Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220923


Dossier : T‑325‑22

Référence : 2022 CF 1328

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 23 septembre 2022

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

M. RICHARD S. MITCHELL, ALIAS

DR RICHARD STEVE MITCHELL,

REV. RICHARD MITCHELL ET

RICHARD STEVEN MITCHELL

demandeur

et

ACADEMY OF LEARNING MISSISSAUGA – CAMPUS ET SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DE L’ONTARIO

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Le campus de Mississauga du collège Academy of Learning de l’Ontario (AOL) a déposé une requête pour obtenir une ordonnance déclarant le demandeur, M. Mitchell, plaideur quérulent. Pour les motifs qui suivent, j’accorderai l’ordonnance demandée.

I. Le contexte

[2] En 2021, M. Mitchell a intenté une poursuite contre AOL devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans laquelle il réclamait des dommages‑intérêts de 150 000 $ après qu’AOL l’eut exclu de son cours d’immigration pour les parajuristes parce qu’il n’avait pas acquitté ses droits de scolarité. En vertu de l’article 2.1.01 des Règles de procédure civile, RRO 1990, Règl 194 (Mitchell v Academy of Learning, 2021 ONSC 7106 [Mitchell ‑ ONSC]), le juge Bird a rejeté l’action au motif qu’elle était frivole ou vexatoire ou qu’elle constituait par ailleurs un recours abusif au tribunal.

[3] M. Mitchell a interjeté appel de la décision du juge Bird devant la Cour d’appel de l’Ontario. L’appel a été rejeté pour cause de retard le 1er février 2022.

[4] Le 22 février 2022, M. Mitchell a déposé auprès de la Cour fédérale une déclaration contre AOL et Sa Majesté la Reine du chef de l’Ontario (l’Ontario). La déclaration de M. Mitchell contenait des allégations de complot et de fraude à l’endroit d’AOL ainsi que des membres du personnel et de la magistrature des cours de justice de l’Ontario. Le protonotaire Trent Horne a été saisi de l’affaire à titre de juge responsable de la gestion de l’instance (le JRGI).

[5] Le 9 mars 2022, les parties ont participé à une conférence de gestion de l’instance, à la suite de laquelle le JRGI a donné une directive de vive voix à l’égard de la requête en radiation de la déclaration du défendeur. Selon cette directive, AOL et l’Ontario devaient présenter leur requête par écrit, et signifier et déposer les documents de la requête avant le 25 mars 2022, et M. Mitchell devait signifier et déposer ses documents en réponse au plus tard le 6 avril 2022.

[6] Parallèlement à la requête en radiation de la déclaration, AOL a présenté une demande visant à déclarer le demandeur plaideur quérulent au titre de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, (la Loi), mais n’a versé aucune preuve du consentement du procureur général du Canada au dossier de la requête, tel que le requiert le paragraphe 40(2) de la Loi. Le 29 mars 2022, l’avocat d’AOL a écrit à la Cour afin de solliciter une conférence de gestion de l’instance pour obtenir des directives au sujet des modifications qu’il souhaitait apporter à ses documents de requête.

[7] Lors de la conférence de gestion de l’instance tenue le 21 avril 2022, AOL a annoncé le retrait de la demande fondée sur l’article 40 en précisant qu’elle « pourrait être présentée de nouveau une fois que le consentement du procureur général du Canada aura été obtenu » (Mitchell c Academy of Learning Mississauga, 2022 CF 607 au para 18 [Mitchell ‑ CF]).

[8] Le 26 avril 2022, après avoir examiné les documents produits par AOL et l’Ontario (M. Mitchell n’ayant déposé aucun document), le JRGI a rendu une décision accordant la requête en radiation de la déclaration présentée par les défendeurs (Mitchell ‑ CF, au para 54).

[9] Le 19 juillet 2022, après avoir obtenu le consentement du procureur général du Canada qui lui manquait initialement, AOL a de nouveau présenté un avis de requête auprès du JRGI en vue de faire déclarer M. Mitchell plaideur quérulent. La requête m’a été confiée parce que la Loi n’indique pas clairement qu’un protonotaire peut rendre une ordonnance déclarant le plaideur quérulent.

