Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220928


Dossier : T-569-21

Référence : 2022 CF 1351

Ottawa (Ontario), le 28 septembre 2022

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

DANIEL COZAK

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Daniel Cozak, est un chimiste à la retraite qui a bénéficié de la Prestation canadienne d’urgence [PCU] et de la Prestation canadienne de relance économique [PCRE] en 2020. M. Cozak a fait l’objet d’un premier examen par l’Agence de revenu du Canada [ARC], à l’issue duquel un premier agent de traitement des prestations [premier agent] a conclu, en date du 10 décembre 2020, que M. Cozak était inadmissible à la PCU et à la PCRE et qu’il devait rembourser les paiements qu’il avait déjà reçus. À la suite d’un deuxième examen de ses demandes de PCU et de PCRE, une deuxième agente [deuxième agente] a confirmé l’inadmissibilité de M. Cozak en date du 4 mars 2021 [décisions].

[2] M. Cozak a présenté une demande de contrôle judiciaire visant les décisions du 4 mars 2021. Il soutient qu’il satisfait en tous points aux critères d’admissibilité dictés par le programme de l’ARC. Plus particulièrement, M. Cozak argue qu’il a clairement prouvé qu’il a gagné un revenu de travail indépendant pour l’année d’imposition 2019 ou au cours des 12 mois précédant ses premières demandes, totalisant un revenu d’au moins 5 000 $. Il considère que les faits communiqués à l’ARC ont été ignorés ou mal interprétés, et que les motifs de la deuxième agente pour refuser ses demandes de prestations sont mal fondés.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que les décisions de la deuxième agente ne sont pas déraisonnables, et que la demande de M. Cozak doit être rejetée.

I. Question préliminaire

[4] M. Cozak a fait défaut de se présenter à l’audition de sa demande prévue le 12 septembre 2022 en personne dans la Ville de Québec. Après quinze minutes suivant l’ouverture de l’audience, le greffe a tenté de joindre M. Cozak au numéro de téléphone inscrit au dossier, mais n’a pu s’entretenir qu’avec son épouse. Cette dernière a informé le greffe qu’elle ne savait pas où son mari se trouvait, qu’elle n’était pas au courant qu’il devait se présenter à une audience, que M. Cozak n’avait pas de téléphone cellulaire et qu’il était donc impossible de le joindre.

[5] De plus, semble-t-il que le 30 août 2022, après plusieurs rappels du greffe à cet effet, M. Cozak a bel et bien accusé réception de la directive de la Cour datée du 10 août 2022, laquelle fixait de manière péremptoire la présente audience en personne devant notre Cour, à Québec, le lundi 12 septembre 2022, à 9 h 30, pour une durée n’excédant pas quatre heures. Je considère donc que M. Cozak était bien au fait de la tenue de cette audience et des détails la concernant.

[6] Il incombait à M. Cozak d’être présent pour l’audition de sa demande et de communiquer avec la Cour en cas d’empêchement de sa part. À la date de la présente décision, M. Cozak n’a pas communiqué avec la Cour de quelque manière que ce soit au sujet de cette affaire. Comme j’en ai informé le procureur général du Canada à l’audience, j’entends donc rendre ma décision sur la base des observations écrites des parties (Nault c Canada (Commission de la fonction publique), 2002 CFPI 1297 au para 2).

II. Cadre législatif et contexte

A. Prestation canadienne d’urgence

[7] La PCU a été instaurée par la Loi sur la prestation canadienne d’urgence, LC 2020, c 5, art 8 [Loi sur la PCU], sanctionnée le 25 mars 2020, afin de fournir un soutien financier aux employés et aux travailleurs indépendants qui ont été touchés directement par la pandémie de COVID‑19. En vertu du paragraphe 5(1) de la Loi sur la PCU, la PCU a été offerte pour la période du 15 mars 2020 au 3 octobre 2020. Les paragraphes 6(1) et 6(2) prévoyaient les critères d’admissibilité pour recevoir la PCU :

