Date : 20220927
Dossier : IMM‑2554‑21
Référence : 2022 CF 1349
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2022
En présence de madame la juge Kane
ENTRE : |
CHIGOZIE ULOMA LEWIS‑ASONYE |
demanderesse |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] La demanderesse, Mme Lewis‑Asonye, sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 9 avril 2021 par laquelle un agent principal [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire qu’elle avait présentée à partir du Canada, au titre de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].
[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.
I. Le contexte
[3] Mme Lewis‑Asonye, une citoyenne du Nigéria, est arrivée au Canada en janvier 2014, munie d’un permis d’études. Elle a par la suite obtenu un permis de travail postdiplôme [PTPD] qui a expiré le 24 novembre 2018. En avril 2018, après avoir été invitée à présenter une demande de résidence permanente au titre de la catégorie de l’expérience canadienne [la CEC], elle a déposé sa demande et y a joint des documents à l’appui. Cependant, le PTPD de Mme Lewis‑Asonye a expiré pendant le traitement de sa demande, et elle s’est donc retrouvée sans statut et sans autorisation de travail.
[4] Le 10 janvier 2019, elle a présenté une demande afin de rétablir son statut de résident temporaire et d’obtenir un permis de travail ouvert transitoire. Le 7 février 2019, sa demande de rétablissement de son statut de résident temporaire a été rejetée. Le 16 avril 2019, sa demande de permis de travail ouvert transitoire a été rejetée, parce qu’elle n’avait pas le statut de résident temporaire ni de permis de travail valide au moment de faire sa demande.
[5] Le 10 juillet 2019, la demande de résidence permanente que Mme Lewis‑Asonye avait présentée au titre de la CEC a été rejetée [le rejet de la demande au titre de la CEC], parce qu’elle n’avait pas de permis de travail valide au moment de l’examen de la demande en juin et en juillet 2019.
[6] La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du rejet de la demande au titre de la CEC que Mme Lewis‑Asonye a présentée a été rejetée à l’étape de l’autorisation le 10 décembre 2019. Cette décision lui a été communiquée à la fin de 2019.
[7] Depuis qu’elle est arrivée au Canada en 2014, Mme Lewis‑Asonye vit avec son frère, la femme de ce dernier et leurs deux jeunes enfants. Elle a obtenu deux certificats d’études supérieures de collèges en Ontario, a travaillé comme coordonnatrice de la distribution dans un entrepôt, a fait du bénévolat à son église et dans sa collectivité et s’est fait de nombreux amis.
[8] Elle est retournée brièvement au Nigéria en 2018 pour se marier. Son époux réside toujours au Nigéria.
II. La décision faisant l’objet du contrôle
[9] Mme Lewis‑Asonye a présenté sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en août 2020. Cette demande reposait principalement sur son établissement, ses liens familiaux, la situation entourant sa demande au titre de la CEC, sa santé mentale et la situation au Nigéria.
[10] L’agent a accordé un poids favorable à l’établissement et aux liens familiaux de Mme Lewis‑Asonye et a pris note de ses études au Canada, notamment de ses deux certificats d’études supérieures, de son emploi, d’une lettre de son pasteur confirmant qu’elle avait fait du bénévolat, et des documents à l’appui.
[11] L’agent a pris acte du fait que Mme Lewis‑Asonye était au Canada depuis sept ans au moment du dépôt de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et qu’il y aurait une période d’adaptation à son retour au Nigéria, mais il a conclu qu’elle retournerait dans un milieu familier, puisqu’elle avait vécu, étudié et travaillé au Nigéria pendant 30 ans et que sa mère, sa fratrie et son époux y vivaient.
[12] L’agent a également pris acte de la relation étroite que Mme Lewis‑Asonye entretenait avec son frère et la famille de celui‑ci au Canada ainsi que des répercussions que le décès de sa sœur a eues sur elle et sa famille en 2019. Il a conclu que le retour de Mme Lewis‑Asonye au Nigéria entraînerait des difficultés en raison de la séparation d’avec sa famille, mais que la preuve ne suffisait pas à établir qu’elle ne pourrait pas maintenir ses relations familiales au Canada par d’autres moyens. L’agent a tiré des conclusions similaires concernant sa relation avec ses amis.
[13] En outre, l’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que Mme Lewis‑Asonye serait incapable de s’établir à nouveau au Nigéria, sur les plans professionnel et financier, vu ses études et son expérience de travail au Canada. Il a jugé que cela lui donnait même un avantage concurrentiel.
