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Date : 20220928


Dossier : IMM‑5031‑21

Référence : 2022 CF 1356

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 septembre 2022

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

ASMEROM KIFLE TESFAZGI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’instance

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Le demandeur demande à la Cour d’annuler la décision rendue par la Section de l’immigration [la SI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] en date du 16 juillet 2021 par laquelle elle a pris une mesure d’expulsion contre lui après avoir conclu qu’il était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité au titre des alinéas 36(1)b) de la LIPR et 229(1)c) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement].

[2] La Commission a affirmé qu’elle a des motifs raisonnables de croire que le demandeur a été reconnu coupable d’une infraction aux États‑Unis (É.‑U.) pour avoir demandé la naturalisation sous l’identité d’une autre personne, ce qui contrevient à l’alinéa 1546(a) du Titre 18 du Code des États‑Unis [Code des É.‑U.], qu’elle estime équivalent à l’alinéa 403(1)a) du Code criminel, LRC 1985, c. C‑46, qui interdit la fraude à l’identité. De plus, la Commission a pris en compte le moyen de défense fondé sur la nécessité et a conclu que celui‑ci ne s’appliquait pas à la situation du demandeur.

II. Contexte factuel

[3] Le demandeur est un ressortissant de l’Érythrée âgé de 35 ans. Il a fui en Éthiopie en 2005, où il a vécu dans un camp de réfugiés jusqu’en 2012. Cette même année, un ami du demandeur, que nous désignerons par les initiales W.Y.Y. dans les présents motifs, a offert au demandeur des documents de parrainage pour que celui‑ci obtienne le statut de réfugié aux É.‑U. à sa place. Le demandeur est arrivé aux É.‑U. sous le nom de W.Y.Y. le 17 décembre 2012, a utilisé les documents de celui‑ci et est demeuré dans ce pays pendant quelque sept ans à titre de réfugié au sens de la Convention et, plus tard, de résident permanent.

[4] Il a demandé la naturalisation (c.‑à‑d. la citoyenneté) aux É.‑U. le 11 septembre 2018. Les autorités américaines ont découvert sa fausse identité et l’ont par la suite arrêté et mis en accusation aux termes de l’alinéa 1546a) du Titre 18 du Code des É.‑U.

[5] Le demandeur a plaidé coupable à un chef de formulation de fausses déclarations importantes liées à sa demande d’immigration à San Antonio, au Texas, le 17 janvier 2019. Il a été reconnu coupable et condamné à 167 jours d’emprisonnement et à une mise en liberté sous surveillance sans obligation de se présenter d’une durée de trois ans, le 24 avril 2019. Un juge fédéral des É.‑U. a pris une mesure de renvoi contre le demandeur le 26 août 2019.

[6] Le demandeur est entré au Canada illégalement le 29 septembre 2020 entre deux points d’entrée et a par la suite été appréhendé. Le lendemain, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a établi un rapport au titre du paragraphe 44(1) de la LIPR et a souligné qu’il avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité aux termes de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR.

[7] La Commission a tenu une enquête le 3 juin 2021. L’enquête a repris le 16 juillet 2021, et la Commission a rendu ses motifs de vive voix le même jour, en concluant que le demandeur était interdit de territoire.

[8] Le demandeur a déposé la présente demande de contrôle judiciaire le 27 juillet 2021.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[9] La commissaire a entrepris son analyse en faisant part de deux admissions faites par le demandeur par l’intermédiaire de son avocat. En premier lieu, le demandeur a admis qu’il était un ressortissant étranger. En second lieu, le demandeur a admis qu’il avait été reconnu coupable d’avoir fait de fausses déclarations importantes liées à sa demande d’immigration le 17 janvier 2019, ce qui contrevenait à l’alinéa 1546(a) du Titre 18 du Code des É.‑U.

[10] Sur la foi de ces deux admissions, la Commission a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était une personne reconnue coupable d’avoir fait de fausses déclarations importantes liées à une demande d’immigration aux É.‑U.