Admissibilité

Eligibility

6(1) Est admissible à l’allocation de soutien du revenu le travailleur qui remplit les conditions suivantes :

6(1) A worker is eligible for an income support payment if

a) il cesse d’exercer son emploi — ou d’exécuter un travail pour son compte — pour des raisons liées à la COVID-19 pendant au moins quatorze jours consécutifs compris dans la période de quatre semaines pour laquelle il demande l’allocation;

(a) the worker, whether employed or self-employed, ceases working for reasons related to COVID-19 for at least 14 consecutive days within the four-week period in respect of which they apply for the payment; and

b) il ne reçoit pas, pour les jours consécutifs pendant lesquels il cesse d’exercer son emploi ou d’exécuter un travail pour son compte :

(b) they do not receive, in respect of the consecutive days on which they have ceased working,

(i) sous réserve des règlements, de revenus provenant d’un emploi ou d’un travail qu’il exécute pour son compte,

(i) subject to the regulations, income from employment or self-employment,

(ii) de prestations, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’assurance-emploi,

(ii) benefits, as defined in subsection 2(1) of the Employment Insurance Act,

(iii) d’allocations, de prestations ou d’autres sommes qui lui sont payées, en vertu d’un régime provincial, en cas de grossesse ou de soins à donner par lui à son ou ses nouveau-nés ou à un ou plusieurs enfants placés chez lui en vue de leur adoption,

(iii) allowances, money or other benefits paid to the worker under a provincial plan because of pregnancy or in respect of the care by the worker of one or more of their new-born children or one or more children placed with them for the purpose of adoption, or

(iv) tout autre revenu prévu par règlement.

(iv) any other income that is prescribed by regulation.

Exclusion

Exclusion

(2) Pour l’application de l’alinéa (1)a), un travailleur ne cesse pas d’exercer son emploi s’il le quitte volontairement.

(2) An employed worker does not cease work for the purpose of paragraph (1)(a) if they quit their employment voluntarily.

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[8] L’article 2 de la Loi sur la PCU précise la définition de « travailleur » :

travailleur Personne âgée d’au moins quinze ans qui réside au Canada et dont les revenus — pour l’année 2019 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elle présente une demande en vertu de l’article 5 — provenant des sources ci-après s’élèvent à au moins cinq mille dollars ou, si un autre montant est fixé par règlement, ce montant :

worker means a person who is at least 15 years of age, who is resident in Canada and who, for 2019 or in the 12-month period preceding the day on which they make an application under section 5, has a total income of at least $5,000 — or, if another amount is fixed by regulation, of at least that amount — from the following sources:

a) un emploi;

(a) employment;

b) un travail qu’elle exécute pour son compte;

(b) self-employment;

c) des prestations qui lui sont payées au titre de l’un des paragraphes 22(1), 23(1), 152.04(1) et 152.05(1) de la Loi sur l’assurance-emploi;

(c) benefits paid to the person under any of subsections 22(1), 23(1), 152.04(1) and 152.05(1) of the Employment Insurance Act; and

d) des allocations, prestations ou autres sommes qui lui sont payées, en vertu d’un régime provincial, en cas de grossesse ou de soins à donner par elle à son ou ses nouveau-nés ou à un ou plusieurs enfants placés chez elle en vue de leur adoption.

(d) allowances, money or other benefits paid to the person under a provincial plan because of pregnancy or in respect of the care by the person of one or more of their new-born children or one or more children placed with them for the purpose of adoption.