[14] En ce qui a trait aux observations de Mme Lewis‑Asonye concernant l’incidence de son statut d’immigration incertain sur sa santé mentale, l’agent a pris acte du rapport du travailleur social qui indiquait que Mme Lewis‑Asonye se sentait déprimée, stressée et inquiète. L’agent a souligné que le rapport du travailleur social était basé sur une seule consultation, menée en ligne neuf mois auparavant, et qu’il n’incluait pas de plan de traitement. Il a également mentionné que la preuve était insuffisante pour établir que Mme Lewis‑Asonye avait obtenu d’autres services de prise en charge psychologique, avait suivi une thérapie ou ne serait pas mesure d’obtenir une telle aide à son retour au Nigéria.
[15] L’agent a conclu que la preuve objective ne suffisait pas à démontrer que Mme Lewis‑Asonye éprouverait personnellement des difficultés, d’après la situation générale au Nigéria.
[16] En ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants touchés — les deux neveux de Mme Lewis‑Asonye —, l’agent a pris acte de la relation étroite qu’ils entretenaient avec leur tante. Il a mentionné qu’il avait accordé du « poids »
à l’intérêt supérieur des enfants, mais a souligné que rien ne prouvait que les neveux de Mme Lewis‑Asonye ne pourraient pas la visiter au Nigéria ou qu’elle ne pourrait pas les visiter au Canada. L’agent a accepté le fait que l’intérêt supérieur des enfants était l’un des nombreux facteurs importants à prendre en considération dans le cadre de l’appréciation d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, mais a ajouté qu’il ne s’agissait pas d’un facteur déterminant.
[17] Quant aux autres considérations d’ordre humanitaire soulevées, en particulier les efforts déployés par Mme Lewis‑Asonye pour obtenir la résidence permanente au titre de la CEC, y compris le délai de traitement plus long que prévu; le fait qu’elle croyait toujours avoir un statut pendant le traitement de sa demande; et ses efforts visant à rétablir son statut de résident permanent temporaire ainsi que son autorisation de travail une fois qu’elle s’est rendu compte que c’était nécessaire, l’agent a qualifié le résultat de son appréciation comme étant [traduction] « décevant »
pour la demanderesse. Il a mentionné que [traduction] « de nombreuses demandes de résidence permanente au Canada sont rejetées parce que le demandeur ne satisfait pas aux critères »
. L’agent a souligné que la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ne constitue pas un appel du rejet de la demande au titre de la CEC, mais plutôt un processus distinct, qui est une mesure discrétionnaire exceptionnelle, et non un autre moyen d’obtenir la résidence permanente.
[18] En conclusion, l’agent a déclaré ceci : [traduction] « [B]ien que je considère l’emploi antérieur et les études de la demanderesse comme des facteurs favorables, je dois aussi mentionner que son degré d’établissement n’est pas différent de celui d’autres demandeurs dans une situation analogue. »
En outre, il a conclu que Mme Lewis‑Asonye n’avait pas atteint un degré d’établissement [traduction] « si élevé qu’elle serait confrontée à des difficultés connexes si elle devait partir du Canada et présenter une demande de résidence permanente depuis l’étranger »
. L’agent a aussi conclu qu’elle pourrait maintenir ses liens avec sa famille et ses amis à partir de l’étranger.
III. Les observations de la demanderesse
[19] Mme Lewis‑Asonye soutient que la décision de l’agent est déraisonnable, qu’il n’a pas appliqué la jurisprudence— laquelle exige que la demande soit examinée sous l’angle de la vocation équitable — et qu’il a commis d’autres erreurs susceptibles de contrôle.
[20] Mme Lewis‑Asonye fait valoir que l’agent n’a pas appliqué le « critère »
relatif à l’octroi d’une mesure à vocation équitable établi aux paragraphes 13 et 21 de l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy], qui commande une appréciation globale de tous les facteurs pertinents. Elle affirme que l’agent a commis une erreur en se concentrant sur la question de savoir si les difficultés auxquelles elle serait confrontée à son retour au Nigéria seraient possibles à gérer (et en concluant que c’était le cas), plutôt que d’apprécier tous les facteurs pertinents, y compris les circonstances du rejet de sa demande au titre de la CEC, malgré les efforts importants qu’elle avait déployés et ses réalisations au Canada depuis les sept dernières années.
[21] Mme Lewis‑Asonye reconnaît que sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire n’est pas un appel du rejet de sa demande au titre de la CEC. Toutefois, elle soutient que les circonstances de ce rejet et ses efforts pour satisfaire aux critères sont des facteurs pertinents à prendre en compte dans le cadre de l’évaluation de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Elle avance que l’agent a mal interprété ses observations au sujet de sa demande au titre de la CEC.
[22] Mme Lewis‑Asonye fait valoir que l’agent a également commis une erreur en ne tenant pas compte de l’évaluation que le travailleur social avait faite de sa santé mentale, parce qu’elle reposait sur une seule consultation en ligne menée neuf mois auparavant, pour des raisons attribuables à la pandémie de COVID‑19, et parce que cette consultation n’avait pas été menée par un professionnel de la santé mentale agréé.
