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Date : 20220927


Dossier : IMM‑3430‑21

Référence : 2022 CF 1347

[TRADUCTION°FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2022

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

KASIM KURT

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Dans l’arrêt Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40 [Ezokola], la Cour suprême a dû établir la distinction entre la simple association et la complicité coupable de crimes contre l’humanité. Plus précisément, elle devait déterminer à quelles conditions, aux fins de l’exclusion de la définition de « réfugié au sens de la Convention » prévue à l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], la simple association d’un demandeur d’asile avec une organisation ayant commis des crimes contre l’humanité devient complicité coupable à l’égard de ces crimes, et fait de cet individu une personne visée à l’alinéa Fa) de l’article premier [l’alinéa Fa)] de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137 [la Convention sur les réfugiés]. En adoptant un critère axé sur la contribution pour déterminer la complicité, la Cour suprême a remplacé le « critère fondé sur la participation personnelle et consciente » élaboré par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Ramirez c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 CF 306 (CAF) [Ramirez], un critère qui, avec le temps, s’est assoupli indûment de manière à englober la complicité par association ou l’acquiescement passif (Ezokola, aux para 9 et 79). En fin de compte, la Cour suprême a reformulé le critère et a conclu que pour refuser l’asile à un demandeur sur le fondement de l’alinéa Fa), il doit y avoir des « raisons sérieuses de penser qu’il a volontairement contribué de manière significative et consciente aux crimes ou au dessein criminel d’une organisation » (Ezokola, au para 84).

[2] Dans une décision datée du 3 mai 2021, la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a accueilli l’appel formé à l’encontre d’une décision antérieure de la Section de la protection des réfugiés [la SPR], qui avait conclu que le défendeur, M. Kasim Kurt, n’avait pas qualité de réfugié au titre de l’article 98 de la Loi en tant que personne visée à l’alinéa Fa) de la Convention sur les réfugiés au motif qu’il y avait des raisons sérieuses de penser qu’il avait volontairement contribué de manière significative et consciente à des crimes contre l’humanité. En appel, la SAR a conclu que la SPR avait « appliqué l’alinéa Fa) de l’article premier aux cas de “culpabilité par association”, contrairement aux principes décrits dans l’arrêt Ezekola », et suivant les motifs formulés dans sa décision, elle a conclu que M. Kurt était bien un réfugié au sens de la Convention et une personne à protéger. Le demandeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, sollicite à présent le contrôle judiciaire de la décision de la SAR. Je dois préciser que le ministre ne prend pas position concernant l’évaluation relative à l’inclusion réalisée par la SAR, c’est‑à‑dire les éléments de la décision visant à déterminer si M. Kurt est une personne à protéger; il limite son opposition à la question de l’exclusion, c’est‑à‑dire la conclusion de la SAR concernant l’exclusion de M. Kurt sur le fondement de l’alinéa Fa).

[3] Pour les motifs exposés ci‑dessous, je suis d’avis d’accueillir la demande de contrôle judiciaire. En résumé, j’estime qu’en dépit du fait qu’elle a correctement exposé le critère de complicité défini par la Cour suprême dans l’arrêt Ezokola, la SAR l’a appliqué de manière artificiellement restreinte aux faits de l’espèce, ce qui rend sa décision déraisonnable. Je ne tire aucune conclusion quant aux autres questions.

II. Contexte

[4] M. Kurt est un citoyen turc de 50 ans qui a fait carrière dans la gendarmerie turque [la Jandarma]. La Jandarma et la police nationale turque [la police nationale] sont contrôlées par le ministère de l’Intérieur de la Turquie. Les pouvoirs de la police nationale se limitent au maintien de l’ordre public dans les villes, tandis que la Jandarma assume cette responsabilité dans les campagnes turques, où elle peut compter sur un réseau de postes de police.

