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Date : 20220923


Dossier : IMM‑3878‑21

Référence : 2022 CF 1325

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 septembre 2022

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

QEMAIL ALIAJ

LIRIE ALIAJ

GRETA ALIAJ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs forment une famille de trois personnes : Qemail Aliaj (M. Aliaj), sa femme et leur fille d’âge adulte. Ils ont présenté une demande d’asile fondée sur la crainte de ne pas être protégés par la police de l’Albanie en cas d’attaque par une certaine personne ou ses associés qui sont impliqués dans le trafic de drogue et d’autres activités criminelles en Albanie. La Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté leur demande pour plusieurs motifs : i) les allégations des demandeurs n’étaient pas crédibles; ii) les demandeurs n’avaient pas démontré qu’ils ne seraient pas en mesure d’obtenir la protection de l’État; et subsidiairement, iii) même si leurs allégations étaient crédibles, les demandeurs disposaient de possibilités de refuge intérieur (PRI) valables dans des villes où ils pourraient habiter sans avoir à craindre pour leur sécurité.

[2] Les demandeurs ne m’ont pas convaincue qu’il y a lieu d’invalider la conclusion de la SPR à l’égard des PRI. Ils n’ont pas démontré que l’analyse de la SPR à ce sujet comportait des lacunes graves. Par conséquent, pour les motifs qui suivent, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

II. Contexte

[3] M. Aliaj était propriétaire d’un commerce en Albanie. Il allègue que lui et son fils, qui n’est pas un demandeur en l’espèce, sont devenus la cible d’un trafiquant de drogue, membre de la mafia albanaise, lorsqu’il a refusé de lui permettre de vendre de la drogue dans son commerce ou de lui vendre son commerce. En juillet 2012, dans le commerce, cette personne a tiré sur M. Aliaj, qui a été grièvement blessé et a passé cinq jours à l’hôpital dans un état critique.

[4] La personne qui a ouvert le feu sur M. Aliaj a en fin de compte été arrêtée et condamnée à environ six ans d’emprisonnement. M. Aliaj et sa famille soutiennent que, même après l’arrestation de cette personne, ils craignaient des représailles des autres personnes qui avaient été présentes lors de l’incident. Les demandeurs ont quitté leur ville natale. Ils allèguent avoir vécu en cachette dans la capitale, à Tirana, pendant les six années qui ont suivi.

[5] En février 2018, M. Aliaj a appris que la personne qui avait tiré sur lui était sortie de prison et le cherchait dans sa ville natale. Le fils de M. et de Mme Aliaj a été poursuivi et a reçu des menaces par téléphone, ce qui a incité les demandeurs à déménager ailleurs à Tirana. Le fils a porté plainte à la police. On lui a dit qu’il était impossible de le protéger de tous les membres de la mafia. Le fils de M. Aliaj a ensuite fui aux États‑Unis avant d’arriver au Canada, où il a présenté une demande d’asile. La demande a été refusée en avril 2019.

[6] Les demandeurs sont restés à Tirana jusqu’en mars 2019, lorsqu’ils ont été en mesure de quitter le pays. Ils sont d’abord allés aux États‑Unis, puis sont venus au Canada. Leur demande d’asile a été instruite le 19 avril 2021 et rejetée dans une décision écrite datée du 7 mai 2021.

III. Question en litige et norme de contrôle

[7] Comme je l’ai souligné ci‑dessus, la question déterminante en l’espèce concerne l’évaluation des PRI effectuée par la SPR. Je n’ai pas jugé nécessaire d’aborder les autres arguments des demandeurs.

[8] Les deux parties conviennent que la norme applicable est celle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, la Cour suprême du Canada a confirmé que la norme de contrôle présumée s’appliquer au contrôle des décisions administratives sur le fond est celle de la décision raisonnable. La présente affaire ne soulève aucune question qui justifierait de s’écarter de cette présomption.

IV. Analyse

[9] Dans leurs documents écrits déposés avant l’audience et dans leurs arguments présentés à l’audience, les demandeurs ont soutenu qu’ils n’avaient pas à aborder la conclusion de la SPR à l’égard des PRI, car celle‑ci avait précisé que les questions déterminantes concernaient la protection de l’État et la crédibilité.

[10] Pendant l’audience, j’ai expliqué que les motifs de la SPR indiquent que, subsidiairement à ses conclusions relatives à la crédibilité et à la protection de l’État, la SPR rejetait également la demande en raison de l’existence d’une PRI. Au début de son évaluation relative aux PRI, la SPR a déclaré que [traduction] « [s]ubsidiairement, même si [elle devait] croire que le demandeur principal était menacé par […], [elle estimait] qu’il [existait] une possibilité de refuge intérieur à Sarande ou à Vlore. » La conclusion de la SPR à l’égard des PRI est indépendante de sa conclusion à l’égard de la crédibilité.

[11] J’ai autorisé les parties à fournir des observations écrites après l’audience relative au contrôle judiciaire. Les observations devaient porter sur le caractère raisonnable de la conclusion à l’égard des PRI.