[23] Mme Lewis‑Asonye avance que le fait que l’agent a décrit son état émotionnel comme étant une simple [traduction] « déception »
n’est pas compatible avec l’évaluation du travailleur social, selon laquelle la précarité de sa santé mentale et sa vulnérabilité émotionnelle étaient attribuables à son statut d’immigration incertain.
[24] De plus, Mme Lewis‑Asonye soutient que la conclusion de l’agent selon laquelle elle pourrait maintenir sa relation avec son frère et ses neveux par d’autres moyens est fondée sur une hypothèse et ne tient pas compte de la preuve concernant leur relation étroite et l’unité familiale élargie.
[25] Mme Lewis‑Asonye fait aussi valoir que l’agent a fait des suppositions en concluant que ses études et son expérience de travail au Canada lui donneraient un avantage concurrentiel au Nigéria. Elle soutient que l’agent n’a pas compris la raison d’être de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et des éléments de preuve à l’appui concernant ses études, son expérience de travail, son bénévolat et ses liens familiaux, et que la question n’était pas de savoir comment ces facteurs pouvaient l’aider à s’établir à nouveau au Nigéria, mais plutôt comment ces facteurs prouvaient son établissement au Canada et étayaient sa demande de résidence permanente depuis le Canada.
IV. Les observations du défendeur
[26] Le défendeur soutient que la décision de l’agent ne contient aucune erreur susceptible de contrôle. L’agent n’a pas écarté ou mal interprété la preuve, et sa décision ne comporte aucune lacune suffisante pour justifier qu’elle soit qualifiée de déraisonnable.
[27] Le défendeur fait valoir que Mme Lewis‑Asonye cherche à faire apprécier à nouveau la preuve relative à son établissement, à ses liens familiaux et à l’intérêt supérieur des enfants, ce qui n’est pas le rôle de la Cour.
[28] Le défendeur conteste l’observation selon laquelle l’agent n’a pas appliqué le bon « critère »
ou la bonne approche pour juger la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Il souligne qu’il existe une jurisprudence volumineuse concernant l’objet et la portée de la dispense pour considérations d’ordre humanitaire, notamment sur sa nature exceptionnelle.
[29] Le défendeur fait valoir que ce n’est pas une erreur pour l’agent d’apprécier les difficultés auxquelles serait confrontée Mme Lewis‑Asonye ou les conséquences de son renvoi par rapport à celles que vivent d’autres personnes (Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 265 [Huang] au para 19). Il souligne que certaines difficultés sont inhérentes à un renvoi et qu’il incombait à Mme Lewis‑Asonye de fournir une preuve probante suffisante pour démontrer que sa situation justifiait l’octroi d’une dispense exceptionnelle pour considérations d’ordre humanitaire.
[30] Le défendeur soutient également que l’agent a raisonnablement apprécié l’établissement de Mme Lewis‑Asonye au Canada, et souligne qu’il était raisonnable et nécessaire pour l’agent de se demander si les compétences qu’elle avait acquises au Canada pouvaient l’aider à s’établir à nouveau au Nigéria.
[31] En ce qui a trait au rapport du travailleur social, le défendeur affirme que l’agent a raisonnablement relevé les lacunes qui minaient la valeur probante de l’appréciation, notamment le fait que le rapport était fondé sur une seule consultation et qu’aucun traitement n’avait été recommandé.
V. La question en litige et la norme de contrôle
[32] La question en litige est de savoir si la décision de l’agent est raisonnable. Comme il a été mentionné, Mme Lewis‑Asonye soutient que l’agent a commis plusieurs erreurs qui ont donné lieu à une décision déraisonnable.
[33] Les décisions relatives aux demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire sont des décisions discrétionnaires et sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 57‑62; Kanthasamy, au para 44).
[34] Aux paragraphes 16 et 23 de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a confirmé que le caractère raisonnable demeurait la norme de contrôle applicable aux décisions discrétionnaires, et a fourni des directives détaillées aux tribunaux pour procéder au contrôle.
[35] La Cour doit d’abord examiner les motifs de la décision avec une attention respectueuse, en cherchant à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, aux para 85, 102, 105‑107).
[36] Au paragraphe 100 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a déclaré qu’une décision ne doit pas être infirmée, sauf si elle souffre de « lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence »
et que « [l]a cour de justice doit plutôt être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable »
.
VI. La dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire
[37] Il est utile de se pencher sur l’objectif d’une dispense pour considérations d’ordre humanitaire ainsi que sur la jurisprudence qui oriente les tribunaux dans leur contrôle des décisions fondées sur des considérations d’ordre humanitaire.