[5] M. Kurt a obtenu un diplôme de l’école préparatoire des sous‑officiers de la Jandarma à Ankara en 1988 et il a travaillé pour la Jandarma jusqu’en 2013, période durant laquelle il a occupé des postes tels que commandant d’unité pour le commandement de la station et la division de commando, attaché des forces armées turques à Paris, ainsi que chef de la section des crimes d’ordre public au sein du bataillon d’opérations spéciales de Tunceli et du commandement provincial de la Jandarma à Manisa. Au cours de sa carrière de 24 années au sein de la Jandarma, M. Kurt a continué à progresser et à développer ses compétences; par exemple, il a terminé sa formation de commando et a suivi des cours d’enquête judiciaire. Il a été régulièrement promu, a reçu de nombreuses lettres d’appréciation et il a obtenu des insignes et une médaille. Lors de son témoignage devant la SPR, M. Kurt a décrit tous les postes qu’il a occupés au sein de la Jandarma, y compris les zones dans lesquelles il a été affecté, le grade qu’il détenait, les tâches et les fonctions qu’il assumait, et ce qu’il savait sur les crimes commis par des collègues. Dans l’ensemble, M. Kurt a affirmé que, dans certains de ses postes précédents, il a été témoin ou a eu connaissance de mauvais traitements infligés aux détenus ‑ par exemple, la privation de sommeil et de nourriture, mais qu’il n’a jamais été témoin de torture physique. Il affirme qu’il avait trop peur d’être puni ou ostracisé pour intervenir. Je dois également souligner que, lors de son témoignage, M. Kurt est revenu sur les affirmations contenues dans son formulaire de fondement de la demande d’asile selon lesquelles il avait déjà commandé une unité ou suivi une formation de commando; il a expliqué qu’il avait fait ces affirmations dans le seul but d’impressionner les autorités canadiennes, ce qui a nui à sa crédibilité aux yeux de la SPR.

[6] En février 2013, M. Kurt a commencé à travailler en tant que directeur de la sécurité au Conseil de la recherche scientifique et technologique de Turquie [le TÜBITAK], une organisation affiliée au ministère turc de la Science, de l’Industrie et de la Technologie. En décembre 2013, un scandale de corruption impliquant quatre ministres du gouvernement turc a éclaté. Le gouvernement a estimé que l’enquête qui a conduit à l’éclatement du scandale était une attaque dirigée contre lui et, selon M. Kurt, le gouvernement a ciblé le TÜBITAK en licenciant des centaines d’employés en raison de son implication dans l’enquête. En conséquence, M. Kurt a été licencié de son poste de directeur de la sécurité en avril 2014 et a été transféré à un poste sans grande importance au sein de l’Institut turc des sciences de gestion [le TÜSSIDE]; pendant son séjour au TÜSSIDE, M. Kurt a subi une pression psychologique croissante, car son directeur l’a informé qu’il était soupçonné d’avoir des opinions contraires à celles du gouvernement.

[7] En juillet 2016, un coup d’État manqué a été perpétré contre le gouvernement turc; l’attentat aurait été initié par des dirigeants liés au mouvement Gülen, désigné par le gouvernement turc sous le nom d’Organisation terroriste de Fethulla [la FETO]. En conséquence, M. Kurt a été licencié le 31 juillet 2016, car, comme il l’affirme, le gouvernement turc le soupçonnait d’être un membre de soutien de la FETO en raison de son expérience dans la Jandarma et parce que son licenciement faisait partie d’une purge des membres du mouvement Gülen au sein du gouvernement. En témoignage, M. Kurt a affirmé qu’il n’était pas réellement membre du mouvement Gülen et qu’il pensait que le gouvernement turc l’avait simplement ciblé en raison de ses convictions démocratiques et de son implication dans l’enquête sur la corruption lorsqu’il travaillait au TÜBITAK.

[8] Dans le cadre de sa volonté permanente de s’améliorer, M. Kurt a commencé une maîtrise à l’Université technique de Gebze en septembre 2016 et, en janvier 2017, il a commencé à travailler à la cantine de l’Université. Le 17 mars 2017, les autorités turques ont commencé à harceler M. Kurt; elles se sont mises à sa recherche, ont fouillé sa maison et ont interrogé son épouse et ses amis sur ses allées et venues. Son épouse a apparemment été autorisée à photographier un rapport de police dans lequel M. Kurt était accusé d’appartenir au mouvement Gülen. M. Kurt s’est caché, car il savait que plusieurs de ses anciens collègues avaient été arrêtés et torturés sur le fondement de soupçons similaires et il craignait de subir le même sort. Après la prolongation pour la cinquième fois, en octobre 2017, de l’état d’urgence mis en place par le gouvernement turc, M. Kurt a décidé de quitter la Turquie, notamment parce que son passeport et son visa pour les États‑Unis allaient expirer au début de l’année 2018. Il a quitté la Turquie de manière irrégulière en passant par l’Irak, car il craignait que le gouvernement turc ne lui permette pas de sortir du pays. M. Kurt a pris l’avion pour les États‑Unis et est entré au Canada en janvier 2018, où il a présenté une demande d’asile.

