Date : 20220928
Dossier : IMM-5847-21
Référence : 2022 CF 1358
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 28 septembre 2022
En présence de madame la juge McVeigh
ENTRE : |
SABELA YARED FISEHAYE |
demanderesse |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Introduction
[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent des visas (l’agent) a rejeté sa demande de résidence permanente au Canada à titre de réfugiée au sens de la Convention outre-frontières ou membre de la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières.
II. Le contexte
[2] La demanderesse, Sabela Yared Fisehaye, est une femme de 34 ans originaire d’Érythrée qui a obtenu le statut de réfugié auprès du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le HCNUR) en Éthiopie.
[3] L’armée érythréenne a un service obligatoire, communément appelé [traduction] « service national ».
Le père et le frère de la demanderesse poursuivent actuellement leur service national.
[4] En plus de son frère, la demanderesse a cinq sœurs. Une de ses sœurs vit en Hollande, trois en Érythrée et une en Éthiopie.
[5] La demanderesse s’est mariée en janvier 2008 pour échapper au service national. Elle et son époux ont eu deux enfants ensemble, Henos Amanuel Asefaw (12 ans) et Essey Amanuel Asefaw (9 ans). Après avoir vécu avec son époux pendant environ quatre ans, la demanderesse et ses enfants ont déménagé avec ses parents. Le couple s’est séparé en 2014, mais n’a jamais officiellement divorcé. La demanderesse a obtenu la garde légale de ses enfants en 2013 avant qu’elle et son époux ne se séparent. La famille a eu des difficultés financières et la relation de la demanderesse avec son époux était marquée par la violence. L’époux de la demanderesse a quitté illégalement le poste qu’il occupait dans le cadre de son service national et a fui le pays. Il vit maintenant en Allemagne.
[6] Après que l’époux de la demanderesse a quitté l’Érythrée, les autorités ont visité celle-ci à trois ou quatre reprises chez ses parents pour obtenir des informations sur l’endroit où se trouvait son époux. Au cours de ces visites, elle allègue que les autorités l’ont agressivement harcelée, menacée, interrogée et intimidée. La demanderesse affirme que les visites des autorités l’ont rendue craintive. De plus, les autorités ont pris les coupons de la demanderesse pour des biens et des services comme l’épicerie et le pétrole. Les coupons permettaient également aux enfants de la demanderesse d’aller à l’école. La demanderesse déclare qu’elle a visité les bureaux militaires et a demandé qu’on lui rende ses coupons, mais ils ont refusé. Par conséquent, la demanderesse affirme qu’elle n’a pas été en mesure d’inscrire ses enfants pour l’année scolaire débutant en septembre 2018.
[7] La demanderesse et ses enfants ont quitté illégalement l’Érythrée et ont traversé la frontière pour entrer en Éthiopie en septembre 2018. À son arrivée, la demanderesse et ses enfants se sont rendus au centre de contrôle des réfugiés d’Endabaguna et ont été affectés au camp de réfugiés d’Adi Harush. Ils ont vécu dans le camp jusqu’en novembre, puis elle et ses enfants ont déménagé à Addis-Abeba. La demanderesse a eu de la difficulté à subvenir aux besoins de ses enfants, car elle n’a pas pu trouver un emploi et comptait sur l’argent que lui envoyait sa sœur en Hollande. À la demande de la demanderesse, sa mère a ramené les enfants en Érythrée en février 2019.
[8] La demanderesse prévoyait initialement déménager en Allemagne où se trouvait son époux, mais ces plans ne se sont jamais concrétisés. Après avoir communiqué avec son cousin qui réside au Canada, la demanderesse a décidé d’y déménager et a présenté sa demande en juin 2019. Son cousin s’est arrangé pour que cinq personnes la parrainent pour la résidence permanente au Canada dans la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières. La demande de parrainage présentée par la demanderesse a été approuvée le 3 février 2020.
[9] La demanderesse a contacté sa mère et lui a demandé de ramener les enfants d’Érythrée à Addis-Abeba.
[10] Le 13 juillet 2021, la demanderesse et ses enfants se sont présentés au bureau du centre de transit de l’Organisation internationale pour les migrations à Addis-Abeba pour une entrevue de réinstallation.
[11] Le 29 juillet 2021, l’agent a conclu que la demanderesse ne répondait pas à la définition de réfugié au sens de la Convention prévue à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] et a rejeté sa demande.
