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Date : 20221018


Dossier : IMM-2362-22

Référence : 2022 CF 1394

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 octobre 2022

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

BOUTROS MASSROUA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Boutros Massroua, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section de l’immigration [la SI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada l’a déclaré interdit de territoire au Canada au titre de l’alinéa 35(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. La SI a conclu que le demandeur était interdit de territoire au motif qu’il était complice de crimes contre l’humanité parce qu’il avait volontairement et sciemment apporté une contribution importante à l’État islamique en Irak et en Syrie [l’EIIS] en réparant les véhicules que le groupe utilisait dans ses opérations.

[2] La conclusion de la SI sur ce point s’appuie sur les conclusions de fait antérieures tirées par la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon lesquelles le demandeur était complice de crimes contre l’humanité parce qu’il avait volontairement et sciemment apporté une contribution importante à l’EIIS. Cette conclusion a été confirmée par la Section d’appel des réfugiés [la SAR]. En outre, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, notre Cour a estimé que la décision de la SAR était raisonnable (Massroua c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1542 [Massroua 2019]).

[3] Compte tenu de cet historique, la SI a appliqué l’alinéa 15b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‐‐27 [le Règlement], qui porte que :

15 Les décisions ci‐après ont, quant aux faits, force de chose jugée pour le constat de l’interdiction de territoire d’un étranger ou d’un résident permanent au titre de l’alinéa 35(1)a) de la Loi :

[...]

b) toute décision de la Commission, fondée sur les conclusions que l’intéressé a commis un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, qu’il est visé par la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés [...]

15 For the purpose of determining whether a foreign national or permanent resident is inadmissible under paragraph 35(1)(a) of the Act, if any of the following decisions or the following determination has been rendered, the findings of fact set out in that decision or determination shall be considered as conclusive findings of fact:

[...]

(b) a determination by the Board, based on findings that the foreign national or permanent resident has committed a war crime or a crime against humanity, that the foreign national or permanent resident is a person referred to in section F of Article 1 of the Refugee Convention [...]

[4] Le demandeur a soutenu devant la SI que les conclusions de fait antérieures de la SPR et de la SAR étaient viciées par un manquement à l’équité procédurale en raison de problèmes liés à la traduction des éléments de preuve qu’il avait déposés, et il a demandé à la SI de réexaminer les questions sur la foi de cette nouvelle preuve. La SI a rejeté la demande, estimant que l’alinéa 15b) l’empêchait de mettre en doute les conclusions de fait antérieures. Elle a appliqué le critère juridique de la complicité aux faits constatés par la SPR et a conclu que le demandeur était interdit de territoire.

[5] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la SI au motif que l’interprétation qu’elle a faite de l’alinéa 15b) est déraisonnablement restrictive et ne tient pas compte de l’objectif sous‐jacent de la disposition.

[6] Je suis d’accord avec le demandeur, mais seulement dans la mesure où j’estime que l’analyse de l’interprétation de la loi faite par la SI est déraisonnable. Pour les motifs exposés ci‐dessous, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II. Le contexte

A. L’historique des procédures

[7] Le demandeur est un citoyen du Liban âgé de 57 ans. Il est de confession catholique. Au Liban, il travaillait comme mécanicien d’automobiles. En janvier 2015, il a commencé à travailler pour un nouveau client après ses heures de travail habituelles. Ce travail s’est poursuivi à différents endroits au Liban et en Syrie, jusqu’à ce qu’il parte pour le Canada avec son épouse en mai 2015.

[8] Le demandeur a réparé des jeeps et des véhicules utilitaires sport, dont certains comportaient des trous de balle. À une occasion, il a trouvé une arme à feu et des taches de sang frais à l’intérieur d’un véhicule sur lequel il travaillait. Il a vu d’autres personnes renforcer des véhicules avec du métal. Il y avait un important dispositif de sécurité sur l’un des sites. Compte tenu de tous ces facteurs, le demandeur a décidé qu’il ne voulait pas continuer à faire ce travail. Il a déclaré avoir subi des pressions de la part de l’homme pour lequel il travaillait, de même que de la part de membres du Hezbollah qui voulaient qu’il agisse en tant qu’espion et qu’il leur rapporte ce qu’il voyait lorsqu’il réparait les véhicules. Son femme et lui se sont réfugiés au Canada en mai 2015 munis de visas de visiteur qu’ils avaient été en mesure d’obtenir parce que la sœur de la femme du demandeur vit au Canada.

