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Date : 20220907


Dossier : T-1049-18

Référence : 2022 CF 1268

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 septembre 2022

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

RE/MAX, LLC

demanderesse

et

SAVE MAX REAL ESTATE INC. ET RAMAN DUA

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] RE/MAX, LLC a déposé la présente requête en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les RCF], en vue d’interjeter appel d’une ordonnance rendue par la juge responsable de la gestion de l’instance, la juge adjointe Ring.

[2] Le 12 août 2022, la juge adjointe Ring a rejeté une requête que RE/MAX avait déposée au titre de l’article 75 des RCF en vue d’obtenir une ordonnance l’autorisant à modifier sa déclaration de la façon proposée dans son dossier de requête [l’ordonnance contestée]. RE/MAX sollicite donc une ordonnance annulant l’ordonnance contestée et lui accordant l’autorisation de modifier sa déclaration comme elle l’a proposé ou, subsidiairement, de présenter une nouvelle demande en vue de modifier la déclaration, de même que les dépens afférents à la requête.

[3] Par souci de clarté, dans les présents motifs, j’appellerai la présente requête de RE/MAX « la requête fondée sur l’article 51 » et sa requête antérieure, « la requête fondée sur l’article 75 ».

[4] Après avoir examiné les observations écrites des parties et entendu les observations de vive voix qu’elles ont présentées par vidéoconférence le 1er septembre 2022, je suis convaincue que la Cour ne doit pas intervenir pour annuler l’ordonnance contestée. Pour les motifs qui suivent, je rejetterai donc la requête fondée sur l’article 51 de RE/MAX.

II. Contexte

[5] L’action sous-jacente intentée par RE/MAX contre Save Max Real Estate Inc. [Save Max] et Raman Dua [collectivement, les défendeurs] est essentiellement une action en usurpation de marques de commerce et en commercialisation trompeuse. Dans ses allégations, RE/MAX affirme notamment que les défendeurs ont annoncé, offert et fourni, en concurrence avec RE/MAX, des services immobiliers et des services connexes au Canada en liaison avec des marques de commerce similaires au point de créer de la confusion avec ses propres marques de commerce (telles qu’elles sont définies dans la déclaration). De plus, RE/MAX soutient que les défendeurs ont adopté une présentation commerciale usurpée qui accroît la probabilité de confusion avec ses propres marques de commerce. Enfin, RE/MAX affirme également que les défendeurs ont contrevenu aux alinéas 7b), 7c) et 7d) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 [la LMC].

[6] La clôture des actes de procédure dans l’action sous-jacente a eu lieu après que RE/MAX eut déposé sa réponse à la défense des défendeurs le 28 août 2018. L’ordonnance établissant la date et le lieu du procès a été rendue le 23 novembre 2021, et le procès devait débuter le 21 septembre 2022.

[7] Le 26 juillet 2022, RE/MAX a déposé une requête en modification de sa déclaration. Les modifications proposées, qui sont divisées en deux catégories, ont été décrites de la façon suivante par RE/MAX :

  • a)des modifications précisant la manière dont les défendeurs ont utilisé les marques de commerce usurpées par voie de licence par l’intermédiaire de leur société affiliée, Save Max International Inc., qui a octroyé des sous-licences aux maisons de courtage et aux courtiers franchisés au Canada [les modifications relatives aux franchises]; et

  • b)des modifications visant à ajouter deux marques de commerce déposées à la liste des marques de RE/MAX que les défendeurs auraient usurpées [les modifications relatives aux marques].

[8] Le 12 août 2022, la juge adjointe Ring a rejeté la demande d’autorisation de modification de la déclaration de RE/MAX. Dans son ordonnance, citant Teva Canada Limitée c Gilead Sciences Inc., 2016 CAF 176 aux para 29-32, elle a souligné le critère que doit remplir la partie requérante dans le cadre d’une requête en modification d’un acte de procédure, c’est-à-dire que la modification proposée doit avoir une « possibilité raisonnable de succès ».