[12] Dans leurs observations soumises après l’audience, les demandeurs ont réitéré leur argument à savoir que les PRI ne pouvaient pas être invoquées pour trancher la demande de contrôle judiciaire, car la SPR n’avait pas indiqué qu’il s’agissait d’une question déterminante. Seules la crédibilité et la protection de l’État avaient été nommées comme telles : [traduction] : « Le tribunal a expressément désigné la crédibilité et la protection de l’État comme étant les questions déterminantes. Si la question de la PRI était également déterminante, le tribunal l’aurait mentionné. Comme ce n’est pas le cas, le caractère raisonnable de l’analyse relative à la PRI n’est pas pertinent pour trancher la présente demande de contrôle judiciaire. »

[13] Je ne suis pas d’accord. Même si je retenais les arguments des demandeurs en ce qui concerne la crédibilité et la protection de l’État, je serais tout de même tenue d’évaluer la conclusion subsidiaire de la SPR. Il s’agit d’un autre motif invoqué par cette dernière pour rejeter la demande des demandeurs.

[14] Les demandeurs ont également soutenu que les motifs de la SPR étaient incohérents, car [traduction] « l’existence de PRI ne peut pas être à la fois une question non déterminante et un motif indépendant qui justifie la décision ». Je ne suis pas d’accord. Tout d’abord, la SPR n’a pas déclaré que la PRI était une question non déterminante de la demande. Elle a conclu que la crédibilité et la protection de l’État constituaient des questions déterminantes et, à la lumière de son évaluation de l’existence de PRI, a fourni un motif subsidiaire, c’est‑à‑dire un autre motif, pour rejeter la demande. Il n’y a là rien d’incohérent. C’est ainsi le rôle d’un argument subsidiaire. Si la SPR n’avait pas indiqué qu’il s’agissait d’un autre motif de la décision, peut‑être que le raisonnement des demandeurs aurait été valable. Mais en l’espèce, la SPR a fait preuve de transparence dans son processus de raisonnement, et rien ne permet de conclure à l’existence d’une incohérence de sa part.

[15] Dans leurs observations soumises après l’audience, les demandeurs ont également présenté des arguments pour démontrer que l’analyse de la SPR au sujet des PRI était déraisonnable. Leurs arguments portaient notamment sur le premier volet du critère de la PRI, soit la question de savoir si les demandeurs pourraient s’établir en toute sécurité à Vlore ou à Sarande (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706). Les demandeurs ont soulevé trois questions au sujet de l’évaluation relative à la PRI effectuée par la SPR. À mon avis, aucune de ces questions ne constitue un fondement suffisant pour rejeter la conclusion de la SPR. Les arguments des demandeurs concernent des questions mineures et ne s’attaquent pas au principal fondement de la conclusion de la SPR.

[16] Les arguments des demandeurs reposent sur la phrase suivante des motifs de la SPR : [traduction] « [l]e demandeur principal n’a présenté aucun élément de preuve objectif démontrant qu’il est bien connu dans sa communauté. » Tout d’abord, les demandeurs soutiennent que la SPR a mal exposé la preuve, car le demandeur principal n’avait pas affirmé être « bien connu », mais plutôt être [traduction] « connu ». À mon avis, cette distinction n’a aucune incidence sur l’analyse de la SPR. De plus, dans le paragraphe qui précède cette déclaration, la SPR a correctement cité le témoignage du demandeur principal à ce sujet et expliqué qu’il avait témoigné être [traduction] « connu dans sa communauté et facile à trouver ».

[17] Ensuite, les demandeurs soutiennent, en invoquant la décision Senadheerage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 968, qu’il était déraisonnable pour la SPR d’exiger des documents corroborants. Cet argument est problématique, car il ne tient pas compte du fond de l’analyse de la SPR. La SPR n’a pas fondé son analyse des PRI sur l’absence des éléments de preuve objectifs démontrant que le demandeur principal était « connu » ou « bien connu ». L’analyse portait surtout sur le fait que les demandeurs avaient vécu à Tirana sans encombre après 2012, que les incidents récents concernaient le fils de M. Aliaj, que la famille était restée à Tirana sans incident pendant l’année qui avait suivi la mise en liberté de l’agresseur et que rien ne permettait de démontrer que la famille des demandeurs avait été approchée depuis leur départ du pays. Les demandeurs n’abordent pas le principal fondement de la conclusion de la SPR à l’égard des PRI.

[18] Enfin, les demandeurs soutiennent que la SPR a manqué à l’équité en ne demandant pas à M. Aliaj pourquoi il n’avait pas fourni d’éléments de preuve objectifs pour corroborer son témoignage. Or, cet argument pose le même problème que celui susmentionné. L’argument accorde trop d’importance à un élément qui n’est pas le fondement sur lequel la SPR s’est appuyée pour conclure à l’existence d’une PRI. Les demandeurs n’abordent pas le fondement principal invoqué par la SPR.

[19] Aucune des parties n’a soulevé de question grave de portée générale à certifier, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑3878‑21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3878‑21

 

INTITULÉ :

QUMAIL ALIAJ ET AL c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 MARS 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

lA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 SEPTEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Jeffrey L. Goldman

 

POUR LES DEMANDEURS

Neeta Logsetty

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jeffrey L. Goldman

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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