[10] Étant donné que M. Mitchell n’avait pas déposé d’observations écrites en réponse à la demande fondée sur l’article 40, j’ai demandé au greffe de convoquer une audience afin de lui donner l’occasion de présenter des observations de vive voix. Lorsque, à ma demande, le greffe a communiqué avec M. Mitchell compte tenu de l’absence de toute réponse de sa part, M. Mitchell a dit qu’il avait reçu l’avis de requête, mais qu’il n’avait pas l’intention d’y répondre, ajoutant que la façon dont notre Cour gérait l’instance était assimilable à une « activité criminelle » et qu’il avait déposé une seconde demande d’appel à la Cour suprême du Canada (la CSC).

[11] M. Mitchell a finalement changé d’idée et a indiqué qu’il serait effectivement présent à l’audience, qui a eu lieu le 8 septembre 2022 en matinée et à laquelle M. Mitchell et les avocats des deux défendeurs ont pris part. Comme les parties n’ont présenté aucun argument quant à la question de savoir si un protonotaire peut rendre une ordonnance fondée sur l’article 40, et que cette question n’est pas déterminante dans l’affaire que je dois trancher, je la traiterai un autre jour.

II. Les positions des parties

[12] AOL demande que M. Mitchell soit déclaré plaideur quérulent au titre de l’article 40 de la Loi afin de lui interdire d’engager d’autres instances ou de continuer une instance déjà engagée devant la Cour fédérale, sauf avec l’autorisation de celle‑ci.

[13] Premièrement, AOL fait valoir que M. Mitchell a engagé de multiples instances vexatoires devant les tribunaux de l’Ontario, dont la Cour supérieure de justice de l’Ontario et la Cour d’appel de l’Ontario. AOL soutient que les tribunaux de l’Ontario ont jugé que la plupart de ces actions qui avaient été intentées étaient frivoles et vexatoires ou constituaient par ailleurs un recours abusif au tribunal, et qu’elles ont été rejetées.

[14] Deuxièmement, AOL mentionne que M. Mitchell a également engagé de multiples instances devant la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale (la CAF), souvent dans le but de porter en appel les ordonnances rendues par la Cour supérieure de justice de l’Ontario et la Cour d’appel de l’Ontario ou de les remettre en cause, et en y ajoutant des allégations de complot et de fraude de la part des membres du personnel et de la magistrature des tribunaux de l’Ontario.

[15] Troisièmement, AOL souligne que M. Mitchell a tenté à deux reprises d’interjeter appel devant la CSC à l’égard de ces instances engagées devant la Cour fédérale, mais sans succès, car il n’avait aucun motif d’appel.

[16] Quatrièmement, AOL fait remarquer que M. Mitchell, en plus de gaspiller les ressources du système judiciaire et des parties qu’il continue de poursuivre, n’a payé aucuns dépens qu’il était tenu de verser dans la présente instance, soit la somme de 1600 $ à chaque défendeur.

[17] Bien qu’il n’ait pas déposé d’observations écrites dans le cadre de la requête fondée sur l’article 40, M. Mitchell a soulevé les points suivants dans ses observations de vive voix à l’audience.

[18] Premièrement, M. Mitchell a expliqué qu’il n’avait pas présenté de réponse à la requête du défendeur et n’avait pas participé à la deuxième conférence de gestion de l’instance parce qu’il estimait que le JRGI avait contrevenu aux Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles) et avait adopté un comportement criminel. Plus précisément, M. Mitchell a allégué que, lors de la première conférence de gestion de l’instance, le JRGI avait [traduction] « montré » à l’avocat d’AOL comment présenter une requête fondée sur l’article 40, ce qui était, selon lui, un signe de corruption et de partialité. M. Mitchell a donc refusé de continuer de participer à l’instance devant la Cour et a décidé d’interjeter appel devant la CAF et la CSC des directives du JRGI et de la décision Mitchell ‑ CF subséquente. Lors de l’audience concernant la requête fondée sur l’article 40, M. Mitchell a répété qu’il estimait que le JRGI était partial à l’égard des plaideurs non représentés.

[19] Deuxièmement, M. Mitchell s’est opposé à ce qu’AOL fasse référence à ses antécédents en matière de litiges devant les tribunaux de l’Ontario. Il a soutenu que ces procédures antérieures n’étaient pas pertinentes pour les besoins de la présente affaire devant la Cour fédérale et que notre Cour ne devrait pas en tenir compte pour rendre sa décision concernant la requête fondée sur l’article 40.