B. Prestation canadienne de la relance économique

[9] La PCRE a été introduite par la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 2 [Loi sur les PCRE], sanctionnée le 2 octobre 2020, afin de fournir une aide financière aux salariés et aux travailleurs indépendants qui ont été directement touchés par la pandémie de la COVID-19 et qui n’avaient pas droit aux prestations d’assurance-emploi. La PCRE a été offerte pour la période du 27 septembre 2020 au 23 octobre 2021. Le paragraphe 3(1) de la Loi sur les PCRE prévoyait les critères d’admissibilité pour recevoir la PCRE, soit:

Admissibilité

Eligibility

3(1) Est admissible à la prestation canadienne de relance économique, à l’égard de toute période de deux semaines comprise dans la période commençant le 27 septembre 2020 et se terminant le 23 octobre 2021, la personne qui remplit les conditions suivantes :

3(1) A person is eligible for a Canada recovery benefit for any two-week period falling within the period beginning on September 27, 2020 and ending on October 23, 2021 if

a) elle détient un numéro d’assurance sociale valide;

(a) they have a valid social insurance number;

b) elle était âgée d’au moins quinze ans le premier jour de la période de deux semaines;

(b) they were at least 15 years of age on the first day of the two-week period;

c) elle résidait et était présente au Canada au cours de la période de deux semaines;

(c) they were resident and present in Canada during the two-week period;

d) dans le cas d’une demande présentée en vertu de l’article 4 à l’égard d’une période de deux semaines qui débute en 2020, ses revenus provenant des sources ci-après, pour l’année 2019 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elle présente sa demande, s’élevaient à au moins cinq mille dollars :

(d) in the case of an application made under section 4 in respect of a two-week period beginning in 2020, they had, for 2019 or in the 12-month period preceding the day on which they make the application, a total income of at least $5,000 from the following sources:

(i) un emploi,

(i) employment

(ii) un travail qu’elle exécute pour son compte,

(ii) self-employment

(iii) des prestations qui lui sont payées au titre de l’un des paragraphes 22(1), 23(1), 152.04(1) et 152.05(1) de la Loi sur l’assurance-emploi,

(iii) benefits paid to the person under any of subsections 22(1), 23(1), 152.04(1) and 152.05(1) of the Employment Insurance Act,

(iv) des allocations, prestations ou autres sommes qui lui sont payées, en vertu d’un régime provincial, en cas de grossesse ou de soins à donner par elle à son ou ses nouveau-nés ou à un ou plusieurs enfants placés chez elle en vue de leur adoption,

(iv) allowances, money or other benefits paid to the person under a provincial plan because of pregnancy or in respect of the care by the person of one or more of their new-born children or one or more children placed with them for the purpose of adoption, and

(v) une autre source de revenu prévue par règlement;

(v) any other source of income that is prescribed by regulation;

[…]

f) au cours de la période de deux semaines et pour des raisons liées à la COVID-19, à l’exclusion des raisons prévues aux sous-alinéas 17(1)f)(i) et (ii), soit elle n’a pas exercé d’emploi — ou exécuté un travail pour son compte —, soit elle a subi une réduction d’au moins cinquante pour cent — ou, si un pourcentage moins élevé est fixé par règlement, ce pourcentage — de tous ses revenus hebdomadaires moyens d’emploi ou de travail à son compte pour la période de deux semaines par rapport à :

(f) during the two-week period, for reasons related to COVID-19, other than for reasons referred to in subparagraph 17(1)(f)(i) and (ii), they were not employed or self-employed or they had a reduction of at least 50% or, if a lower percentage is fixed by regulation, that percentage, in their average weekly employment income or self-employment income for the two-week period relative to

(i) tous ses revenus hebdomadaires moyens d’emploi ou de travail à son compte pour l’année 2019 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elle présente une demande, dans le cas où la demande présentée en vertu de l’article 4 vise une période de deux semaines qui débute en 2020,

(i) in the case of an application made under section 4 in respect of a two-week period beginning in 2020, their total average weekly employment income and self-employment income for 2019 or in the 12-month period preceding the day on which they make the application,

[…]

C. Contexte

[10] M. Cozak est un professionnel et travailleur autonome depuis plus de trente ans et membre de l’Ordre des chimistes du Québec [OCQ]. Il possède une entreprise individuelle, nommément « daniel cozak consultant », laquelle est immatriculée au Registre des entreprises du Québec [REQ]. Dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2019, M. Cozak a déclaré avoir gagné 5 221 $ en revenu d’entreprise pour services professionnels rendus à la société MDevTech Corporation [MDevTech] et a produit une facture à l’appui de ce revenu.

