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Date : 20220923


Dossier : IMM‑3991‑20

Référence : 2022 CF 1329

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 septembre 2022

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

SYLVESTER OZIEGBE EHICHOYA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Sylvester Oziegbe Ehichoya, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 10 août 2020 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), soit que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2] Le demandeur craint d’être persécuté par la police nigériane en raison de son orientation sexuelle ainsi que par les pasteurs peuls qui ont assassiné son père et détruit sa propriété. La SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle les éléments centraux de la demande n’étaient pas crédibles.

[3] Le demandeur prétend que la décision de la SAR est déraisonnable, parce que celle‑ci a commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAR est raisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Faits

A. Le demandeur

[5] Le demandeur, âgé de 44 ans, est un citoyen du Nigéria. Il craint d’être persécuté par les autorités nigérianes en raison de son orientation sexuelle en tant qu’homme bisexuel et par les pasteurs peuls qui ont assassiné son père ainsi que des employés de l’exploitation agricole familiale.

[6] Le demandeur affirme que, le 23 janvier 2017, des pasteurs peuls ont assassiné son père, qui était agriculteur, ainsi que 16 de ses employés. Après le décès de son père, le demandeur a hérité de l’exploitation agricole familiale et en a assumé la responsabilité. Le demandeur affirme que ses récoltes ont été détruites en avril 2017. Il soupçonne que des pasteurs peuls sont responsables des dégâts. Le demandeur a rapporté l’incident à la police, sans résultat. À la suite de cet incident, l’exploitation agricole du demandeur aurait été incendiée, et sa maison a été détruite le 19 mai 2017.

[7] Le 22 mai 2017, le demandeur affirme qu’il s’est rendu à Lagos pour habiter avec un prénommé Andy (Andy), avec qui il a commencé à entretenir une relation amoureuse. Le demandeur affirme que, le 13 septembre 2017, les voisins ont eu connaissance de leur relation et l’ont signalée à la police. Le même jour, Andy aurait appelé le demandeur pour l’avertir de ne pas rentrer à la maison, car la police le recherchait.

[8] En février 2018, le demandeur s’est enfui aux États‑Unis, puis s’est rendu au Canada. Il a présenté une demande d’asile le 9 février 2018.

B. La décision de la SPR

[9] Dans la décision rendue le 17 mai 2019, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur. La question déterminante pour la SPR était la crédibilité. Plus précisément, la SPR a tiré les conclusions suivantes :

  • La SPR a relevé des divergences entre les renseignements figurant dans le formulaire Annexe A et l’exposé circonstancié contenu dans le formulaire Fondement de la demande d’asile (le formulaire FDA) du demandeur. Ce dernier a répondu dans le formulaire Annexe A qu’il avait vécu à Uromi, dans l’État d’Edo, jusqu’en décembre 2017, mais dans l’exposé circonstancié contenu dans le formulaire FDA, il affirme qu’il est arrivé à Lagos et a commencé à habiter avec Andy le 22 mai 2017. À l’audience devant la SPR, le demandeur a expliqué qu’il s’était trompé, car il ne savait pas comment remplir les formulaires et il était effrayé et confus. La SPR a rejeté cette explication et a souligné que le demandeur comprend l’anglais et a témoigné aisément dans cette langue.

  • Le témoignage du demandeur au sujet de sa relation avec Andy et de ses relations antérieures n’est pas cohérent. Dans l’exposé circonstancié contenu dans le formulaire FDA et la preuve écrite, le demandeur ne mentionne avoir eu qu’une seule relation homosexuelle par le passé, soit celle avec Andy. Toutefois, durant son témoignage, le demandeur a déclaré avoir eu trois relations amoureuses ou sexuelles avec des hommes. En plus de ces incohérences, le demandeur n’était pas en mesure de donner le nom de son premier partenaire ni des détails sur celui‑ci. À l’audience, lorsque les divergences au sujet de sa relation avec Andy lui ont été signalées, le demandeur a modifié son témoignage.