III. Les décisions sous‑jacentes de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié

[9] Devant la SPR, M. Kurt a affirmé avoir une crainte justifiée d’être persécuté par le gouvernement turc sur le fondement des opinions politiques qu’on lui imputait en tant que membre de la FETO. Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [le ministre de la Sécurité publique] est intervenu devant la SPR en vertu de l’alinéa 170e) de la Loi et de l’article 29 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256, pour demander que M. Kurt soit exclu de la protection accordée aux réfugiés en application de l’article 98 de la Loi au motif qu’il est une personne visée à l’alinéa Fa) de la Convention sur les réfugiés. Le ministre de la Sécurité publique n’a pas présenté la preuve que M. Kurt a commis des crimes contre l’humanité; il a seulement affirmé que M. Kurt a pu participer ou être complice de crimes perpétrés par la Jandarma pendant qu’il occupait un poste au sein de l’organisation.

[10] Après une audience de quatre jours, la SPR a rendu une décision le 21 octobre 2020 suivant laquelle elle a conclu que M. Kurt était une personne visée à l’alinéa Fa) de la Convention sur les réfugiés et que, par conséquent, il était exclu de la protection accordée aux réfugiés en application de l’article 98 de la Loi. La SPR a conclu que les éléments de preuve démontraient que la Jandarma avait commis des crimes contre l’humanité, tels que définis dans l’arrêt Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40 au para 119, contre des membres du Parti des travailleurs du Kurdistan [le PKK]. Bien que les éléments de preuve n’indiquent pas que les unités de la Jandarma aient toutes été impliquées dans de telles atrocités, et bien qu’elle n’ait pas, à mon avis, affirmé que M. Kurt était directement impliqué dans des crimes perpétrés contre le PKK, la SPR a conclu que les unités de la Jandarma avaient également commis des violations des droits de la personne contre des civils détenus sur le fondement de soupçons de crimes de droit commun, lesquelles violations comprenaient l’usage répandu de la torture, et que ces unités comprenaient celles dédiées aux enquêtes criminelles dont M. Kurt faisait partie. Devant notre Cour, le ministre a confirmé que l’exclusion au titre de l’alinéa Fa) s’appliquerait, que les crimes particuliers aient été perpétrés contre le PKK ou des civils ordinaires soupçonnés de crimes de droit commun; essentiellement, il s’agit du traitement inhumain d’une population civile ou d’un groupe identifiable.

[11] Enfin, la SPR a conclu que la contribution de M. Kurt aux crimes contre l’humanité était :

  1. volontaire ‑ il avait véritablement eu le choix d’aider ou non la Jandarma dans ses enquêtes criminelles;

  2. significative ‑ M. Kurt a participé à l’arrestation et à l’interrogatoire de suspects criminels, lesquels montrent, selon la preuve documentaire, qu’ils ont été menés sous la torture. Il a également pris part à des opérations de commando dans la province kurde de Mardin, où des membres réguliers de la Jandarma ont participé à des opérations conjointes avec des unités antiterroristes;

consciente ‑ il est peu probable que M. Kurt n’ait pas eu connaissance des crimes ou du dessein criminel de la Jandarma et bien que, selon la prépondérance des probabilités, M. Kurt n’ait pas contribué consciemment à la perpétration des crimes contre l’humanité à l’égard de la population kurde, la SPR estime que sa contribution aux crimes contre l’humanité était tout de même consciente parce qu’il savait que la Jandarma pratiquait la torture tout en menant des enquêtes criminelles afin de décourager l’adhésion au PKK. De plus, la SPR estime que M. Kurt savait également, compte tenu de ses fonctions et responsabilités, que ses actions aideraient la Jandarma à perpétrer de tels crimes contre l’humanité.

[12] La question déterminante devant la SAR était celle de savoir si M. Kurt était complice des crimes contre l’humanité commis par la Jandarma. Pour sa part, la SAR a accepté les nouveaux éléments de preuve présentés par M. Kurt, qui comprenaient des documents judiciaires relatifs aux procédures engagées contre lui, des documents du bureau du procureur général de Konya indiquant qu’il faisait l’objet d’une enquête parce qu’il était soupçonné de soutenir la FETO, ainsi qu’une lettre de son épouse expliquant comment elle avait obtenu les documents judiciaires et dans laquelle elle affirmait que la police s’était rendue régulièrement à son domicile à la recherche de M. Kurt. Cependant, la SAR a rejeté sa demande d’audience parce qu’aucun doute quant à sa crédibilité n’a été soulevé à la lecture des documents.