[9] Le demandeur et son épouse ont demandé l’asile peu après leur arrivée au Canada. La SPR a commencé à instruire la demande d’asile du demandeur en novembre 2015, mais le ministre a demandé que l’instance soit suspendue afin qu’une enquête puisse être menée. La question soulevée à ce moment‐là était de savoir si le demandeur avait été membre de l’EIIS et, donc, s’il était interdit de territoire au titre de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. En mai 2016, la SI a mené une enquête et a conclu que le demandeur et son épouse n’étaient pas interdits de territoire au Canada.

[10] L’audience de la SPR a repris en septembre 2016 et, dans une décision datée du 12 octobre 2016, le tribunal a rejeté la demande d’asile du demandeur au motif qu’il était exclu au titre de l’article 98 de la LIPR et de l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés [la Convention sur les réfugiés]. La SPR a conclu qu’il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur s’était rendu complice de crimes contre l’humanité parce qu’il avait volontairement et sciemment apporté une contribution importante aux activités de l’EIIS en réparant des véhicules que le groupe utilisait pour réaliser ses objectifs. La SPR a conclu que le demandeur s’était rendu compte très rapidement qu’il entretenait des véhicules utilisés par l’EIIS et qu’il était donc complice des crimes contre l’humanité commis par le groupe.

[11] La SAR a confirmé cette conclusion, et la Cour a jugé que la décision de la SAR était raisonnable (Massroua 2019).

[12] Par la suite, le ministre a renvoyé la question de l’interdiction de territoire du demandeur à la SI pour qu’elle rende une décision.

B. La décision faisant l’objet du contrôle

[13] L’enquête s’est tenue en novembre 2021 et les deux parties ont présenté des observations écrites par la suite. Nul n’a contesté que l’EIIS avait commis des crimes contre l’humanité; en effet, le demandeur a reconnu que [traduction] « l’EIIS p[ouvait] à juste titre être qualifié de groupe dont les objectifs sont limités et brutaux ». Le demandeur a plutôt exhorté la SI à examiner les éléments de preuve concernant sa complicité plutôt que de s’appuyer sur les conclusions de fait tirées dans le cadre de l’instance antérieure devant la SPR. Il a fait valoir que la SI ne devait pas s’appuyer sur les conclusions de fait antérieures parce qu’elles étaient [traduction] « entachées par l’absence d’une interprétation compétente lors de l’audience de la SPR ». Le demandeur a fait valoir que la SI devait tirer ses propres conclusions de fait pour trancher la question de la complicité étant donné que l’audience sous‐jacente était inéquitable sur le plan procédural.

[14] Les observations que le demandeur a présentées à la SI étaient essentiellement axées sur l’interprétation et l’application de l’alinéa 15b) du Règlement. Selon lui, la SI devait tirer sa propre conclusion sur la question de savoir s’il était complice de crimes contre l’humanité; en effet, si l’alinéa 15b) prévoit que les conclusions de fait sont contraignantes, la question de la complicité est une question mixte de fait et de droit. À cet égard, le demandeur a invoqué les paragraphes 23 à 25 de la décision Johnson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 868 [Johnson]. En outre, il a affirmé que les nouveaux éléments de preuve relatifs à la qualité de la traduction étaient admissibles selon la conclusion tirée au paragraphe 75 de la décision Mungwarere c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 708 [Mungwarere], selon laquelle « la SI conserve le pouvoir discrétionnaire d’admettre une preuve nouvelle qui viendrait contredire le verdict de culpabilité ou l’ordonnance d’exclusion du statut de réfugié ».

[15] Le ministre a réfuté ces arguments en faisant valoir que les conclusions de fait étaient cohérentes et que le demandeur n’avait pas soulevé la question de la qualité de l’interprétation plus tôt dans l’instance, soit au moment où il avait interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la SAR ou au moment où il avait demandé le contrôle judiciaire de la décision par laquelle son appel avait été rejeté par la SAR. Selon le ministre, la SI était liée par les conclusions antérieures parce que le demandeur ne les avait pas contestées au moment où il aurait dû le faire.

[16] La SI a rejeté l’argument du demandeur selon lequel elle pouvait prendre en compte les nouveaux éléments de preuve parce qu’elle considérait que l’alinéa 15b) du Règlement l’empêchait de le faire. Le raisonnement de la SI sur ce point est exposé dans le passage suivant, qui est cité en entier parce qu’il est au cœur des arguments dans le cadre du contrôle judiciaire :