La disposition applicable de la Loi prévoit ce qui suit :
|
|
[38] Autrement dit, selon le paragraphe 25(1), il est possible d’octroyer le statut de résident permanent ou de lever les critères et obligations prévus à la Loi si des considérations d’ordre humanitaire le justifient. En l’espèce, la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, si elle est accueillie, permettrait à Mme Lewis‑Asonye d’obtenir le statut de résident permanent tout en restant au Canada, sans avoir à retourner au Nigéria pour présenter une nouvelle demande d’immigration au Canada.
[39] Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a fourni de nombreuses directives sur la façon dont le paragraphe 25(1) devrait être interprété et appliqué. La Cour a approuvé l’approche précédemment établie dans la décision Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1970] DCAI no 1 [Chirwa], où les considérations d’ordre humanitaire ont été décrites comme signifiant « des faits établis par la preuve, de nature à inciter tout homme raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne — dans la mesure où ses malheurs "justifient l’octroi d’un redressement spécial" aux fins des dispositions de la Loi sur l’immigration »
. Dans cette décision, la Commission d’appel de l’immigration a accepté le fait que cette définition impliquait « un certain élément de subjectivité »
, soulignant qu’il devait aussi y avoir « des éléments de preuve objectifs pour que la mesure spéciale soit accordée »
(Kanthasamy, au para 13, citant Chirwa, à la p 363).
[40] Au paragraphe 23 de l’arrêt Kanthasamy, la Cour a déclaré que « [l]’obligation de quitter le Canada comport[ait] inévitablement son lot de difficultés »
, mais que cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense. Elle a ajouté que la dispense pour considérations d’ordre humanitaire n’était pas censée constituer un régime d’immigration parallèle.
[41] La Cour suprême a expliqué que les éléments justifiant l’octroi d’une dispense au titre du paragraphe 25(1) variaient en fonction des faits et du contexte propres à chaque affaire. Ce qu’il est important de retenir de l’arrêt Kanthasamy, ce sont les instructions précises que la Cour a formulées et selon lesquelles il fallait éviter d’appliquer le seuil des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées, qui avait été adopté dans des affaires antérieures; il faut examiner tous les faits ainsi que les facteurs pertinents et leur accorder du poids; et il faut « soupeser toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes »
(au para 33; voir aussi le para 25) [en italique dans l’original].
[42] Dans la décision Mursalim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 596, invoquée par Mme Lewis‑Asonye, le juge Norris s’est penché sur les instructions données dans l’arrêt Kanthasamy et a conclu que, selon les faits de l’affaire, l’agent avait appliqué le mauvais critère en examinant le dossier exclusivement sous l’angle des difficultés et en appliquant la norme des difficultés « inhabituelles et injustifiées ou démesurées »
qui avait été rejetée dans l’arrêt Kanthasamy. Il a mentionné ce qui suit au paragraphe 37 :
[...] Même si la question des difficultés est bel et bien pertinente en vertu du paragraphe 25(1) et que diverses formes de difficultés ont été soulignées dans les observations du demandeur, l’agent a utilisé l’expression « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » d’une façon qui limitait sa capacité à tenir compte de tous les motifs d’ordre humanitaire et d’y donner tout le poids nécessaire dans le dossier du demandeur (voir l’arrêt Kanthasamy au paragraphe 33; la décision Marshall aux paragraphes 33 à 37).
[43] Bien que la jurisprudence confirme que la dispense pour considérations d’ordre humanitaire reste une mesure « exceptionnelle »
(voir, par exemple, Huang, au para 17), cette mesure ne devrait pas être impossible à obtenir.
[44] Dans la décision Huang, le juge en chef a précisé les conditions à remplir pour satisfaire au « critère »
établi dans Chirwa et obtenir une dispense pour considérations d’ordre humanitaire, déclarant ceci au paragraphe 19 :
L’article 25 a été adopté pour répondre aux situations dans lesquelles les conséquences d’une expulsion « affecterai[ent] plus certaines personnes que d’autres […], à cause de certaines circonstances » : arrêt Kanthasamy, précité, au paragraphe 15 [non souligné dans l’original], citant les Procès‑verbaux et témoignages du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Politique de l’immigration, fascicule no 49, 1re sess., 30e lég., 23 septembre 1975, à la page 12. C’est donc dire que la personne qui demande la dispense exceptionnelle fondée sur des considérations d’ordre humanitaire qu’offre la LIPR doit faire la preuve de l’existence réelle ou probable de malheurs ou d’autres considérations d’ordre humanitaire qui sont supérieurs à ceux auxquels sont habituellement confrontées les personnes qui demandent la résidence permanente au Canada.