[11] La Commission s’est ensuite penchée sur la question de savoir si l’infraction, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans. Le ministre estimait que l’infraction équivalente au Canada était celle prévue à l’alinéa 403(1)a) du Code criminel, qui interdit la fraude à l’identité.

[12] La Commission a pris acte de la position du demandeur selon laquelle il n’avait commis aucune infraction en vertu des lois canadiennes ou, subsidiairement, que les infractions commises tombaient sous le coup de la LIPR, et non pas du Code criminel.

[13] La Commission a judicieusement reconnu qu’il existe trois méthodes pour établir l’équivalence suivant les motifs donnés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hill c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1987] ACF no 47 [Hill]. Elle a conclu que la première de ces méthodes ne s’appliquait pas :

[traduction]

Après avoir examiné les dispositions législatives américaines figurant à la page 19 de la pièce C‑1, et les dispositions canadiennes figurant à la page 22 de la pièce C‑1, il est manifeste à première vue qu’il ne serait absolument pas utile de comparer leur libellé exact. Les dispositions américaines sont un texte omnibus prévoyant maintes façons dont une personne peut commettre l’infraction de fraude et de mauvais usage de visas, de permis, et d’autres documents.

[...] Étant donné la longueur de cette disposition par rapport à la disposition canadienne, et son libellé beaucoup plus détaillé que le libellé canadien, la première méthode d’analyse de l’équivalence ne serait pas efficace.

[14] En ce qui concerne la deuxième méthode pour établir l’équivalence des dispositions entérinée par l’arrêt Hill, la Commission a conclu qu’elle était nécessaire pour déterminer si la preuve était suffisante pour établir les éléments essentiels de l’infraction au Canada. Elle a renvoyé aux faits non contestés qui suivent, extraits du fondement factuel au plaidoyer de culpabilité du demandeur eu égard aux accusations portées contre lui, dans le cadre duquel il a admis :

[traduction]

A. Il a demandé la naturalisation aux É.‑U. sous le nom de W.Y.Y., qui sont en réalité les initiales de son ami;

B. Le demandeur s’est fait passer frauduleusement pour W.Y.Y, et l’identité de W.Y.Y. figurant sur la demande de naturalisation n’était pas la sienne;

C. Le demandeur avait en sa possession et utilisait une carte de résident permanent des É.‑U. qui avait été délivrée à W.Y.Y.;

D. Le demandeur a donné un faux témoignage à un agent des services d’immigration dans le but d’obtenir un avantage lié à l’immigration;

E. Le demandeur a utilisé l’identité de W.Y.Y. pour présenter de façon frauduleuse une demande de naturalisation;

F. Il a signé la demande de naturalisation, sous peine de parjure; et

G. Le demandeur a sciemment fait une fausse présentation importante sur une demande de naturalisation parce qu’il n’était pas W.Y.Y.

[15] La Commission a conclu que ces faits étaient suffisants pour établir les deux éléments essentiels de l’alinéa 403(1)a) du Code criminel.

[16] Pour la Commission, le premier élément de l’alinéa 403(1)a) consiste à « frauduleusement, se fai[re] passer pour une autre personne, vivante ou morte ». Le second élément est « l’intention d’obtenir un avantage pour [soi]‑même ou pour une autre personne ».

[17] La Commission a conclu que le demandeur avait frauduleusement signé son formulaire de demande de naturalisation sous peine de parjure avec l’intention d’obtenir un avantage, soit devenir un citoyen naturalisé des É.‑U. Elle a conclu qu’elle avait par conséquent des motifs raisonnables de croire que, si le demandeur était reconnu coupable au Canada, les gestes en question constitueraient de la fraude à l’identité aux termes de l’alinéa 403(1)a) du Code criminel.