[11] La conseil de M. Massroua soutient que la nouvelle preuve qui contredit ou remet en question les conclusions de la SPR doit être examinée dans le cadre de ma décision, et cite à cet égard une déclaration de la Cour fédérale dans la décision Mungwarere : « la SI conserve le pouvoir discrétionnaire d’admettre une preuve nouvelle qui viendrait contredire le verdict de culpabilité ou l’ordonnance d’exclusion du statut de réfugié ». J’estime toutefois que cette référence est déplacée. La phrase citée précédemment est une remarque incidente de la Cour se référant à un arrêt de la Cour suprême [Danyluk c Ainsworth Technologies Inc, 2001 CSC 44] sur la préclusion découlant d’une question déjà tranchée qui n’a aucun rapport avec la LIPR ou le RIPR, et dans lequel la Cour suprême évaluait une décision discrétionnaire plutôt que l’application d’une disposition réglementaire explicite comme l’alinéa 15b) du RIPR; d’ailleurs, il est difficile de savoir sur quelle partie de l’arrêt de la Cour suprême la Cour fédérale s’est appuyée dans sa remarque incidente, attendu que la Cour suprême ne parlait pas de la SI et encore moins de l’alinéa 15b) du RIPR. La décision Mungwarere laisse entendre que la SI peut avoir le pouvoir discrétionnaire d’admettre une nouvelle preuve, mais la Cour d’appel fédérale a récemment affirmé de manière catégorique que la SI doit accepter les conclusions factuelles de la SPR [Tapambwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 34 au para 51]. La position de la Cour d’appel fédérale concorde avec la décision Johnson ainsi qu’avec un courant jurisprudentiel antérieur de la Cour fédérale [renvois omis]. L’approche préconisée par M. Massroua, si elle était retenue, entacherait de nullité l’application de l’alinéa 15b) du RIPR, puisque les conclusions de fait antérieures de la Commission ne seraient plus le moindrement déterminantes si elles pouvaient simplement être écartées sur la base d’une nouvelle preuve. M. Massroua tente de remettre en litige des questions de fait, ce que l’alinéa 15b) du RIPR vise justement à empêcher, suivant la décision Johnson. À ce titre, je préfère la directive plus claire formulée par la Cour d’appel fédérale et dans d’autres décisions de la Cour fédérale que Mungwarere. [En italique dans l’original.]

[17] Le commissaire de la SI a estimé que la position du demandeur équivalait à une attaque collatérale contre les décisions de la SPR et de la SAR, et il a conclu que le tribunal compétent pour une telle contestation était notre Cour plutôt que la SI. La SI a ensuite examiné le critère juridique applicable à la question de la complicité et a jugé que la preuve était suffisante pour établir que le demandeur avait volontairement et sciemment apporté une contribution importante à l’EIIS et qu’il était donc complice des crimes contre l’humanité commis par le groupe. La SI a conclu que le demandeur était donc interdit de territoire au Canada.

[18] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

III. La question en litige et la norme de contrôle

[19] La seule question en litige en l’espèce consiste à savoir si l’interprétation et l’application par la SI de l’alinéa 15b) sont raisonnables.

[20] Cette question doit être évaluée au regard du cadre régissant le contrôle selon la norme de la décision raisonnable établi dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Ce cadre vise à renforcer une culture de la justification dans l’administration publique canadienne en exigeant que la décision rendue par un décideur administratif soit « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et [soit] justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). La cour de révision doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‐ci » (Vavilov, au para 99). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable, et la Cour doit être convaincue que « la lacune ou la déficience [...] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » [Vavilov, au para 100].

[21] Des considérations spéciales s’appliquent lorsqu’une cour est chargée de contrôler l’interprétation d’une loi ou d’un règlement par un décideur administratif. Dans l’arrêt Vavilov et dans d’autres affaires, cette approche a été largement définie par l’établissement de ce qu’un tribunal ne doit pas faire. La Cour suprême du Canada a bien résumé ce point au paragraphe 40 de l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Société canadienne des postes] :

Le décideur administratif « jouit [d’un privilège] en matière d’interprétation » (McLean c. Colombie‐Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895, par. 40). Lorsqu’elle examine une question d’interprétation législative, la cour de révision ne devrait pas procéder à une interprétation de novo, ni tenter de déterminer un éventail d’interprétations raisonnables avec lesquelles elle peut comparer l’interprétation du décideur. « [L]e juge réformateur n’établit pas son propre critère pour ensuite jauger ce qu’a fait l’administrateur » (Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, par. 28 (CanLII), cité dans Vavilov, par. 83). La cour de révision ne « se demand[e] [pas] ce qu’aurait été la décision correcte » (Barreau du Nouveau‐Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247, par. 50, cité dans Vavilov, par. 116). Ces rappels sont particulièrement importants compte tenu du fait qu’« une cour de révision peut facilement glisser de la norme de la décision raisonnable à celle de la décision correcte lorsqu’elle se penche sur une question d’interprétation qui soulève une pure question de droit » (New Brunswick Liquor Corp. c. Small, 2012 NBCA 53, 390 R.N.‐B. (2e) 203, par. 30).