[13] La SAR a souligné la taille et la nature de la Jandarma ‑ une organisation d’application de la loi multiforme qui fournit des services de police légitimes à plus de la moitié de la population turque vivant sur 90 % du territoire ‑ et a estimé que rien ne démontrait que M. Kurt avait été associé à des unités ayant commis des crimes contre l’humanité; bien que M. Kurt ait témoigné qu’il était au courant que des personnes soupçonnées de terrorisme étaient soumises à des traitements inhumains pendant leur détention, rien ne prouve que M. Kurt a pris part à ces mauvais traitements ou qu’il a assumé des responsabilités de commandement ou de supervision à cet égard. En définitive, la SAR a estimé que la conclusion de la SPR sur la complicité de M. Kurt reposait sur la manière dont celle‑ci a interprété la preuve selon laquelle la torture était une méthode d’interrogatoire largement utilisée par la Jandarma. La SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur en estimant que M. Kurt avait contribué de manière significative et consciente aux crimes contre l’humanité perpétrés par d’autres unités de la Jandarma, car elle s’est fondée sur des éléments de preuve circonstancielle et sur la complicité par association, contrairement aux principes établis par la Cour suprême dans l’arrêt Ezokola.

[14] Je dois également souligner que la SAR a rendu sa décision avant que le ministre de la Sécurité publique ait pu signifier son intention d’intervenir à l’instance. Par conséquent, le ministre de la Sécurité publique n’était pas représenté devant la SAR.

IV. Dispositions législatives

[15] Selon l’article 98 de la Loi, une personne visée à la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger :

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

Exclusion — Refugee Convention

98 La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98 A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

[16] L’alinéa Fa) de la Convention sur les réfugiés exclut toute personne dont il y a des raisons sérieuses de penser qu’elle a commis un crime contre l’humanité :

Article premier

Article 1

Définition du terme « réfugié »

Definition of the term “refugee”

. . .

[...]

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

a) qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

(a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

. . .

[...]

[17] Le paragraphe 6(3) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, LC 2000, c 24, a intégré au droit canadien la définition des « crimes contre l’humanité » énoncée dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, 17 juillet 1998, 2187 RTNU 90 [le Statut de Rome] :

crime contre l’humanité Meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation, emprisonnement, torture, violence sexuelle, persécution ou autre fait — acte ou omission — inhumain, d’une part, commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes et, d’autre part, qui constitue, au moment et au lieu de la perpétration, un crime contre l’humanité selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel ou en raison de son caractère criminel d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations, qu’il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu.

crime against humanity means murder, extermination, enslavement, deportation, imprisonment, torture, sexual violence, persecution or any other inhumane act or omission that is committed against any civilian population or any identifiable group and that, at the time and in the place of its commission, constitutes a crime against humanity according to customary international law or conventional international law or by virtue of its being criminal according to the general principles of law recognized by the community of nations, whether or not it constitutes a contravention of the law in force at the time and in the place of its commission.

V. Questions en litige et norme de contrôle

[18] Les questions en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire sont de savoir si la SAR a commis une erreur dans son interprétation de la « complicité », telle que définie par la Cour suprême dans l’arrêt Ezokola, et si la SAR a tiré des conclusions de fait incompatibles avec le dossier. De plus, les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16‑17 [Vavilov]). Hadhiri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1284 au para 14). Notre Cour ne doit intervenir que si la décision faisant l’objet du contrôle ne possède pas « les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » et si la décision n’est pas justifiée « au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au para 99). Notre Cour devrait adopter une attitude de retenue et n’intervenir « uniquement lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov, para 13).

VI. Question préliminaire

[19] À titre préliminaire, le ministre fait valoir que l’intitulé désigne par erreur le défendeur comme Kurt Kassim plutôt que Kasim Kurt. Notre Cour devrait modifier l’intitulé afin de désigner le défendeur correctement, à savoir Kasim Kurt.

VII. Analyse

A. Le critère énoncé dans Ezokola

[20] En reformulant l’interprétation canadienne de l’alinéa Fa), la Cour suprême, dans l’arrêt Ezokola, a précisé que la complicité dans les crimes internationaux résulte de la contribution, que la contribution de l’individu soit liée à un crime particulier ou au dessein criminel du groupe dont il est membre; le lien n’exige pas que « la contribution de l’accusé “vise la perpétration de crimes identifiables précis”; elle peut viser un “dessein commun plus large, comme la réalisation de l’objectif d’une organisation par tous les moyens nécessaires, y compris la commission de crimes de guerre” » (Ezokola, au para 87, citant R. (JS (Sri Lanka)) c Secretary of State for Home Department, [2011] UKSC 15, [201] 1 AC 184 au para 38 [JS (Sri Lanka)]). En ce qui concerne l’application de l’alinéa Fa), ce lien est établi lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que la personne a volontairement et consciemment contribué de manière significative à la perpétration d’un crime par un groupe ou à la réalisation du dessein criminel de ce groupe (Ezokola, para 7 et 8). Par conséquent, les trois composantes de la notion de complicité axée sur la contribution sont les suivantes :

i. Caractère volontaire de la contribution aux crimes du groupe ou au dessein criminel;

ii. Contribution significative aux crimes du groupe ou au dessein criminel;

iii. Contribution consciente aux crimes du groupe ou au dessein criminel.