[20] Troisièmement, M. Mitchell a affirmé que tous les dépens à verser à AOL et à l’Ontario en l’espèce ne seront payables que lorsque les appels qu’il a interjetés devant la CAF et la CSC seront définitivement tranchés. M. Mitchell a informé la Cour que la CAF n’avait pas répondu à l’avis d’appel qu’il avait déposé et signifié à l’égard des deux défendeurs.

[21] L’Ontario n’a pas présenté d’observations écrites quant à sa position sur la requête en déclaration de plaideur quérulent. Lors de l’audience concernant la requête fondée sur l’article 40, l’avocate représentant l’Ontario a expliqué que, aux termes de l’article 208 des Règles, la province ne reconnaissait pas la compétence de notre Cour lorsqu’elle a présenté des observations dans le cadre de la requête en radiation d’avril 2022, étant donné que, selon elle, notre Cour n’avait pas le pouvoir d’instruire l’action. Le JRGI a effectivement conclu qu’il n’avait pas compétence pour instruire la déclaration de M. Mitchell (Mitchell ‑ CF, au para 1). L’avocate n’a pas déposé d’observations officielles dans le cadre de la présente requête, mais a néanmoins déclaré à l’audience que, en tant que codéfenderesse, l’Ontario ne s’opposait pas aux arguments, aux observations et à la position présentés par AOL à l’égard de l’article 40 dans le cadre de la présente requête.

III. Analyse

A. Le droit

[22] Le droit d’accès aux tribunaux d’un plaideur n’est pas sans limites (Canada (Procureur général) c Simon, 2022 CF 1135 au para 22 [Simon ‑ CF]). Lorsque l’accès continu et illimité d’un plaideur à la Cour nuit à la capacité de la collectivité d’y accéder, l’article 40 de la Loi peut être invoqué pour permettre à la Cour d’avoir le contrôle sur son propre processus, de protéger l’intégrité et l’équité du système judiciaire et d’empêcher une utilisation inappropriée du temps et des ressources de la Cour.

[23] L’article 40 met donc en lumière l’importance de la Cour fédérale en tant que « bien collectif » doté de ressources limitées qui ne peuvent être dilapidées par des plaideurs quérulents (Canada c Olumide, 2017 CAF 42 aux para 17‑19 [Olumide]). Les parties pertinentes de la disposition sont les suivantes :

40. (1) La Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale, selon le cas, peut, si elle est convaincue par suite d’une requête qu’une personne a de façon persistante introduit des instances vexatoires devant elle ou y a agi de façon vexatoire au cours d’une instance, lui interdire d’engager d’autres instances devant elle ou de continuer devant elle une instance déjà engagée, sauf avec son autorisation.

40. (1) If the Federal Court of Appeal or the Federal Court is satisfied, on application, that a person has persistently instituted vexatious proceedings or has conducted a proceeding in a vexatious manner, it may order that no further proceedings be instituted by the person in that court or that a proceeding previously instituted by the person in that court not be continued, except by leave of that court.

(2) La présentation de la requête visée au paragraphe (1) nécessite le consentement du procureur général du Canada, lequel a le droit d’être entendu à cette occasion de même que lors de toute contestation portant sur l’objet de la requête.

(2) An application under subsection (1) may be made only with the consent of the Attorney General of Canada, who is entitled to be heard on the application and on any application made under subsection (3).

[24] L’article 40 ne précise pas à quel moment un plaideur devient « quérulent ». Dans l’arrêt Olumide, au paragraphe 32, la Cour a expliqué que la « conduite vexatoire prend des formes et des aspects multiples » et a donné quelques exemples de conduite vexatoire aux fins de l’article 40.

Elle tient parfois au nombre d’instances et de requêtes sans fondement ou à la remise en litige d’instances et de requêtes déjà tranchées. Elle tient parfois aux visées du plaideur, souvent révélées par les parties poursuivies, par la nature des allégations qui leur sont opposées et par le langage employé. D’autres fois, elle tient à la manière dont les instances et les requêtes sont engagées, par exemple, le dépôt d’affidavits et d’observations multiples, inutiles, prolixes, incompréhensibles ou immodérés, et le harcèlement ou la victimisation des parties adverses.