[18] La Commission a ensuite rejeté l’argument du demandeur selon lequel elle était tenue de trouver une disposition canadienne équivalente qui ressemblerait le plus à la disposition américaine. Elle a invoqué la décision Canada c Brar 1999 CanLII 8984, [2000] 1 CF D‑34, rendue par le juge Campbell de la Cour, pour conclure qu’elle n’était pas tenue de trouver une équivalence avec [traduction] « une disposition législative canadienne applicable ».

[19] Enfin, la Commission a pris en compte l’argument avancé par le demandeur selon lequel il ne devrait pas être considéré comme étant interdit de territoire du fait qu’il peut invoquer le moyen de défense fondé sur la nécessité en vertu de la jurisprudence canadienne. Elle a examiné l’argument, et après avoir appliqué le critère énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c Latimer, 2001 CSC 1 au para 28, elle a conclu qu’il n’était ni logique ni crédible que le demandeur ait été exposé à un danger imminent aux É.‑U. pendant sept ans sous une fausse identité. La Commission a conclu que la présentation d’une demande d’asile sous sa véritable identité représentait une solution raisonnable et légale par rapport à désobéir à la loi. En concluant que le moyen de défense fondé sur la nécessité ne s’appliquait pas, la Commission a fait remarquer qu’elle n’a pas pris en compte le troisième élément du critère énoncé dans l’arrêt Latimer, c’est‑à‑dire la proportionnalité entre le mal infligé et le mal évité.

[20] La Commission n’était pas tenue de prendre en compte le troisième élément.

[21] Par conséquent, la Commission a conclu que le demandeur était interdit de territoire et a pris une mesure d’expulsion contre lui.

IV. Questions en litige

[22] J’estime que les questions en litige sont les suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. La décision de la Commission est‑elle raisonnable?

V. Norme de contrôle

[23] Le demandeur affirme que les dispositions du droit pénal et l’interprétation que leur donne la Commission sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte. Le ministre soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[24] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a établi un cadre d’analyse révisé permettant de déterminer la norme de contrôle applicable aux décisions administratives. Cette analyse a pour point de départ la présomption selon laquelle la norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable (Vavilov, au para 23). La présomption peut être réfutée dans au moins deux types de situations : lorsqu’il y a un mécanisme d’appel prévu par la loi ou lorsque la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte (Vavilov, au para 17). Avec égards, aucune de ces situations ne s’applique en l’espèce.

[25] En dépit du fait que le demandeur soutient que la norme de la décision correcte s’applique à l’analyse de l’équivalence effectuée par la Commission, il n’a pas cité de jurisprudence à l’appui de sa position. Au contraire, il a renvoyé à une copie de la décision Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1510 au para 10, dans laquelle la juge Mactavish [alors juge à la Cour] a confirmé la jurisprudence établie en ces termes : « Les conclusions relatives à l’équivalence sont des questions de fait à l’égard desquelles la retenue s’impose et où la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable ». J’estime que les observations du demandeur ne sont pas fondées. La présomption n’a pas été réfutée, et les observations vont à l’encontre de la jurisprudence constante.

[26] Les questions soulevées par la présente demande seront examinées selon la norme de la décision raisonnable. La Cour suprême, dans l’arrêt Vavilov, fournit des directives cruciales sur le caractère raisonnable, au para 126 :

[126] Cela dit, une décision raisonnable en est une qui se justifie au regard des faits : Dunsmuir, par. 47. Le décideur doit prendre en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui a une incidence sur sa décision et celle‑ci doit être raisonnable au regard de ces éléments : voir Southam, par. 56. Le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte. Dans l’arrêt Baker, par exemple, le décideur s’était fondé sur des stéréotypes dénués de pertinence et n’avait pas pris en compte une preuve pertinente, ce qui a mené à la conclusion qu’il existait une crainte raisonnable de partialité : par. 48. En outre, la démarche adoptée par le décideur permettait également de conclure au caractère déraisonnable de sa décision, car il avait démontré que ses conclusions ne reposaient pas sur la preuve dont il disposait en réalité : ibid.