[12] Je rejetterai la présente demande pour les motifs qui suivent.
III. Les questions en litige
[13] La demanderesse soulève deux questions dans ses observations :
L’agent a-t-il manqué aux principes d’équité procédurale?
La décision de l’agent est-elle raisonnable?
IV. La norme de contrôle
[14] La norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’immigration est celle de la décision raisonnable. Comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada au paragraphe 23 de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], « [l]orsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond […] [l]’analyse a donc comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable »
.
[15] Quant aux questions d’équité procédurale, la norme de contrôle est essentiellement la norme de la décision correcte. Comme l’a résumé le juge Little dans la décision Garcia Diaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 321 :
[48] À l’égard des questions d’équité procédurale, la norme de contrôle est celle de la décision correcte. Plus précisément, qu’il soit question de la norme de contrôle de la décision correcte ou de l’obligation de la Cour de s’assurer que le processus a été équitable sur le plan procédural, le contrôle judiciaire d’une question relative à l’équité procédurale ne laisse aucune marge de manœuvre à la cour de révision ni n’autorise cette dernière à faire preuve de déférence. La question fondamentale demeure celle de savoir si la partie visée connaissait la preuve à réfuter et si elle a eu une occasion réelle et équitable d’y répondre : voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [2019] 1 RCF 121 [CFCP] (le juge Rennie), particulièrement aux para 49, 54 et 56; Baker, au para 28. Dans l’arrêt Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196, le juge de Montigny a affirmé que « [c]e qui importe, en fin de compte, c’est de savoir si l’équité procédurale a été respectée ou non » (au paragraphe 35).
[Non souligné dans l’original.]
V. Analyse
A. Les observations de la demanderesse
[16] La demanderesse soutient que la Cour doit annuler et renvoyer la décision de l’agent pour deux motifs.
[17] Premièrement, la demanderesse fait valoir que la décision est contraire à l’équité procédurale et que l’agent a manqué à l’équité procédurale parce que :
a)l’agent a fait preuve de partialité dans son approche lors de l’entrevue et n’était pas familier avec les renseignements pertinents sur les conditions dans le pays;
b)l’interprète n’était pas compétente.
[18] Deuxièmement, la demanderesse fait valoir que la décision est déraisonnable parce que l’agent :
a)a fait fi d’éléments de preuve importants concernant la désertion de l’époux, ce qui l’a mené à tirer des conclusions déraisonnables concernant le risque prospectif de la demanderesse;
b)n’a pas tenu compte du statut de réfugié conféré à la demanderesse par le HCNUR;
c)n’a pas apprécié adéquatement le risque pour la demanderesse en raison de son départ illégal de l’Érythrée.
B. L’équité procédurale
(1) L’allégation de partialité de l’agent — l’entrevue et les conditions dans le pays
[19] Sur la question de l’équité procédurale, la demanderesse soutient que la conduite de l’agent a donné lieu à une crainte raisonnable de partialité ou a fait en sorte que le processus d’entrevue était inéquitable. La demanderesse fait valoir que l’agent s’est concentré sur l’appréciation de sa crédibilité plutôt que sur la compréhension de son récit. La demanderesse renvoie à des exemples qui, selon elle, démontrent manifestement que l’agent a fait naître une crainte raisonnable de partialité ou d’iniquité. Elle fournit, entre autres, un exemple d’un échange où l’agent a soulevé des préoccupations au sujet de ses déclarations concernant sa résidence et de la question de savoir si elle vivait [traduction] « toujours »
avec ses parents. La demanderesse fait valoir que cet échange a mené l’agent à se concentrer sur la question de la crédibilité plutôt qu’à essayer de comprendre tout son récit. La demanderesse laisse entendre que la série de questions était inéquitable sur le plan de la procédure, puisqu’elle ne visait pas à relever davantage d’informations sur la preuve susceptible de démontrer un risque de persécution.
[20] La demanderesse conteste aussi les questions de l’agent concernant sa garde des enfants. Elle soutient que ces préoccupations montrent que l’agent a eu l’impression que ses éléments de preuve sur ce point étaient incohérents. La demanderesse déclare que de telles préoccupations ont amené l’agent à mettre en doute ses éléments de preuve concernant les autorités qui la ciblaient parce que son époux avait déserté le poste qu’il occupait dans le cadre de son service national.