[21] Pour évaluer le caractère volontaire, il faut déterminer si l’individu a vraiment eu le choix de participer au crime ou au dessein criminel, ce qui l’empêche d’invoquer la contrainte, par exemple, comme moyen de défense (Ezokola, para 86). Lorsque la contribution au crime ou au dessein criminel ‑ le « dessein commun plus large, comme la réalisation de l’objectif d’une organisation par tous les moyens nécessaires » ‑ devient significative, la simple association devient complicité aux fins de l’alinéa Fa) de la Convention sur les réfugiés (Ezokola, au para 87, citant JS (Sri Lanka), au para 38). Enfin, pour qu’il y ait complicité de crimes contre l’humanité, l’individu doit être au courant de leur perpétration ou du dessein criminel de l’organisation et savoir que son comportement en facilitera la réalisation (Ezokola, para 89).

[22] En ce qui concerne ce que la Cour suprême a appelé la norme de preuve « particulière » des « raisons sérieuses de penser » auquel est soumis le critère de complicité fondé sur la contribution, elle exige que la preuve de la complicité s’élève « [au‑dessus du] soupçon » qu’un individu a commis des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou des crimes contre la paix (Ezokola, au para 101); la question de savoir si cette norme a été respectée est fondée sur les faits, et pour déterminer si les actes d’un individu « correspondent à l’actus reus et à la mens rea exigés pour qu’il y ait complicité », la Cour suprême a établi une série de facteurs non exhaustifs à prendre en considération :

(i) la taille et la nature de l’organisation;

(ii) la section de l’organisation à laquelle le demandeur d’asile était le plus directement associé;

(iii) les fonctions et les activités du demandeur d’asile au sein de l’organisation;

(iv) le poste ou le grade du demandeur d’asile au sein de l’organisation;

(v) la durée de l’appartenance du demandeur d’asile à l’organisation (surtout après qu’il a pris connaissance de ses crimes ou de son dessein criminel);

(vi) le mode de recrutement du demandeur d’asile et la possibilité qu’il a eue ou non de quitter l’organisation.

[Ezokola, au para 91.]

B. La SAR a mal appliqué le critère de complicité énoncé dans l’arrêt Ezokola

[23] La question dont je suis saisi est celle de savoir si la SAR a mal appliqué le critère de complicité établi par la Cour suprême dans l’arrêt Ezokola. Dans sa décision, la SAR a formulé le critère comme suit :

[19] La question consiste à établir si la personne a contribué volontairement et de manière significative et consciente aux crimes ou au dessein criminel de l’organisation. La Cour établit une distinction entre les groupes animés d’un dessein circonscrit et brutal et les groupes multiformes pour établir le lien entre la contribution et le dessein criminel. Il convient d’utiliser un « critère axé sur la contribution significative », lequel sous‑entend la participation personnelle et consciente. Les crimes contre l’humanité doivent être évalués dans le contexte du droit international et ne pas être confinés à un système juridique national. Selon la disposition relative à la mens rea de l’alinéa 25(3)d) du Statut de Rome, une contribution doit être intentionnelle et viser à faciliter l’activité criminelle du groupe en pleine connaissance de l’intention du groupe de commettre ce crime. La connaissance peut être présumée si le groupe agit dans un dessein criminel commun sans intention de commettre un crime particulier.

[20] La participation à une entreprise criminelle commune suffit pour établir l’exclusion si la personne a contribué de manière significative au dessein criminel. La participation criminelle commune peut être établie par trois moyens : 1) l’intention partagée de commettre un crime spécifique, 2) la connaissance de l’existence d’un système de mauvais traitements et l’intention d’y contribuer ou 3) l’intention de contribuer à l’entreprise criminelle commune en participant ou en contribuant à son activité ou à son dessein criminel. Les trois types exigent une contribution significative à l’action ou au dessein criminel et exigent de la personne qu’elle ait une conscience subjective de la situation.

[21] La simple association ou l’acquiescement passif ne suffisent pas pour établir la complicité. Il doit y avoir des éléments de preuve selon lesquels la personne a personnellement contribué à l’entreprise criminelle. Cela ne peut se faire au moyen de la « culpabilité par association ». La contribution doit être substantielle. En droit pénal international, l’omission n’emporte pas de responsabilité, sauf obligation d’agir. Pour qu’il y ait complicité, il doit y avoir un contrôle exercé sur les personnes qui commettent les crimes. Celle‑ci ne peut être imputée simplement en raison du fait que la personne était consciente du crime, mais qu’elle n’a pas protesté. La Cour suprême a soutenu que la « culpabilité par association » viole le principe de la responsabilité pénale individuelle. Les personnes « ne peu[vent] être responsable[s] que de [leurs] propres actes coupables ». Il faut soupeser avec soin le degré de contribution de la personne afin d’éviter un élargissement déraisonnable de la notion de participation criminelle.