[Non souligné dans l’original.]

VI. Dispositions législatives pertinentes

[27] L’alinéa 36(1)b) de la LIPR est ainsi libellé :

Grande criminalité

Serious criminality

36 (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

36 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

[...]

[...]

[28] L’article 403 du Code criminel est ainsi libellé :

Fraude à l’identité

Identity fraud

403 (1) Commet une infraction quiconque, frauduleusement, se fait passer pour une autre personne, vivante ou morte:

403 (1) Everyone commits an offence who fraudulently personates another person, living or dead,

(a) soit avec l’intention d’obtenir un avantage pour lui‑même ou pour une autre personne;

(a) with intent to gain advantage for themselves or another person;

(b) soit avec l’intention d’obtenir un bien ou un intérêt sur un bien;

(b) with intent to obtain any property or an interest in any property;

(c) soit avec l’intention de causer un désavantage à la personne pour laquelle il se fait passer, ou à une autre personne;

(c) with intent to cause disadvantage to the person being personated or another person; or

(d) soit avec l’intention d’éviter une arrestation ou une poursuite, ou d’entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice.

(d) with intent to avoid arrest or prosecution or to obstruct, pervert or defeat the course of justice.

Clarification

Clarification

(2) Pour l’application du paragraphe (1), se fait passer pour une autre personne quiconque prétend être celle‑ci ou utilise comme s’il se rapportait à lui tout renseignement identificateur ayant trait à elle, que ce renseignement soit utilisé seul ou en conjonction avec d’autres renseignements identificateurs relatifs à toute personne.

(2) For the purposes of subsection (1), personating a person includes pretending to be the person or using the person’s identity information — whether by itself or in combination with identity information pertaining to any person — as if it pertains to the person using it.

Peine

Punishment

(3) Quiconque commet une infraction prévue au paragraphe (1) est coupable:

(3) Everyone who commits an offence under subsection (1)

a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans;

(a) is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term of not more than 10 years; or

b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

(b) is guilty of an offence punishable on summary conviction.

A. Dispositions législatives étrangères

[29] L’article 1546 du Titre 18 du Code des É.‑U. est ainsi libellé :

[traduction]

§1546. Fraude et mauvais usage de visas, de permis, et d’autres documents

a) Quiconque, sciemment, forge, contrefait, altère ou fait faussement un visa d’immigrant ou de non‑immigrant, un permis, une carte de passage de la frontière, un certificat d’inscription au registre des étrangers ou un autre document qui, aux termes d’une loi ou d’un règlement, est requis pour entrer aux États‑Unis ou constitue une preuve de séjour autorisé ou un permis de travail aux États‑Unis, ou quiconque met en circulation, utilise, essaie d’utiliser, possède, obtient, accepte ou reçoit un tel document, sachant qu’il est forgé, contrefait, altéré ou faussement fait, qu’il a été obtenu au moyen d’une fausse déclaration ou qu’il a autrement été obtenu par fraude ou de façon illégale; ou

Quiconque, à moins qu’il n’agisse sous l’autorité du procureur général, du Commissaire du Immigration and Naturalization Service ou de tout autre fonctionnaire compétent, sciemment, possède un permis en blanc, grave, vend, apporte aux États‑Unis ou a en sa possession ou sous son contrôle une planche qui ressemble à une planche destinée à l’impression de permis, ou fait une gravure, une photographie ou une impression qui ressemble à un visa d’immigrant ou de non‑immigrant, à un permis ou à un autre document requis pour entrer aux États‑Unis, ou a en sa possession le papier distinctif que le procureur général ou le Commissaire du Immigration and Naturalization Service utilise pour l’impression de tels visas, permis ou documents; ou

