demandeur soit désigné sous le nom de Zakir Hussain (Hossain).


JUGEMENT dans le dossier IMM-6797-20

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. L’intitulé est modifié de manière à ce que le demandeur soit désigné sous le nom de Zakir Hussain (Hossain);

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée;

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6797-20

 

INTITULÉ :

ZAKIR HUSSAIN (HOSSAIN) c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 JUIN 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFs :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 OctobRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Washim Ahmed

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Amy Lambiris

Kevin Spykerman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

OWS Law

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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