[Non souligné dans l’original.]

[24] La SAR énonce correctement le critère en reconnaissant que « [l]a question consiste à établir si la personne a contribué volontairement et de manière significative et consciente aux crimes ». Cependant, et même en écartant la référence de la SAR au critère fondé sur « la participation personnelle et consciente », que la Cour suprême a spécifiquement remplacé dans l’arrêt Ezokola par la notion de complicité axée sur la contribution ‑ M. Kurt concède devant notre Cour que la référence de la SAR à cet ancien critère était malavisée, mais il soutient qu’elle n’était pas décisive ‑ la référence de la SAR à la notion de complicité exigeant un « contrôle »exercé sur les personnes commettant les crimes est, à mon avis, une expression trop restrictive du critère axé sur la contribution établi par la Cour suprême et limite de manière inappropriée le critère de complicité.

[25] Je dois souligner que la Cour suprême dans l’arrêt Ezokola fait en réalité référence à la nécessité d’un « contrôle » exercé sur les personnes qui commettent des crimes contre l’humanité. Cependant, elle le fait dans le contexte d’une analyse sur la complicité fondée sur le grade et la conscience des atrocités commises (Ezokola, aux para 80‑82). Après avoir examiné les différentes interprétations de la complicité, la Cour suprême a conclu qu’il devait y avoir un lien entre la personne et le crime ou le dessein criminel; le simple acquiescement est insuffisant. J’estime que la SAR a interprété la référence de la Cour suprême hors de son contexte en affirmant, dans le cadre de l’approche axée sur la contribution, que pour qu’il y ait complicité, il doit y avoir un « contrôle » exercé sur les personnes qui commettent les crimes.

[26] Avant d’examiner la notion de complicité en droit international, la Cour suprême a passé en revue des concepts tels que l’objet de la Convention sur les réfugiés et de son alinéa Fa), le rôle de la SPR, la nécessité de s’appuyer sur le droit international pour interpréter l’alinéa Fa) et la notion de dessein commun aux fins de l’alinéa 25(3)d) du Statut de Rome. La Cour suprême a ensuite procédé à une analyse de droit comparé du critère de complicité et a finalement résumé l’approche internationale de ce critère comme exigeant un lien entre la personne et le crime ou le dessein criminel du groupe :

[77] En résumé, les interprétations qui précèdent exigent toutes un lien entre l’individu et le crime ou le dessein criminel du groupe pour qu’il y ait complicité. Un individu peut être complice d’un crime auquel il n’a ni assisté ni contribué matériellement. Cependant, comme l’explique le HCR et le reconnaissent d’autres États parties, pour refuser le droit d’asile à une personne, il faut prouver qu’elle a consciemment contribué de manière à tout le moins significative au crime perpétré par le groupe ou à la réalisation de son dessein criminel. L’appartenance passive au groupe ne suffit pas

[Non souligné dans l’original.]

[27] La Cour suprême a ensuite répondu aux préoccupations concernant l’élargissement indu de la notion de participation criminelle devant les tribunaux canadiens, lesquels ont souvent conclu à la responsabilité criminelle sur le fondement des omissions; la Cour suprême a également indiqué que le critère de complicité, dans certains cas, « s’était attaché indûment aux activités criminelles du groupe plutôt qu’à la contribution de l’individu à ces activités criminelles » (Ezokola, au para 79). La Cour suprême a ensuite affirmé ce qui suit :

[80] Le juge Noël écrit en l’espèce qu’« en demeurant en poste sans protêt et en continuant à défendre les intérêts de son gouvernement alors qu’il a connaissance des crimes commis par ce gouvernement », un haut fonctionnaire peut se rendre complice de ces crimes. On ne saurait toutefois invoquer indûment les motifs de la Cour d’appel fédérale pour conclure à la complicité d’une personne alors même qu’elle n’a accompli aucun acte coupable et n’a eu aucune connaissance ou intention criminelle, mais a seulement su que d’autres membres du gouvernement avaient commis des actes illégaux.

[81] À notre avis, il est nécessaire de revoir l’interprétation canadienne de l’art. 1Fa) afin d’exclure clairement le refus de protection fondé sur une notion aussi étendue de la complicité. Faute de le faire, un haut fonctionnaire pourrait devoir cesser d’exercer ses fonctions légitimes en période de conflit ou d’instabilité nationale afin de ne pas être déchu de son droit à l’asile. De plus, la complicité susceptible de s’entendre de la culpabilité par association ou de l’acquiescement passif va à l’encontre de deux principes fondamentaux du droit pénal.

