Date : 20220929
Dossier : IMM-398-21
Référence : 2022 CF 1366
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 29 septembre 2022
En présence de madame la juge Furlanetto
ENTRE : |
PREMNARINE SHEORATTAN GAITRI DEVI SHEORATTAN |
demandeurs |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 4 janvier 2021, par laquelle un agent principal d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [l’agent] a rejeté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée depuis le Canada au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.
[2] Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée, car je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans l’analyse de l’agent.
I. Le contexte
[3] Le demandeur principal, Premnarine Sheorattan, est un citoyen du Guyana âgé de 36 ans. En février 2008, il a eu un accident de voiture et a subi des lésions cérébrales, ce qui l’a mené à souffrir de convulsions nécessitant un traitement médical.
[4] Il est arrivé au Canada en 2010 comme étudiant et a commencé un programme de technologie du génie électromécanique au Collège Humber, qu’il a terminé en 2013. Depuis qu’il a obtenu son diplôme, le demandeur principal travaille au Canada grâce à un permis de travail, qui a expiré en 2019. Il a ensuite démarré sa propre entreprise, qu’il exploite toujours.
[5] Le demandeur principal a épousé la codemanderesse, Gaitri Devi Sheorattan, lors d’un voyage d’été au Guyana en 2012 et, en juin 2013, elle l’a rejoint au Canada munie d’un visa de résident temporaire. Elle vit au Canada sans statut depuis 2016.
[6] Les demandeurs ont deux enfants nés au Canada. Leur fils aîné, aujourd’hui âgé de 8 ans, souffre d’asthme, ce qui nécessite des traitements médicaux.
[7] Les demandeurs ont présenté deux demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire en mars 2016 et en mai 2017, qui ont toutes deux été refusées. Le 28 juin 2019, les demandeurs ont présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. La demande était fondée sur le degré d’établissement, les besoins de demandeur principal et du fils aîné des demandeurs en matière de santé, l’intérêt supérieur de leurs enfants et les difficultés auxquelles les demandeurs seraient exposés s’ils devaient retourner au Guyana.
[8] Le 4 janvier 2021, l’agent a rejeté la demande. Il a conclu, entre autres, qu’il n’y avait pas une preuve suffisante pour démontrer que les demandeurs seraient exposés à une discrimination qui les empêcherait de raisonnablement obtenir un emploi s’ils retournaient au Guyana, ou pour établir que le demandeur principal et le fils aîné des demandeurs seraient incapables d’obtenir un traitement médical approprié au Guyana. L’agent n’a pas non plus été convaincu que les enfants ne seraient pas en mesure de s’adapter ou de se réintégrer au Guyana, et il s’est dit persuadé que l’intérêt supérieur des enfants serait préservé si ceux-ci continuaient à bénéficier du soutien et des soins de leurs parents.
II. Les questions en litige
[9] La présente demande soulève les questions suivantes :
L’agent a-t-il commis une erreur dans l’appréciation de la discrimination à laquelle les demandeurs seraient exposés?
L’agent a-t-il commis une erreur en se penchant sur les éléments de preuve relatifs à l’accessibilité des soins médicaux au Guyana pour le demandeur principal et son fils?
L’agent a-t-il commis une erreur dans son appréciation de l’intérêt supérieur des enfants?
[10] La norme de contrôle qui s’applique à une décision rendue par un agent à l’égard d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable. Aucune des situations qui réfuteraient la présomption selon laquelle toutes les décisions administratives sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable ne s’applique : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 16, 17.
[11] Lorsqu’elle applique cette norme, la Cour doit juger si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle »
et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »
;
Vavilov, aux para 85, 86; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleuses et travailleurs des postes, 2019 CSC 67 aux para 2, 31. Une décision est raisonnable si, lorsqu’elle est lue dans son ensemble et que le contexte administratif est pris en compte, elle possède les caractéristiques de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité : Vavilov, aux para 91‑95, 99, 100.
