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Date : 20220928


Dossier : IMM-7035-21

Référence : 2022 CF 1360

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 septembre 2022

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

LIGUANG YU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. La nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision, datée du 17 septembre 2021, par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR], qui avait conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

II. Les faits

[2] Le demandeur est un citoyen de la Chine. Il craint d’être persécuté par le Bureau de la sécurité publique [le BSP], en raison de ses opinions politiques, après avoir été ciblé parce qu’il avait contesté ce qu’il estimait être une expropriation injuste de ses terres agricoles dans son village. Voici sa description des faits.

[3] En 2013, le demandeur a démarré son entreprise de culture d’arbres fruitiers aux termes d’un bail de 15 ans. Toutefois, en 2017, tout comme ce fut le cas pour 19 autres exploitants agricoles, le gouvernement local lui a notifié le fait que les terres qu’il occupait seraient expropriées pour permettre la construction de structures de grande hauteur. Le demandeur a donc reçu communication d’un arrêté portant résiliation de sa convention de bail. Le gouvernement a offert une indemnité aux ménages touchés, mais le demandeur et son épouse ont jugé le montant inacceptable.

[4] Le demandeur et d’autres agriculteurs se sont réunis et ont choisi des représentants pour discuter avec les autorités afin de trouver une solution. En septembre 2018, ces représentants se sont rendus aux bureaux du gouvernement local et y ont rencontré un fonctionnaire de haut rang. En fin de compte, ils ont appris que le projet était inévitable et que l’expropriation serait conclue avant la date d’échéance. Ils sont revenus à la charge plusieurs fois par la suite, mais en vain.

[5] Le groupe s’est ensuite présenté à l’assemblée populaire locale, où on leur a fait savoir qu’ils obtiendraient une réponse rapidement, mais ils ont été dirigés à nouveau vers le gouvernement local. De plus en plus frustrés, les membres du groupe ont décidé d’organiser une manifestation publique.

[6] À l’automne 2017, ils ont donc rassemblé environ 20 habitants du village, dont le demandeur, et sont allés manifester devant les bureaux du gouvernement local. Les manifestants se sont postés à l’entrée de l’immeuble, dehors, en brandissant des bannières et en scandant des slogans sur la corruption. Le demandeur se tenait aux côtés des trois principaux représentants, au premier rang du groupe de manifestants, et criait des slogans. D’autres se sont joints, portant le nombre de manifestants à environ 100 personnes.

[7] Le gouvernement local a fait entrer les manifestants, dont le demandeur, dans l’immeuble pour négocier. Toutefois, peu après, des agents du BSP ont fait irruption dans la pièce et ont détenu les manifestants pour les interroger. Ils ont sommé le demandeur [traduction] « de cesser d’organiser des manifestations contre le gouvernement et d’y participer ». Le demandeur aurait ensuite été menacé de [traduction] « graves conséquences » s’il continuait de manifester.

[8] Après une nuit passée en détention, les manifestants ont été remis en liberté. Lorsqu’il a rencontré les représentants par la suite, le demandeur a annoncé qu’il ne baisserait pas les bras. Les représentants étaient d’accord et ont décidé de s’adresser au gouvernement provincial pour obtenir de l’aide. L’autobus dans lequel ils s’y rendaient a été intercepté sur l’autoroute par des agents du BSP, et les membres du groupe ont reçu l’ordre de descendre. Ils ont ensuite été emmenés au poste du BSP à Yinxi, où ils ont été détenus pendant quatre nuits.

[9] Interrogé sur l’objet de leur voyage, le demandeur a admis qu’ils allaient se plaindre de la corruption du gouvernement provincial. Il s’est ensuite fait battre par des agents, qui ont menacé de l’emprisonner. Les membres du groupe ont été libérés deux jours plus tard, après avoir dû signer des documents dans lesquels ils s’engageaient à ne plus manifester.