[21] La demanderesse fait valoir que l’agent n’a pas consigné un grand nombre de ses éléments de preuve et l’a accusée d’avoir menti. Elle soutient que la preuve omise révélait un risque de persécution. Elle affirme également que l’agent l’a accusée de mentir à propos des visites des autorités à son domicile en disant [traduction] « qu’elles ne feraient jamais cela »
étant donné qu’elle était séparée de son époux. Elle explique que la preuve omise et le commentaire de l’agent démontrent une partialité, ainsi qu’un manque de compréhension des conditions en Érythrée.
[22] L’équité procédurale exige que les décisions soient rendues sans crainte raisonnable de partialité : voir Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], au para 45.
[23] La formulation moderne du critère relatif à la crainte raisonnable de partialité trouve son origine dans l’opinion dissidente formulée par le juge Grandpré à la page 394 de l’arrêt Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369. La crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Le critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question […] de façon réaliste et pratique? »
Les propos de la Cour suprême ont été adoptés par la Cour d’appel fédérale au paragraphe 49 de l’arrêt Patanguli c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 291. Le critère est le suivant : « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique? »
[24] La juge Gagné a déclaré ce qui suit dans la décision Alcina Rodriguez c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2018 CF 995 :
[35] Une allégation de partialité doit être appuyée par une preuve convaincante et ne peut être faite à la légère. M. Rodriguez a le fardeau de faire cette preuve et le seuil à atteindre est élevé (Fouda c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 1176 au para 23). Essentiellement, il doit démontrer que le décideur avait l’esprit fermé et n’était pas disposé à la persuasion.
[25] Je ne suis pas d’accord avec la demanderesse pour dire que les questions de l’agent et les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC) mèneraient une personne raisonnable à croire qu’il y avait une crainte de partialité. Bien que cet argument soit présenté comme étant fondé sur la partialité, il s’agit d’un argument qui repose sur le caractère raisonnable. Quoi qu’il en soit, cet argument ne peut être retenu, car un demandeur doit soulever des questions procédurales à la première occasion. Autrement, un défaut de s’opposer au vice de procédure décrit plus bas équivaut à une renonciation (Irving Shipbuilding Inc c Canada (Procureur général), 2009 CAF 116, au para 48).
[26] Même si l’argument de la demanderesse est caractérisé à bon droit comme une question d’équité procédurale, il n’y a aucune preuve à l’appui de ce seuil élevé. L’agent n’avait pas un esprit fermé. Le dossier montre que l’agent a posé des questions à la demanderesse, et lui a permis d’y répondre, pour connaître, par exemple, le lieu de sa résidence. De même, les questions de l’agent concernant les documents de la demanderesse relatifs à la garde ne démontrent pas un esprit fermé ni des hypothèses sur les systèmes juridiques de l’Érythrée. Les questions de l’agent sur ces points ne démontrent pas de partialité.
[27] La demanderesse soutient que l’agent a manqué à l’équité ou a fait preuve d’un esprit fermé en ne posant pas d’autres questions lorsque ses déclarations laissaient entendre qu’il existait un risque de persécution. En fait, la demanderesse n’a pas présenté ses meilleurs arguments en ce qui concerne sa propre preuve. À plusieurs moments, l’agent a expliqué qu’il avait de la difficulté à comprendre comment la demanderesse risquait d’être persécutée. L’agent a consigné dans les notes du SMGC l’échange suivant qu’il a eu avec la demanderesse :
[traduction]
Agent : DITES À LA DP QUE LES DANGERS DE LES RENVOYER NE SEMBLENT PAS L’EMPORTER SUR LES RAISONS DE LA FUITE.
Demanderesse : VOUS AVEZ RAISON. MAIS POURQUOI JE NE SUIS PAS REVENUE, JE NE POUVAIS PAS REVENIR PARCE QUE JE SAVAIS QUE JE SERAIS ARRÊTÉE. MA MÈRE A SOUFFERT DE LES AMENER ICI ET CE N’ÉTAIT PAS FACILE POUR NOUS. ET AUSSI, APRÈS QUE MA MÈRE LES A PRIS, ELLE LES CACHAIT DANS SA MAISON.
Agent : AVEZ-VOUS AUTRE CHOSE À AJOUTER?
