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Date : 20221011


Dossier : IMM-2723-21

Référence : 2022 CF 1389

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 octobre 2022

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

AYAT MOHAMMED A ALREBEH

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. APERÇU

[1] La demanderesse, âgée de 37 ans, est une citoyenne de l’Arabie saoudite qui vit au Canada depuis décembre 2009. Elle est la mère d’un enfant canadien, Ali, né en décembre 2010. Ali a fait l’objet d’un diagnostic de trouble du spectre autistique (TSA) et de trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH).

[2] En avril 2020, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente au Canada pour des considérations d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). La demande était fondée sur l’établissement de la demanderesse au Canada et sur l’intérêt supérieur d’Ali. Dans une décision datée du 31 mars 2021, un agent principal d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a rejeté la demande.

[3] La demanderesse sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision au titre du paragraphe 72(1) de la LIPR. Elle soutient que l’évaluation faite par l’agent de l’intérêt supérieur d’Ali est déraisonnable. Pour les motifs qui suivent, je ne crois pas que la décision soit déraisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

II. CONTEXTE

[4] La demanderesse est arrivée au Canada pour la première fois en décembre 2009 à titre de personne à charge accompagnant son époux (qui était alors titulaire d’un permis d’études). Leur fils Ali est né un an plus tard. Le mari de la demanderesse est depuis retourné en Arabie saoudite, mais la demanderesse et Ali sont demeurés au Canada. Ils sont retournés en Arabie saoudite pour rendre visite à leur famille pendant les mois d’été.

[5] C’est un médecin d’Arabie saoudite qui a d’abord diagnostiqué un TDAH chez Ali. En février 2018, un pédiatre de St. Catharines, en Ontario, a évalué ses retards de développement. Le pédiatre a conclu qu’Ali était atteint de TSA et que cela contribuait à ses retards de développement. En mars 2018, Ali a été placé sur une liste d’attente pour des services dans le cadre du programme régional en matière d’autisme de Hamilton-Niagara à l’hôpital pour enfants McMaster. À l’école, un plan d’enseignement individualisé a été élaboré pour répondre à ses besoins particuliers.

[6] En mars 2019, Ali a été évalué par un psychiatre à la clinique externe de santé mentale de l’hôpital général de St. Catharines. Le psychiatre a recommandé une légère modification du traitement médicamenteux d’Ali, ainsi qu’une thérapie cognitivo-comportementale pour son anxiété. En outre, le psychiatre l’a orienté vers Contact Niagara, une organisation qui fournit des services à l’enfance et en matière de développement.

[7] Un travailleur social de Contact Niagara a mené un premier entretien avec la demanderesse en septembre 2019. Au cours de cet entretien, la demanderesse a raconté qu’elle et Ali venaient de rentrer d’un séjour de deux mois en Arabie saoudite. Pendant leur séjour, Ali a participé à un camp de jour, mais après la première semaine, la famille a appris qu’il ne pouvait pas continuer à cause de ses besoins et de son comportement. Elle a également expliqué qu’Ali était très malheureux en Arabie saoudite, et qu’il avait déclaré à plusieurs reprises qu’il voulait mourir. Ali est maintenant très heureux d’être de retour au Canada.

III. LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[8] Comme il a été précisé plus haut, la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire de la demanderesse reposait sur son établissement au Canada et sur l’intérêt supérieur d’Ali.

A. Le degré d’établissement au Canada

[9] L’agent a conclu que la demanderesse avait fait preuve d’un degré d’établissement modéré, et a accordé un poids important à cette conclusion en se fondant sur les éléments suivants :

  1. La demanderesse a résidé au Canada pendant environ 10 ans au cours des 11 dernières années; pendant cette période, elle était mère au foyer ou étudiait.

  2. La demanderesse a passé environ un an et demi à l’école pendant son séjour au Canada.

  3. Le mari de la demanderesse réside et travaille en Arabie saoudite et envoie de l’argent au Canada pour subvenir aux besoins de la demanderesse et de leur fils.