[11] M. Cozak a demandé le versement de la PCU pour les sept périodes de quatre semaines allant du 15 mars 2020 au 26 septembre 2020 ainsi que le versement de la PCRE, pour les quatre périodes de deux semaines allant du 27 septembre 2020 au 21 novembre 2020. Ces prestations lui ont été versées sur la foi de ses demandes dans les jours suivants.

[12] Le 8 décembre 2020, une vérification de l’admissibilité de M. Cozak aux prestations qu’il avait réclamées a été entreprise par l’ARC. En se basant sur les informations disponibles au registre informatique de l’ARC, le premier agent a conclu que M. Cozak n’avait pas gagné au moins 5000 $ de revenus d’emploi ou de travail indépendant en 2019 ou au cours des 12 mois précédant la date de sa première demande. Le 10 décembre 2020, une lettre a été envoyée à M. Cozak par le premier agent pour l’informer de son inadmissibilité aux versements réclamés de la PCU.

[13] Le 9 février 2021, M. Cozak a laissé un message vocal à l’ARC, plus précisément au Service de validation des prestations canadiennes d’urgence et de protection de l’identité, réclamant que soit effectué un deuxième examen de son admissibilité. Le 15 février, une deuxième agente a entamé un second examen de l’admissibilité de M. Cozak. Dans le cadre de son examen, l’agente a consulté les informations et documents suivants :

  • a) Les notes du premier agent de l’ARC ayant procédé à l’examen initial de l’admissibilité du demandeur à la PCU et à la PCRE, contenues dans le rapport interne de l’ARC;

  • b) Les registres informatiques de l’ARC présentant les déclarations de revenus du demandeur pour les années 2017 à 2020;

  • c) Le profil de l’entreprise individuelle du demandeur au REQ;

  • d) Le profil de la société MDevTech au Registraire des entreprises du Canada;

  • e) Les registres informatiques de l’ARC présentant les déclarations de revenus de la société MDevTech, depuis sa constitution en 2018;

  • f) Divers documents transmis par le demandeur à l’ARC par télécopieur le 15 décembre 2020, notamment :

  1. Une copie d’une facture au montant de 5 221 $ adressée à la société MDevTech en échange des services de consultation du demandeur et datée du 1er septembre 2019;

  2. Une copie de la déclaration de revenus T1 du demandeur pour l’année 2019, accompagnée d’une copie du formulaire GST370 du demandeur pour l’année 2019.

[14] Le 4 mars 2021, après un second examen de l’admissibilité du demandeur à la PCU et à la PCRE, l’agente a confirmé au demandeur qu’il n’était pas admissible aux prestations. Les motifs invoqués par l’agente dans les lettres de décision sont les suivants :

  • a) En ce qui a trait à la PCU :

Vous n’avez pas gagné au moins 5 000 $ (avant impôts) de revenus d’emploi ou de travail indépendant en 2019 ou au cours des 12 mois précédant la date de votre première demande.

  • b) En ce qui a trait à la PCRE :

Vous n’avez pas gagné au moins 5 000 $ (avant impôts) de revenus d’emploi ou de revenus nets de travail indépendant en 2019, en 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date de votre première demande.

La raison pour laquelle vous ne travaillez pas n’était pas liée au COVID-19.

[15] Pour conclure en ce sens, la deuxième agente s’est fondée sur les faits suivants, lesquels ont été consignés au Rapport de deuxième examen [Rapport] dans le cadre de la prise de décision :

  • a) M. Cozak indique avoir gagné un revenu d’entreprise de 5 221 $ en 2019 en provenance de la société MDevTech en échange de services de consultation.

  • b) M. Cozak déclare qu’il s’agit de son seul revenu d’entreprise pour l’année 2019.