[Souligné dans l’original]
[45] Dans la décision Shackleford c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1313, le juge Roy a fait remarquer ce qui suit au paragraphe 16 :
[...] Rien dans l’arrêt Kanthasamy ne laisse entendre que les demandes CH sont autre chose qu’exceptionnelles : la description contenue dans la décision Chirwa elle‑même, le fait que ces demandes ne se veulent pas un régime d’immigration de remplacement et que les difficultés associées au fait de quitter le Canada ne suffisent pas, tout cela indique clairement que les considérations CH doivent être suffisamment importantes pour se prévaloir du paragraphe 25(1). Il faut davantage qu’une affaire qui attire la sympathie.
[46] Au paragraphe 26 de la décision Turovsci c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1369, le juge Roy a déclaré que la jurisprudence confirmait que les décideurs commettaient une erreur lorsqu’ils appliquaient « la notion de “difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées” d’une manière [restreignant] leur faculté d’examiner et de soupeser toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes dans une affaire en particulier ».
Le juge Roy a ajouté, au paragraphe 30, que « [l]es difficultés constitu[aient] nécessairement une considération pertinente, mais ne [devaient] pas être l’unique considération »
, soulignant qu’il pourrait y avoir d’autres considérations d’ordre humanitaire en cause.
[47] En résumé, l’arrêt Kanthasamy et la jurisprudence ultérieure établissent les instructions suivantes :
Une dispense pour considérations d’ordre humanitaire est une mesure discrétionnaire et exceptionnelle.
Les cours de révision ne doivent pas substituer leur pouvoir discrétionnaire à celui de l’agent.
Bien que les difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées ne soient pas la norme applicable, les difficultés demeurent une considération pertinente.
Un certain degré de difficultés est la conséquence normale d’un renvoi et ne justifie pas, en soi, une dispense.
Les demandeurs doivent démontrer, à l’aide d’éléments de preuve suffisants, que les malheurs ou les difficultés auxquels ils seront exposés sont relativement plus importants que ceux auxquels font habituellement face les autres personnes qui présentent une demande de résidence permanente au Canada.
Toutes les autres considérations d’ordre humanitaire — pas seulement les difficultés — doivent être examinées et soupesées.
L’intérêt supérieur de l’enfant est un facteur important, mais n’est pas déterminant dans le cadre d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.
[48] Même si la jurisprudence énonce clairement qu’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ne constitue pas un régime d’immigration parallèle, lorsqu’une dispense pour considérations d’ordre humanitaire est justifiée et octroyée, elle peut être vue comme une solution de rechange à d’autres voies d’immigration au Canada, parce qu’elle dispense le demandeur d’autres exigences de la Loi ou lui permet de contourner les obstacles à son admissibilité. Bien que le processus relatif aux considérations d’ordre humanitaire ne soit pas conçu pour être la première option dont dispose un demandeur pour obtenir la résidence permanente, rien n’empêche ce dernier — mis à part les exigences énoncées dans la Loi — de demander la dispense, lorsqu’aucune autre voie d’immigration n’est possible ou que toutes les autres ont été épuisées et lorsque suffisamment de considérations d’ordre humanitaire le justifient. Les instructions de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy et le critère adopté et établi dans la décision Chirwa permettent de soulager « les malheurs d’une autre personne »
lorsque les « faits établis par la preuve »
le justifient. Comme il a été mentionné, lorsqu’un demandeur doit démontrer que ses malheurs sont relativement plus importants que ceux d’autres personnes, le fait de ne pouvoir obtenir un statut d’immigration par d’autres moyens peut être une considération d’ordre humanitaire pertinente.
VII. La décision N’est PAS raisonnable
[49] Afin de déterminer si la décision de l’agent est raisonnable et conforme aux instructions données dans l’arrêt Vavilov, j’ai appliqué les principes issus de la jurisprudence portant sur les considérations d’ordre humanitaires dont il a été question plus haut.
[50] Le principal argument de Mme Lewis‑Asonye est que l’agent n’a pas appliqué le « critère »
établi dans la décision Chirwa et adopté dans l’arrêt Kanthasamy, parce qu’il n’a pas examiné l’affaire sous l’angle de la vocation équitable et n’a pas effectué d’appréciation globale de tous les facteurs d’ordre humanitaire pertinents. Compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, je suis d’accord.
[51] Lorsqu’elle apprécie le caractère raisonnable d’une décision relative à une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, la Cour doit être convaincue qu’elle comporte une lacune ou une déficience importante, étant donné les éléments suivants : le pouvoir discrétionnaire des agents à l’égard de ce type de décisions, l’expérience des agents dans l’examen de nombreuses demandes variées fondées sur des considérations d’ordre humanitaire, le rôle des agents dans l’appréciation de la preuve et la pondération des facteurs pertinents, ainsi que la retenue dont la Cour doit faire preuve à l’égard de telles décisions discrétionnaires. Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve. Guidée par les principes énoncés dans l’arrêt Vavilov, la cour de révision doit vérifier si la décision tient compte de la jurisprudence et si d’autres erreurs précises ont été commises; par exemple, si des éléments de preuve ont été écartés ou mal interprétés et si des conclusions ont été tirées sans être étayées par la preuve.
