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Date : 20220928


Dossier : IMM-7819-21

Référence : 2022 CF 1359

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 28 septembre 2022

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

DERENEL SANTIAGO GARCIA

LUZ MARIA DIAZ RODRIGUEZ

LUZ MARIA DE LOS SANTOS SANTIAGO

ISABELLA DE LOS SANTOS SANTIAGO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire du rejet de leur demande d’asile. J’accueille leur demande parce que le décideur a tiré des conclusions défavorables relatives à la crédibilité qui n’étaient pas raisonnablement fondées sur la preuve.

[2] L’époux de Mme Santiago, M. de los Santos, travaillait comme conseiller politique du maire d’une municipalité au Mexique. En avril 2018, il s’est rendu compte que le maire escroquait la municipalité. Il a démissionné de son poste peu de temps après et a été l’objet de menaces de la part du maire. Il a été assassiné en juin 2018. Mme Santiago croit que le maire a commandité le meurtre de son époux. Après ces événements, elle a reçu des appels téléphoniques de menaces et a constaté que des gens surveillaient sa résidence. Plus particulièrement, neuf mois après l’assassinat, quelqu’un lui a téléphoné pour récupérer l’ordinateur de son époux. Avec ses enfants et sa belle-mère, Mme Santiago est venue au Canada pour y demander l’asile.

[3] Les demandes d’asile ont été rejetées par la Section de la protection des réfugiés [la SPR], puis par la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Nul ne conteste le fait que M. de los Santos a été assassiné. Les deux décideurs, cependant, ont jugé que Mme Santiago n’était pas crédible, principalement en raison d’incohérences dans son témoignage sur la nature du travail de son époux ainsi que du fait qu’elle avait modifié son formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA] concernant une question importante et qu’il était invraisemblable que l’agent du préjudice ait attendu neuf mois avant de tenter de récupérer l’ordinateur de M. de los Santos. Étant donné ces doutes relatifs à la crédibilité, la SPR et la SAR n’ont accordé aucun poids à la preuve suivant laquelle le maire était le commanditaire du meurtre de M. de los Santos, exposant ainsi Mme Santiago et sa famille à des risques.

[4] Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR. J’accueille leur demande parce que la décision de la SAR est déraisonnable pour trois raisons principales.

[5] Premièrement, il n’y a pas de contradiction ou d’incohérence relativement à la nature du travail de M. de los Santos. Bien qu’il convienne de faire preuve d’un degré élevé de retenue à l’égard des conclusions de la SAR, ces conclusions doivent être ancrées dans la preuve. Il est évident, à la lecture de la transcription de l’audience devant la SPR, que Mme Santiago n’avait qu’une compréhension limitée de la nature du travail de son époux et que la comptabilité et l’acquisition de camions à ordures faisaient partie des tâches que ce dernier exécutait en tant que conseiller politique. Il est clair également qu’elle n’a pas utilisé les termes [traduction] « tenue de livres » ou son équivalent en espagnol dans un sens technique. Elle avait plutôt vu son époux [traduction] « faire des comptes et des calculs et écrire sur des papiers » pendant qu’il travaillait sur son ordinateur installé sur la table de cuisine, dans ce qui ressemblait à une feuille de calcul Excel. Elle a expliqué dans son témoignage qu’elle ignorait la signification des chiffres.

[6] À la lumière de ces éléments de preuve, il était déraisonnable pour la SAR de conclure que le témoignage de Mme Santiago présentait des incohérences ou avait un caractère changeant. Son témoignage indique tout simplement que son époux effectuait diverses tâches pour le maire. De même, le fait que M. de los Santos occupait principalement un emploi lié à l’immobilier et au commerce de voitures et qu’il ne soit pas comptable de formation n’est pas incompatible avec ses responsabilités dans les dossiers financiers de la municipalité.

[7] Deuxièmement, compte tenu de ce qui précède, il était déraisonnable de conclure que la lettre rédigée par un collègue de M. de los Santos à la municipalité contredisait les propos de Mme Santiago. Cette lettre décrivait M. de los Santos comme un conseiller politique, mais sans mentionner l’achat de camions à ordures. Son auteur n’avait toutefois jamais prétendu énumérer les responsabilités de M. de los Santos à titre de conseiller politique ni fournir une description de ses tâches. Il est déraisonnable de s’attendre à ce que la lettre mentionne expressément les camions à ordures. Il est aussi déraisonnable de remettre la lettre en question parce que son auteur disait travailler [traduction] « dans le même secteur » que M. de los Santos, alors que Mme Santiago avait déclaré que son époux travaillait à la maison le soir. Les deux énoncés ne sont pas incompatibles : une personne peut travailler à son bureau pendant la journée puis à la maison le soir. De fait, plutôt que de contredire le témoignage de Mme Santiago, la lettre le corrobore.

[8] Troisièmement, la SAR s’est livrée à des conjectures quant à la conduite de l’agent de persécution, ce qui est contraire aux décisions de la Cour dans certaines affaires, comme Senadheerage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 968 au paragraphe 19, [2020] 4 RCF 617. En substance, la SAR a conclu que le maire n’aurait pas attendu neuf mois pour tenter de récupérer l’ordinateur de M. de los Santos auprès de Mme Santiago et pour menacer cette dernière à cette fin. Si l’ordinateur contenait des éléments de preuve incriminants pour le maire, on se serait attendu à ce qu’il tente de récupérer l’ordinateur le plus rapidement possible. Cependant, il nous est impossible de savoir exactement quand le maire s’est rendu compte que l’ordinateur renfermait des éléments de preuve incriminants pour lui ou qu’il a su que l’appareil se trouvait entre les mains de Mme Santiago. (En fait, cette dernière a précisé dans son témoignage que l’ordinateur ne lui a jamais été rendu.) Il n’existait tout simplement rien dans la preuve justifiant de telles conjectures.

[9] Ces erreurs suffisent à rendre la décision déraisonnable dans son ensemble. Il n’est donc pas nécessaire que j’examine les autres arguments avancés par Mme Santiago à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire.

[10] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée à un autre commissaire de la SAR.


JUGEMENT dans le dossier IMM-7819-21

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2. La décision rendue dans la présente affaire le 6 octobre 2021 par la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la Section d’appel des réfugiés pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

3. Aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-7819-21

 

INTITULÉ :

DERENEL SANTIAGO GARCIA, LUZ MARIA DIAZ RODRIGUEZ, LUZ MARIA DE LOS SANTOS SANTIAGO, ISABELLA DE LOS SANTOS SANTIAGO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VISIOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 SEPTEMBRE 2022

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE GRAMMOND

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 28 SEPTEMBRE 2022

COMPARUTIONS :

Michael Crane

Pour les demandeurs

 

Rachel Beaupré

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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