Quiconque, lorsqu’il demande un visa d’immigrant ou de non‑immigrant, un permis ou un autre document requis pour entrer aux États‑Unis ou pour être admis aux États‑Unis, se fait passer pour une autre personne, se présente faussement sous le nom d’une personne décédée, élude ou tente d’éluder les lois en matière d’immigration en se présentant sous un nom d’emprunt (ou fictif) sans révéler sa véritable identité, vend, autrement aliène, offre de vendre ou d’autrement aliéner ou met en circulation un tel visa, permis ou autre document à une personne qui n’est pas légalement fondée à le recevoir; ou

Quiconque, sciemment, fait sous serment ou, tel que le prévoit l’article 1746 du United States Code (Titre 28) relatif à la peine de parjure, souscrit à une déclaration qu’il sait être fausse portant sur un fait important dans une demande, un affidavit ou un autre document qu’exigent les lois en matière d’immigration et leurs règlements d’application, ou présente une demande, un affidavit ou un autre document qui contient une déclaration fausse‑

Est passible d’une amende en vertu du présent Titre ou d’une peine d’emprisonnement d’un maximum de 25 ans (si l’infraction a été commise dans le but de faciliter un acte de terrorisme international (tel que défini à l’article 2331 du présent Titre)), de 20 ans (si l’infraction a été commise dans le but de faciliter une infraction liée au trafic de stupéfiants (tel que définie à l’alinéa 929a) du présent Titre), de dix ans (dans le cas d’une première ou d’une seconde infraction de cette nature, si l’infraction n’a pas été commise pour faciliter un acte de terrorisme international ou une infraction liée au trafic de stupéfiants), ou de 15 ans (dans le cas de toute autre infraction), ou les deux.

b) Quiconque utilise‑

(1) une pièce d’identité, sachant (ou ayant des motifs de croire) que la pièce n’a pas été délivrée légalement à l’intention de la personne qui l’a en sa possession,

(2) une pièce d’identité sachant (ou ayant des motifs de croire) qu’elle est fausse; ou

(3) une fausse attestation,

dans le but de remplir une exigence prévue à l’alinéa 274Ab) de la Loi sur l’immigration et la nationalité, est passible d’une amende en vertu du présent Titre, d’une peine d’emprisonnement d’un maximum de 5 ans, ou les deux.

c) Le présent article n’interdit pas les activités d’enquête, de protection ou de renseignement de sécurité légalement autorisées par un organisme d’application de la loi des États‑Unis, par un État ou une subdivision d’un État, ou un organisme du renseignement des États‑Unis, ou toute activité autorisée en vertu du Titre V de la Loi de 1970 sur le crime organisé (18 U.S.C. note de précision 3481).1 Aux fins du présent article, l’expression « État » s’entend d’un État des États‑Unis, du district de Columbia, et de tout commonwealth, tout territoire ou toute possession des États‑Unis.

VII. Analyse

A. La décision de la Commission était‑elle raisonnable?

[30] Selon l’alinéa 36(1)b) de la LIPR, un étranger est interdit de territoire pour grande criminalité s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’il a été reconnu coupable d’une infraction à l’extérieur du Canada qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

[31] Le demandeur conteste que l’infraction américaine d’avoir sciemment fait une fausse déclaration importante sur sa demande de naturalisation (article 1546 du Code des États‑Unis) équivaut à la fraude à l’identité prévue au paragraphe 403(1) du Code criminel. Le demandeur soutient que les gestes qu’il a posés ne constitueraient aucunement une infraction criminelle au Canada. Subsidiairement, le demandeur prétend que les gestes qu’il a posés tombent sous le coup d’infractions aux termes de la LIPR.

[32] Le droit est bien établi quant à la façon d’aborder ces questions.