[25] Au paragraphe 18 l’arrêt Canada (Procureur général) c Yodjeu, 2019 CAF 178, cité tout récemment par le juge Little dans la décision Banque Nationale du Canada c Taha, 2022 CF 1282 au para 36 [Taha], le juge de Montigny a décrit les caractéristiques d’une conduite vexatoire dans les termes suivants :

[...] dépôt de procédures frivoles et incohérentes, demandes de réparations ou remèdes hors de la juridiction de cette Cour, allégations non fondées de comportements inappropriés contre la partie opposée, ses procureurs et la Cour, non‑respect des échéanciers et des règles des Cours, remise en cause de questions déjà tranchées, et non‑paiement des dépens adjugés contre eux.

[26] Ultimement, lorsque la Cour est convaincue que l’accès continu et illimité d’un plaideur à la Cour sape l’objet de l’article 40, dont la protection des maigres ressources et des parties innocentes, la réparation prévue par cette disposition doit être accordée (Olumide, au para 31; Canada (Procureur général) c Fabrikant, 2019 CAF 198 au para 19 [Fabrikant]; Simon c Canada (Procureur général), 2019 CAF 28 aux para 9‑10 [Simon ‑ CAF]; Canada (Procureur général) c Ubah, 2021 CF 1466 au para 43; Taha, au para 37).

[27] Il importe aussi d’établir une distinction entre un plaideur quérulent et un « plaideur non représenté tenace à qui il faut offrir de l’aide » (Simon ‑ CF, au para 30; Simon ‑ CAF, aux para 13‑16; Fabrikant, au para 20). Les plaideurs incontrôlables font fi des règles, ne répondent pas à l’attention et à l’aide que les tribunaux leur donnent, ne respectent pas les ordonnances et s’obstinent dans des litiges voués à l’échec. Les plaideurs nuisibles forcent les parties adverses à se défendre contre des affirmations sans fondement, drainent les ressources limitées de la Cour en raison du nombre de litiges intentés ou de la manière dont ils les gèrent, y compris leurs intentions et leurs attitudes pendant les litiges (Simon ‑ CAF, aux para 14‑15). Lorsqu’il est question de plaideurs incontrôlables et nuisibles, à un certain point « trop c’est trop. Le pragmatisme doit l’emporter », de sorte que les limites supplémentaires qu’emporte la déclaration de plaideur quérulent deviennent nécessaires, justes et responsables (Simon ‑ CAF, au para 16).

[28] La partie qui sollicite une ordonnance fondée sur l’article 40 n’a pas à fournir une description exhaustive des antécédents du plaideur devant les tribunaux. Comme la CAF l’a récemment confirmé dans l’arrêt Coote c Canada (Human Rights Commission), 2021 CAF 150 au para 20 [Coote], peu d’éléments de preuve sont requis pour appuyer une conclusion de conduite vexatoire fondée sur le critère de la conduite vexatoire énoncé dans l’arrêt Olumide.

B. L’application du droit à la conduite de M. Mitchell

[29] Dans la présente affaire, je juge qu’AOL s’est acquitté du fardeau de prouver la conduite vexatoire de M. Mitchell selon la prépondérance des probabilités. Ses antécédents en matière de litiges établissent une tendance claire et persistante à intenter des actions non fondées qui étaient vouées à l’échec dès le départ.

[30] Les deux demandes de M. Mitchell à la Cour fédérale ont été radiées au motif qu’elles étaient frivoles et vexatoires et parce qu’il était évident et manifeste qu’elles ne révélaient aucune cause d’action valable (T‑146‑17 et Mitchell ‑ CF).

[31] De même, cinq des instances intentées par M. Mitchell devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario ont été rejetées au motif qu’elles étaient frivoles et vexatoires ou qu’elles constituaient par ailleurs un abus de procédure (2014 ONSC 5106, 2015 ONSC 2926, 2016 ONSC 6649, 2020 ONSC 4135 et 2020 ONSC 5135).

[32] En somme, M. Mitchell a démontré une persistance à tenter de remettre en cause des décisions antérieures en interjetant appel devant des tribunaux supérieurs (souvent sans motif valable) et en ajoutant à ses demandes des allégations de complot et de fraude visant des décideurs antérieurs, y compris des membres de la magistrature et du personnel administratif des tribunaux. Les tentatives de M. Mitchell de porter ses actions devant des tribunaux supérieurs ont été marquées par un mépris complet des directives et des processus des tribunaux et de leurs greffes, y compris des échéances et du devoir de se présenter aux séances des tribunaux dans le cadre des instances en question (qu’il a lui‑même engagées).