III. Analyse
A. L’agent a-t-il commis une erreur dans l’appréciation de la discrimination à laquelle les demandeurs seraient exposés?
[12] Les demandeurs affirment que l’agent a commis une erreur en limitant l’analyse de la discrimination à laquelle les demandeurs seraient exposés à la question étroite de savoir si ceux-ci seraient en mesure d’obtenir un emploi. Ils font valoir que l’agent ne s’est pas penché sur les arguments centraux selon lesquels le demandeur principal ferait face à de la discrimination sociale liée à ses convulsions et la codemanderesse serait exposée à de la discrimination sociale et à de la violence fondée sur le sexe.
[13] Le défendeur soutient qu’il n’y a eu aucune erreur. L’agent a relevé les préoccupations soulevées par les demandeurs et en a traité, mais a fourni des motifs plus longs en matière d’emploi parce qu’il s’agissait du principal sujet abordé dans les observations des demandeurs. Je suis du même avis.
[14] Dans les observations qu’ils ont présentées dans leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, les demandeurs ont inclus une section intitulée [traduction] « Conditions défavorables au pays : discrimination fondée sur le sexe et la déficience et possibilités d’emploi limitées »
. Les observations de cette section ont abordé les difficultés auxquelles les demandeurs feraient face pour trouver un emploi à cause de [traduction] « la discrimination à laquelle ils sont exposés en raison des antécédents de convulsions de Premnarine et du statut de femme de Gaitri »
. Les demandeurs ont renvoyé à un rapport de 2018 du Département d’État des États-Unis sur les droits de la personne, dans lequel il est question de l’absence d’application des lois interdisant la discrimination en matière d’emploi au Guyana, ainsi que d’un rapport des Nations Unies sur [traduction] « [l’é]limination de la discrimination à l’égard des femmes »
et les observations de celle-ci relatives aux stéréotypes au Guyana. Les observations comportaient une citation de l’affidavit du demandeur principal, dans lequel celui-ci a fait référence à la [traduction] « forte stigmatisation au Guyana »
à l’égard de sa condition et de ses expériences, ainsi qu’un article du Guyana Chronicle qui portait sur la discrimination sociétale à l’égard des personnes épileptiques. Toutefois, les observations faisaient référence à ces éléments de preuve dans le contexte d’une discussion générale sur les possibilités d’emploi du demandeur principal. La conclusion de cette section des observations contient le passage suivant : [traduction] « […] à la lumière de ce qui précède, un retour au Guyana marquerait un retour à la misère et à la pauvreté. Il est clair que l’économie du Guyana est en déconfiture, et que l’un ou l’autre des époux n’a que peu d’espoir de trouver un emploi valable permettant de gagner un salaire de subsistance, compte tenu du handicap de Premnarine et du statut de femme de Gaitri. »
[15] Dans la décision, l’agent décrit les préoccupations soulevées par les demandeurs et prend acte de celles-ci. L’agent a souligné le fait que le demandeur principal pouvait être exposé à des préjugés sociaux en raison de ses convulsions, et a relevé les expériences interfamiliales défavorables que la codemanderesse avait vécues et les façons dont cela pourrait avoir une incidence sur elle à l’avenir, ainsi que les préoccupations plus générales de celle-ci concernant la discrimination. Toutefois, l’agent a examiné ces affirmations de la même manière qu’elles avaient été soulevées dans les observations des demandeurs. Comme les affirmations sur la discrimination avaient été faites conjointement avec une observation globale concernant l’incidence de la discrimination sur la capacité des demandeurs à trouver un emploi, elles ont été examinées de la même manière dans la décision. À mon avis, l’agent n’a pas commis d’erreur en structurant son analyse de manière à suivre les observations des demandeurs. L’agent n’a pas non plus fait fi de la preuve des demandeurs.