  4. Outre deux lettres de soutien (l’une d’un voisin et l’autre d’un formateur en langue anglaise), il existe peu de documents attestant de l’intégration de la demanderesse au sein de la communauté. L’agent s’attendait à des liens plus étroits dans la communauté étant donné le temps que la demanderesse a passé au Canada.

  5. La demanderesse a passé les 24 premières années de sa vie en Arabie saoudite et son mari y réside toujours.

  6. La demanderesse a fait des efforts concrets pour améliorer sa connaissance de l’anglais, mais n’a pas le degré d’établissement d’une personne qui a occupé un emploi pendant qu’elle résidait au Canada.

[10] L’agent a conclu que la demanderesse et son fils n’éprouveraient pas de difficultés s’ils devaient quitter le Canada. Le seul membre de la famille de la demanderesse au Canada est son fils; ses parents, sa fratrie et son mari se trouvent en Arabie saoudite. L’agent a souligné que la demanderesse mentionne des problèmes avec sa belle-famille concernant le diagnostic d’Ali, mais qu’elle peut compter sur le soutien de sa propre famille. Selon l’agent, ces liens familiaux atténueraient les difficultés d’adaptation à la vie en Arabie saoudite, et il a accordé un certain poids à ce facteur.

B. L’intérêt supérieur de l’enfant

[11] À l’appui de sa demande, la demanderesse a fourni des documents confirmant ce qui suit :

  1. on a diagnostiqué chez Ali un TDAH, un TSA et un trouble de l’apprentissage;

  2. Ali a besoin d’une surveillance constante, est facilement submergé par les bruits et a peur des nouveaux lieux et des nouvelles personnes;il souffre également de problèmes d’élocution et d’un retard de développement;

  3. le traitement d’Ali comprend des médicaments;en outre, une thérapie orthophonique et comportementale a été recommandée;

  4. Ali est capable d’aller à l’école dans une classe normale avec un soutien approprié;

  5. la demanderesse avait décrit l’expérience du camp de jour de l’été 2019 et le mal-être d’Ali en Arabie saoudite (y compris le fait qu’il a dit vouloir mourir) lors du premier entretien avec Contact Niagara en septembre 2019.

[12] Les observations de l’avocate de la demanderesse à l’appui de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ont également mis l’accent sur les points suivants :

  1. Les membres de la famille du père d’Ali en Arabie saoudite [traduction]« n’approuvent pas le fait qu’Ali prenne des médicaments contre le TDAH et ils lui ont retiré ses médicaments chaque fois qu’il leur a rendu visite ».

  2. Le père d’Ali [traduction] « ne s’opposerait pas à sa famille ».

  3. La demanderesse, étant une femme [traduction] « n’a pas le pouvoir politique, en Arabie saoudite, de s’opposer aux directives de la famille de son mari».

  4. La thérapie dont Ali a besoin n’est pas disponible en Arabie saoudite.

  5. En Arabie saoudite, l’autisme est mal compris et les personnes autistes sont stigmatisées.

[13] L’agent a pris note du récit de ce qui s’est passé lorsque la demanderesse et Ali se sont rendus en Arabie saoudite au cours de l’été 2019. Toutefois, l’agent a fait observer que le récit était basé sur des informations obtenues de manière indirecte, qu’il était vague et qu’il manquait de détails. De plus, l’agent a trouvé important le fait qu’aucun professionnel de la santé n’ait déclaré qu’Ali souffrait de dépression ou d’idées suicidaires. Ainsi, bien que l’agent souligne la gravité des commentaires d’Ali sur sa volonté de mourir, il a également conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments prouvant qu’Ali tenterait effectivement de se faire du mal s’il suivait sa mère en Arabie saoudite.

[14] L’agent a pris acte de l’information selon laquelle la belle-famille de la demanderesse retirait à Ali ses médicaments lorsqu’il se trouvait en Arabie saoudite. Tout en reconnaissant qu’un tel changement de médicaments peut avoir de graves conséquences, l’agent a également relevé que la demanderesse n’a décrit aucune tentative de régler la situation avec sa belle-famille. La demanderesse a déclaré que son mari ne s’opposerait pas à sa famille, et qu’en tant que femme en Arabie saoudite, elle n’a pas le pouvoir de s’opposer à la famille de son mari. Or, selon l’agent, compte tenu de la gravité des conséquences possibles, il conviendrait de s’attendre à ce que la demanderesse traite directement avec sa belle-famille et, si nécessaire, l’éloigne de son fils.