[33] La question déterminante que doit trancher la Cour est celle de savoir si la Commission a suivi le cadre énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hill. Dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale a défini trois façons d’établir l’équivalence des infractions :

Cette Cour, dans l’arrêt Brannson, n’a pas restreint l’appréciation de la soi‑disant [TRADUCTION] "équivalence" du paragraphe de notre Code, contestée dans cette espèce, aux éléments essentiels de quelque infraction expressément définie dans la loi qui lui était comparée. Une telle démarche n’est pas non plus nécessaire en l’espèce. Il me semble que, étant donné la présence des termes "qui constitue une infraction au Canada", l’équivalence peut être établie de trois manières: tout d’abord, en comparant le libellé précis des dispositions de chacune des lois par un examen documentaire et, s’il s’en trouve de disponible, par le témoignage d’un expert ou d’experts du droit étranger pour dégager, à partir de cette preuve, les éléments essentiels des infractions respectives; en second lieu, par l’examen de la preuve présentée devant l’arbitre, aussi bien orale que documentaire, afin d’établir si elle démontrait de façon suffisante que les éléments essentiels de l’infraction au Canada avaient été établis dans le cadre des procédures étrangères, que les mêmes termes soient ou non utilisés pour énoncer ces éléments dans les actes introductifs d’instance ou dans les dispositions légales; en troisième lieu, au moyen d’une combinaison de cette première et de cette seconde démarches.

[Non souligné dans l’original.]

[34] L’arrêt Hill faisait suite à la décision rendue précédemment par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Brannson c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1980), [1981] 2 CF 141 [Brannson]. L’arrêt Brannson soulignait l’importance de prendre en compte les éléments essentiels de chaque loi, celle de l’État étranger et celle du Canada :

[38] En l’espèce, les preuves portées à la connaissance de la Cour comprennent le jugement et l’ordonnance de mise à l’épreuve ainsi que la définition de l’infraction commise aux États‑Unis; nous connaissons la définition de l’infraction invoquée du côté canadien. À ce propos, je tiens à faire remarquer, que, lorsqu’il s’agit de déterminer si une infraction commise à l’étranger constitue une infraction prévue au Canada par un texte de loi canadien, il convient d’appliquer le principe suivant: Quels que soient les termes employés pour désigner ces infractions ou pour les définir, il faut relever les éléments essentiels de l’une et de l’autre et s’assurer qu’ils correspondent. Naturellement, il faut s’attendre à des différences dans le langage employé pour définir les infractions dans les différents pays. Même en tenant compte de ce fait, je suis forcé de conclure que l’envoi ou la transmission de «lettres ou circulaires» est un élément essentiel de l’infraction invoquée du côté canadien. Nul ne peut être déclaré coupable de cette infraction s’il n’y a transmission ou livraison ni de lettres ni de circulaires.

[Non souligné dans l’original.]

[35] En l’espèce, la Commission a convenu avec le ministre que l’alinéa 403(1)a) (fraude à l’identité) est l’infraction canadienne équivalente à l’égard de laquelle le demandeur a plaidé coupable et a été reconnu coupable aux É.‑U. La Commission a souligné que [traduction] « quelques dispositions canadiennes pourraient être équivalentes en l’espèce [...]. Cependant, la Cour fédérale dans la décision Brar signale qu’il n’existe aucune exigence légale suivant laquelle il faut trouver l’équivalent qui est le plus semblable et rendre une décision quant à cette disposition seulement ».

[36] Avec égards, je ne suis pas convaincu que la Commission a eu tort de conclure que l’infraction à laquelle le demandeur a plaidé coupable et a été reconnu coupable aux É.‑U. avait pour équivalent l’alinéa 403(1)a) du Code criminel.

[37] La Commission a eu raison d’énoncer et de suivre l’arrêt Hill en tant que principe juridique contraignant dans son appréciation, comme elle le devait. Elle a examiné les éléments constituants de l’infraction américaine aux termes de laquelle le demandeur a été accusé et le plaidoyer de culpabilité de celui‑ci. J’estime que la Commission a, raisonnablement, conclu que les deux [traduction] « éléments essentiels » de l’infraction canadienne étaient avérés :

[traduction]

[30] Vous vous êtes frauduleusement fait passer pour une autre personne, nommément W.Y.Y., qui était vivante avant votre entrée aux États‑Unis. Par conséquent, le premier élément essentiel de la disposition législative canadienne est avéré.