  • La SPR a tiré une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité puisque le demandeur ne connaît rien du travail d’Andy ni de sa famille, quoique Andy et lui entretenaient une relation amoureuse et habitaient sous le même toit.

  • Il y a des divergences dans la preuve présentée par le demandeur en lien avec l’intérêt de la police nigériane à son égard. Dans le formulaire Annexe 12, le demandeur n’a pas mentionné que la police nigériane le recherchait, bien qu’il ait affirmé dans son témoignage et son exposé circonstancié écrit que c’était en fait le cas.

[10] Compte tenu des nombreuses conclusions défavorables en matière de crédibilité, la SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur n’était recherché par aucun groupe de personnes au Nigéria, y compris la police et les pasteurs peuls.

C. La décision faisant l’objet du contrôle

[11] Dans la décision du 10 août 2020, la SAR a rejeté l’appel du demandeur, confirmant ainsi la décision de la SPR. La SAR a conclu que la SPR a correctement tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité en raison des divergences entre les renseignements contenus dans les formulaires Annexe A et Annexe 12 et ceux figurant dans l’exposé circonstancié contenu dans le formulaire FDA du demandeur.

[12] La SAR a confirmé les conclusions tirées par la SPR quant à la crédibilité de la relation entre le demandeur et Andy. En particulier, la SAR partage l’avis de la SPR selon lequel le demandeur n’a pas été en mesure d’expliquer raisonnablement les divergences suivantes au sujet de sa relation avec Andy et de ses relations antérieures : le fait que le demandeur ne connaît pas l’emploi d’Andy ni les membres de sa famille ne cadrait pas avec l’allégation selon laquelle ils entretenaient une relation de cohabitation; et l’explication du demandeur pour ne pas avoir utilisé son courriel ne dit pas pourquoi il ne voudrait pas utiliser une adresse courriel pour découvrir ce qu’il est advenu d’Andy.

[13] La SAR a également conclu que la SPR a eu raison de tirer une conclusion défavorable en raison de l’omission du demandeur de mentionner, dans le formulaire Annexe 12, que la police nigériane avait manifesté de l’intérêt à son égard. La SAR a souligné que, même s’« il convient de faire preuve de prudence au moment de tirer des conclusions défavorables en matière de crédibilité des déclarations faites au point d’entrée », les renseignements fournis par le demandeur concernant l’intérêt de la police nigériane à son égard semblaient évoluer. Étant donné qu’il s’agit d’un élément central de la demande, la SAR a jugé que la SPR n’avait pas commis d’erreur dans sa conclusion en matière de crédibilité.

III. Question en litige et norme de contrôle

[14] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la seule question en litige est celle de savoir si la décision de la SAR est raisonnable.

[15] Dans les observations écrites, les deux parties soutiennent que la question déterminante est celle de savoir si les conclusions en matière de crédibilité tirées par la SAR sont raisonnables. Les parties conviennent que la question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16‑17 et 23‑25). Je suis d’accord.

[16] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est empreint de déférence, mais demeure rigoureux (Vavilov, aux para 12‑13). La cour de révision doit établir si la décision qui fait l’objet du contrôle, y compris le raisonnement et le résultat, est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif, du dossier dont le décideur est saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences (Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135).

IV. Analyse

[17] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en tirant des conclusions défavorables quant à la crédibilité fondées sur les incohérences entre le formulaire Annexe A et l’exposé circonstancié contenu dans le formulaire FDA et son témoignage, ainsi que sur celles concernant sa relation avec Andy. Le demandeur soutient de plus que la SAR n’a pas correctement tenu compte de ses explications quant aux incohérences relevées dans la preuve qu’il a présentée.

A. Les incohérences entre le formulaire Annexe A et l’exposé circonstancié écrit et le témoignage du demandeur

[18] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en rejetant son explication raisonnable donnée au sujet des renseignements erronés contenus dans son formulaire Annexe A. Plus précisément, le demandeur a expliqué à l’audience devant la SPR qu’il s’est trompé en remplissant la fiche au point d’entrée (le PDE) parce qu’il était effrayé et confus, et personne ne l’avait aidé. Le demandeur soutient de plus que la SAR a commis une erreur en accordant une importance excessive aux renseignements qu’il a fournis au PDE. Le défendeur affirme qu’il était raisonnable de la part de la SAR de ne pas accepter ces explications.