[15] La demanderesse a présenté de la documentation sur la situation en Arabie saoudite pour démontrer que la thérapie n’est pas disponible dans ce pays et que les personnes atteintes d’autisme y sont stigmatisées. Cependant, l’agent a tiré les conclusions suivantes :

  1. En 2014, l’Arabie saoudite a adopté une loi sur la santé mentale, qui reprend une grande partie des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé contenues dans les principes pour la protection des personnes atteintes de maladie mentale et pour l’amélioration des soins de santé mentale (Principles for the Protection of Persons with Mental Illness and the Improvement of Mental Health Care) des Nations Unies (1991).

  2. L’Arabie saoudite a adopté des programmes particuliers pour lutter contre l’autisme et le TDAH chez les enfants en 2002 et 2009, respectivement.

  3. L’Arabie saoudite a mis en place une stratégie de sensibilisation visant à réduire la stigmatisation, notamment en organisant la semaine sur l’autisme du Golfe.

  4. En outre, le ministère de l’Éducation de l’Arabie saoudite propose une psychothérapie aux enfants handicapés.

[16] L’agent a conclu qu’Ali serait en mesure de fréquenter une classe normale avec un traitement supplémentaire en Arabie saoudite. De plus, bien que le médicament utilisé par Ali ne soit pas disponible en Arabie saoudite, il existe trois autres options viables.

[17] En résumé, l’agent a conclu qu’il serait dans l’intérêt d’Ali de rester au Canada et de continuer à fréquenter la même école avec le même traitement, mais que s’il s’installait en Arabie saoudite avec la demanderesse, il ne subirait pas de conséquences négatives. Par conséquent, l’agent n’a accordé que peu de poids au facteur de l’intérêt supérieur de l’enfant.

C. L’évaluation globale

[18] Après une évaluation globale des facteurs pertinents (y compris l’établissement de la demanderesse au Canada, les liens familiaux et l’intérêt supérieur de l’enfant), l’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré l’existence de motifs suffisants pour accorder une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. L’agent a accordé un certain poids à l’éducation de la demanderesse, mais a conclu que seul un degré modéré d’établissement avait été démontré (compte tenu notamment des liens continus de la demanderesse avec sa famille en Arabie saoudite). Compte tenu de son âge, le principal soutien d’Ali est sa mère. Si elle est obligée de quitter le Canada, il serait dans l’intérêt d’Ali d’être avec ses deux parents en Arabie saoudite, où il a également de la famille élargie. Enfin, Ali serait en mesure de s’adapter à une nouvelle vie en Arabie saoudite, où il est possible de bénéficier d’un traitement pour ses troubles et d’une éducation adaptée.

[19] Par conséquent, l’agent a rejeté la demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

IV. LA NORME DE CONTRÔLE

[20] Il est bien établi que la norme de contrôle applicable à une décision relative à une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable : voir Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 au para 44. La Cour suprême du Canada a confirmé, au paragraphe 10 de l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, qu’il s’agit de la norme de contrôle appropriée.

[21] Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). La cour de révision doit faire preuve de retenue à l’égard d’une décision qui possède ces attributs (ibid.). Il n’appartient pas à la cour de révision qui applique la norme de la décision raisonnable d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur ou de modifier les conclusions de fait de ce dernier, à moins de circonstances exceptionnelles : voir Vavilov, au para 125. En même temps, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas qu’une « simple formalité »; il demeure un contrôle rigoureux (Vavilov, au para 13).