[22] Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 [Mason], la Cour d’appel fédérale a précisé l’approche qu’un tribunal doit adopter pour contrôler l’interprétation des dispositions législatives d’un décideur administratif, en s’appuyant sur l’approche qu’elle avait énoncée dans l’arrêt Hillier c Canada (Procureur général), 2019 CAF 44 [Hillier] :

[16] L’arrêt Hillier commence par rappeler aux cours de révision trois éléments fondamentaux dont elles doivent tenir compte dans les examens effectués selon la norme de la décision raisonnable. Premièrement, dans de nombreuses affaires, un éventail d’options d’interprétation peut s’offrir au décideur administratif, selon le texte, le contexte et l’objet de la loi. Deuxièmement, dans certaines affaires en particulier, le décideur administratif peut être plus en mesure que les cours d’apprécier cet éventail d’options, en raison de sa spécialisation et de son expertise. Enfin, troisièmement, la loi, c’est‐à‐dire le texte législatif que les cours de révision sont tenues d’appliquer, confère non pas aux cours de révision, mais aux décideurs administratifs la responsabilité d’interpréter la loi.

[17] Pour ces motifs, l’arrêt Hillier dit aux cours de révision de laisser aux décideurs administratifs la latitude voulue par le législateur, mais les oblige néanmoins à se justifier. Pour y arriver, les cours de révision peuvent procéder à une analyse préliminaire du texte, du contexte et de l’objet de la loi, simplement pour comprendre l’état de la situation, avant d’examiner les motifs du décideur administratif. Elles doivent toutefois se limiter à cette analyse. Elles ne doivent pas elles‐mêmes rendre des décisions ou des conclusions définitives. Si c’était le cas, elles établiraient alors leur propre critère pour jauger l’interprétation du décideur administratif et s’assurer que cette interprétation est la bonne.

[23] Selon l’arrêt Mason (au para 20), cette approche nécessite que les « cours de révision [...] [fassent] preuve de “retenue judiciaire” et respect[ent] le “rôle distinct des décideurs administratifs” : Vavilov, par. 75 ». Pour y parvenir, elles doivent examiner les motifs du décideur avec « une attention respectueuse », en cherchant « à comprendre le fil du raisonnement » (Vavilov, au para 84).

[24] Je suivrai ces lignes directrices pour examiner la décision de la SI.

IV. Analyse

[25] Le demandeur fait valoir que la décision de la SI ne satisfait pas aux exigences de l’arrêt Vavilov parce que cette dernière n’a pas abordé les questions principales qu’il avait soulevées et que ses motifs n’étaient pas intelligibles. Il souligne que l’arrêt Vavilov exige des décideurs qu’ils fournissent des motifs plus solides lorsque les enjeux sont plus importants pour la personne concernée (Vavilov, au para 133). Le demandeur soutient que la décision de la SI le laisse [traduction] « dans une situation incertaine » parce qu’il lui est interdit de façon permanente de chercher à obtenir un statut au Canada et qu’il ne peut pas demander une dispense ministérielle, et ce, même s’il ne peut pas être renvoyé du Canada. En outre, il n’aurait accès qu’à un examen des risques avant renvoi restreint s’il devait être visé par une mesure de renvoi du Canada. Par conséquent, il incombait à la SI de se montrer plus rigoureuse dans la justification de sa décision.

[26] En l’espèce, le demandeur soutient que la SI a commis une erreur en considérant sa position comme une contestation indirecte de la décision de la SPR; il n’a jamais fait valoir que cette décision était erronée, mais plutôt que l’ensemble de l’instance était entaché par un manquement à l’équité procédurale. En outre, il souligne que la doctrine de la contestation indirecte prévoit une exception dans le cas où la décision antérieure est entachée par un manquement à l’équité procédurale.

[27] Le demandeur soutient que la SI n’a pas tenu compte de son argument principal, à savoir que l’alinéa 15b) incorpore le principe de l’autorité de la chose jugée dans la LIPR et que, ce faisant, il confère implicitement à la SI le pouvoir discrétionnaire résiduel de refuser d’être liée par des conclusions de fait lorsque cela entraînerait une injustice (citant Danyluk c Ainsworth Technologies Inc, 2001 CSC 44 [Danyluk] au para 33).

[28] Suivant l’approche adoptée dans l’arrêt Vavilov et les orientations définies dans l’arrêt Mason, ma première tâche, avant d’examiner les motifs de la SI, consiste à procéder à une analyse préliminaire du libellé, du contexte et de l’objet de la disposition afin de comprendre le contexte général et les interprétations possibles.