Demanderesse : JE VOUS DIS LA VÉRITÉ, MES ENFANTS NE VONT PAS À L’ÉCOLE ICI ET JE ME FAIS DU MAUVAIS SANG. JE N’AI PAS PU ENVOYER MES ENFANTS À L’ÉCOLE PRIVÉE PARCE QUE C’EST TRÈS CHER ICI.
Agent : INFORMEZ DE NOUVEAU LA DP QUE LES RAISONS ÉCONOMIQUES POUR FUIR SON PAYS NE CONSTITUENT PAS UNE CRAINTE FONDÉE DE PERSÉCUTION DU FAIT DE SA RACE, DE SA RELIGION, DE SA NATIONALITÉ, DE SON APPARTENANCE À UN GROUPE SOCIAL OU DE SES OPINIONS POLITIQUES.
[28] Cet échange montre que l’agent donne à la demanderesse l’occasion d’expliquer sa crainte de persécution fondée sur sa race, sa religion, sa nationalité, son appartenance à un groupe social ou ses opinions politiques. À mon avis, cet échange démontre le contraire d’un esprit fermé et montre que l’agent tentait de connaître les faits pertinents.
[29] La demanderesse renvoie au commentaire de l’agent mettant en doute les visites et les interrogatoires du personnel militaire quant au lieu où se trouvait son époux comme preuve de partialité. Je considère ce commentaire comme une partie du processus conversationnel au cours duquel les faits sont recueillis plutôt que comme un élément de preuve démontrant que l’agent avait un esprit fermé. En ce qui concerne la référence de la demanderesse aux paragraphes 22 et 23 de la décision Abasher c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1591 [Abasher], je ne doute pas que la demanderesse est dans une position vulnérable et que sa situation attire la sympathie. Toutefois, contrairement à la décision Abasher, l’agent n’a pas fondé sa décision sur des conclusions défavorables quant à la crédibilité ou sur des incohérences dans le récit de la demanderesse, et a plutôt fondé ses conclusions sur le fait qu’elle était une migrante économique et qu’elle ne craignait pas avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques.
[30] Je ne suis pas convaincue que l’agent a posé des questions ou fait preuve d’une conduite démontrant un esprit fermé envers la demanderesse. Je suis convaincue que, vu dans son ensemble, le processus d’entrevue a donné à la demanderesse l’occasion de présenter pleinement son récit à l’agent. Par conséquent, je ne constate aucune partialité, iniquité ou crainte raisonnable de partialité.
(2) L’exactitude de l’interprétation
[31] La demanderesse soulève des préoccupations au sujet des services d’interprétation et allègue un manquement à l’équité pour les raisons suivantes :
a)elle avait de la difficulté à comprendre l’interprète;
b)elle a dû demander à l’interprète d’utiliser des mots différents;
c)ce que l’interprète disait à l’agent semblait beaucoup plus court que ce que la demanderesse disait à l’interprète;
d)l’interprète utilisait un dialecte différent de tigrinya;
e)selon les notes de l’agent, la demanderesse a dit deux termes qu’elle n’aurait jamais employés.
[32] La demanderesse soutient qu’elle n’a pas renoncé à son droit de soulever les questions concernant l’interprétation. La demanderesse dit qu’elle était stressée et qu’elle ne s’était pas rendu compte qu’elle pouvait demander un nouvel interprète ou reporter l’entrevue. Elle affirme que certaines des questions relatives à l’interprétation n’étaient pas apparentes jusqu’à ce qu’elle ait remarqué un manque de détails et des erreurs terminologiques dans les notes de l’agent. Sur ce point, la demanderesse invoque la décision Umubyeyi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 69. La demanderesse soutient que certaines des erreurs dans l’interprétation ont amené l’agent à formuler des opinions défavorables à son égard.
[33] La demanderesse affirme que, vers la fin de l’entrevue, elle réitérait les dangers de retourner en Érythrée lorsque l’interprète lui a fait signe de cesser de parler, sans fournir d’explication. La demanderesse soutient que cela peut l’avoir empêchée de présenter l’ensemble de la preuve et constitue un manquement à l’équité.