[22] Il incombe au demandeur de démontrer le caractère déraisonnable de la décision de l’agent. Afin de pouvoir infirmer la décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue qu’« elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

V. ANALYSE

A. La nature de la dispense pour considérations d’ordre humanitaire

[23] Le paragraphe 25(1) de la LIPR permet au ministre d’accorder une dispense à un étranger qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire, soit ne se conforme pas à la loi. Le ministre peut octroyer à l’étranger le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables. Comme le prévoit la disposition, une telle dispense ne sera accordée que si le ministre « estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient ». La question de savoir si une dispense est justifiée dans un cas donné dépend des circonstances précises de l’affaire : voir Kanthasamy, au para 25. En l’espèce, la demanderesse cherche à obtenir une dispense, pour des considérations d’ordre humanitaire, de l’exigence habituelle selon laquelle un ressortissant étranger doit présenter une demande de résidence permanente à partir de l’étranger.

[24] Lorsque le paragraphe 25(1) de la LIPR est invoqué, le décideur doit déterminer s’il y a lieu de faire exception à l’application usuelle de la loi : voir Damian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1158 aux para 16-22. Lorsque le cas s’y prête, le pouvoir discrétionnaire d’accorder une exception assure la souplesse voulue pour atténuer les effets découlant d’une application rigide de la loi : voir Kanthasamy, au para 19. Il doit être exercé en tenant compte de la raison d’être équitable de la disposition : Kanthasamy, au para 31. Ainsi, les décideurs doivent comprendre que les considérations d’ordre humanitaire s’entendent « des faits établis par la preuve, de nature à inciter [toute personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne — dans la mesure où ses malheurs “justifient l’octroi d’un redressement spécial” aux fins des dispositions de la Loi » (Kanthasamy, au para 13, souscrivant à l’approche formulée dans la décision Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 AIA 338). Le paragraphe 25(1) doit donc être interprété par les décideurs de manière à pouvoir « répondre avec plus de souplesse aux objectifs d’équité qui [le] sous-tendent » (Kanthasamy, au para 33). En même temps, il n’est pas censé constituer un régime d’immigration parallèle (Kanthasamy, au para 23).

[25] Comme le fait remarquer la juge Abella dans Kanthasamy «(l]’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés, mais cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire suivant le par. 25(1) » (au para 23). Ce qui justifie une dispense dépend des faits et du contexte de l’affaire (Kanthasamy, au para 25).

[26] La dispense pour considérations d’ordre humanitaire est une mesure d’exception : Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration) c Legault, 2002 CAF 125 au para 15; et Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1303 au para 4. Il incombe aux demandeurs de présenter une preuve suffisante pour justifier que ce pouvoir discrétionnaire soit exercé en leur faveur : voir Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189 au para 45; Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38 au para 5; Ahmad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 646 au para 31; et Zlotosz c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 724 au para 22).

[27] Le paragraphe 25(1) exige expressément que le décideur tienne compte de l’intérêt supérieur des enfants directement touchés par la décision prise en application de cette disposition. Le principe de l’« intérêt supérieur de l’enfant [...] dépen[d] fortement du contexte » en raison de « la multitude de facteurs qui risquent de faire obstacle à l’intérêt de l’enfant » (Kanthasamy, au para 35, citant Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c Canada (Procureur général), 2004 CSC 4 au para 11 et Gordon c Goertz, [1996] 2 RCS 27 au para 20). Par conséquent, il doit tenir compte de « l’âge de l’enfant, de ses capacités, de ses besoins et de son degré de maturité » (Kanthasamy, au para 35). Protéger les enfants par l’application de ce principe signifie « décider de ce qui [...], dans les circonstances, paraît le plus propice à la création d’un climat qui permettra le plus possible à l’enfant d’obtenir les soins et l’attention dont il a besoin » (Kanthasamy, au para 36, citant MacGyver c Richards (1995), 22 OR (3d) 481 (CA) à la p 489).

[28] Compte tenu de la nature factuelle de l’enquête sur l’intérêt supérieur de l’enfant touché par la décision, la personne invoquant cet intérêt doit présenter des éléments de preuve à l’appui : voir Zlotosz, au para 22 et Lovera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 786 au para 38.

[29] Finalement, vu la nature discrétionnaire des décisions rendues en application du paragraphe 25(1) de la LIPR, les cours de révision feront en règle générale preuve d’une très grande retenue à l’égard des décisions des décideurs administratifs : voir Williams, au para 4, et Legault, au para 15.