  • c) M. Cozak indique avoir reçu ce montant de 5 221 $ de revenu d’entreprise en argent comptant, et ne jamais avoir déposé l’argent dans un compte de banque; M. Cozak n’a ainsi fourni aucune preuve de la réception de ce revenu d’entreprise de 5 221 $ à l’ARC.

  • d) La société MDevTech, de laquelle M. Cozak déclare avoir reçu le revenu d’entreprise de 5 221 $, est une société pour laquelle les deux seuls administrateurs sont les fils de M. Cozak.

  • e) Pour les deux années précédant 2019, soit les années 2017 et 2018, M. Cozak n’a pas déclaré de revenu d’entreprise.

  • f) En ce qui a trait à sa déclaration de revenus pour l’année 2019 dans laquelle il indique avoir gagné 5 221 $ de revenu d’entreprise :

  1. M. Cozak n’a produit cette déclaration de revenus auprès de l’ARC que le 18 décembre 2020, c’est-à-dire plus de sept mois en retard par rapport à la date limite du 30 avril 2020, et une pénalité pour production tardive lui a été imposée par l’ARC;

  2. de plus, à cette date du 18 décembre 2020, M. Cozak produisait sa déclaration de revenus pour l’année 2019 huit jours après que l’ARC lui ait communiqué sa première décision l’informant de son inadmissibilité à la PCU et à la PCRE.

  • g) En date du 13 septembre 2021, M. Cozak n’avait toujours pas produit sa déclaration de revenus pour l’année 2020; il était donc plus de quatre mois en retard pour la production de sa déclaration de revenus de 2020.

  • h) Ni en 2019 ni en 2020, l’entreprise individuelle de M. Cozak n’a fait ses déclarations de mise à jour annuelle auprès du REQ telles que requises par la Loi sur la publicité légale des entreprises.

  • i) La société MDevTech, de laquelle M. Cozak indique avoir reçu un revenu de 5 221 $ en 2019, n’a jamais fait de déclaration de revenus auprès de l’ARC depuis sa constitution en 2018.

[16] Le 1er avril 2021, M. Cozak a introduit un recours en contrôle judiciaire des décisions du 4 mars 2021 rendues par l’ARC qui le déclarent inadmissible à la PCU et à la PCRE.

III. Question en litige et norme de contrôle

[17] Le présent recours en contrôle judiciaire vise une décision administrative de l’ARC dans le cadre de l’application de la Loi sur la prestation canadienne d’urgence, LC 2020, c 5, et de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a établi une présomption selon laquelle la norme de contrôle à appliquer lorsqu’une cour de justice se penche sur le fond d’une décision administrative est celle de la décision raisonnable. Quant aux questions de fond de la présente demande, le rôle de la Cour est donc d’examiner le raisonnement suivi par le décideur administratif et le résultat obtenu pour déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles » (Vavilov au para 85).

[18] M. Cozak soutient également que la deuxième agente a manqué à son devoir d’équité procédurale en ne motivant pas ses décisions. Sur cette question, la Cour doit se demander « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » et la question fondamentale est « celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 54, 56; Fortier c Canada (Procureur général), 2022 CF 374 au para 15).

IV. Analyse

[19] M. Cozak prétend que les décisions sont déraisonnables puisqu’elles n’ont pas tenu compte de la preuve transmise à l’ARC. Il maintient qu’il a bel et bien gagné un revenu d’entreprise de plus de 5 000 $ en 2019 en provenance de la société MDevTech en échange de services de consultation et a fourni une preuve satisfaisante pour établir qu’il remplissait tous les critères d’admissibilité, soit une facture d’honoraires professionnels. M. Cozak prétend aussi que les décisions ne contiennent que les conclusions de l’agente, ce qui l’empêche d’analyser le processus logique et rationnel utilisé pour arriver à ces conclusions. M. Cozak s’oppose également à la production des rapports internes non signés transmis par l’ARC dans le cadre de la présente demande. Il prétend que les paroles et affirmations alléguées être les siennes sont inexactes et parfois contraires à la réalité et qu’elles constituent du ouï-dire. Lorsqu’il évoque les rapports internes non signés, je tiens pour acquis que M. Cozak fait référence au Rapport, lequel comprend les notes inscrites à son dossier par les deux agents de l’ARC dans le cadre du processus de vérification, et notamment à la suite des différentes conversations téléphoniques avec M. Cozak.