[33] Bien que la Cour ne soit pas tenue de fournir une liste exhaustive de chacun des cas où M. Mitchell a fait fi des directives et des ordonnances des tribunaux (Simon ‑ CF, au para 31; Olumide, aux para 36, 40; Coote, au para 20), ses actions dans la présente instance suffisent à établir qu’il gèrent ses litiges de manière vexatoire. Je donnerai trois exemples précis.

[34] Premièrement, au lieu de présenter une réponse écrite à la requête en radiation déposée par AOL, comme lui avait demandé le JRGI, M. Mitchell a choisi de déposer des avis d’appel contre AOL et l’Ontario devant la CAF, puis à deux reprises devant la CSC. Toutes ces actions allaient à l’encontre des procédures établies par les règles applicables. Il a notamment allégué que le JRGI était partial et qu’il avait eu un comportement « criminel », sans fournir la preuve d’actes répréhensibles et sans fondement juridique. Pourtant, le JRGI a simplement fait son travail pour faire progresser l’instance et a rendu des décisions qui tenaient compte des observations et des documents qui lui avaient été soumis.

[35] Deuxièmement, lorsque l’avis d’appel qu’il avait déposé auprès de la CSC a été inévitablement rejeté par le Bureau du registraire de la CSC parce qu’il ne répondait pas aux critères d’un appel de plein droit, M. Mitchell a déposé un deuxième avis d’appel auprès de la CSC. Il a refusé de participer à la conférence de gestion de l’instance du 21 avril 2022 portant sur l’action qu’il avait intentée devant notre Cour, prétendument parce qu’il avait présenté une demande d’appel à l’égard de l’affaire.

[36] Troisièmement, lors de l’audience concernant la requête fondée sur l’article 40 tenue le 8 septembre 2022 à laquelle il a finalement décidé de participer (ce qui est tout à son honneur), après avoir refusé au départ de le faire, M. Mitchell a décrit ses actions comme étant justifiées par le fait qu’il refusait de suivre les directives du JRGI, qu’il a décrit comme un juge « corrompu » et « partial », et que cela lui aurait fait perdre son précieux temps.

[37] Dans les nombreuses instances qu’il a engagées, M. Mitchell ne s’est jamais rendu compte que son refus de se conformer au processus de la Cour ou d’accepter l’issue des instances qu’il a lui‑même intentées ainsi que sa propre conduite, et non celle de la Cour qui répond simplement à ses actions, accaparent non seulement le temps des parties qu’il poursuit, mais également les maigres ressources de notre Cour et de son greffe. Chaque fois qu’une décision ou un processus lui a déplu, M. Mitchell a réagi en formulant des allégations de corruption et de partialité sans fondement. Sa conduite en l’espèce rappelle celle qu’il a adoptée dans ses demandes antérieures, qui ont systématiquement été rejetées au motif qu’elles étaient vexatoires ou constituaient par ailleurs un abus de procédure, ou pour des motifs similaires.

[38] Ses actes de procédure ont toujours été prolixes. Ils sont extrêmement difficiles à comprendre, bien que les réprimandes aux juges et aux administrateurs qu’ils contiennent, elles, soient claires. À titre d’exemple, dans sa demande sous‑jacente (depuis radiée), M. Mitchell a accusé Mme Sandra Fleralde du greffe de la Cour d’appel de l’Ontario d’avoir [traduction] « créé frauduleusement une ordonnance rejetant l’appel pour cause de retard ». Il soutient que [traduction] « la décision injustifiée rendue en cabinet par la juge Bird a nui au processus en raison des torts entièrement non fondés qui y ont été constatés à l’égard d’une déclaration adéquate dans son ensemble, de la non‑conformité » [traduit tel que reproduit dans la version anglaise]. Il allègue également que la Cour a commis un [traduction] « outrage juridique ». Dans un courriel qu’il a envoyé à la Cour le 15 mars 2022, M. Mitchell l’a informé qu’il interjetterait appel de [traduction] « la grossière partialité fautive finale (l’ordonnance) dont a fait preuve le protonotaire Trent Horne » [traduit tel que reproduit dans la version anglaise], mais n’a joint aucune copie de l’appel au courriel (Mitchell ‑ CF, aux para 7‑8).

[39] Dans les observations qu’il a formulées lors de l’audience concernant la requête fondée sur l’article 40, M. Mitchell a réitéré l’ensemble de ces allégations relatives à l’inconduite des membres de la magistrature et du greffe sans fournir d’éléments de preuve. À maintes reprises, je l’ai averti d’arrêter de rabâcher les affaires antérieures qui ont été tranchées de façon définitive tant en première instance qu’en appel.