B. La décision de l’agent est-elle déraisonnable?

[30] En résumé, la demanderesse conteste le caractère raisonnable de l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant effectuée par l’agent sur quatre points précis :

  1. l’agent ignore ou minimise les expériences d’Ali en Arabie saoudite;

  2. il ne tient pas compte du fait qu’en tant que femme, il serait difficile pour la demanderesse de protéger l’intérêt supérieur d’Ali en Arabie saoudite;

  3. il évalue l’intérêt supérieur d’Ali sous l’angle des difficultés;

  4. il fait fi des données sur la situation dans le pays, qui contredisent ses conclusions sur les expériences des enfants atteints de TSA et de TDAH en Arabie saoudite.

[31] Je ne suis pas convaincu que la décision soit déraisonnable à aucun de ces égards.

[32] Tout d’abord, je ne suis pas d’accord avec la prétention selon laquelle l’agent ignore ou minimise les expériences d’Ali. Lorsqu’il évalue ce qui s’est passé au cours de l’été 2019, l’agent mentionne expressément que son analyse n’enlève rien à la gravité potentielle des déclarations d’Ali sur sa volonté de mourir. La conclusion de l’agent selon laquelle le récit des événements dans le rapport initial est de source indirecte et vague est raisonnable. En fait, l’agent a peut-être accordé aux informations contenues dans le rapport initial plus de poids qu’elles n’en méritaient raisonnablement, puisqu’il semble avoir pensé (à tort) qu’il s’agissait d’une évaluation psychiatrique et non d’un simple entretien d’admission. Le point important, cependant, est que, comme l’a fait remarquer l’agent, aucun professionnel de la santé n’a diagnostiqué chez Ali une dépression ou des idées suicidaires. La demanderesse fait valoir qu’en soulignant la nature « indirecte » du récit sur ce qui s’était passé lors de la visite en Arabie saoudite en 2019, l’agent a laissé entendre qu’Ali aurait dû décrire les événements lui-même. Je ne comprends pas la décision de cette manière. L’agent a simplement constaté que la demanderesse n’avait pas fourni un compte rendu direct des événements dans sa demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire. Son récit figure plutôt seulement dans l’entretien de seconde main initial.

[33] En outre, l’absence de détails sur les circonstances précises dans lesquelles Ali avait fait les commentaires inquiétants, sur la manière dont ses parents les avaient traités ou sur la réaction d’Ali, donne à penser qu’il n’était pas déraisonnable pour l’agent de conclure que la demanderesse n’avait pas démontré qu’Ali se ferait du mal s’il l’accompagnait en Arabie saoudite.

[34] Ensuite, l’agent a raisonnablement conclu que les difficultés de la demanderesse avec sa belle-famille ajoutaient peu de poids favorable à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. L’agent a admis que la belle-famille de la demanderesse n’était pas d’accord avec les diagnostics d’Ali et qu’elle l’avait privé de ses médicaments lorsqu’il s’était rendu en Arabie saoudite dans le passé. L’agent a également relevé les affirmations de la demanderesse selon lesquelles son mari ne s’opposerait pas à sa famille et que, en tant que femme, elle n’a pas le « pouvoir politique » de s’opposer à la famille de son mari. La demanderesse reproche à l’agent de ne pas avoir pris en considération les éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays démontrant la position inférieure des femmes dans la société saoudienne, par rapport aux hommes en général et à leurs maris en particulier. Toutefois, cet argument est largement hors de propos en l’espèce, car la demanderesse n’a pas laissé entendre que son mari et elle n’étaient pas d’accord sur le fait qu’il valait mieux qu’Ali continue à prendre ses médicaments. Notamment, aucun élément de preuve direct du mari de la demanderesse n’a été fourni à l’appui de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. L’agent a également constaté, à juste titre, que la demanderesse n’avait pas fourni d’éléments de preuve indiquant si elle avait tenté de résoudre le conflit avec ses beaux-parents et, s’ils maintenaient leur position, qu’elle ne pouvait pas protéger Ali par d’autres moyens. En appréciant le caractère raisonnable de la conclusion de l’agent, je relève également que rien dans le dossier n’explique pourquoi, si la demanderesse et Ali devaient retourner en Arabie saoudite, la belle-famille de la demanderesse aurait un droit de regard sur le fait qu’Ali prenne ou non ses médicaments.