[9] S’appuyant sur les décisions Whaling c Canada (Procureur général), 2018 CF 748 au para 6, et Farmobile, LLC c Farmers Edge Inc., 2022 CF 22 au para 21, la juge adjointe Ring a conclu que RE/MAX n’avait pas invoqué, dans les modifications relatives aux marques qu’elle proposait, les faits substantiels nécessaires pour justifier toute cause d’action valable. Selon elle, les modifications relatives aux franchises concernaient une toute nouvelle revendication, qui s’écartait radicalement de la demande existante; elles ne précisaient pas simplement la demande existante, comme le soutenait RE/MAX.

[10] Même si elle a conclu que la requête fondée sur l’article 75 de RE/MAX ne satisfaisait pas au critère préliminaire, la juge adjointe Ring a tout de même examiné le critère à deux volets qui s’appliquer pour apporter une modification à tout stade de l’action aux fins de déterminer les questions litigieuses entre les parties. Les éléments du critère sont les suivants : i) l’autorisation ne cause pas d’injustice à l’autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et ii) elle sert les intérêts de la justice [le critère de l’arrêt Canderel] (Canderel Ltée c Canada (C.A.), 1993 CanLII 2990 (CAF), [1994] 1 CF 3 (CA) au para 10 [Canderel], et Enercorp Sand Solutions Inc. c Specialized Desanders Inc., 2018 CAF 215 au para 19).

[11] Après avoir appliqué le critère de l’arrêt Canderel, la juge adjointe Ring a conclu que le fait d’autoriser les modifications proposées ne servirait pas les intérêts de la justice pour plusieurs raisons. Premièrement, un délai excessif et inexpliqué de 18 mois s’était écoulé entre le moment où les faits applicables ont été mis en lumière durant l’interrogatoire préalable du défendeur, Raman Dua, et le dépôt de la requête en modification.

[12] Deuxièmement, comme je l’ai mentionné, la juge adjointe Ring n’était pas convaincue que les modifications proposées apportaient simplement des précisions à la demande existante. Elle était plutôt d’avis qu’elles s’en écartaient radicalement et que, advenant leur autorisation, elles en élargiraient la portée à deux égards. D’une part, au lieu de concerner seulement les défendeurs désignés, la demande mettrait aussi en cause des tiers; d’autre part, au lieu d’être axée seulement sur les activités relatives à l’immobilier résidentiel des défendeurs, elle toucherait également à leurs activités relatives à l’immobilier commercial.

[13] Troisièmement, les modifications proposées pourraient retarder l’instruction expéditive de l’affaire, qui doit, pour le moment, débuter le 21 septembre 2022.

[14] Quatrièmement, la juge adjointe Ring n’était pas convaincue que les modifications proposées faciliteraient l’examen par la Cour du véritable fond du différend.

[15] Enfin, la juge adjointe Ring a ajouté que l’autorisation des modifications proposées causerait un préjudice aux défendeurs d’une manière que des dépens ne pourraient manifestement pas réparer et rendrait impraticable le calendrier actuel des étapes préalables au procès, ce qui retarderait considérablement celui-ci.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[16] Dans sa requête en annulation de l’ordonnance antérieure, RE/MAX affirme que la juge adjointe Ring a eu tort de conclure :

  • a)que les modifications relatives aux franchises ne révélaient aucune cause d’action valable et qu’elles n’avaient donc aucune possibilité raisonnable de succès; et

  • b)que les modifications relatives aux marques de commerce s’écartaient radicalement de la demande existante et élargissaient la véritable portée de l’action, qui n’était plus axée que sur l’immobilier résidentiel, mais englobait aussi l’immobilier commercial.

[17] Comme solution de rechange à l’annulation de l’ordonnance antérieure, RE/MAX sollicite l’autorisation de présenter une nouvelle demande de modification de sa déclaration.