[16] Les demandeurs font en outre valoir que l’agent leur a demandé d’établir qu’ils avaient déjà été victimes de discrimination afin de démontrer que celle-ci était un problème réel. Ils renvoient à la remarque suivante faite dans la décision :
[traduction]
Premnarine craint qu’il soit victime de discrimination en raison de son trouble épileptique s’il devait se chercher un emploi au Guyana. J’ai examiné les documents présentés et je suis sensible à l’égard du fait que les convulsions sont encore fréquemment mal comprises au Guyana et que le demandeur peut être exposé à des préjugés sociaux. Cependant, je fais remarquer que le demandeur avait un emploi avant de déménager au Canada, à un moment où il avait déjà un trouble épileptique […] [Non souligné dans l’original.]
[17] Les demandeurs affirment que cette approche est contraire aux lignes directrices du ministre [les lignes directrices] concernant l’appréciation d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire :
Si un demandeur soutient qu’il sera exposé à de la discrimination dans son pays d’origine, on peut supposer qu’il y aura discrimination si le demandeur démontre qu’il est membre d’un groupe victime de discrimination. Une preuve de la discrimination vécue par d’autres personnes qui partagent le profil du demandeur est pertinente aux termes du paragraphe 25(1), que le demandeur puisse prouver ou non qu’il est ciblé personnellement.
[18] Je juge que cet argument n’est pas convaincant, car il interprète les commentaires de l’agent hors de leur contexte.
[19] Conformément aux lignes directrices, l’agent prend acte du fait qu’il peut exister un préjudice social en raison des crises épileptiques du demandeur principal. Toutefois, l’agent a fait référence à la capacité antérieure du demandeur principal d’obtenir un emploi au Guyana, en invoquant ses crises épileptiques comme facteur à prendre en considération, pour déterminer la façon dont ce problème de santé pourrait avoir une incidence sur ses possibilités d’emploi futures. À mon avis, cela ne signifie pas que le demandeur était tenu de démontrer une situation de discrimination préalable pour établir l’existence d’une discrimination. Il s’agissait plutôt simplement de tenir compte de l’incidence préalable du préjudice social découlant des crises épileptiques du demandeur principal sur l’emploi comme facteur à prendre en considération pour déterminer la façon dont ce préjudice social pourrait avoir des répercussions sur l’emploi du demandeur à l’avenir.
[20] Je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans cet aspect de l’analyse de l’agent.
B. L’agent a-t-il commis une erreur en se penchant sur les éléments de preuve relatifs à l’accessibilité des soins médicaux au Guyana pour le demandeur principal et son fils?
[21] Les demandeurs font valoir que l’agent a entravé leur pouvoir discrétionnaire en adhérant trop strictement aux lignes directrices relatives au fardeau qu’il incombait à un demandeur d’établir des difficultés découlant d’un état de santé, au lieu d’examiner leur preuve et d’indiquer pourquoi elle était insuffisante. Comme le prévoient les lignes directrices, si le demandeur allègue qu’un retour dans son pays d’origine l’exposera à des difficultés en raison d’un problème de santé, il incombe au demandeur de fournir :
a) une preuve documentaire du médecin traitant confirmant le diagnostic du trouble médical fourni au demandeur, le traitement approprié et le caractère vital du traitement pour le bien-être physique ou mental du demandeur;
b) une confirmation des autorités sanitaires compétentes du pays d’origine du demandeur qui atteste le fait qu’un traitement approprié n’y est pas disponible.
[22] En l’espèce, les demandeurs ont fourni un rapport de consultation sur les crises épileptiques du demandeur principal. Le rapport mentionne que le demandeur a subi une contusion traumatique en 2008, ce qui a entraîné un trouble épileptique nécessitant un traitement. Le rapport, qui est résumé dans la décision, montre que le demandeur s’est fait prescrire le médicament carbamazépine pendant plus d’un an; après s’être installé au Canada, le demandeur a arrêté de prendre ce médicament. Ses crises épileptiques sont revenues en 2013, et il s’est fait prescrire le médicament Dilantin, qui lui permet de maîtriser le trouble dont il est atteint.