[20] Je note que M. Cozak n’a présenté aucun avis de requête à l’intérieur du délai requis afin de faire radier la preuve contestée, en conformité avec les paragraphes 359 et 362(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. De plus, les arguments de M. Cozak ne réfèrent à aucun passage précis du Rapport qui supporterait ses prétentions, pas plus qu’il n’offre à la Cour de raison valable de douter de la véracité des informations qu’il avait pour but de consigner. Il ne suffisait pas à M. Cozak de s’en tenir aux formulations générales contenues dans son mémoire des faits et du droit pour que sa requête soit considérée, tout comme il ne lui était pas loisible de s’opposer à la présence de cette preuve au dossier lors de l’audience sur le fond. Conséquemment, je considère que les faits consignés au Rapport par les deux agents font légitimement partie du présent dossier, tout comme ils font foi des informations transmises par M. Cozak lors de ses échanges avec l’ARC.

[21] Je note également que M. Cozak, pour la première fois devant notre Cour, allègue qu’il est atteint d’un trouble médical lui posant un risque de santé plus élevé que la moyenne face au virus de la COVID-19, qui l’aurait forcé à s’isoler depuis le mois de février 2019 et l’aurait privé de sa source de revenus. Au soutien de ses prétentions, M. Cozak a déposé une feuille sommaire d’hospitalisation en date du 21 mai 2021 et son dossier médical de cardiologie daté du 23 août 2016. Je constate que dans les deux cas, ces documents sont absents du dossier certifié du tribunal et n’étaient pas devant la deuxième agente lorsque cette dernière a rendu ses décisions du 4 mars 2021, l’un ayant été émis après cette date et l’autre n’ayant pas été transmis à l’agente par le demandeur.

[22] En principe, le dossier de la preuve qui est soumis à notre Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve dont disposait le tribunal (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19 [Access Copyright]). Dans le présent cas, M. Cozak cherche à introduire un nouvel argument qui supporterait son admissibilité à la PCU et à la PCRE sur la base de son incapacité à travailler en raison de la COVID-19. Or, le but premier du contrôle judiciaire est de contrôler des décisions, et non pas de trancher, par un procès de novo, des questions qui n’ont pas été examinées de façon adéquate sur le plan de la preuve devant le tribunal compétent (Access Copyright au para 19). Ainsi, les arguments de M. Cozak à cet égard et les éléments de preuve qui s’y rattachent ne seront pas considérés dans mon analyse de la présente demande.

[23] Dans son mémoire, M. Cozak affirme également que les décisions ne contiennent que les conclusions de la deuxième agente et qu’aucun motif n’est présenté au soutien de celles-ci. Il est vrai que les lettres reçues par M. Cozak le 4 mars 2021, lesquelles l’informaient de son inadmissibilité aux prestations demandées, ne présentaient pas le raisonnement ayant mené à la conclusion qu’il n’avait pas gagné au moins 5 000 $ de revenus durant la période visée et que la raison pour laquelle il ne travaillait pas n’était pas due à la COVID-19. Or, comme l’a récemment réaffirmé la Cour fédérale dans la décision Larocque c Canada (Procureur général) 2022 CF 613, le rapport de deuxième examen rédigé par les agents de l’ARC lors du réexamen des demandes de prestations fait partie des motifs de la décision rendue (McClintock’s Ski School & Pro Shop Inc c Canada (Procureur général), 2021 CF 471 au para 26; Vavilov aux para 94-98). De toute façon, je partage l’opinion de Madame la Juge Walker dans l’affaire Hayat c Procureur Général du Canada, 2022 CF 131 [Hayat], ou elle a jugé qu’il est raisonnable pour l’agente de mentionner dans la lettre de refus simplement que le demandeur ne satisfait pas aux critères d’admissibilité et de préciser quelles exigences ne sont pas satisfaites (Hayat au para 16). En d’autres termes, le décideur n’avait pas à fournir plus d’informations dans sa lettre adressée au contribuable.