[19] À mon avis, la conclusion de la SAR à cet égard était raisonnable. À l’audience devant la SPR, l’incohérence a été signalée au demandeur et la SPR n’a pas trouvé son explication raisonnable, car le demandeur est une personne instruite, qui se débrouille bien en anglais et qui répondait à des questions concernant des événements qui avaient eu lieu moins de deux avant qu’il ne remplisse les formulaires. En appel, la SAR a souscrit aux conclusions de la SPR puisqu’elles étaient fondées sur les éléments de preuve au dossier et avaient trait à un élément central de la demande. La SAR a ajouté que le demandeur n’a pas contesté en appel les conclusions de la SPR.

[20] Tout d’abord, je note que le caractère raisonnable de la décision de la SAR doit être évalué en tenant compte des observations présentées par les parties (Vavilov, aux para 127‑128). Dans ses observations présentées en appel devant la SAR, le demandeur a soulevé plusieurs erreurs commises par la SPR, sans toutefois mentionner les conclusions que la SPR a tirées sur les incohérences au sujet de son lieu de résidence. On ne peut reprocher à la SAR d’être en accord avec les conclusions de la SPR alors que l’erreur alléguée n’a pas été soulevée dans les observations écrites présentées par le demandeur à la SAR.

[21] De toute façon, je suis d’avis que la SAR a effectué un examen raisonnable des conclusions tirées par la SPR sur cette question, et a indiqué les raisons pour lesquelles elle souscrit au rejet de l’explication du demandeur par la SPR. Lors d’un contrôle judiciaire, le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve. Compte tenu de la déférence générale à l’égard de l’appréciation de la crédibilité du demandeur par la SAR, je conclus que la SAR n’a pas tiré une conclusion déraisonnable (Vavilov, aux para 125, 127‑128; Weche c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 649 au para 22).

[22] Ensuite, je conclus que la SAR ne s’est pas démesurément fondée sur les déclarations faites par le demandeur au PDE. Le demandeur affirme que la Cour a conclu à maintes reprises qu’elle ne devrait pas trop s’appuyer sur les déclarations faites au PDE et que les réfugiés proviennent souvent de pays où ils ont de bonnes raisons de ne pas faire confiance aux personnes en autorité (Hamdar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 382 aux para 46‑47; Gabila c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 574 aux para 23, 28, 34; Wu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1102 aux para 14‑16; Pooya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1019 aux para 20‑22). Je suis d’accord avec le demandeur que ce principe est bien établi dans la jurisprudence. Toutefois, je note la conclusion de la Cour dans la décision Guven c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 38 au paragraphe 39 :

[39] En ce qui concerne les conclusions relatives à la crédibilité fondées sur les formulaires et les notes au PDE, la jurisprudence met en garde contre les contradictions dans le témoignage entre les notes au PDE et les témoignages et documents ultérieurs, à moins que ces contradictions concernent les « éléments centraux » de la demande d’un demandeur.

[Non souligné dans l’original; voir Gomez Florez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 659 (Gomez Florez) aux para 28‑30; Drammeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 669 au para 36.]

[23] Dans la présente affaire, les incohérences en cause se rapportaient au domicile à Lagos du demandeur à l’époque où il affirme avoir entretenu une relation homosexuelle avec Andy. À mon avis, cet élément n’est ni secondaire ni accessoire dans le cadre de la demande présentée par le demandeur. Comme la SAR l’a affirmé, cette relation est centrale à la demande, car le demandeur craindrait la police nigériane qui le recherche à Lagos pour avoir entretenu une relation homosexuelle durant la période visée. De surcroît, cette incohérence se manifeste non seulement à la question 12 du formulaire Annexe A, où le demandeur devait énumérer les adresses où il a habité, mais aussi à la question 8, au sujet de ses antécédents professionnels. Je souligne également que la présente affaire peut être comparée à la situation dans Vardalia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 300 (Vardalia) où la SAR a pris en considération puis rejeté l’explication du demandeur car il était une personne instruite, qui parlait anglais et qui avait témoigné aisément à l’audience, sans l’aide d’un interprète (Vardalia, au para 43; voir Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 956 aux para 28‑29).