[40] En ce qui concerne ses allégations d’inconduite ou de nature plus grave, il existe des avenues appropriées pour porter plainte. M. Mitchell peut s’adresser i) au Conseil canadien de la magistrature et aux barreaux provinciaux pour ses allégations de conduite non professionnelle à l’égard des juges et des avocats, et ii) à la police pour ses allégations de comportements criminels.

[41] Dans la présente action, le refus de M. Mitchell de suivre les directives du JRGI, ses allégations personnelles sans fondement à l’endroit des membres de la magistrature et du personnel judiciaire, son absence à l’instance qu’il a lui‑même engagée (comme son refus de comparaître à la conférence de gestion de l’instance du 21 avril 2022) et ses nombreuses tentatives futiles d’interjeter appel devant la CAF et la CSC, qui n’avaient pas compétence, sont tous des signes d’une conduite vexatoire. Les diverses mesures que M. Mitchell a prises dans la présente affaire et dans les litiges antérieurs démontrent qu’il est plus qu’un simple plaideur non représenté à qui il faut offrir de l’aide. Je conviens plutôt avec AOL qu’il a dépassé les limites dans le cadre de ces instances au point d’être considéré comme un plaideur nuisible et incontrôlable.

[42] Par conséquent, M. Mitchell a fait perdre à notre Cour de précieuses ressources au détriment des deux défendeurs, mais également de l’ensemble des plaideurs qui méritent d’être entendus et qui attendent leur tour. Il a perturbé inutilement notre Cour et d’autres tribunaux dans le cadre de multiples demandes qui ont systématiquement été radiées après que divers décideurs eurent jugé qu’elles étaient vexatoires ou qu’elles constituaient par ailleurs des abus de procédure.

[43] Enfin, je souligne que M. Mitchell a omis de payer à chacun des demandeurs les dépens de 1 600 $ découlant du rejet de sa demande par la Cour (Mitchell ‑ CF, au para 57). Il soutient qu’il n’a pas versé ces sommes parce qu’il ne connaît pas encore l’issue des appels qu’il a interjetés devant la CAF et la CSC. Toutefois, il ne fournit aucune preuve d’un quelconque appel en cours. À la lumière du dossier, sa tentative d’appel à la CAF n’a été ni mise en état ni acceptée pour dépôt. Une recherche dans la page des demandes de renseignements sur les dossiers de la CAF ne révèle aucun appel en cours au nom de M. Mitchell ou de l’un de ses pseudonymes. Son plus récent appel à la CSC a été rejeté pour défaut de compétence et n’a jamais été accepté pour dépôt.

[44] Les demandes de M. Mitchell sont le reflet d’un plaideur quérulent qui remet en cause des questions déjà tranchées, qui engage des instances strictement pour embarrasser et déranger les parties adverses, et qui fait fi des règles des tribunaux (ordonnance dans le dossier T‑146‑17; 2014 ONSC 5106, au para 19; 2015 ONSC 2926, au para 4; Mitchell ‑ ONSC au para 11; Mitchell ‑ CF, au para 56).

[45] Dans la décision la plus récente rendue devant un tribunal ontarien, Mitchell v Law Society of Ontario, 2021 ONSC 5370, au paragraphe 6, le juge Corbett a jugé raisonnable et nécessaire de contrôler l’accès aux tribunaux de M. Mitchell en le déclarant dans les faits plaideur quérulent dans les termes suivants :

[traduction]

M. Mitchell a adopté une conduite vexatoire en tant que plaideur, tel qu’il est décrit dans la première directive qui lui a été envoyée dans l’affaire en question, dans les affaires auxquelles la directive faisait référence et dans sa réponse à l’avis R.2.1. La Cour ordonne que M. Mitchell cesse d’engager tout type d’instance ou qu’il continue toute instance déjà engagée devant la Cour divisionnaire sans en avoir d’abord obtenu l’autorisation d’un juge administratif ou son représentant désigné de la Cour divisionnaire.

[46] L’accès illimité de M. Mitchell à la Cour fédérale ne peut se poursuivre au vu de la demande d’ordonnance bien étayée présentée par AOL au titre de l’article 40 et de l’absence de toute opposition de la part de l’Ontario à titre de codéfenderesse ainsi que du consentement du procureur général du Canada.