[29] L’alinéa 15b) est une disposition dont le libellé est simple; à première vue, il laisse peu de place à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Essentiellement, il prévoit que, pour les besoins d’une décision d’interdiction de territoire au titre de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR, les conclusions de fait qui ont étayé la conclusion selon laquelle une personne a commis un crime de guerre ou un crime contre l’humanité dans une décision antérieure doivent être considérées comme ayant force de chose jugée. Il convient de noter que la version anglaise emploie l’auxiliaire « shall » (pouvant se traduire par « doit ») et que la version française emploie l’indicatif présent maquant l’obligation, ce qui laisse peu de place à la possibilité d’un pouvoir discrétionnaire, contrairement à l’effet qu’aurait eu l’emploi de l’auxiliaire « may » ou du verbe « peut ». Le libellé est impératif.

[30] Pour remettre les choses dans leur contexte, l’alinéa 15b) se trouve dans la partie 3 du Règlement, qui porte sur les interdictions de territoire, et fait partie de la section 1, intitulée « Constat de l’interdiction de territoire ». Les deux autres alinéas de l’article 15 traitent d’autres décisions qui ont force de chose jugée : l’alinéa 15a) porte sur les décisions rendues par des tribunaux pénaux internationaux, tandis que l’alinéa 15c) porte sur les décisions rendues par un tribunal canadien en vertu du Code criminel, LRC 1985, c C‐46, ou de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, LC 2000, c 24, concernant un crime de guerre ou un crime contre l’humanité commis à l’extérieur du Canada. Toutes ces dispositions limitent la portée des conclusions de fait tirées par les décideurs subséquents lors de l’évaluation de l’interdiction de territoire.

[31] Les articles qui précèdent et suivent l’article 15 ont un effet similaire. L’article 14 du Règlement donne à certaines décisions antérieures force de chose jugée quant aux faits pour le constat de l’interdiction de territoire au titre de l’alinéa 34(1)c) de la LIPR (se livrer au terrorisme), tandis que l’article 16 du Règlement comporte une liste de postes de rangs supérieurs dont les personnes qui les occupent peuvent être interdites de territoire au Canada parce qu’elles ont fait partie de gouvernements qui se sont livrés au terrorisme ou à des violations graves ou répétées des droits de la personne, ou qui ont commis des génocides, des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre. Là encore, ces dispositions limitent la portée des conclusions de fait tirées à l’égard de ces questions.

[32] Un autre élément contextuel pertinent de l’alinéa 15b) réside dans les dispositions législatives accordant à toutes les sections de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié une grande compétence pour tirer des conclusions de fait et de droit (art 162(1) de la LIPR), et dans l’obligation générale de traiter toutes les procédures, « dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et avec célérité » (art 162(2) de la LIPR).

[33] La dernière étape est un bref examen de l’objet de ces dispositions — non pas pour tirer une conclusion définitive sur le point, mais plutôt pour le situer et comprendre l’« état de la situation ». L’objectif de cette disposition est tout à fait évident : il s’agit d’éliminer l’obligation pour la SI de procéder à un examen de novo des faits dans le cadre d’une enquête lorsqu’il existe des conclusions antérieures sur la même question. La raison d’être d’une telle disposition dans ce contexte est claire. Les conclusions de fait relatives à la complicité de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité nécessitent souvent des examens longs et détaillés d’éléments de preuve complexes. Une fois que le décideur a procédé à ces examens, il est dans l’intérêt général de ne pas les répéter dans le cadre d’une instance ultérieure.

[34] À cet égard, l’objectif fondamental de l’alinéa 15b) semble reproduire les valeurs exprimées dans le principe de l’autorité de la chose jugée, à savoir l’intérêt pour le caractère définitif des instances (Danyluk, au para 18). Des commentaires similaires concernant l’objet de l’alinéa 15b) ont été formulés dans des décisions antérieures de la Cour. Au paragraphe 76 de la décision Kanyamibwa c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 66, la Cour a déclaré ce qui suit : « L’alinéa 15b) du Règlement est une illustration du principe de l’autorité de la chose jugée en common law et exprime clairement l’intention du législateur d’interdire la remise en cause de certaines questions. » Dans la décision Senat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2020] DSAI no 211, la Cour a conclu qu’au titre de l’alinéa 15b), la Section d’appel de l’immigration doit considérer que la décision de la SPR « a force de chose jugée en ce qui concerne les faits relatifs à l’interdiction de territoire » (au para 7).