[34] Cependant, il y a plusieurs raisons pour lesquelles un interprète ferait cela. Ce geste pourrait être interprété comme une façon pour l’interprète d’interrompre la demanderesse alors qu’elle donnait une longue explication pour qu’elle puisse traduire simultanément ce qu’elle disait. Il est bien connu que les interprètes préfèrent interpréter des blocs d’informations plus courts, plutôt que de permettre une explication longue qu’ils interprètent par la suite. Dans la décision Lo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 684, où l’interprète n’a pu traduire que des phrases courtes, la juge Elliott a jugé l’interprétation adéquate. Toutefois, le demandeur a contribué à plusieurs problèmes d’interprétation dans cette affaire. Quoi qu’il en soit, l’agent avait l’habitude de travailler avec des interprètes, et si l’un d’eux n’avait pas autorisé un demandeur à terminer son récit, l’agent serait intervenu. Même si la demanderesse a été interrompue, je juge qu’elle a eu suffisamment d’occasions d’expliquer son récit. Par conséquent, je conclus que le geste de l’interprète était sans importance quant à l’issue de la décision.
[35] Je passe maintenant à l’exactitude de l’interprétation. Au paragraphe 3 de la décision Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1161, le juge Lemieux a résumé les principes énoncés dans l’arrêt Mohammadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 191 [Mohammadian], régissant la qualité requise de l’interprétation :
a. L’interprétation doit être continue, fidèle, compétente, impartiale et concomitante.
b. Il n’est pas nécessaire de prouver l’existence d’un préjudice réel pour obtenir une réparation.
c. L’interprétation doit être adéquate, mais n’a pas à être parfaite. Le principe le plus important est la compréhension linguistique.
d. Il y a renonciation au droit lorsque la qualité de l’interprétation n’est pas contestée par le demandeur à la première occasion, chaque fois qu’il est raisonnable de s’y attendre.
e. La question de savoir s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’une plainte soit présentée à l’égard de la mauvaise qualité de l’interprétation est une question de fait, qui doit être déterminée dans chaque cas.
f. Si l’interprète a de la difficulté à parler la langue du demandeur ou à se faire comprendre par lui, il est clair que la question doit être soulevée à la première occasion.
[36] La question de la renonciation doit être abordée avant d’examiner la qualité de l’interprétation. Je juge que la demanderesse aurait dû faire part à l’agent de ses préoccupations quant à l’interprétation. Au paragraphe 5 de son affidavit daté du 22 octobre 2021, la demanderesse déclare : [TRADUCTION] « [à] l’entrevue, il y a eu des cas où je ne savais pas à quel point ce qui était communiqué était complet »
. Au paragraphe 8, elle déclare : [traduction] « […] il y a eu de nombreuses occasions où je ne comprenais pas ce que l’interprète disait et où je lui ai demandé de répéter, puis elle essayait d’utiliser des mots différents jusqu’à ce que je comprenne »
. L’affirmation de la demanderesse selon laquelle [traduction] « [elle] ne pensai[t] pas pouvoir demander un nouvel interprète ou reporter l’entrevue »
n’est pas convaincante étant donné [traduction] « [qu’elle] sa[vait] que l’agent a dit [qu’elle] devrai[t] l’informer si [elle] avai[t] des problèmes avec l’interprétation […] »
. Rien dans les notes du SMGC consignées par l’agent ne laisse entendre un problème quant à l’interprétation, et celles-ci ne mentionnent aucunement que la demanderesse n’a pas compris le dialecte parlé.
[37] La demanderesse explique que, lorsque des erreurs d’interprétation ne sont perceptibles qu’en lisant les motifs écrits, l’obligation de s’opposer ne s’applique tout simplement pas à l’égard de cette partie de l’interprétation, et c’est pourquoi elle n’a pas soulevé ces erreurs lors de l’entrevue.
[38] Cet argument ne peut être retenu, car les demandeurs sont tenus de soulever des préoccupations concernant l’interprétation à la première occasion. Le défaut de la demanderesse de soulever la question devant l’agent porte un coup fatal à cette affirmation. Cependant, si je me trompe, son allégation concernant l’interprétation est rejetée après examen des autres facteurs établis dans l’arrêt Mohammadian.
[39] La demanderesse renvoie à plusieurs cas dans les notes du SMGC où il y a un problème avec l’interprétation. En particulier, le terme tigrinya signifiant [traduction] « rivière »
semble avoir été mal interprété comme [traduction] « mer »
et [traduction] « désert »
. La demanderesse soutient que ces erreurs ont mené l’agent à se faire une impression défavorable de la demanderesse et à croire qu’elle embellissait son récit. Toutefois, les notes et les motifs démontrent que, dans sa décision, l’agent ne s’est pas fondé sur ces erreurs d’interprétation et n’a pas non plus tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité de la demanderesse.