[52] Je juge que l’agent n’aurait pas dû conclure qu’une dispense pour considérations d’ordre humanitaire n’était pas justifiée. La décision ne démontre pas que l’agent s’est fondé sur la jurisprudence ou qu’il a examiné et soupesé toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes.
[53] Premièrement, l’agent n’a pas abordé l’objet et la portée d’une dispense pour considérations d’ordre humanitaire ni appliqué les principes directeurs. Deuxièmement, il a mal interprété les observations de Mme Lewis‑Asonye et ses éléments de preuve concernant le rejet de sa demande au titre de la CEC, en tenant pour acquis qu’elle avait tenté de faire modifier une décision définitive. Troisièmement, l’agent n’a pas tenu compte de l’établissement de Mme Lewis‑Asonye, parce que, selon lui, il correspondait à ce à quoi on pouvait s’attendre. Enfin, même si l’agent a accordé un poids favorable aux facteurs examinés, il les a ensuite écartés et s’est fondé sur des inférences, des hypothèses et des conjectures.
[54] Dans la décision, l’un des premiers commentaires que l’agent a faits est que Mme Lewis‑Asonye est restée au Canada sans statut, ce qui laisse entendre qu’elle est à blâmer pour le rejet de sa demande au titre de la CEC et que le processus relatif aux considérations d’ordre humanitaire n’est pas conçu pour ceux qui ne satisfont pas aux critères des autres programmes d’immigration. De plus, l’agent n’accepte pas l’explication de Mme Lewis‑Asonye selon laquelle elle avait toujours conservé son statut d’immigration, sauf lorsque son PTPD a expiré pendant le traitement de sa demande présentée au titre de la CEC. Il n’accepte pas non plus que, même si Mme Lewis‑Asonye est restée au Canada sans statut, elle a immédiatement demandé l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire du rejet de sa demande présentée au titre de la CEC et, lorsque cette demande d’autorisation a été refusée, elle a présenté une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.
[55] Les commentaires de l’agent — que [traduction] « de nombreuses demandes [...] sont rejetées parce que le demandeur ne satisfait pas aux critères »
et que la dispense pour considérations d’ordre humanitaire existe pour les [traduction] « cas méritoires »
— laissent entendre que les étrangers qui ne satisfont pas aux critères des autres voies d’immigration ne méritent pas d’obtenir un statut. S’il s’agit là de la perspective appliquée par l’agent, elle va à l’encontre de l’objectif général de la dispense pour considérations d’ordre humanitaire.
[56] Dans la décision Kashyap c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 961, le juge Diner a abordé des commentaires similaires formulés par un agent dans le cadre d’une décision relative à des considérations d’ordre humanitaire, mentionnant ce qui suit aux paragraphes 24 à 26 :
[24] De plus, la remarque de l’agent sur le fait qu’il devait faire preuve de retenue à l’égard des lois du Canada porte à croire qu’il a une très mauvaise compréhension de son rôle en ce qui concerne l’appréciation d’une demande relative au paragraphe 25(1) de la LIPR, qui ne consiste pas simplement à respecter l’application habituelle de la loi, mais aussi à établir si des considérations d’ordre humanitaire justifient une exception souple et sensible à celle‑ci (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy] au para 19).
[25] D’abord et avant tout, la raison d’être de l’exception pour considérations d’ordre humanitaire est de surmonter un manquement ou tout obstacle découlant des règles d’immigration, en offrant une mesure à vocation équitable qui serait « de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne » (Kanthasamy au para 21, qui cite la décision Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 AIA 351 à la p 364).
[26] En l’espèce, le demandeur a invoqué des motifs d’ordre humanitaire, mais l’agent n’en a tout simplement pas tenu compte, invoquant plutôt la nécessité de faire preuve de déférence à l’égard de la loi, laquelle, une fois de plus, comprend une exception prévue au paragraphe 25(1) de la LIPR. Il faut faire preuve d’une grande déférence à l’égard de l’agent lorsqu’il rend cette décision hautement discrétionnaire, mais pas au point de ne pas apprécier tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance (Kanthasamy, au para 25).
[57] On pourrait dire la même chose que le juge Diner en l’espèce.