[18] La norme de contrôle applicable dans le contexte d’une requête fondée sur l’article 51 des RCF en vue d’interjeter appel d’une décision rendue par un protonotaire ou un juge adjoint est la norme d’appel définie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 aux para 7-36 : Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 aux para 63, 65, 79 et 83.

[19] Comme la Cour d’appel fédérale l’a expliqué tout récemment, « les questions de fait et les questions mixtes de droit et de fait sont contrôlées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante, tandis que les questions de droit et les questions mixtes de droit et de fait contenant une question de droit isolable sont assujetties à la norme de la décision correcte » : Worldspan Marine Inc. c Sargeant III, 2021 CAF 130 au para 48.

[20] La norme de « l’erreur manifeste et dominante » est une norme de contrôle qui commande une grande déférence. Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, alors que par erreur « dominante », on entend une erreur qui a une incidence déterminante sur l’issue de l’affaire : Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157 aux para 61-64.

IV. Analyse

[21] Bien que j’aie des réserves quant à l’évaluation qu’a effectuée la juge adjointe Ring de la question de savoir si les modifications proposées ont une possibilité raisonnable de succès, je ne suis pas convaincue qu’elle a commis une erreur susceptible de contrôle justifiant l’intervention de la Cour. Même si j’ai tort, cette question n’est pas déterminante, à mon avis, car je ne suis pas convaincue que la juge adjointe Ring a commis une erreur dans son examen du critère de l’arrêt Canderel. Je traiterai chaque question une à une, puis j’examinerai la demande de RE/MAX en vue d’obtenir, subsidiairement, l’autorisation de présenter une nouvelle demande de modification de sa déclaration.

A. Question préliminaire relative à la possibilité raisonnable de succès

[22] Je me penche d’abord sur la distinction établie par la juge adjointe Ring entre l’affaire Robert Simpson Co. v. Simpson’s-in-the-Strand Ltd., [1980] 49 CPR (2e) 16, 1980 CarswellOnt 1336 [Simpson], et l’action intentée par RE/MAX, qui l’a amenée à conclure que les modifications proposées par RE/MAX n’avaient aucune possibilité raisonnable de succès.

[23] RE/MAX s’est appuyée sur l’affaire Simpson pour justifier les modifications relatives aux franchises qu’elle proposait, dans lesquels elle a notamment affirmé que Save Max avait [traduction] « aidé et encouragé » les franchisés titulaires de sous-licence. Comme l’a souligné la juge adjointe Ring, dans l’affaire Simpson, le concédant de licence et le licencié, que le concédant de licence aurait aidé et encouragé à exercer des activités d’usurpation, étaient tous deux parties à l’action, à titre de défendeurs. C’était également le cas d’un employeur et de son agent de vente, dans une affaire antérieure instruite par la Cour de l’Échiquier concernant une allégation de complicité dans un contexte de commercialisation trompeuse, citée dans l’ouvrage Fox on Canadian Law of Trade-marks and Unfair Competition, 4e édition, 4:14, note de bas de page 2 : Cardwell v Leduc (1962), 41 CPR 167.

[24] Cependant, je ne suis pas convaincue qu’il doit y avoir un lien direct, comme l’a déclaré la juge adjointe Ring, entre les défendeurs et les tiers en l’espèce pour tenir compte de l’application du paragraphe 50(1) de la LMC, comme le demande RE/MAX dans le cadre de la requête fondée sur l’article 51. Dans les modifications proposées, RE/MAX affirme que Save Max a autorisé Save Max International Inc. [SMI] à conclure des contrats de franchise et qu’elle lui a octroyé une licence à cette fin, et que, à son tour, SMI a conclu des contrats de franchise avec des entreprises de courtage immobilier et des courtiers immobiliers au Canada et a accordé des sous-licences aux franchisés pour l’emploi de marques de commerce et d’une présentation commerciale usurpées.