[40] Lorsque l’agent a posé des questions sur le mode de transport que la mère a utilisé pour traverser la frontière, les notes du SMGC indiquent que la demanderesse l’a informé que sa mère a marché et pris l’autobus. Les notes suivantes sont consignées dans le SMGC :
[traduction]
Agent : À ASMARA, COMMENT A-T-ELLE RÉUSSI À REVENIR?
Demanderesse : DE LA MÊME MANIÈRE, ELLE A DÛ VOYAGER À TRAVERS DES MONTAGNES ET DES DÉSERTS
[Non souligné dans l’original.]
[41] Cette question portait sur le moyen de transport que la mère a utilisé lorsqu’elle a ramené les enfants d’Éthiopie en Érythrée, puis les a ramenés en Éthiopie. Plus tard dans l’entrevue, l’agent a questionné la demanderesse au sujet de ses deux jeunes enfants qui se déplaçaient d’un bord et de l’autre d’une frontière qui avait été fermée et ouverte partiellement. La demanderesse a expliqué que [traduction] « c’était très difficile pour eux. Ils étaient très minces et ils ont eu des cauchemars pendant longtemps, se remémorant la mer qu’ils ont dû traverser. Ce n’était pas aussi facile qu’il y paraît »
[Non souligné dans l’original].
[42] Dans le contexte de l’entrevue et des conclusions de l’agent, il ne ferait aucune différence si la mère avait franchi une mer, un désert ou une rivière. L’étendue traversée était sans importance quant aux conclusions de l’agent. Donc, s’il s’agissait d’une erreur d’interprétation, elle ne touche pas au cœur de l’affaire et n’a aucune incidence sur l’issue de la décision.
[43] La jurisprudence invoquée par la demanderesse traite de cas où une erreur d’interprétation a mené le décideur à tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur. Dans la décision Dalirani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 258 [Dalirani], le demandeur a demandé l’asile en se fondant sur sa conversion au christianisme. La conclusion concernant la question de savoir si le demandeur était un adepte sincère du christianisme était un élément important de la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR). À l’audience, l’interprète a déclaré que le demandeur affirmait qu’il n’était pas luthérien alors qu’en réalité, le demandeur disait qu’il n’était pas catholique (Dalirani, au para 21). En se fondant sur l’interprétation erronée, la SPR et la Section d’appel des réfugiés ont toutes deux jugé cela important dans leur appréciation de la crédibilité du demandeur. Le contexte et l’importance du poids accordé à l’information erronée dans la décision Dalirani sont fondamentalement différents de l’importance et de la pertinence des interprétations erronées dans le cas de la demanderesse.
[44] Les erreurs d’interprétation ne permettent pas de conclure que la demanderesse a reçu des services d’interprétation qui ne satisfaisaient pas aux exigences établies dans l’arrêt Mohammadian. Bien que l’interprétation n’ait apparemment pas été parfaite, la perfection n’est pas la norme requise. Le fait que l’interprète a dit [traduction] « mer »
et [traduction] « désert »
quand la demanderesse voulait dire [traduction] « rivière »
n’a pas eu d’incidence sur le raisonnement de l’agent et n’était pas le point crucial de la décision. Je conclus donc qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale découlant de l’exactitude de l’interprétation qui justifierait d’intervenir dans la décision de l’agent.
C. Le caractère raisonnable de la décision
(1) L’allégation concernant le défaut d’examiner les conséquences de la désertion de l’époux
[45] La demanderesse fait valoir que l’agent n’a pas examiné si elle serait exposée à un risque de persécution en raison de la désertion de son époux. Elle a expliqué qu’il y avait des conséquences pour les membres de la famille des déserteurs en Érythrée. La demanderesse soutient que l’agent n’a pas examiné les éléments de preuve concernant sa conviction qu’elle serait arrêtée si elle retournait en Érythrée et ne s’est pas penché sur la question de savoir si cette preuve établissait un risque de persécution. La demanderesse laisse entendre que l’agent n’a pas traité de cette preuve parce qu’il croyait qu’elle avait quitté l’Érythrée pour des raisons économiques. Elle affirme qu’en raison de l’importance de cette preuve, l’agent était tenu d’examiner expressément la preuve dans ses motifs. La demanderesse allègue que l’agent a en outre commis une erreur en supposant qu’elle ferait l’objet de poursuites conformément aux normes internationales et qu’il était tenu d’effectuer un examen plus détaillé des répercussions particulières qu’elle subirait si elle retournait en Érythrée.