[10] Le demandeur a été contraint ensuite de se présenter aux autorités de la ville et a été battu pour avoir omis de les informer de ses allées et venues pour chaque jour du mois précédent. Il a été mis en garde encore une fois de ne pas prononcer de discours contre le gouvernement. Il s’est enfui de la Chine à la fin de 2017. Son épouse a reçu un appel téléphonique peu de temps après, lors duquel elle a appris que le BSP cherchait le demandeur. Les agents ont exigé que ce dernier se présente au poste de police sur-le-champ, faute de quoi il serait sévèrement puni. Ils ont laissé une assignation à l’épouse du demandeur. Des agents du BSP se sont apparemment présentés chez le demandeur trois autres fois, proférant des menaces contre son épouse si elle ne révélait pas l’endroit où il se trouvait.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[11] Après avoir procédé à une appréciation indépendante de la preuve fournie par le demandeur, la SAR a conclu que ce dernier n’était pas recherché par les autorités chinoises pour avoir manifesté contre l’expropriation des terres agricoles qu’il occupait. Elle a jugé également que le demandeur n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait participé à des manifestations contre le gouvernement, qu’il avait été arrêté à deux reprises et contraint de se présenter chaque mois aux autorités, ni qu’il était encore recherché.

A. Les documents relatifs à l’expropriation et à l’indemnisation

[12] Selon la SAR, les documents présentés par le demandeur pouvaient seulement corroborer « l’information concernant l’expropriation de certaines terres louées dans le village, mais pas précisément des terres louées par [le demandeur] ». La SAR a pris acte du fait que le document indiquait que le gouvernement local avait l’intention d’exproprier des terres louées dans la région, mais elle a souligné que le demandeur n’avait pas fourni de documents supplémentaires, comme la convention de bail, pour démontrer l’emplacement exact des terres. De ce fait, elle a accordé peu de poids à cet élément de preuve.

B. Les cartes de visiteur de prisonnier

[13] La SAR a conclu qu’il n’était pas clair à qui étaient liées les cartes de visiteur de prisonnier. L’affirmation du demandeur suivant laquelle il s’agissait des cartes concernant les trois représentants du groupe contredisait son témoignage de vive voix, dans lequel il avait déclaré qu’elles se rattachaient à d’autres personnes ayant participé à la manifestation. La SAR a relevé par ailleurs que l’exposé circonstancié du demandeur, dans lequel ce dernier déclarait que les trois représentants se trouvaient en détention continue après leur arrestation en décembre 2017 et ne pouvaient recevoir de visiteurs, ne concordait pas avec la délivrance de ces cartes de visiteur. Par conséquent, la SAR a conclu que la preuve du demandeur au sujet de ces documents était changeante et intrinsèquement incohérente, ce qui menait à une conclusion défavorable quant à la crédibilité. En outre, la SAR était d’accord avec la SPR pour dire que ces documents ne pouvaient se voir attribuer que peu de poids lorsqu’il s’agissait d’établir le bien-fondé des allégations selon lesquelles le demandeur avait manifesté contre le gouvernement et était recherché par le BSP.

C. L’absence de corroboration de la part de l’épouse du demandeur

[14] La SPR avait constaté que le demandeur n’avait pas donné d’explication crédible dans son témoignage concernant l’absence d’affidavit ou de lettre à l’appui de la part de son épouse, alors qu’elle était bien au courant des faits. Le demandeur a déclaré que son épouse avait bel et bien écrit une lettre en 2019, mais qu’il ne l’avait pas reçue parce que les douanes l’avaient prise. La SAR a conclu que le demandeur avait rendu un témoignage changeant sur la question de savoir si son épouse avait écrit une lettre ou pas. Dans son témoignage, comme l’a souligné la SAR, le demandeur avait d’abord déclaré qu’il n’avait pas demandé à son épouse d’écrire une lettre. Lorsqu’il a été interrogé par son conseil, il a ensuite affirmé que son épouse avait écrit une lettre en 2019, mais qu’il ne l’avait pas reçue. Selon le demandeur, toute tentative de récupérer la lettre aurait été [traduction] « dangereuse ». Le demandeur n’a pu expliquer clairement non plus comment il savait que la lettre avait été interceptée par les douanes.

D. La question relative au passeport

[15] La SAR a souligné que le demandeur avait quitté la Chine en utilisant son propre passeport et qu’il avait reçu l’aide d’un passeur pour obtenir un visa canadien par des moyens frauduleux. Son passeport contenait un timbre de sortie de la Chine. Le demandeur a aussi expliqué dans son témoignage qu’il avait reçu une assignation et que les agents du BSP étaient toujours à sa recherche après son départ. Étant donné que le demandeur avait utilisé son propre passeport, il n’était pas clair pour la SAR comment il était possible que le BSP n’ait pas su qu’il avait quitté le pays, puisqu’il existait une base de données intégrée – le Bouclier d’or – à laquelle tous les corps policiers du pays avaient accès. La SAR a conclu que les autorités chinoises auraient été informées de son départ de la Chine. D’après elle, cet élément allait à l’encontre de l’exposé circonstancié du demandeur, suivant lequel les autorités chinoises étaient toujours à sa recherche et avaient délivré une assignation après son départ de Chine.

IV. Les questions en litige

[16] À mon avis, la question déterminante en l’espèce se fonde sur l’équité procédurale.

V. La norme de contrôle

A. L’équité procédurale

[17] Les questions d’équité procédurale sont examinées selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, le juge Binnie, au para 43. Cela dit, je souligne qu’au paragraphe 69 de l’arrêt Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, la Cour d’appel fédérale, sous la plume du juge Stratas, affirme qu’il peut être de mise d’appliquer la norme de la décision correcte « "en se montrant respectueux [des] choix [du décideur]" et en faisant preuve d’un "degré de retenue" : Ré:Sonne c Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, 455 NR 87, au paragraphe 42. » Voir cependant l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [le juge Rennie]. À cet égard, je souligne aussi un arrêt récent, dans lequel la Cour d’appel fédérale conclut que le contrôle judiciaire d’une question d’équité procédurale s’effectue selon la norme de la décision correcte : voir Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196, le juge de Montigny [avec l’accord des juges Near et LeBlanc] :

[35] Ni l’arrêt Vavilov ni, à ce sujet, l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, n’ont abordé la question de la norme applicable pour déterminer si le décideur a respecté l’obligation d’équité procédurale. Dans ces circonstances, je préfère m’en remettre à l’abondante jurisprudence, de la Cour suprême et de notre Cour, selon laquelle la norme de contrôle concernant l’équité procédurale demeure celle de la décision correcte [...]

[18] Je comprends également, selon les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 23, que la norme applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte :

[23] Lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond (c.-à-d. le contrôle judiciaire d’une mesure administrative qui ne comporte pas d’examen d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale), la norme de contrôle qu’elle applique doit refléter l’intention du législateur sur le rôle de la cour de révision, sauf dans les cas où la primauté du droit empêche de donner effet à cette intention. L’analyse a donc comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable.

[Non souligné dans l’original.]

[19] Au paragraphe 50 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada explique ce qui est exigé d’un tribunal qui procède à un examen selon la norme de la décision correcte :

[50] [...] La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

VI. Analyse

[20] À mon humble avis, la SAR est parvenue à sa décision en ne respectant pas l’équité procédurale. À cet égard, sa conclusion principale est ainsi libellée :

[20] [...]Bien qu’il ait soutenu que les autorités ne savent pas qu’il a quitté la Chine, j’observe qu’il a quitté le pays au moyen de son propre passeport. Selon le formulaire Annexe 12, l’aide fournie par le passeur consistait à obtenir un visa canadien par des moyens frauduleux. Son témoignage à l’audience sur ce que le passeur a fait d’autre pour lui était vague. Au bout du compte, il a déclaré qu’il a bel et bien montré son passeport aux autorités à plus d’une occasion. Je remarque que le passeport contient un timbre de sortie de la Chine. Étant donné que l’appelant a utilisé son propre passeport, il n’est pas clair comment il se pourrait que le PSB en Chine ne sache pas qu’il ait quitté le pays, puisqu’il existe une base de données intégrée accessible à toutes les autorités policières du pays. J’estime, selon la prépondérance des probabilités, que les autorités auraient été au courant de son départ de la Chine. Je conclus que l’appelant n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que les autorités étaient à sa recherche et ont délivré un document le citant à comparaître après son départ de la Chine.

[Non souligné dans l’original.]

[21] Je suis convaincu qu’il y a deux erreurs dans cet aspect de la décision. Tout d’abord, le postulat de base est faux. Le demandeur fait valoir que la déclaration de la SAR suivant laquelle il a [traduction] « soutenu que les autorités ne savent pas qu’il a quitté le pays au moyen de son propre passeport » est erronée. Je suis d’accord avec lui. En toute déférence, je souligne qu’on ne m’a présenté aucun élément de preuve selon lequel le demandeur avait soulevé cette question devant la SAR.

[22] Deuxièmement, et c’est fondamental, la SAR a manqué à l’équité procédurale en ne donnant pas la possibilité au demandeur de répondre à cette conclusion nouvelle et importante au sujet de sa crédibilité.

[23] En toute déférence, je suis d’avis que la décision de principe sur ce point est Corvil c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 300 [Corvil] [le juge Leblanc, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale], qui a été citée et appliquée dans la jurisprudence subséquente de la Cour à de nombreuses reprises, voire la plupart du temps, lorsque ce genre d’argument fondé sur l’équité procédurale était invoqué.

[24] La décision Corvil établit le principe que, dans le cas où la crédibilité du demandeur d’asile est au cœur de la décision de la SPR et des motifs d’appel devant la SAR, cette dernière est habilitée à tirer des conclusions indépendantes à cet égard, et ce, sans avoir à interroger le demandeur à ce sujet ou encore à lui donner autrement la possibilité de présenter des observations. Je souscris à la décision Corvil et je vais en appliquer les principes, particulièrement ce qui figure dans l’extrait suivant :

[13] Il va de soi que lorsqu’elle examine une question qui n’a été soulevée ni devant la SPR ni par l’une des parties en appel, la SAR doit au préalable en aviser les parties et leur donner l’occasion d’y répondre (Ching c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 725 au para 71 [Ching]). Toutefois, il est maintenant bien établi que lorsque la crédibilité du demandeur d’asile est au cœur de la décision de la SPR et des motifs d’appel devant la SAR, cette dernière est habilitée à tirer des conclusions indépendantes à cet égard, et ce, sans avoir à interroger le demandeur à ce sujet ou encore à lui donner autrement la possibilité de présenter des observations. Ce faisant, la SAR doit se garder cependant d’ignorer les éléments de preuve contradictoires figurant au dossier ou encore de tirer de telles conclusions à partir d’éléments de preuve que le demandeur ignorait (Ibrahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 380 aux para 26, 30 [Ibrahim]; Koffi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 4 au para 38; Kwakwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 600 au para 24; Marin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 243 aux para 35-37 [Rodriguez Marin]; Oluwaseyi Adeoye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 246 au para 13 [Adeoye]).

[Non souligné dans l’original.]

[25] En l’espèce, la question consiste à savoir si la crédibilité du demandeur résidait au cœur de la décision de la SPR et des motifs d’appel devant la SAR. À mon humble avis, cette condition préalable n’est pas remplie. Même s’il est vrai, à mon avis, que la SPR a précisé dans ses motifs que la crédibilité du demandeur était déterminante, cette question n’est pas réglée pour autant, et pour plusieurs raisons.

[26] La première étant que la question du passeport n’a pas été soulevée devant la SPR. De fait, celle-ci ne mentionne aucunement cette question, pas plus que ses conséquences.

[27] Deuxièmement, le présent contrôle judiciaire porte sur la SAR et sa décision, c’est-à-dire sur les éléments qui ont été présentés à la SAR et l’incidence de sa décision sur l’affaire.

[28] Fait à noter, la question du passeport n’a pas été mentionnée dans les observations écrites déposées à la SAR. On ne m’a présenté aucun élément me portant à croire que la SAR avait soulevé cette question à l’audience à laquelle avaient participé les parties et les conseils. Si la question est apparue à ce moment-là, elle aurait dû être signalée aux parties. Si c’est après l’audience, elle aurait pu et dû être analysée moyennant une forme quelconque d’avis relatif à l’équité procédurale.

[29] Dans la présente affaire, il faut déterminer au bout du compte de quel côté se situe la décision de la SAR. Je ne suis pas convaincu que la crédibilité résidait au cœur de la décision de la SPR.

[30] Encore plus important, je ne suis certainement pas persuadé que cette question était au cœur des motifs d’appel devant la SAR, qui étaient les suivants : a) est-ce que la Commission a commis une erreur dans son appréciation de la preuve documentaire de M. Yu et b) s’est-elle trompée dans son appréciation visant à déterminer si M. Yu risquait la persécution en raison de ses activités politiques?

[31] À mon avis, la question du passeport et ses conséquences constituaient une nouvelle question qui n’avait pas été soulevée devant la SPR ni devant la SAR. Il semble clair à mes yeux que la SAR, en outre, a tiré une conclusion quant à la crédibilité après avoir exposé la question comme elle l’a fait et qu’elle a donc aussi tiré des conséquences corrélatives, en fonction d’autres éléments de preuve qui lui avaient été présentés.

[32] On me demande au fond de ne pas tenir compte de l’incidence qu’a eue, sur l’issue de la demande, le fait que ce nouvel argument a été soulevé, analysé et apprécié, en faisant valoir que cet argument n’aurait rien changé, en fait, puisque de nombreuses autres conclusions non contestées sur la crédibilité suffisaient plus qu’amplement pour juger que le demandeur n’était pas crédible.

[33] En réponse, le demandeur avance avec raison que cette démarche m’amènerait à apprécier à nouveau des éléments de preuve importants, et je suis d’accord avec lui. À mon sens, il s’agissait d’une conclusion pertinente et importante. Une telle nouvelle appréciation porterait nécessairement sur la présence ou l’absence de l’assignation alléguée, les efforts déployés, le cas échéant, par le BSP pour retrouver le demandeur après son départ, la question de savoir si le demandeur a recouru à un passeur, et dans quelle mesure, en plus sans doute d’autres questions factuelles. Cette nouvelle appréciation incombe à la SAR, et non pas à la Cour.

[34] Je conclus en soulignant à cet égard que la décision Corvil est une arme à double tranchant. Même si elle habilite la SAR à tirer des conclusions indépendantes sur les faits sans préavis, elle enjoint aussi à la SAR, quand elle examine une question qui n’a été soulevée ni devant la SPR ni par les parties en appel, d’aviser les parties et de leur donner l’occasion d’offrir une réponse. En l’espèce, cela ne s’est pas produit.

[35] Étant donné que cette question d’ordre procédural permet de statuer sur l’appel, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres points qui ont été soulevés.

VII. Conclusion

[36] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

VIII. La question à certifier

[37] Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-7035-21

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision, qu’aucune question de portée générale n’est certifiée et qu’il n’y a aucune adjudication des dépens.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Corbeil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7035-21

 

INTITULÉ :

LIGUANG YU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 SEPTEMBRE 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :

LE 28 SEPTEMBRE 2022

COMPARUTIONS :

Gavin MacLean

POUR LE DEMANDEUR

Pavel Filatov

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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