[35] Il n’est ni nécessaire ni approprié de procéder à une analyse plus approfondie pour tirer une conclusion définitive à l’égard de l’objet de la disposition; c’est précisément ce contre quoi les arrêts Vavilov, Mason et Hillier militent, car cette tâche a été confiée par le législateur à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et non à la Cour. Il suffit d’indiquer que l’objectif fondamental de l’alinéa 15b) est de donner effet à l’intérêt à l’égard du caractère définitif des instances, au moins dans la mesure où celles‐ci concernent les conclusions de fait qui sous‐tendent la décision d’interdiction de territoire, et que, à cet égard, il poursuit le même objectif que celui qui est incarné par la doctrine de l’autorité de la chose jugée en common law.

[36] Conformément à l’approche exposée dans l’arrêt Mason (au para 18), l’étape suivante du processus pour la cour de révision consiste à « “examiner l’interprétation du décideur administratif, à la lumière de ce que ce dernier invoque pour l’étayer et de ce que les parties soulèvent pour ou contre”, en tentant de comprendre la démarche du décideur et les motifs qui l’ont amené à rendre la décision qu’il a rendue : Hillier, par. 16 ».

[37] Les motifs de la SI sont exposés dans le passage cité plus haut. Elle a rejeté l’argument du demandeur fondé sur la décision Mungwarere. La SI a conclu que la déclaration faite par la Cour dans cette affaire, selon laquelle « la SI conserve le pouvoir discrétionnaire d’admettre une preuve nouvelle », était une remarque incidente qui renvoyait à un arrêt rendu par la Cour suprême du Canada sur la préclusion découlant d’une question déjà tranchée [Danyluk]. La SI a fait remarquer que l’arrêt de la Cour suprême n’avait rien à voir avec la LIPR ou le Règlement. Elle a également noté que, dans l’arrêt Danyluk, la Cour suprême « évaluait une décision discrétionnaire plutôt que l’application d’une disposition réglementaire explicite comme l’alinéa 15b) ». Dans cette partie des motifs, la SI a traité directement des observations du demandeur sur ce point, et elle y a précisé que l’arrêt Danyluk ne portait pas sur les dispositions en cause dans l’affaire dont elle était saisie. Bien que la conclusion selon laquelle la déclaration de la Cour dans la décision Mungwarere constitue une remarque incidente ne soit pas sans soulever de doute, il s’agit précisément du type de conclusion qu’il appartient à la SI, et non à la Cour, de tirer.

[38] La partie suivante de l’analyse de la SI est toutefois plus douteuse. La SI a poursuivi ainsi :

[D]’ailleurs, il est difficile de savoir sur quelle partie de l’arrêt de la Cour suprême la Cour fédérale s’est appuyée dans sa remarque incidente, attendu que la Cour suprême ne parlait pas de la SI et encore moins de l’alinéa 15b) du RIPR. La décision Mungwarere laisse entendre que la SI peut avoir le pouvoir discrétionnaire d’admettre une nouvelle preuve, mais la Cour d’appel fédérale a récemment affirmé de manière catégorique que la SI doit accepter les conclusions factuelles de la SPR. [En italique dans l’original.]

[39] Je partage l’avis du demandeur selon lequel cette partie de l’analyse pose plusieurs problèmes. Premièrement, il est évident que la décision Mungwarere renvoie à l’arrêt Danyluk parce qu’elle a reconnu qu’il existait une exception au principe de l’autorité de la chose jugée en common law, dans les cas où l’application du principe donne lieu à une injustice. Le fait que l’arrêt Danyluk traite également de l’application du principe dans un contexte de droit administratif est également pertinent.

[40] L’objectif du renvoi à l’arrêt Danyluk ressort clairement du contexte factuel de l’affaire Mungwarere, dans laquelle le demandeur cherchait à contester une conclusion de fait tirée dans le cadre d’une instance pénale antérieure au terme de laquelle il avait été déclaré non coupable des accusations portées contre lui. Compte tenu de son acquittement, il ne pouvait pas interjeter appel des conclusions tirées, même s’il ne les approuvait pas., même s’il ne les approuvait pas. Lorsque le ministre a affirmé que ces conclusions de fait étaient contraignantes dans l’instance ultérieure relative à l’interdiction de territoire, M. Mungwarere s’y est opposé en s’appuyant sur le pouvoir discrétionnaire résiduel qui, selon l’arrêt Danyluk, existait lorsque l’application stricte du principe de l’autorité de la chose jugée risquait d’entraîner une injustice.