[82] Il est bien établi en droit pénal international que l’omission n’emporte pas de responsabilité pénale, sauf obligation d’agir : Cassese’s International Criminal Law, p. 180‑182. Par conséquent, à moins d’un contrôle exercé sur les auteurs individuels d’un crime international, nul ne peut se rendre complice seulement en continuant d’exercer ses fonctions sans protester : Ramirez, p. 319‑320. De même, la culpabilité par association viole le principe de la responsabilité pénale individuelle. Une personne ne peut être responsable que de ses propres actes coupables : van Sliedregt, p. 17.

[83] On ne doit pas considérer que la décision de la Cour d’appel fédérale permet de conclure à la complicité par association du fait de la fonction exercée ni à celle fondée sur l’acquiescement passif, car ce serait perpétuer une rupture avec le droit pénal international et les principes fondamentaux du droit pénal.

[Non souligné dans l’original.]

[28] Il me semble évident que la référence au « contrôle » exercé sur les personnes ne représentait qu’une partie de l’analyse sur la manière dont l’interprétation de la notion de participation criminelle en droit canadien avait été indûment élargie, ce qui a conduit à la reformulation du critère. Après avoir examiné les différents concepts et exposé les problèmes antérieurs liés à l’interprétation de la notion de participation criminelle en droit canadien, la Cour suprême s’est attachée à clarifier le critère de complicité au sens de l’alinéa Fa) de la Convention sur les réfugiés :

J. Resserrement du critère appliqué au Canada en matière de complicité

[84] Compte tenu de ce qui précède, il devient nécessaire de clarifier la notion de complicité aux fins de l’application de l’art. 1Fa). Pour refuser l’asile à un demandeur sur le fondement de cette disposition, il doit exister des raisons sérieuses de penser qu’il a volontairement contribué de manière significative et consciente aux crimes ou au dessein criminel d’une organisation.

[85] Nous examinons chacune des caractéristiques clés de cette notion de complicité axée sur la contribution. Il s’agit à notre avis de conditions propres à empêcher un décideur d’élargir la notion indûment et de conclure à la complicité d’une personne pour simple association ou acquiescement passif.

[29] Il ne fait aucun doute que, dans l’arrêt Ezokola, la Cour suprême a rejeté la notion de culpabilité par association et a clairement indiqué que la complicité susceptible de s’entendre de la culpabilité par association ou de l’acquiescement passif doit être écartée; une personne ne peut être responsable que de ses propres actes coupables, car « l’omission n’emporte pas de responsabilité pénale, sauf obligation d’agir » (Ezokola, para 30, 81 et 82). Cependant, j’estime que les actes coupables concernant les crimes contre l’humanité ne peuvent être limités aux situations où une personne doit « exercer un contrôle sur la personne [qui commet le crime] ou la responsabilité de supervision [à l’égard de cette personne] » qu’il soit question d’omission ou de perpétration (décision de la SAR, au para 34); Les actes coupables peuvent prendre de nombreuses formes, et la responsabilité de supervision n’est donc pas une condition de la complicité dans le cadre du critère axé sur la contribution établi par la Cour suprême.

[30] En l’espèce, la SAR a examiné les éléments de preuve conformément aux facteurs non exhaustifs énoncés dans l’arrêt Ezokola afin de déterminer s’il existait des raisons sérieuses de penser que M. Kurt avait volontairement contribué de manière significative et consciente aux crimes ou au dessein criminel de la Jandarma. À mon avis, l’erreur dans la décision de la SAR provient du fait qu’elle a conclu ce qui suit en procédant à son évaluation :