[...]

[35] Le second élément essentiel de la disposition législative canadienne est aussi avéré. Vous avez signé le formulaire N‑400 sous peine de parjure, en utilisant frauduleusement le nom au complet de W.Y.Y. afin d’obtenir l’avantage de la naturalisation aux États‑Unis.

[38] En dépit du fait que la Commission était tenue de démontrer en quoi l’infraction canadienne choisie était équivalente, elle n’avait pas à choisir l’infraction canadienne qui entraînerait les meilleures conséquences en matière d’immigration pour le demandeur (voir la décision Griffiths c Canada Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 653 au para 37 renvoyant à l’arrêt Brar). Elle n’était pas tenue non plus de voir s’il y avait d’autre(s) disposition(s) du droit criminel canadien équivalant au chef d’accusation auquel le demandeur a plaidé coupable et dont il a été reconnu coupable. Avec égards, la Commission a invoqué l’arrêt Brar comme il se devait à cet égard.

[39] La Commission a eu raison d’appliquer la deuxième méthode d’analyse de l’équivalence énoncée dans l’arrêt Hill, en comparant les gestes que le demandeur a reconnu avoir posés aux É.‑U. aux éléments essentiels de l’infraction équivalente canadienne, et elle a, raisonnablement, conclu que les deux infractions étaient équivalentes. Comme la Commission l’a souligné, le libellé des infractions américaines et canadiennes n’est pas le même. Pour cette raison, la Commission a examiné les éléments de preuve pour vérifier si les gestes posés pour lesquels le demandeur a été reconnu coupable aux É.‑U. étaient suffisants pour établir les éléments essentiels de l’infraction au Canada.

[40] De plus, j’estime, avec égards, que la Commission a raisonnablement conclu que les gestes posés par le demandeur aux États‑Unis procédaient d’[traduction] « une intention d’obtenir un avantage » équivalant à la fraude à l’identité. Ainsi, le demandeur a aussi reconnu avoir donné un faux témoignage à un agent des services d’immigration dans le but d’obtenir un avantage lié à l’immigration.

[41] Le demandeur a soutenu qu’il ne recherchait aucun avantage. Je ne suis pas convaincu que le demandeur n’avait aucun avantage à demander la naturalisation aux É.‑U. Avec égards, c’est là un argument très difficile à établir. Le demandeur y a certainement vu un avantage, sinon il n’aurait pas présenté de demande. Donc, cette affirmation n’est aucunement fondée.

[42] De plus, le demandeur soutient que la Commission a omis de prendre en compte toutes les circonstances entourant son plaidoyer de culpabilité et sa condamnation aux É.‑U., en affirmant, par exemple, qu’il n’y a pas lieu d’établir l’équivalence d’une infraction de voies de fait dont une personne a été reconnue coupable, mais qui a été commise dans un contexte de légitime défense. Plus particulièrement, il soutient que la Commission aurait dû prendre en compte les moyens de défense que le demandeur aurait pu invoquer au Canada.

[43] Ces observations appellent plusieurs objections.

[44] En premier lieu, dans la décision Grillo c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2021 CF 343 au para 3 [Grillo], le juge Grammond a statué qu’un demandeur ne peut pas invoquer des moyens de défense relevant du droit pénal après avoir plaidé coupable à une infraction criminelle à l’étranger : « [3] [...] Je souligne, à cet égard, que la SI n’avait pas à refaire le procès devant le tribunal américain ou à spéculer sur les chances de succès de certains moyens de défense, alors qu’en réalité M. Grillo a plaidé coupable. M. Grillo échoue donc à démontrer le caractère déraisonnable de la décision de la SI. » L’argument avancé par le demandeur à cet égard ne saurait être retenu.