[41] Deuxièmement, la référence à la déclaration « catégorique » de la Cour d’appel fédérale sur l’interprétation correcte de l’alinéa 15b) pousse trop loin le point soulevé dans l’arrêt Tapambwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 34 [Tapambwa]. Au paragraphe 51 de cet arrêt, la Cour d’appel fédérale a conclu que la SI « est censée » accepter les conclusions de fait antérieures de la SPR et a renvoyé aux paragraphes 24 et 25 de la décision Johnson « pour de plus amples détails à ce sujet ». Cette déclaration a été faite dans le cadre de la description des dispositions qui régissent les décisions d’interdiction de territoire. Comme l’a noté la Cour d’appel fédérale au paragraphe 1 de l’arrêt Tapambwa, la question a été posée :

[...] dans des circonstances très particulières et restreintes alors que l’interprétation de l’alinéa a) de la section F de l’article premier, et dès lors le fondement juridique de la conclusion selon laquelle les appelants ont été exclus du droit à l’asile au titre de la Convention, a évolué entre la date de la décision d’exclusion et l’audience devant l’agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR).

[42] Les circonstances de cette affaire ont changé parce que, peu de temps après la fin de l’instance relative à l’interdiction de territoire, la Cour suprême du Canada a rendu l’arrêt Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40, dans lequel elle a modifié le critère de la « complicité » dans les affaires de crimes de guerre. M. Tapambwa a fait valoir que ce changement signifiait que la décision antérieure ne devait pas être considérée comme contraignante. Dans l’arrêt Tapambwa, la Cour d’appel fédérale a estimé qu’un agent d’ERAR n’avait pas la compétence pour réexaminer une décision d’exclusion antérieure :

[60] Comme je l’ai expliqué, l’ERAR n’a pas pour objet la répétition du travail de la SPR et de la SAI, ni l’audition d’un appel de leurs décisions. La SPR et la Section de l’immigration sont dessaisies dès qu’elles ont rendu leurs décisions; la question de l’exclusion et de l’interdiction de territoire est définitive du point de vue du pouvoir conféré à l’agent d’ERAR aux termes de la LIPR. En l’absence de nouveaux éléments de preuve ou d’éléments de preuve d’un risque qui n’avait pas été évalué auparavant, la question de l’exclusion a finalement été tranchée par le rejet de la demande de contrôle judiciaire des appelants par la Cour fédérale le 11 juillet 2013, soit huit jours avant la reddition de l’arrêt Ezokola. L’exclusion des appelants a finalement été déterminée « en fonction » du droit en vigueur à l’époque.

[43] Il est intéressant de noter que, dans cette affaire, la Cour d’appel a rejeté l’argument du ministre selon lequel l’agent d’ERAR était lié par le principe de l’autorité de la chose jugée; en effet, alors que la décision antérieure portait sur le comportement passé du demandeur, l’agent d’ERAR devait examiner le risque futur auquel il pourrait être exposé à son retour dans son pays d’origine (Tapambwa, au para 66). En ce sens, la décision antérieure ne portait pas sur la même question et le principe ne s’appliquait donc pas.

[44] La question qui découle de la discussion qui précède consiste à savoir si le traitement de ces décisions par la SI est raisonnable. D’une part, on pourrait dire qu’il s’agit du rôle exact que le législateur a confié à la SI et que la Cour ne devrait pas intervenir dans son évaluation de la jurisprudence. D’autre part, on peut soutenir qu’il doit y avoir des limites à la latitude d’interprétation accordée à un décideur administratif, en particulier lorsque — comme en l’espèce — les répercussions de la décision sur le demandeur sont si importantes. Comme le confirme la Cour suprême au paragraphe 133 de l’arrêt Vavilov :

Le point de vue de la partie ou de l’individu sur lequel l’autorité est exercée est au cœur de la nécessité d’une justification adéquate. Lorsque la décision a des répercussions sévères sur les droits et intérêts de l’individu visé, les motifs fournis à ce dernier doivent refléter ces enjeux. Le principe de la justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées veut que le décideur explique pourquoi sa décision reflète le mieux l’intention du législateur, malgré les conséquences particulièrement graves pour l’individu concerné.

[45] Dans les circonstances actuelles, je ne suis pas tenu de tirer une conclusion précise sur cette question épineuse parce que j’ai constaté l’existence d’une lacune encore plus fondamentale dans l’analyse de la SI. Le demandeur a reconnu devant la Cour que la question qu’il a soulevée concernant l’interprétation de l’alinéa 15b) n’avait été explicitement traitée dans aucune des décisions antérieures. Après avoir reconnu ce fait, il a demandé à la SI de décider si l’alinéa 15b), qui intègre le principe de l’autorité de la chose jugée dans l’instance, intègre aussi le pouvoir discrétionnaire résiduel qui avait été reconnu dans l’arrêt Danyluk et dans des affaires ultérieures (p. ex., Toronto (Ville) c S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63). L’un des éléments du pouvoir discrétionnaire résiduel reconnu dans l’arrêt Danyluk est le refus d’appliquer le principe dans les cas où cela entraînerait une injustice pour une partie. C’est ce qu’affirme le demandeur en l’espèce. Il a fait valoir que les conclusions antérieures étaient viciées parce qu’elles avaient été rendues dans le cadre d’un processus qui l’avait privé d’équité procédurale.