[24] Par conséquent, je conclus qu’il était raisonnable de la part de la SAR de tirer une conclusion défavorable en matière de crédibilité en raison des incohérences dans les formulaires d’immigration du demandeur. La SAR a abordé l’explication du demandeur et a motivé le rejet de manière transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). Je conclus aussi qu’il était raisonnable de la part de la SAR d’avoir examiné les déclarations faites au PDE, puisque les incohérences se rapportaient à la partie centrale de la demande.

B. La relation avec Andy

[25] Dans sa décision, la SAR a tiré des conclusions défavorables en raison des incohérences entre la preuve écrite et le témoignage oral du demandeur au sujet de sa relation avec Andy. La SAR a relevé que, dans la preuve écrite, le demandeur ne mentionne pas de relation homosexuelle lors de ses études secondaires ni l’existence d’une relation avec Andy avant qu’ils habitent ensemble à Lagos en 2017.

[26] Le demandeur soutient que cette conclusion est déraisonnable et que, lors de l’audience devant la SPR, il n’a pas eu l’occasion d’expliquer l’omission de ces renseignements dans sa preuve écrite.

[27] Bien que le demandeur n’ait pas été invité à en dire plus sur les omissions dans l’exposé circonstancié contenu dans le formulaire FDA, je conclus que la SAR et la SPR étaient clairement saisies de la question de la crédibilité. Conformément à la jurisprudence de la Cour, la SAR est « en droit de tirer des conclusions indépendantes quant à la crédibilité dans les cas où la crédibilité était en litige devant la SPR, où les conclusions de la SPR sont contestées en appel, lorsque les doutes de la SAR quant à la crédibilité sont liés aux observations présentées par le demandeur en appel, et que les conclusions de la SAR découlent du dossier de preuve » (Gedara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1023 au para 35; Smith c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1472 au para 31; Fu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1074 aux para 12‑14; Yimer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1335 au para 17). Cela s’applique lorsque la SAR ne fait pas fi d’éléments de preuve contradictoires figurant au dossier (Emac Sonkoue c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1173 au para 18, qui cite Koffi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 4 au para 38).

[28] Dans la présente affaire, les conclusions en matière de crédibilité contestées se rapportent à la relation du demandeur avec Andy et au fait que le demandeur ne mentionne pas dans sa preuve écrite qu’il avait eu une relation antérieure lors de ses études secondaires ou qu’il avait eu une relation avec Andy avant d’arriver à Lagos en 2017. Il ne s’agit pas d’une nouvelle conclusion défavorable en matière de crédibilité : la crédibilité était une question qui a été examinée par la SPR et la SAR, cette conclusion précise a été contestée en appel, et la SAR a tiré des conclusions qui se rattachent aux observations du demandeur et qui découlent du dossier de preuve. En fait, le demandeur mentionne dans ses observations écrites présentées dans le cadre du contrôle judiciaire qu’il reconnaît que cette divergence a été mentionnée dans les motifs de la SPR. Je conclus donc que la SAR n’a pas commis d’erreur sur ce point.

[29] En outre, le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en ne lui donnant pas l’occasion d’expliquer son manque de connaissance au sujet de l’emploi d’Andy et des membres de sa famille. La SAR a conclu que ce manque de connaissance « ne cadrait pas avec l’allégation selon laquelle l’appelant et A.O. entretenaient une relation de cohabitation depuis quatre mois et qu’ils avaient déjà entretenu une relation auparavant ». Je suis d’accord avec l’observation présentée par le défendeur selon laquelle le bon sens est de mise dans cette situation, et la SAR est en droit de tirer des conclusions raisonnables en se basant sur l’invraisemblance, le bon sens et la raison (Gomez Florez, au para 31).