[35] En terminant, je ne suis pas d’accord pour dire que l’agent a commis une erreur en évaluant l’intérêt supérieur d’Ali sous l’angle des difficultés. Bien que l’agent conclue que, s’il devait déménager en Arabie saoudite, Ali [traduction] « ne subira pas de conséquences négatives », cela a été dit dans le contexte de la conviction qu’Ali aurait accès à des médicaments, des traitements et des possibilités d’éducation appropriés en Arabie saoudite et qu’il bénéficierait également du soutien de sa famille proche dans ce pays. La demanderesse conteste la conclusion de l’agent selon laquelle Ali [traduction] « serait en mesure de s’adapter aux changements [qu’impliquerait un déménagement en Arabie saoudite] étant donné qu’il disposerait d’options de traitement ». Même si cette conclusion allait au-delà de ce que le dossier permettait raisonnablement d’inférer, ce que je ne conclurais pas nécessairement, cela ne remettrait pas en cause le caractère globalement raisonnable de la décision. En effet, il n’était pas nécessaire que l’agent fasse cette observation pour conclure que la demanderesse n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour justifier une dispense. À cet égard, il est important de rappeler que c’est au demandeur qu’il incombe de démontrer qu’une dispense pour considérations d’ordre humanitaire est justifiée. Il ressort implicitement de la conclusion de l’agent que celui-ci n’était pas convaincu que la demanderesse avait démontré qu’Ali ne serait pas en mesure de s’adapter à la vie en Arabie saoudite. Cette conclusion n’est pas déraisonnable au vu du dossier dont disposait l’agent.

[36] Enfin, la demanderesse soutient que l’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays qui étaient incompatibles avec sa conclusion selon laquelle Ali pourrait bénéficier d’un traitement adéquat en Arabie saoudite. Je ne suis pas d’accord. L’agent a noté que la demanderesse avait présenté de la documentation sur le pays laissant entendre qu’une thérapie n’est pas facilement accessible en Arabie Saoudite, et que les personnes atteintes d’autisme y sont stigmatisées. Il a ensuite cité plusieurs documents où il est question de diagnostics, de traitements et de la déstigmatisation des enfants atteints d’autisme et de TDAH en Arabie saoudite. Bien que je sois d’accord avec la demanderesse pour dire que l’agent n’est pas un médecin et qu’il n’est pas qualifié pour déterminer les options de traitement ou de médication appropriées pour Ali, en toute justice, je dois dire que la décision de l’agent répond aux arguments avancés. Il est important de préciser que la demanderesse n’a fourni aucune preuve d’expert concernant précisément les besoins particuliers d’Ali afin de démontrer que ces besoins ne seraient pas satisfaits en Arabie saoudite. Une fois de plus, il ne faut pas oublier que c’est au demandeur qu’il incombe de démontrer qu’une dispense pour considérations d’ordre humanitaire est justifiée. Ainsi, l’agent a raisonnablement conclu qu’elle ne s’était pas acquittée de ce fardeau.

[37] Étant donné que la demanderesse conteste les conclusions de l’agent concernant la documentation sur la situation dans le pays, elle demande en fait à la Cour d’apprécier à nouveau les éléments de preuve en vue d’arriver à une conclusion différente. Or, ce n’est pas là le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Son rôle consiste plutôt à déterminer si la décision de l’agent est raisonnable. Pour les motifs exposés ci-dessus, je suis convaincu que c’est le cas.

VI. CONCLUSION

[38] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[39] Les parties n’ont soulevé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2723-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est soulevée.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Marie-France Blais, L.L. B., traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2723-21

 

INTITULÉ :

AYAT MOHAMMED A ALREBEH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 mars 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 octobre 2022

 

COMPARUTIONS :

Lisa Winter-Card

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Christopher Ezrin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lisa Winter-Card

Welland (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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