[46] Je suis d’avis que la décision de la SI n’aborde tout simplement pas cette question. La SI devait examiner les arguments et la jurisprudence invoqués par les parties et expliquer les motifs pour lesquels elle acceptait ou rejetait les arguments du demandeur concernant l’interprétation correcte de l’alinéa 15b). Bien que certaines parties de ses motifs puissent se justifier, la décision de la SI ne fait qu’éluder la question qui a été soulevée devant elle en s’appuyant sur une brève déclaration descriptive tirée d’un arrêt de la Cour d’appel fédérale qui traitait d’une question distincte, tout en rejetant un précédent pertinent de notre Cour au motif qu’il renvoyait à une décision de la Cour suprême du Canada qui n’avait pas de poids parce qu’elle ne traitait pas du contexte de l’immigration.

[47] La conclusion de la SI quant à l’approche qu’elle privilégie à l’égard de l’alinéa 15b) est claire : plutôt que de permettre la remise en question des conclusions de fait antérieures, elle préfère la « directive plus claire » de la Cour d’appel fédérale et les décisions antérieures de notre Cour qui considèrent que les conclusions de fait antérieures sont contraignantes et ne peuvent faire l’objet d’aucune exception.

[48] Si la conclusion de la SI sur ce point est claire, le mode d’analyse qui l’y conduit est irrémédiablement entaché, à mon avis, par son approche des précédents, comme nous l’avons vu plus haut. Je conclus que l’analyse de la SI ne possède pas « les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov, au para 99).

[49] Je souligne ici que mon commentaire sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Tapambwa ne signifie en aucun cas que cet arrêt ne constitue pas un précédent pertinent pour l’évaluation de la question que le demandeur a soulevée devant la SI. Je pense plutôt que la SI est allée trop loin en s’appuyant sur une brève observation concernant l’alinéa 15b) et qu’elle n’a pas analysé le cœur de la question qu’elle devait trancher. L’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Tapambwa pourrait bien être un facteur important dans l’analyse de la question de savoir si l’alinéa 15b) intègre implicitement — ou exclut explicitement — le pouvoir discrétionnaire résiduel qui existe dans l’application du principe de l’autorité de la chose jugée en common law. Le fait est que la SI doit effectivement trancher cette question et reconnaître qu’il n’existe pas de précédent sur cette question précise.

[50] La même critique peut être formulée à l’égard de la façon dont la SI a traité la décision Mungwarere. La question n’est pas de savoir si cette décision aurait dû être considérée comme un précédent contraignant puisqu’elle ne traite pas de la question précise que la SI devait trancher en l’espèce. Mais elle n’aurait pas dû être écartée parce qu’elle renvoyait à un arrêt de la Cour suprême du Canada qui ne concernait pas le droit de l’immigration. Une fois de plus, la SI doit s’attaquer au fond de la question.

[51] Selon le cadre défini dans l’arrêt Vavilov, un élément important du contrôle judiciaire consiste à évaluer si la décision contestée est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle. Il ne s’agit pas de mesurer la décision à l’aune d’une notion abstraite de cohérence logique ou de perfection, mais d’évaluer dans quelle mesure la décision reflète le droit applicable tel qu’il a été appliqué aux faits. Il s’agit également de décider si les motifs répondent aux principaux arguments avancés par les parties (Vavilov, aux para 94, 106, 127‐128). À mon avis, la décision contestée ne satisfait pas à la norme parce que l’exercice d’interprétation législative auquel la SI s’est livrée ne lui a pas permis de « s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties » (Vavilov, au para 128).

[52] En me fondant sur les lignes directrices relatives au contrôle judiciaire d’une décision administrative fondée sur une interprétation législative, comme elles sont énoncées dans les arrêts Vavilov, Mason et Hillier, je conclus que la décision de la SI est déraisonnable.

[53] La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la SI est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SI pour nouvel examen.

[54] Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‐2362‐22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de la SI rendue le 24 février 2022 est annulée.

  3. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

  4. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2362-22

INTITULÉ :

BOUTROS MASSROUA c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 septembre 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

Le 18 octobre 2022

COMPARUTIONS :

Molly Joeck

 

Pour le demandeur

Brett Nash

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Edelmann & Company

Avocats

Vancouver (Colombie‐Britannique)

Pour le demandeur

Ministère de la Justice du Canada

Vancouver (Colombie‐Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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