[46] Selon la demanderesse, il était inéquitable sur le plan procédural pour l’agent de ne pas poser de questions de suivi au sujet de sa crainte de retourner en Érythrée. Elle dit qu’il y a des conséquences bien documentées pour les membres de la famille des déserteurs et pour ceux qui quittent l’Érythrée sans autorisation. Par conséquent, la demanderesse soutient que le défaut de l’agent de s’informer de ces risques constitue un manquement à l’équité.
[47] Bien que la demanderesse ait fait valoir qu’il s’agissait d’une question d’iniquité procédurale, il s’agit en réalité d’une question relative au caractère raisonnable. Ce point sera donc traité ainsi.
[48] Il ressort clairement des notes consignées dans le SMGC que, dans l’ensemble, [traduction] « […] il n’y avait pas suffisamment d’informations sur la persécution ou la crainte de la persécution lors de l’entrevue en personne »
. L’explication suivante figure également dans les notes du SMGC : [traduction] « Vous avez clairement déclaré que vous avez quitté votre pays pour une meilleure vie et une meilleure éducation pour vos enfants et que vous aviez initialement espéré que leur père en Allemagne allait vous aider là-bas, c’est pourquoi vous avez quitté votre pays. »
[49] Il incombe au demandeur de défendre sa propre cause (Guerilus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 394 au para 14, citant Rahmatizadeh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 578 (QL) au para 10). Par conséquent, si la demanderesse craignait de retourner en Érythrée, il lui incombait de soulever ces craintes. Les notes consignées dans le SMGC corroborent les conclusions de l’agent : [TRADUCTION] « Mon époux a quitté le pays, ils avaient l’habitude de venir chez moi et de me demander où il était, mais je ne savais pas où il était. Quand je leur ai dit que je ne savais pas, ils ont pris tous mes coupons […] »
[50] L’agent a en effet assuré un suivi concernant la crainte de persécution de la demanderesse. Il a tenté de comprendre comment elle serait ciblée à la lumière du fait qu’elle était déjà séparée de son époux depuis un certain temps lorsqu’il avait quitté le pays et qu’elle vivait avec ses parents. Elle a répondu ce qui suit : [traduction] « Quand il a rempli son formulaire, il a inscrit l’adresse où nous vivions ensemble. Ils sont allés là-bas et les gens leur ont dit que je vivais avec mes parents. Et ils m’ont demandé où était mon époux et je leur ai dit que je ne le savais pas, et ils sont venus trois ou quatre fois après cela. »
L’agent avait de bonnes bases pour conclure que la preuve était insuffisante, et ses conclusions ont tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve dont il disposait.
[51] Il n’appartient pas à l’agent de rechercher des éléments de preuve ou d’effectuer un suivi plus poussé, surtout à la lumière des circonstances factuelles. Lors de l’entrevue, la demanderesse a déclaré qu’elle n’allait jamais se réconcilier avec son époux en Allemagne. Cette affirmation, conjuguée à sa preuve selon laquelle elle était partie pour des raisons économiques, fait en sorte que les conclusions de l’agent constituent une interprétation raisonnable de la preuve, et non pas de la [traduction] « […] persécution fondée sur sa race, sa nationalité, sa religion, son appartenance à un groupe social ou ses opinions politiques »
. Dans les notes du SMGC, l’agent a fait part à la demanderesse de ses doutes et lui a expliqué les raisons. Pourtant, lorsqu’elle a eu l’occasion de répondre aux réserves de l’agent, la demanderesse a fourni d’autres éléments de preuve concernant sa crainte de voir son fils de 12 ans devenir soldat et le fait qu’elle ne voulait pas cette vie pour lui. La preuve de la demanderesse et les conclusions de l’agent selon lesquelles elle était une migrante économique signifient que l’agent n’avait pas à traiter de la crainte de persécution plus que ce qui figure dans ses motifs.
[52] Ces motifs ne donnent pas à penser que l’agent n’a pas cru la demanderesse quant au fait que les autorités lui avaient rendu visite et confisqué ses coupons, ou qu’il considérait qu’elle ne disait pas la vérité. L’agent a plutôt conclu que la demanderesse n’avait pas exprimé et démontré une crainte fondée de persécution advenant un retour en Érythrée.