[24] Dans le présent cas, le Rapport a été transmis à M. Cozak et déposé au dossier de la Cour le 20 avril 2021. Ainsi, M. Cozak a été informé plusieurs mois avant le dépôt de son mémoire, le 21 octobre 2021, des faits et de la preuve pris en compte par l’agente et du raisonnement qui a mené à ses décisions. Il était loisible à M. Cozak de contester la raisonnabilité des décisions de l’agente dans son mémoire sur la base de ces informations, ce qu’il n’a pas fait. L’argument de M. Cozak selon lequel aucun motif n’a été présenté au soutien des décisions est donc sans fondement.

[25] M. Cozak prétend également que l’agente n’a pas tenu compte de la preuve qu’il a soumise, à savoir la facture d’honoraires professionnels. Cette affirmation est contredite par le contenu même du Rapport, lequel confirme dans la section « Documents soumis » qu’une facture pour une consultation a été transmise, en plus de relater les propos échangés à ce sujet lors des conversations téléphoniques entre M. Cozak et les agents de l’ARC.

[26] La lecture du Rapport révèle également que la deuxième agente a identifié des invraisemblances et des insuffisances dans la preuve soumise par M. Cozak qui l’ont amenée à conclure que celui-ci n’avait pas gagné la somme alléguée de 5 221 $. En effet, l’agente a noté que la société l’ayant émise appartenait aux fils de M. Cozak, était basée au Nouveau-Brunswick et n’avait pas déclaré de revenus depuis sa constitution en 2018. Dans ce contexte, l’agente a également relevé l’importance du montant de 5 221 $ payé en argent comptant à Québec, en plus de noter que M. Cozak n’avait fourni aucune preuve documentaire pour démontrer qu’il avait bien reçu cette somme en 2019, laquelle n’aurait jamais été déposée.

[27] Toujours selon la preuve au dossier, l’agente a noté que M. Cozak n’avait produit aucune déclaration de revenus pour 2019 lorsqu’il a été contacté par l’ARC le 8 décembre 2020, et que c’est seulement après avoir été déclaré inadmissible le 10 décembre 2020 que celui-ci l’a produite. M. Cozak n’avait pas déclaré de revenu d’entreprise en 2017 et 2018, et son entreprise individuelle « daniel cozak consultant » n’avait pas fait ses déclarations de mise à jour annuelle en 2019 et 2020.

[28] Compte tenu de l’ensemble de la preuve, il n’était pas déraisonnable pour l’agente de conclure que la facture soumise par M. Cozak ne constituait pas une pièce justificative suffisante pour supporter ses prétentions quant à l’existence du revenu de travailleur autonome allégué. M. Cozak peut ne pas être d’accord avec les conclusions tirées par l’agente, mais ce désaccord ne suffit pas pour en justifier la révision.

[29] En l’instance, M. Cozak n’a présenté aucun argument permettant à la Cour d’identifier une erreur de la part de l’agente dans son analyse quant au premier critère d’admissibilité. Puisque la Loi sur la PCU et la Loi sur les PCRE requièrent que les deux critères soient satisfaits afin qu’un demandeur soit admissible, il n’est pas nécessaire pour moi de trancher la question reliée au deuxième critère d’admissibilité, soit celui d’avoir cessé d’exercer un travail à son compte pour des raisons liées à la COVID-19.

V. Conclusion

[30] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 


JUGEMENT au dossier T-569-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les dépens sont accordés en faveur du procureur général du Canada.

« Peter G. Pamel »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-569-21

 

INTITULÉ :

DANIEL COZAK c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 septembre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 septembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Défaut de comparution

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Me Simon Dufour

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.