[45] Le deuxième obstacle aux observations formulées par le demandeur à ce sujet est le fait que la Commission a bel et bien pris en compte, et dans une large mesure, le moyen de défense fondé sur la nécessité qu’a présenté devant elle l’avocat du demandeur. Voilà qui réfute complètement les observations formulées par le demandeur. Dans le même ordre d’idées, je conclus aussi que la Commission a, raisonnablement, analysé et invoqué les motifs de la Cour suprême dans l’arrêt R c Latimer, 2001 CSC 1, aux para 29 à 31, dans lesquels la Cour suprême a énoncé les trois éléments essentiels suivants d’un moyen de défense fondé sur la nécessité : l’existence d’un danger imminent et évident; l’absence de solution raisonnable et légale autre que celle de contrevenir à la loi; et la proportionnalité entre le mal infligé et le mal évité.

[46] En ce qui concerne le premier élément, j’estime que la Commission a eu raison de conclure qu’il n’est ni logique ni vraisemblable que le demandeur était exposé à un danger imminent et évident, parce qu’il résidait aux É.‑U. depuis sept ans sous une fausse identité, et que cela ne fut découvert que lorsqu’il a demandé la naturalisation. Au sujet du deuxième élément du moyen de défense fondé sur la nécessité, la Commission a conclu que le demandeur disposait d’une solution raisonnable et légale autre que celle de contrevenir à la loi – soit celle de demander l’asile aux É.‑U. sous sa propre identité. La conclusion tirée par la Commission à cet égard est raisonnable. Je conviens qu’il n’était pas nécessaire d’examiner le troisième élément.

VIII. Conclusion

[47] J’estime que la décision de la Commission est justifiée, transparente et intelligible pour les motifs exposés précédemment. La décision respecte les principes juridiques contraignants et le dossier en l’espèce. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

IX. Question certifiée

[48] Je crois comprendre que le demandeur a proposé les deux questions suivantes pour la certification :

1. Est‑ce qu’il revient à un agent d’immigration d’effectuer une analyse de l’équivalence juridique dans le cadre de laquelle il doit examiner et appliquer des moyens de défense relevant du droit pénal et prévus par la loi?

2. Peut‑on effectuer une analyse de l’équivalence juridique pour des actes criminels qui n’ont jamais fait l’objet de poursuites au Canada?

3. Est‑ce que le libellé de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR, qui contient l’expression [traduction] « serait poursuivie », exige qu’une personne soit poursuivie au Canada pour que la disposition soit considérée comme équivalente sur le plan juridique, ou peut‑on substituer l’expression [traduction] « pourrait être poursuivie » dans les cas où, tant qu’il existe une possibilité hypothétique de poursuite, une analyse de l’équivalence juridique pourrait être effectuée?

[49] En dépit du fait que ces questions reflètent des aspects des nombreuses observations formulées par le demandeur à ce sujet, je refuse de les certifier.

[50] La première question ne tient pas compte du fait que la Commission a bel et bien apprécié le moyen de défense avancé par l’avocat du demandeur, soit celui de la nécessité, et a jugé qu’il ne s’appliquait pas. Ce n’est pas une question qui se prête à la certification en l’espèce puisqu’elle est purement théorique.

[51] Les deux autres questions reposent sur la fausse prémisse selon laquelle les responsables de l’immigration doivent établir la fréquence des poursuites intentées au titre de l’infraction canadienne prévue au Code criminel. Avec égards, cela irait à l’encontre de l’approche prescrite par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hill et à l’encontre aussi du principe énoncé par la Cour dans la décision Brar, précitée, selon lesquelles aucune démarche de ce genre ne s’impose.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5031‑21

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, qu’aucune question de portée générale n’est certifiée et qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5031‑21

 

INTITULÉ :

ASMEROM KIFLE TESFAZGI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 SEPTEMBRE 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 28 SEPTEMBRE 2022

COMPARUTIONS :

Shimon Segal

POUR LE DEMANDEUR

Alexandre Menticoglou

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gindin Segal Law

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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