[23] Le rapport ne précise pas s’il est possible de se procurer le Dilantin au Guyana, et le demandeur a reconnu qu’il n’était pas au courant de sa disponibilité dans ce pays. Le rapport ne fournit pas non plus de comparaison entre le traitement par carbamazépine et le traitement par Dilantin.
[24] Dans sa décision, l’agent a noté les éléments de preuve du demandeur et a pris acte de sa préférence pour le Dilantin au lieu de la carbamazépine. Toutefois, l’agent a déclaré que la preuve n’étayait pas la conclusion selon laquelle les médicaments que le demandeur peut se procurer au Guyana étaient inappropriés. Compte tenu du fait que le demandeur a arrêté de prendre de la carbamazépine en 2009 et qu’il semblait ne prendre aucun médicament lorsque ses crises épileptiques sont revenues en 2013, je ne juge pas cette conclusion déraisonnable. Je ne considère pas non plus déraisonnable que l’agent ait conclu que la preuve était insuffisante pour établir que le demandeur se verrait refuser des médicaments acceptables au Guyana, ou qu’il serait incapable d’obtenir de tels médicaments.
[25] Comme il est énoncé dans les lignes directrices, il incombe au demandeur d’établir qu’il n’a pas accès à un traitement acceptable au Guyana. À mon avis, le résumé fourni par l’agent démontre une justification et une transparence suffisantes pour la conclusion qu’il a tirée.
[26] En ce qui concerne son fils, le demandeur a présenté une lettre du médecin de son fils mentionnant que celui-ci [traduction] « souffr[rait] d’asthme bronchique et [qu’]il pren[ait à ce moment-là] les médicaments Flovent et Teva-Salbutamol pour soulager son essoufflement. Toutefois, les médicaments mentionnés ci-dessus ne sont pas disponibles au Guyana. »
[27] Dans la décision, l’agent a souligné que cette lettre [traduction] « n’a pas écarté les autres médicaments utilisés pour traiter l’asthme »
. L’agent a également fait référence à des projets dans deux hôpitaux du Guyana pour le diagnostic et le traitement de patients atteints d’asthme. Compte tenu de ces facteurs, l’agent a jugé que la preuve était insuffisante pour établir que le fils du demandeur serait incapable d’obtenir des médicaments acceptables.
[28] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les faits se distinguent de ceux énoncés aux paragraphes 24 et 25 de la décision Kadje c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 102, cités par le demandeur. En l’espèce, la preuve ne démontrait pas que les médicaments nécessaires pour traiter le demandeur n’étaient pas disponibles dans le pays d’origine, mais plutôt que le médicament actuellement utilisé par le demandeur pour son traitement n’était pas disponible. La preuve était muette quant à la question de savoir si d’autres traitements seraient possibles. L’agent a fait remarquer que cette possibilité n’était pas abordée dans la preuve des demandeurs.
[29] À mon avis, l’analyse donnée est suffisamment justifiée et transparente, et elle met en évidence la raison pour laquelle la preuve fournie a été jugée déficiente.
[30] Les demandeurs font en outre valoir que l’agent a limité son analyse à la disponibilité de produits pharmaceutiques et qu’il n’a pas examiné les éléments de preuve concernant l’état général des soins de santé au Guyana. Cependant, je juge que cet argument n’est pas convaincant.
[31] Dans son analyse, l’agent démontre une prise en considération des éléments de preuve sur les conditions dans le pays, mais note plusieurs progrès dans le traitement disponible — à savoir que la Epilepsy Foundation du Guyana a mené des activités de sensibilisation et a récemment acquis un dispositif d’électroencéphalogramme. De plus, comme il a été mentionné précédemment, l’analyse de l’agent tient compte de projets dans deux des hôpitaux du Guyana pour le diagnostic et le traitement des patients atteints d’asthme.