[30] Je conclus que la SAR a tiré des conclusions raisonnables en matière de crédibilité au sujet de la relation entre le demandeur et Andy. Il ne fait aucun doute que la prudence s’impose dans l’évaluation des déclarations faites au PDE, mais tous les faits et détails importants de la demande doivent figurer dans l’exposé circonstancié contenu dans le formulaire FDA. Omettre de les mentionner peut affecter la crédibilité d’une portion ou de la totalité du témoignage d’un demandeur d’asile (Ogaulu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 547 au para 18). Qui plus est, « l’accumulation de contradictions, d’incohérences internes ou d’omissions en lien avec des éléments cruciaux du récit d’un demandeur d’asile peut sous‑tendre une conclusion négative quant à sa crédibilité » (Gomez Florez, au para 28). Je conclus que c’est ce qui est arrivé en l’espèce.

C. Le défaut de tenir compte des explications du demandeur

[31] Le demandeur soutient que, dans l’ensemble de sa décision, la SAR a tiré des conclusions sans tenir compte de ses explications. Selon lui, il est bien établi en droit qu’« [i]l doit être tenu compte des explications qui ne sont pas manifestement invraisemblables » (Owusu‑Ansah c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 442 (CAF); Sheikh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 15200 au para 23). Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que le décideur doit examiner les explications qu’il a présentées au sujet des incohérences avant de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité (Soorasingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 691 au para 23; Vavilov, aux para 127‑128). Toutefois, bien qu’elles doivent tenir compte de l’explication du demandeur, la SAR ou la SPR n’ont pas l’obligation d’y souscrire.

[32] Le demandeur souligne que la SAR a commis une erreur dans l’appréciation de son choix de ne pas tenter de communiquer par courriel avec Andy après que la police s’était intéressée à eux. En particulier, dans sa décision, la SAR affirme :

Cependant, j’estime que l’appelant n’a pas expliqué raisonnablement pourquoi il n’a pas essayé de communiquer avec A.O. par courriel après l’incident en question. Comme l’a souligné la SPR, même si l’appelant a déclaré qu’il n’utilisait pas le courriel parce que cela coûtait trop cher, les documents relatifs à la demande d’asile de l’appelant ainsi qu’une enveloppe qu’il a fournie montrent qu’il possède une adresse courriel. J’estime que l’observation de l’appelant selon laquelle le fait de posséder une adresse courriel ne veut pas nécessairement dire que cette adresse est utilisée n’explique pas pourquoi il ne voudrait pas utiliser cette adresse courriel pour découvrir ce qu’il est advenu d’A.O. à la suite de la communication téléphonique où A.O. a dit à l’appelant qu’ils étaient recherchés par la police et qu’ils devaient se rendre à la police.

[33] Je souscris à l’argument du demandeur selon lequel cette conclusion manque de fondement. Le fait que le demandeur a inscrit une adresse courriel dans le formulaire Annexe 12 et le formulaire FDA ne contredit pas son explication selon laquelle la communication par courriel est inhabituelle au Nigéria. Bien que je note que ce n’est pas parce que le demandeur a une adresse courriel qu’Andy en a automatiquement une dont il se sert, il aurait été approprié que le demandeur communique avec Andy par courriel, compte tenu des circonstances.

[34] De plus, le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable en matière de crédibilité parce qu’il n’a pas écrit dans le formulaire Annexe 12 que la police nigériane le recherchait. Le demandeur prétend que la SAR n’a pas mentionné ni examiné son explication et son témoignage sur cette question, et que la seule existence d’une divergence l’a menée à tirer une conclusion défavorable.