[58] La seule fois où l’agent fait mention de l’objectif du processus relatif aux considérations d’ordre humanitaire est dans le contexte de l’examen du rejet de la demande que Mme Lewis‑Asonye avait présentée au titre de la CEC et lorsqu’il a souligné que ce processus ne constituait pas un appel. L’agent a déclaré ce qui suit :
[traduction]
Je souligne que l’objectif du paragraphe 25(1) de la Loi est d’accorder au ministre la souplesse nécessaire pour prendre des décisions dans des cas méritoires qui n’ont pas été prévus par la législation et lorsque des considérations d’ordre humanitaire forcent le ministre à agir. La dispense est une mesure discrétionnaire exceptionnelle, et non un autre moyen d’obtenir la résidence permanente.
[59] L’agent n’a pas tenu compte de la jurisprudence qui oriente la question de savoir s’il existe des motifs qui [traduction] « forcent le ministre à agir »
.
[60] Lorsqu’ils appliquent l’approche adoptée dans la décision Chirwa, les décideurs ne s’entendent pas tous sur ce qui « incite[rait] [toute personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs »
du demandeur. Dans la décision Chirwa, la Commission d’appel de l’immigration a accepté le fait que cette définition « impliqu[ait] un certain élément de subjectivité »
, mais a également mentionné qu’il devait y avoir des éléments de preuve objectifs pour que la mesure spéciale soit accordée (Kanthasamy, au para 13).
[61] Comme il a été dit, le rôle de la Cour n’est pas de soupeser à nouveau la preuve et de substituer sa décision à celle du décideur. Toutefois, la Cour doit être convaincue que l’agent a appliqué l’approche énoncée dans la jurisprudence. L’arrêt Kanthasamy et la jurisprudence ultérieure confirment qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait des difficultés « inhabituelles et injustifiées ou démesurées »
; néanmoins, les difficultés sont un facteur à considérer, et le demandeur doit démontrer que les malheurs auxquels il fera face sont relativement plus importants que ceux auxquels d’autres feront face s’il doit retourner dans son pays de nationalité pour demander la résidence permanente au Canada. Il s’agit d’un lourd fardeau pour le demandeur qui n’est pas en mesure de comparer sa situation à celle d’autres demandeurs qui sollicitent la même dispense, et qui n’a pas de point de référence. Un demandeur ne peut que présenter sa propre situation pour démontrer que les difficultés ou les malheurs auxquels il fera face sont suffisamment importants pour « inciter [toute personne] à [les] soulager »
. Mme Lewis‑Asonye a tenté de le faire en présentant des éléments de preuve objectifs.
[62] L’agent a souligné avec raison que le rejet de la demande présentée au titre de la CEC constituait une décision définitive et que le processus relatif aux considérations d’ordre humanitaire n’était pas un appel. Cependant, il a mal interprété les observations de Mme Lewis‑Asonye concernant le rejet de sa demande au titre de la CEC, en tenant pour acquis qu’elle tentait de faire modifier la décision rendue, au lieu de considérer ce rejet comme une considération d’ordre humanitaire pertinente.
[63] Mme Lewis‑Asonye a présenté des éléments de preuve concernant les efforts qu’elle avait déployés, notamment sur ses études, son emploi et d’autres réalisations, afin de satisfaire aux critères du programme de la CEC pour obtenir la résidence permanente, et elle a souligné qu’elle avait été invitée à présenter une demande de résidence permanente. Les éléments de preuve démontraient également qu’elle avait toujours renouvelé ses permis d’études et de travail et qu’elle avait respecté toutes les autres exigences du programme de la CEC, à l’exception de son PTPD qui avait expiré pendant le traitement de sa demande, lequel avait pris plus de temps que ce qu’on lui avait dit, mais qu’elle avait rapidement tenté de faire rétablir son statut. Ces observations et ces éléments de preuve ont été présentés comme des considérations d’ordre humanitaire.
[64] L’agent a examiné les études et l’emploi de Mme Lewis‑Asonye, mais seulement dans le contexte du facteur d’établissement. Sa conclusion selon laquelle la preuve ne démontrait pas que la demanderesse [traduction] « avait atteint un degré d’établissement si élevé qu’elle serait confrontée à des difficultés connexes si elle devait partir du Canada et présenter une demande de résidence permanente depuis l’étranger »
est incompatible avec la preuve présentée et ne montre pas qu’il a examiné tous les autres facteurs d’ordre humanitaire au‑delà des difficultés. L’agent s’est fondé sur le fait que Mme Lewis‑Asonye serait capable de vivre et de travailler au Nigéria, sans tenir compte des [traduction] « difficultés connexes »
qu’entraîneraient un retour au Nigéria et l’obligation de présenter une nouvelle demande d’immigration au Canada à partir de zéro.