[32] Bien que le demandeur ait pu préférer que l’agent soupèse la preuve différemment, cela ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle.
C. L’agent a-t-il commis une erreur dans son appréciation de l’intérêt supérieur des enfants?
[33] Les demandeurs affirment que l’agent a commis une erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants en mettant l’accent sur les difficultés plutôt que de préciser ce qui était dans l’intérêt supérieur des enfants et d’appliquer l’approche énoncée aux paragraphes 35 à 40 de l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 :
[35] L’application du principe de l’« intérêt supérieur de l’enfant [. . .] dépen[d] fortement du contexte » en raison de « la multitude de facteurs qui risquent de faire obstacle à l’intérêt de l’enfant » (Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76, par. 11; Gordon c. Goertz, [1996] 2 R.C.S. 27, par. 20). Elle doit donc tenir compte de l’âge de l’enfant, de ses capacités, de ses besoins et de son degré de maturité (voir A.C. c. Manitoba (Directeur des services à l’enfant et à la famille), [2009] 2 R.C.S. 181, par. 89). Le degré de développement de l’enfant déterminera l’application précise du principe dans les circonstances particulières du cas sous étude.
[36] La protection des enfants par l’application du principe de l’« intérêt supérieur de l’enfant » fait l’objet d’une reconnaissance générale dans le système de justice canadien (A.B. c. Bragg Communications Inc., [2012] 2 R.C.S. 567, par. 17). Il s’agit dès lors [traduction] « de décider de ce qui [. . .], dans les circonstances, paraît le plus propice à la création d’un climat qui permettra le plus possible à l’enfant d’obtenir les soins et l’attention dont il a besoin » (MacGyver c. Richards (1995), 22 O.R. (3d) 481 (C.A.), p. 489).
[37] Les instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire, y compris la Convention relative aux droits de l’enfant, soulignent également l’importance de l’intérêt supérieur de l’enfant (R.T. Can. 1992 no 3; Baker, par. 71). En particulier, le par. 3(1) de la Convention consacre la primauté du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant :
Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.
[38] Même avant que le principe ne figure expressément au par. 25(1), la Cour y voyait un volet « important » de l’appréciation des motifs d’ordre humanitaire, notamment dans l’arrêt Baker :
. . . l’attention et la sensibilité à l’importance des droits des enfants, de leur intérêt supérieur et de l’épreuve qui pourrait leur être infligée par une décision défavorable sont essentielles pour qu’une décision d’ordre humanitaire soit raisonnable. . .
. . . pour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Cela ne veut pas dire que l’intérêt supérieur des enfants l’emportera toujours sur d’autres considérations, ni qu’il n’y aura pas d’autres raisons de rejeter une demande d’ordre humanitaire même en tenant compte de l’intérêt des enfants. Toutefois, quand l’intérêt des enfants est minimisé, d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable. [par. 74-75]
[39] Par conséquent, la décision rendue en application du par. 25(1) sera jugée déraisonnable lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant qu’elle touche n’est pas suffisamment pris en compte (Baker, par. 75). L’agent ne peut donc pas se contenter de mentionner qu’il prend cet intérêt en compte (Hawthorne, par. 32). L’intérêt supérieur de l’enfant doit être « bien identifié et défini », puis examiné « avec beaucoup d’attention » eu égard à l’ensemble de la preuve (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.), par. 12 et 31; Kolosovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 165, par. 9-12 (CanLII)).
Lorsque, comme en l’espèce, la loi exige expressément la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant « directement touché », cet intérêt représente une considération singulièrement importante dans l’analyse (A.C., par. 80-81) […]
[34] Comme l’ont affirmé les demandeurs, l’absence de difficultés ne peut se substituer validement à une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant : Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1633 [Singh] au para 30. Il faut d’abord déterminer en quoi consiste l’intérêt supérieur des enfants : Patousia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 876 aux para 53-56.
[35] Cependant, une analyse de l’intérêt supérieur des enfants n’a pas besoin de suivre une formulation particulière : Boukhanfra c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 4 aux para 18-21. Tant qu’il est clair que l’intérêt supérieur des enfants a été pris en considération dans l’analyse, un cadre souple peut être utilisé.
[36] En l’espèce, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’analyse, lorsqu’elle est interprétée dans son ensemble, ne donne pas à penser que l’agent a eu recours à une approche axée sur les difficultés. Ce dernier a plutôt examiné l’intérêt supérieur des enfants (leur stabilité émotionnelle et psychologique, familiale, médicale, ainsi que leur stabilité en matière d’études) dans le cadre des observations présentées par les demandeurs, et a répondu à ces facteurs dans son analyse. Dans l’ensemble, l’agent a conclu que l’intérêt supérieur des enfants pouvait être maintenu si ceux-ci continuaient de bénéficier des soins personnels et du soutien offerts par leurs parents.
[37] Bien que l’agent ait pris acte du fait que le système d’éducation au Guyana n’était pas aussi favorable que celui du Canada, il a examiné les éléments de preuve démontrant que le Guyana s’est engagé à offrir une éducation gratuite et obligatoire, du niveau préscolaire jusqu’au niveau secondaire inclusivement et que les enfants de ce pays ont, en moyenne, une espérance de vie scolaire de 11 ans. L’agent a estimé qu’avec l’appui de leurs parents, les enfants pourraient tirer le meilleur parti de ce système et celui-ci ne porterait pas atteinte à leur intérêt supérieur. Comme l’a souligné l’agent, cette option permettrait également aux enfants qui sont nés au Canada d’y retourner lorsqu’ils seront plus âgés, s’ils le désirent. À la lumière de la preuve et des observations présentées, je ne juge pas que cette analyse est déraisonnable.
[38] Les demandeurs affirment que l’agent a commis une erreur en faisant abstraction des articles qu’ils avaient cités concernant les effets que peuvent subir les petits enfants lorsqu’ils sont retirés d’environnements stables. Ils soutiennent que la conclusion de l’agent selon laquelle les enfants sont plus résilients et davantage en mesure de s’adapter à leur âge est contraire à cet élément de preuve et a été jugée problématique par la Cour : Singh, au para 31, citant Edo-Osagie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1084 [Edo-Osagie].
[39] Toutefois, je ne juge pas que l’analyse de l’agent est aussi limitée. Comme l’a fait le juge dans la décision Edo-Osagie, l’agent en l’espèce s’est ensuite penché sur des facteurs qui atténuaient la difficulté de réadaptation, comme le soutien offert par les parents des enfants. Bien que l’agent n’ait pas mentionné les articles auxquels les demandeurs avaient expressément renvoyé, il a pris acte du fait que quitter le Canada pouvait être difficile pour les enfants et exiger une certaine réadaptation. Cependant, l’agent a soupesé cette crainte par rapport aux caractéristiques particulières des enfants, le soutien qu’ils recevront de leurs parents et leurs liens avec la famille élargie au Guyana. À mon avis, il n’y a aucune lacune dans l’analyse effectuée.
[40] Pour les motifs qui précèdent, la demande sera rejetée.
[41] Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-398-21
LA COUR STATUE :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Aucune question de portée générale n’est certifiée.
« Angela Furlanetto »
Juge
Christopher Cyr
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-398-21 |
INTITULÉ :
|
PREMNARINE SHEORATTAN, GAITRI DEVI SHEORATTAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 20 SEPTEMBRE 2022
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE FURLANETTO
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 29 SEPTEMBRE 2022
|
COMPARUTIONS :
Rylee Raeburn‑Gibson |
POUR LES DEMANDEURS |
Sally Thomas |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Mamann, Sandaluk & Kingwell Avocats Toronto (Ontario) |
POUR LES DEMANDEURS |
Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |