Date : 20041015
Dossier : IMM-2954-04
Référence : 2004 CF 1427
Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2004
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER
ENTRE :
GASHEMEZA JACQUES NGORORANO
(alias Jacques Gasheme Ngororano)
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
LA JUGE SNIDER
[1] Le demandeur, un citoyen rwandais d'origine tutsie, est arrivé au Canada en 2001 en provenance des États-Unis. Il a présenté une demande d'asile dans laquelle il a prétendu être un réfugié au sens de la Convention et une personne à protéger. Il a fondé sa demande sur une crainte de persécution par les Interahamwe, un groupe extrémiste hutu au Rwanda. Dans une décision datée du 4 mars 2004, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa demande, concluant que son récit des événements qui auraient donné lieu à sa demande n'était pas crédible. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.
Questions litigieuses
[2] La présente demande soulève une question :
1. La Commission a-t-elle commis une erreur dans son interprétation de la preuve soumise par le demandeur ou a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir compte de l'ensemble de la preuve soumise par le demandeur?
[3] Plus particulièrement, le demandeur soutient que la Commission a commis les erreurs suivantes :
1. La Commission a commis une erreur en concluant qu'il n'avait pas révélé le nom des présumés meurtriers aux autorités.
2. La Commission a commis une erreur en rejetant la lettre de son épouse, qui corroborait sa demande.
3. La Commission a commis une erreur en rejetant l'explication qu'il a donnée quant à la raison pour laquelle il n'avait pas quitté le Rwanda avec son propre passeport.
4. La Commission a commis une erreur en concluant que l'État lui avait offert sa protection.
Analyse
[1] Je peux annuler la décision de la Commission uniquement si je conclus qu'elle était manifestement déraisonnable, en ce sens qu'elle ne s'appuyait aucunement sur la preuve. Comme l'a affirmé la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 52, une décision manifestement déraisonnable est une décision clairement irrationnelle ou de toute évidence non conforme à la raison.
Nom des présumés meurtriers
[2] Dans sa décision, la Commission a dit :
De plus, le tribunal n'estime pas crédible la déclaration du demandeur, selon laquelle il était le seul à être ciblé par les Hutus, même si d'autres personnes ont rapporté les noms des présumés meurtriers de l'épouse du directeur de l'école. [...] Le tribunal estime que, si d'autres personnes avaient aussi signalé les noms des présumés meurtriers, selon la prépondérance des probabilités, les Hutus les auraient également ciblées. Le tribunal estime que le demandeur n'a pas rapporté aux autorités les noms des présumés meurtriers.
[3] Le demandeur soutient qu'il n'a pas dit dans son témoignage si les autres personnes qui avaient révélé l'identité des agresseurs avaient ou non eu des problèmes.
[4] Ce paragraphe de la décision de la Commission n'est pas particulièrement clair. Il y avait des éléments de preuve indiquant qu'au moment où le demandeur aurait reçu la lettre de menace ayant précipité son départ, personne d'autre n'avait reçu de lettre. Toutefois, même en supposant que l'erreur alléguée par le demandeur ait été commise, je ne suis pas convaincue que cette erreur mineure était déterminante quant à la décision. La conclusion que le demandeur n'avait pas révélé l'identité des présumés meurtriers aux autorités n'était pas déterminante quant à l'issue de la demande. Lorsqu'on la considère dans son ensemble, on constate que la décision reposait sur un certain nombre de conclusions suivant lesquelles le récit du demandeur n'était pas suffisamment crédible. Cette erreur mineure, si erreur il y a, ne rend pas la décision manifestement déraisonnable.
Rejet de la lettre de l'épouse du demandeur
[5] Le demandeur a soumis une lettre de son épouse au Rwanda, dans laquelle celle-ci affirmait qu'elle avait appris que les Interahamwe étaient à sa recherche. La Commission a rejeté cette lettre, déclarant qu'elle « n'accorde aucune foi à cette pièce d'information et estime qu'elle a été admise en preuve en vue de soutenir la demande » . Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en ne motivant pas sa décision de rejeter cette lettre.
[6] Dans la lettre, la seule mention du risque auquel était exposé le demandeur consistait en du ouï-dire. Le rejet de la lettre était donc tout à fait raisonnable.
Passeport
[7] La Commission n'a pas jugé crédible les explications fournies par le demandeur quant à la raison pour laquelle il n'avait pas quitté le Rwanda avec un passeport valide. Cette question a été longuement débattue à l'audience. Bien que le demandeur ait essayé d'expliquer la situation, son témoignage sur ce point était incohérent. La Commission n'a pas accepté son explication. Le demandeur soutient que la conclusion de la Commission était manifestement déraisonnable. Je ne suis pas d'accord.
[8] Ayant pris connaissance des motifs et du contenu de la transcription sur ce point, je suis convaincue qu'il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer la conclusion qu'elle a tirée et de rejeter l'explication du demandeur. Il n'y a eu aucune erreur.
Possibilité de se prévaloir de la protection de l'État
[9] Le demandeur soutient que la conclusion de la Commission suivant laquelle il pouvait se réclamer de la protection de l'État est viciée et que la Commission n'a pas tenu compte du fait que les autorités n'avaient pas fait enquête relativement à la lettre de menace, mais lui avaient tout simplement recommandé de faire preuve de prudence.
[10] L'analyse des motifs de la Commission n'appuie pas cette conclusion. La Commission a reconnu que la protection étatique n'était pas parfaite lorsqu'elle a mentionné que la police avait averti le demandeur qu'elle ne pouvait pas garantir sa sécurité. La Commission s'est ensuite référée à l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.), où on a conclu que le simple fait qu'un État ne réussit pas toujours à protéger ses citoyens ne permet pas de conclure qu'une victime est incapable de se réclamer de sa protection. Le demandeur, dans son propre témoignage, auquel a fait référence la Commission, a affirmé que les autorités de l'État menaient une enquête et faisaient des arrestations relativement à l'incident de 1997, et qu'elles avaient continué de protéger l'école et les civils.
[11] L'analyse de la Commission, bien qu'elle soit brève sur ce point, montre que la Commission a appliqué le bon critère pour déterminer si le demandeur pouvait se réclamer de la protection de l'État. Sur le vu de la preuve dont elle était saisie, je suis convaincue que la conclusion de la Commission n'était pas manifestement déraisonnable.
Conclusion
[12] En conclusion, la décision n'est pas clairement irrationnelle ou de toute évidence non conforme à la raison. Pour ces motifs, la demande sera rejetée. Ni l'une ni l'autre des parties n'a proposé une question à certifier. Aucune question ne sera certifiée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. La demande est rejetée; et
2. Aucune question n'est certifiée.
« Judith A. Snider »
Juge
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2954-04
INTITULÉ : GASHEMEZA JACQUES NGORORANO (ALIAS JACQUES GASHEME NGORORANO)
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : EDMONTON (ALBERTA)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 13 OCTOBRE 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LA JUGE SNIDER
DATE DES MOTIFS : LE 15 OCTOBRE 2004
COMPARUTIONS :
Simon K. Yu POUR LE DEMANDEUR
W. Brad Hardstaff POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Simon K. Yu POUR LE DEMANDEUR
Avocat
Edmonton (Alberta)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada