Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220928


Dossier : T-577-22

Référence : 2022 CF 1354

Ottawa (Ontario), le 28 septembre 2022

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

ANDRÉ CLOUTIER

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, M. André Cloutier, est un programmeur-analyste qui a bénéficié de la Prestation canadienne de la relance économique [PCRE] du 27 septembre 2020 au 19 juin 2021. Le 15 mars 2022, M. Cloutier a présenté une demande de contrôle judiciaire d’une décision de l’Agence du revenu du Canada [ARC], rendue le 14 février 2022, par laquelle une agente de second examen de l’ARC a conclu qu’il n’était pas admissible à la PCRE pour toutes les périodes visées par sa demande, puisqu’il n’avait pas cessé de travailler, ni subi de baisse de 50 % de son salaire hebdomadaire moyen par rapport à l’année précédente pour des raisons liées à la COVID‑19.

[2] À l’audience, M. Cloutier a soutenu que les informations fournies par l’ARC l’ont porté à croire qu’il était admissible à la PCRE. Il a donc perçu les versements pensant y avoir droit, et c’est seulement trente-huit semaines suivant le début de ses prestations que l’ARC en a suspendu le paiement. Il prétend que les critères d’admissibilité sur lesquels la décision de l’ARC s’appuie n’étaient pas affichés sur le site internet du gouvernement permettant de remplir ses demandes de PCRE, qu’il a répondu au questionnaire de demande de bonne foi et au meilleur de ses connaissances et qu’il aurait fait de même lors d’une conversation téléphonique avec l’ARC le 23 mars 2021, à la suite de laquelle l’agente aurait confirmé son admissibilité.

[3] Je suis sympathique à la cause de M. Cloutier, qui se trouve maintenant dans l’obligation de rembourser les montants importants qui lui ont été versés par l’ARC. Cependant, mon rôle dans le contexte du présent contrôle judiciaire est de déterminer si le raisonnement suivi par l’ARC et le résultat obtenu sont raisonnables, c’est-à-dire si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17, 85 [Vavilov]).

[4] Or, il est clair que lorsque son dossier a été sélectionné pour un premier examen, en août 2021, M. Cloutier ne satisfaisait pas aux critères de l’alinéa 3(1)f) de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12 [Loi], parce qu’il n’avait pas cessé de travailler, ou n’avait pas subi une baisse de 50 % de son salaire hebdomadaire moyen par rapport à l’année précédente pour des raisons liées à la COVID‑19. En effet, M. Cloutier avait produit des factures à l’appui de sa demande, lesquelles faisaient état d’un revenu d’entreprise de 6 452 $ obtenu à la suite d’un contrat effectué entre mai et août 2019. Comme le soulignent les notes consignées au rapport de l’agente de l’ARC qui a rendu la décision du 14 février 2022, M. Cloutier était en recherche d’emploi depuis cette date et n’avait pas d’emploi en mars 2020 quand la pandémie s’est déclenchée. L’agente a également noté que, selon les documents soumis par M. Cloutier au soutien de sa demande et sa déclaration de revenus, il n’avait pas travaillé durant l’année 2020. Puisque son dernier revenu datait d’août 2019, M. Cloutier ne pouvait pas avoir cessé de travailler en raison de la COVID‑19.

[5] M. Cloutier soutient que les positions contradictoires de l’ARC et son manque d’organisation sont la cause de sa situation. Il prétend que l’ARC aurait dû se rendre compte plus tôt qu’il n’était pas admissible aux versements de la PCRE, et que s’il avait su qu’il ne satisfaisait pas aux critères, il se serait abstenu d’en faire demande.

[6] Il est vrai que l’ARC a mis presqu’un an avant de procéder à la vérification de l’admissibilité de M. Cloutier. Cependant, il est important de rappeler que la situation causée par la pandémie a été difficile pour toute la société, tant les citoyens que l’administration publique. Le gouvernement a dû créer un programme en toute hâte afin d’offrir un soutien économique aux travailleurs canadiens partout au pays, et l’ARC a eu la lourde tâche d’administrer ce programme. Il est certes dommage que cet état de fait ait occasionné des délais dans le traitement du dossier de M. Cloutier et, dans un monde idéal, l’ARC l’aurait averti de son inadmissibilité dès sa première demande. Cependant, cette situation regrettable ne lui crée aucun droit qui ne soit pas déjà prévu à la Loi.

[7] Finalement, je souligne que, dans une conversation du 21 janvier 2021, M. Cloutier a informé l’agente de l’ARC de son refus de procéder à une révision de son dossier par téléphone et de son intention de procéder par écrit pour la suite des choses. Il lui a également indiqué avoir déjà répondu à toutes les questions lors d’appels avec d’autres employés de l’ARC en mars et septembre 2021. Le 24 janvier 2022, l’agente a tenté de joindre à nouveau M. Cloutier par téléphone, puisqu’elle avait été informée qu’elle ne pouvait pas procéder par écrit. L’agente n’a pas pu parler à M. Cloutier, car la ligne a été coupée à la suite de la sonnerie. À la lecture des notes de l’agente, je constate que celle-ci a indiqué que, en date du 10 février 2022, elle n’avait reçu aucun retour d’appel de la part de M. Cloutier, suite à quoi l’agente a fermé le dossier et rendu sa décision. Cependant, selon ces mêmes notes, il ne semble pas que l’agente ait laissé de message de rappel. Or, en toute logique, sans message de rappel, je vois mal comment l’agente pouvait s’attendre à ce que M. Cloutier la rappelle afin de faire valoir ses observations en soutien à sa demande de révision.

[8] Cependant, ce qui m’apparaît être possiblement un manquement de la part de l’ARC à l’équité procédurale n’est pas déterminant en l’espèce. En effet, M. Cloutier a confirmé devant moi qu’au moment des faits, il n’avait pas d’information à ajouter, puisqu’il n’avait aucune autre preuve de revenus pour la période visée. Par conséquent, même si elle avait reçu un retour d’appel de la part de M. Cloutier, je vois mal comment l’agente aurait pu décider autrement, puisque les mêmes questions auraient reçu les mêmes réponses.

[9] Le raisonnement de l’agente est, à mon avis, cohérent et fondé sur la preuve au dossier. Il incombait à M. Cloutier de démontrer le caractère déraisonnable de la décision de l’ARC en convainquant la Cour que cette décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence (Vavilov au para 100). Compte tenu de la preuve au dossier et des motifs ci-dessus, je considère que M. Cloutier ne s’est pas acquitté de son fardeau.

[10] Par conséquent, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire.

 


JUGEMENT au dossier T-577-22

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, le tout sans frais.

« Peter G. Pamel »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-577-22

 

INTITULÉ :

ANDRÉ CLOUTIER c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 septembre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 septembre 2022

 

COMPARUTIONS :

André Cloutier

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Bénédicte Philippe, stagiaire en droit

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.