[34] Même si l’appelant savait que certaines personnes qui avaient été détenues à Mazidagi avaient subi des traitements inhumains qui contrevenaient au droit international, il n’y a pas participé et n’avait pas de responsabilité en matière de supervision. Les détenus en question étaient soupçonnés d’être des terroristes et avaient fait l’objet de procédures spéciales. L’appelant enquêtait sur des crimes de droit commun. La SPR a noté des exemples de torture réalisée par des membres de la gendarmerie dans la province où l’appelant travaillait et a conclu qu’il devait être au courant de ce qui se passait. Premièrement, l’appelant a déclaré qu’il n’était pas au courant de ces incidents à l’époque. La SPR ne croyait pas qu’il n’en avait pas eu connaissance, mais elle n’a pas expliqué adéquatement pourquoi elle ne croyait pas l’appelant. Deuxièmement, même si cela était vrai, la SPR s’est trompée en faisant abstraction de la directive de la Cour suprême du Canada de ne pas refuser l’asile à des gens au motif qu’ils savaient que des crimes étaient commis, mais ne s’y sont pas opposés. Dans l’arrêt Ezekola, la Cour suprême du Canada a soutenu qu’une personne doit exercer un contrôle sur la personne ou la responsabilité de supervision pour conclure à l’entreprise criminelle conjointe. Le fait que l’appelant savait que des personnes soupçonnées de terrorisme faisaient l’objet de mauvais traitements, mais qu’il n’a pas protesté, a été expressément exclu comme élément révélateur d’une contribution significative aux crimes contre l’humanité. Le tribunal a appliqué l’alinéa Fa) de l’article premier aux cas de « culpabilité par association », contrairement aux principes décrits dans l’arrêt Ez[o]kola. En raison de cette conclusion, je n’ai pas besoin d’évaluer l’observation du conseil selon laquelle les crimes décrits ne satisfont pas à la définition de crimes contre l’humanité.

[Non souligné dans l’original.]

[31] L’introduction d’une exigence selon laquelle un contrôle ou une responsabilité de supervision doit être exercé dans le contexte où M. Kurt se serait trouvé était inappropriée; comme l’a admis M. Kurt devant la SAR, la preuve en l’espèce ne révèle aucun lien entre sa conduite et la perpétration d’un crime du fait de son grade.

[32] En outre, la SAR semble affirmer que l’évaluation porte sur l’omission de M. Kurt ‑ à savoir le fait qu’il n’aurait pas agi au moment où il aurait dû ‑ lorsqu’elle affirme au paragraphe 21 de sa décision, citée ci‑dessus, que « [l]’omission n’emporte pas de responsabilité, sauf obligation d’agir » et que, « [p]our qu’il y ait complicité, il doit y avoir un contrôle exercé sur les personnes qui commettent les crimes ». M. Kurt lui‑même, dans les observations qu’il a soumises à notre Cour, a présenté le débat comme portant sur l’évaluation de ses omissions d’agir. Sur ce point, je suis du même avis que le ministre. Le débat ne se limite pas aux omissions d’agir de M. Kurt alors qu’il était conscient que des crimes contre l’humanité étaient commis; il porte plutôt sur ses actions, le mode de perpétration ou sa participation générale présumée à l’activité criminelle d’un groupe et sur l’examen de la question de savoir si cette participation devient une contribution coupable. Selon le ministre, les éléments de preuve permettent de conclure, à tort ou à raison, que les actions de M. Kurt ont contribué au dessein criminel de la Jandarma, ou l’ont facilité, ce qui l’a rendu complice des crimes commis par d’autres. Pour ma part, je dois convenir que les éléments de preuve se rapportent autant à d’éventuelles omissions d’agir de la part de M. Kurt qu’au fait qu’il aurait contribué aux atrocités commises par d’autres.

[33] Par conséquent, il ne s’agit pas seulement d’un cas d’omission, comme le soutient M. Kurt, mais aussi d’un cas de perpétration. En tout état de cause, l’inclusion de l’élément selon lequel il doit y avoir « un contrôle exercé sur les personnes qui commettent les crimes. » (décision de la SAR, au para 47) dans le critère de complicité ne figure nulle part dans la notion de complicité axée sur la contribution définie par la Cour suprême dans l’arrêt Ezokola. Mon interprétation de la décision de la SAR m’amène à penser que cette dernière a inclus à tort l’exigence de « responsabilités de commandement ou de supervision » dans le critère axé sur la contribution établi dans l’arrêt Ezokola et a appliqué cette exigence à la preuve sans distinction. Elle a eu tort de le faire.

VIII. Conclusion

[34] L’application erronée du critère de complicité suffit à rendre la décision de la SAR déraisonnable et à l’annuler. Le ministre soutient également que la SAR, dans sa décision, a mal interprété certaines des conclusions de la SPR et que, sans cette interprétation erronée, sa décision aurait pu être différente. Compte tenu de ma conclusion sur l’application par la SAR du critère de complicité énoncé dans l’arrêt Ezokola, il n’est pas nécessaire que j’examine la deuxième question soulevée par le ministre. J’accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3430‑21

LA COUR REND LE JUGEMENT QUI SUIT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision du 3 mai 2021 est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal de la SAR différemment constitué pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

  3. Il n’y a pas de question à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge

TRADUCTION°certifiée conforme

Jean‑François Vincent


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3430‑21

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c KASIM KURT

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 MARS 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 SEPTEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Ian Hicks

Pour le demandeur

Charles Steven

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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