[65] Le fait que l’agent s’est concentré sur les difficultés que vivrait Mme Lewis‑Asonye si elle devait retourner au Nigéria et sa conclusion selon laquelle elles constitueraient des difficultés ou des conséquences normales (c.‑à‑d. bouleversement et obligation de laisser sa famille derrière) ne traduisent pas l’état de la jurisprudence. Par exemple, dans la décision Huang, la Cour a conclu que, dans le contrôle de ce type de décisions, il fallait évaluer si la situation du demandeur faisait en sorte que ses « malheurs »
en cas de renvoi seraient supérieurs à ceux auxquels sont habituellement confrontées les personnes qui demandent la résidence permanente au Canada. L’agent n’a pas examiné en quoi les conséquences d’un retour au Nigéria et de l’obligation de présenter une nouvelle demande d’immigration au Canada, après y avoir vécu pendant plus de sept ans, y avoir fait ses études supérieures, y avoir travaillé, fait du bénévolat et reçu des prix, et après s’y être établie dans le but de rester, grâce au programme de la CEC, et avoir respecté toutes les exigences, sauf une, étaient plus importantes que les conséquences ordinaires d’un renvoi.
[66] Je souligne que le défendeur reconnaît également que les conséquences néfastes du rejet de la demande au titre de la CEC peuvent être pertinentes dans le cadre de l’appréciation des difficultés auxquelles Mme Lewis‑Asonye serait confrontée si elle devait présenter une demande de résidence permanente depuis l’étranger.
[67] En outre, lorsqu’il a apprécié l’établissement de la demanderesse et conclu qu’il n’était [traduction] « pas différent de celui d’autres demandeurs dans une situation analogue »
, l’agent semble laisser entendre qu’il existe un certain point de référence pour le facteur de l’établissement, sans pour autant le préciser.
[68] Comme le juge Boswell l’a mentionné au paragraphe 18 de la décision Baco c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 694 :
[...] Il était déraisonnable que l’agent écarte le degré d’établissement des demandeurs simplement parce que celui était, de son avis, « le degré auquel il était naturel de s’attendre de leur part […] [et ne] dépasse pas le degré normal d’établissement auquel on pourrait s’attendre de la part de demandeurs dans leur situation ». L’agent a évalué de façon déraisonnable la durée du séjour ou le degré d’établissement des demandeurs au Canada, car, à mon avis, il a mis l’accent sur le degré « attendu » d’établissement et, par conséquent, n’a pas expliqué pourquoi la preuve relative à l’établissement était insuffisante ou n’a pas précisé en quoi consisterait un degré d’établissement acceptable ou adéquat.
[69] Bien que l’agent ait accordé un « poids favorable »
à l’établissement de Mme Lewis‑Asonye, à ses études, à son emploi, à ses liens familiaux et à l’intérêt supérieur des enfants, il a ensuite écarté ces facteurs positifs en se fondant notamment sur des hypothèses et des inférences, plutôt que sur des éléments de preuve. Par exemple, l’agent a écarté l’établissement de la demanderesse au Canada, en concluant qu’elle pouvait s’établir à nouveau au Nigéria et tirer un avantage concurrentiel de son expérience de travail au Canada, alors qu’aucun élément de preuve ne démontrait en quoi les études et les compétences qu’elle avait acquises ici pourraient l’aider sur le marché du travail au Nigéria. Il a également conclu qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que le frère de la demanderesse l’aide financièrement, comme il l’avait fait pendant qu’elle était au Canada, jusqu’à ce qu’elle gagne suffisamment d’argent pour subvenir à ses besoins au Nigéria, sans aucune preuve que cela est faisable. De plus, l’agent a conclu que les neveux de la demanderesse pourraient la visiter au Nigéria et qu’elle pourrait les visiter au Canada, sans en apprécier la faisabilité. Bien que des considérations autres que celles avancées par un demandeur puissent atténuer les facteurs favorables, il serait impossible pour un demandeur d’obtenir une dispense pour considérations d’ordre humanitaire si chaque facteur favorable pouvait être atténué par l’avis de l’agent concernant la façon dont le demandeur pouvait s’adapter à son retour dans son pays de nationalité.
[70] En conclusion, la décision de l’agent n’est pas justifiée au regard des faits et du droit. Par conséquent, la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire doit faire l’objet d’une nouvelle décision.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑2554‑21
LA COUR STATUE :
La demande est accueillie.
L’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Catherine M. Kane »
Juge
Traduction certifiée conforme
Mélanie Vézina
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM‑2554‑21 |
INTITULÉ :
|
CHIGOZIE ULOMA LEWIS‑ASONYE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 8 SEPTEMBRE 2022
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE KANE
|
DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
|
|
COMPARUTIONS :
Mark Rosenblatt |
Pour la demanderesse |
Diane Gyimah |
Pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Mark Rosenblatt
Avocat
Toronto (Ontario)
|
Pour la demanderesse |
Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
Pour le défendeur |