[47] Ayant tiré cette conclusion, je termine maintenant sur une note positive. M. Mitchell, vous avez mentionné que vous avez une grande foi chrétienne et que vous êtes guidé par les valeurs du christianisme. Vous sembliez sincère quand vous avez parlé de ces convictions devant la Cour. Vous vous êtes adressé à moi de façon respectueuse dans le cadre de la requête fondée sur l’article 40, je sais donc que vous êtes capable d’agir adéquatement devant la Cour. Vous avez agi de la même manière auprès du greffe à l’audience.

[48] M. Mitchell, il est évident que vous êtes capable d’être réfléchi, sincère et respectueux. J’espère que, après cette ordonnance et celle du juge Corbett de la Cour divisionnaire, vous réfléchirez à votre conduite dans tout litige ultérieur et que vous cesserez vos attaques personnelles contre les avocats des parties adverses, les officiers de justice et le personnel judiciaire si vous n’obtenez pas gain de cause.

[49] L’ordonnance que je rends aujourd’hui ne vous empêche pas d’accéder à la Cour pour toujours. Vous pourrez demander l’autorisation d’engager ou de continuer une instance. L’autorisation vous sera accordée si vous pouvez démontrer que l’instance ne constitue pas un abus de procédure et qu’il existe des motifs raisonnables de l’engager. Je vous souhaite bonne chance dans vos démarches pour faire progresser votre carrière.

IV. Conclusion

[50] Pour les motifs qui précèdent, je juge nécessaire, juste et responsable de contrôler l’accès de M. Mitchell à la Cour fédérale pour empêcher l’utilisation à des fins illégitimes des ressources et du temps précieux et limité de la Cour. La requête est accueillie. Je rendrai donc une ordonnance au titre de l’article 40 de la Loi en vue de déclarer M. Mitchell plaideur quérulent.


ORDONNANCE dans le dossier T‑325‑22

LA COUR REND L’ORDONNANCE SUIVANTE :

  1. Le défendeur, M. Richard S. Mitchell, alias Dr Richard Steve Mitchell, Rev. Richard Mitchell et Richard Steven Mitchell, est déclaré plaideur quérulent au titre de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7.

  2. Il est donc interdit à M. Mitchell d’engager de nouvelles instances devant la Cour fédérale, qu’il agisse en son nom ou qu’il soit représenté par une autre personne, sauf avec autorisation de la Cour.

  3. Toutes les instances engagées par M. Mitchell devant la Cour et dont elle est actuellement saisie sont suspendues. La suspension ne sera levée et les instances ne se poursuivront qu’avec l’autorisation de la Cour.

  4. Le greffe n’acceptera ni ne déposera aucun document provenant de M. Mitchell, à moins qu’il ne s’agisse d’un dossier de requête en bonne et due forme déposé en vertu de l’article 369 des Règles et par lequel il sollicite l’autorisation d’engager et/ou de continuer des instances devant la Cour.

  5. Le greffe déposera une copie de la présente ordonnance et de ses motifs dans tous les dossiers visés et en enverra une copie aux parties à ces dossiers.

  6. M. Mitchell devra verser tous les dépens en souffrance adjugés contre lui dans le cadre des instances engagées devant la Cour fédérale, dont 1 600 $ à AOL et 1 600 $ à l’Ontario, avant de pouvoir engager d’autres instances ou de continuer devant la Cour une instance déjà engagée.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Philippe Lavigne‑Labelle


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑325‑22

 

INTITULÉ :

M. RICHARD S. MITCHELL, ALIAS DR RICHARD STEVE MITCHELL, REV. RICHARD MITCHELL ET RICHARD STEVEN MITCHELL c ACADEMY OF LEARNING MISSISSAUGA – CAMPUS ET SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DE L’ONTARIO

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 SEPTEMBRE 2022

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 SEPTEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Dr Richard Mitchell

 

POUR LE DEMANDEUR
(pour son propre compte)

 

Maxym Artemenko

POUR LE DÉFENDEUR
(ACADEMY OF LEARNING MISSISSAUGA – CAMPUS)

 

Lina Chaker

POUR LE DÉFENDEUR
(SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DE L’ONTARIO)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Maxym Artemenko

Wolfson Law Professional Corporation

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR
(ACADEMY OF LEARNING MISSISSAUGA – CAMPUS)

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR
(SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DE L’ONTARIO)

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.