[35] Je suis en désaccord avec le demandeur sur ce point. La décision de la SAR traite précisément de l’explication donnée par le demandeur à l’audience selon laquelle les omissions dans le formulaire Annexe 12 étaient dues au fait qu’il se sentait confus et effrayé et que personne ne l’a aidé à remplir le formulaire. La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle cette explication était insatisfaisante parce qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur se souvienne de cet élément de sa demande, comme il s’agit de la raison principale pour laquelle il a fui le Nigéria. La SAR a aussi évalué les observations du demandeur en appel selon lesquelles l’omission était une erreur anodine puisque le formulaire FDA, qui décrit que la police nigériane recherchait le demandeur, a vraisemblablement été rempli au même moment que le formulaire Annexe 12. Toutefois, la SAR a rejeté cette explication parce que les formulaires portent des dates différentes et n’ont donc pas été remplis au même moment, comme l’a suggéré le demandeur.

[36] L’intérêt de la police nigériane à l’égard du demandeur était un élément central de la demande. Je conclus donc qu’il était raisonnable de la part de la SAR de tirer des conclusions défavorables en matière de crédibilité puisque le demandeur a omis ce fait dans le formulaire Annexe 12 et que son récit à ce sujet a évolué (voir Jimoh‑Atolagbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 500 au para 11).

[37] Mon collègue le juge Norris a traité d’une situation semblable dans l’affaire Osikoya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 720 (Osikoya), où la SAR a tiré des conclusions défavorables en matière de crédibilité en raison des incohérences entre l’exposé circonstancié contenu dans le formulaire FDA et les réponses données dans le formulaire Annexe 12 de la demanderesse. À peu près comme le demandeur en l’espèce, dans Osikoya, le formulaire Annexe 12 de la demanderesse indiquait qu’elle n’était pas recherchée par la police, ce qui contredisait l’exposé circonstancié contenu dans le formulaire FDA (Osikoya, au para 26). Lorsqu’elle a été interrogée au sujet de cette contradiction, la demanderesse a répondu qu’elle ne savait pas ce que signifiait « recherché » (Osikoya, au para 27). Le juge Norris a décidé que la conclusion défavorable en matière de crédibilité tirée par la SAR était déraisonnable parce que, bien que cette « constatation contradictoire » se rapportait à un élément central de la demande d’asile, ce fait important était décrit dans l’exposé circonstancié que la demanderesse avait rédigé le même jour qu’elle avait rempli le formulaire Annexe 12 (Osikoya, au para 31). La Cour a noté que le fait que la demanderesse avait mal compris la question était raisonnable étant donné la manière dont celle‑ci était formulée dans le formulaire (Osikoya, au para 32).

[38] Cependant, bien que je puisse comprendre que la question du formulaire Annexe 12 peut en fait porter à confusion, la présente affaire se distingue d’Osikoya parce que les formulaires du demandeur ont été signés des jours différents et, comme l’a correctement souligné la SAR, certains aspects du récit du demandeur ont évolué d’un formulaire à l’autre. Je conclus donc qu’il n’était pas déraisonnable de la part de la SAR de tirer une conclusion défavorable en matière de crédibilité en raison des incohérences dans la preuve présentée par le demandeur, à savoir s’il était recherché par la police nigériane.

[39] Bien que j’accepte l’argument avancé par le demandeur selon lequel il y a des erreurs d’importance mineure dans la décision de la SAR, telle la façon dont la SAR a évalué la preuve en lien avec l’utilisation des communications par courriel au Nigéria, je ne suis pas d’avis que ces lacunes suffisent pour rendre la décision déraisonnable dans son ensemble. En somme, je conclus que la SAR a répondu aux observations écrites du demandeur, a examiné les explications du demandeur et a tiré des conclusions défavorables raisonnables en matière de crédibilité en fonction des incohérences qui constituaient des éléments centraux de la demande d’asile du demandeur. Conformément aux principes établis dans l’arrêt Vavilov, je conclus que cette décision possède les caractéristiques d’une décision transparente, rationnelle et justifiable.

V. Conclusion

[40] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision de la SAR est raisonnable. Je rejette donc la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3991‑20

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3991‑20

 

INTITULÉ :

SYLVESTER OZIEGBE EHICHOYA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 JUILLET 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 SeptembrE 2022

 

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

 

Pour le demandeur

Leanne Briscoe

 

Pour lE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dov Maierovitz

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour lE DÉFENDEUR

 

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