[53] À la lumière des motifs de l’agent, je juge sa décision raisonnable. L’agent a correctement cité les critères et la définition du statut de réfugié aux termes de la LIPR et a apprécié les éléments de preuve pertinents dont il disposait. Ainsi, il est arrivé à une conclusion qui appartenait aux issues possibles raisonnables au regard des faits et du droit (Vavilov, au para 86).
(2) L’allégation concernant le défaut de reconnaître le statut de réfugié conféré à la demanderesse par le HCNUR
[54] La demanderesse soutient que la décision de l’agent ne satisfait pas à l’obligation établie dans la décision Pushparasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 828 [Pushparasa], de procéder à une « évaluation rigoureuse »
de la demande et d’expliquer pourquoi il n’était pas d’accord avec la conclusion du HCNUR selon laquelle la demanderesse et ses enfants étaient des réfugiés. La demanderesse affirme qu’à la lumière de la décision rendue par la juge Heneghan dans l’affaire Haile c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 375 [Haile], le défaut de l’agent de respecter cette obligation rend la décision déraisonnable.
[55] À mon avis, le traitement par l’agent de la preuve en l’espèce n’était pas déraisonnable, car après avoir reconnu que le HCNUR avait conclu que la demanderesse avait la qualité de réfugiée, l’agent a procédé à l’appréciation de la preuve de la demanderesse concernant le risque prospectif. L’agent a fondé sa décision sur les éléments de preuve présentés dans la demande et lors de l’entrevue, et c’est ce qu’exige le critère applicable à la reconnaissance du statut de réfugié en vertu de la LIPR.
[56] À la lumière de ces faits, l’agent répond à l’obligation décrite au paragraphe 25 de la décision Haile dans ses motifs et fournit une explication pour sa conclusion selon laquelle la demanderesse ne satisfaisait pas aux critères applicables aux réfugiés au sens de la Convention aux termes de la LIPR, malgré son statut de réfugié conféré par le HCNUR. De même, en ce qui concerne la décision de l’agent dans l’affaire Pushparasa (aux para 28-30), il ressort clairement des notes consignées dans le SMGC que l’agent était au courant de la désignation par le HCNUR, et les motifs montrent que l’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas de crainte fondée de persécution et que, par conséquent, elle n’appartenait pas à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières.
(3) L’allégation concernant le défaut d’évaluer le risque découlant d’un départ illégal de l’Érythrée
[57] Je n’accepte pas l’argument de la demanderesse selon lequel l’agent n’a pas examiné si elle risquait d’être persécutée en raison de son départ illégal de l’Érythrée. Contrairement aux paragraphes 100 à 108 de la décision Ghirmatsion c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 519, les notes et les motifs de l’agent montrent qu’il a expressément questionné la demanderesse au sujet du risque de persécution.
[58] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le manque de preuve suffisante est similaire à la situation de la demanderesse aux paragraphes 38 et 43 de la décision Del Carmen Marrero Nodarse c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 289. La demanderesse n’a pas fourni de preuve à l’agent démontrant que toute poursuite à laquelle elle devrait faire face ne serait pas neutre ou qu’elle serait soumise à un traitement sévère et inusité à son retour en Érythrée. Elle n’a fourni aucune preuve, même s’il lui incombait de le faire. Sans preuve suffisante pour conclure que la crainte d’emprisonnement de la demanderesse était fondée, il était raisonnable pour l’agent de juger que le risque d’emprisonnement en Érythrée n’équivalait pas à de la persécution au sens de l’article 96, ni à un risque de traitements cruels et inusités au sens de l’article 97.
[59] Aucune question n’a été présentée en vue d’une certification, et l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-5847-21
LA COUR STATUE :
Je rejette la demande.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Glennys L. McVeigh »
Juge
Christopher Cyr
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-5847-21 |
INTITULÉ :
|
SABELA YARED FISEHAYE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 15 AOÛT 2022
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE MCVEIGH
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 28 SEPTEMBRE 2022
|
COMPARUTIONS :
Nalini Reddy |
Pour la demanderesse |
Rebecca Kunzman |
Pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
GINDIN SEGAL LAW Winnipeg (Manitoba) |
Pour la demanderesse |
Procureur général du Canada Winnipeg (Manitoba) |
Pour le défendeur |