[25] Le paragraphe 50(1) de la LMC dispose :

Licence d’emploi d’une marque de commerce

License to use trademark

50 (1) Pour l’application de la présente loi, si une licence d’emploi d’une marque de commerce est octroyée, pour un pays, à une entité par le propriétaire de la marque, ou avec son autorisation, et que celui-ci, aux termes de la licence, contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des produits et services, l’emploi, la publicité ou l’exposition de la marque, dans ce pays, par cette entité comme marque de commerce, nom commercial — ou partie de ceux-ci — ou autrement ont le même effet et sont réputés avoir toujours eu le même effet que s’il s’agissait de ceux du propriétaire.

50 (1) For the purposes of this Act, if an entity is licensed by or with the authority of the owner of a trademark to use the trademark in a country and the owner has, under the licence, direct or indirect control of the character or quality of the goods or services, then the use, advertisement or display of the trademark in that country as or in a trademark, trade name or otherwise by that entity has, and is deemed always to have had, the same effect as such a use, advertisement or display of the trademark in that country by the owner.

[Non souligné dans l’original.]

[26] Il est bien établi que l’existence d’une relation d’affaires ne suffit pas en soi pour établir le contrôle exigé au titre de l’article 50 de la LMC : Cheung Kong (Holdings) Ltd. c Living Realty Inc. (1re inst.), [2000] 2 CF 501, 1999 CanLII 9394 (CF) aux para 44-45; Live! Holdings, LLC c Oyen Wiggs Green & Mutala LLP, 2020 CAF 120 au para 47 (pour ne nommer que quelques décisions des cours fédérales parmi les nombreuses rendues en la matière).

[27] En outre, en ce qui concerne la requête fondée sur l’article 51, les défendeurs concèdent que la demanderesse a fait mention de l’article 50 de la LMC, du moins au passage, lors de l’audience relative à la requête fondée sur l’article 75. Je souligne toutefois que ni les modifications proposées par RE/MAX ni ses observations écrites relativement à cette seconde requête ne font mention de l’article 50 de la LMC, et ses observations de vive voix n’étaient pas claires, selon moi, en ce qui a trait à l’application de cette disposition.

[28] Par exemple, lorsque la juge adjointe Ring a demandé à l’avocat de RE/MAX si les modifications proposées apportaient simplement, comme l’affirmait RE/MAX, des précisions à la demande existante, ou s’il s’agissait de nouvelles revendications, il a répondu que la façon de procéder de son client, c’est-à-dire de s’appuyer sur les liens de contrôle entre les défendeurs et les contrefacteurs finaux, au lieu de désigner tous les franchisés comme défendeurs, était peut-être irrégulière.

[29] Je souligne également que, dans les modifications proposées, il est allégué que Raman Dua est l’unique dirigeant et administrateur de SMI et que les activités d’usurpation qu’auraient exercées les franchisés se sont déroulées [traduction] « avec l’autorisation des défendeurs et sous leur direction ». Dans la demande existante, il est allégué que Raman Dua se sert sciemment de Save Max comme moyen de s’approprier une part des profits de la demanderesse. Dans les modifications proposées, il est également allégué que Raman Dua se sert sciemment de Save Max et de SMI pour s’approprier une part des profits de la demanderesse.

[30] Dans les deux requêtes, les défendeurs soutiennent que pour tenir SMI et les franchisés responsables, il faut percer le voile de la personnalité morale parce que, selon ma compréhension de leur argument, le défendeur, Raman Dua, est le mandant de Save Max et de SMI. Compte tenu du fait que, dans le cadre de la requête fondée sur l’article 75, RE/MAX n’a apporté aucune précision à l’égard de la nature du contrôle invoqué, c’est-à-dire le contrôle de l’entreprise ou le contrôle au sens du paragraphe 50(1), je ne suis pas convaincue que la juge adjointe Ring a commis une erreur de droit ou une erreur manifeste et dominante lorsqu’elle a conclu, dans le contexte d’un prétendu contrôle d’entreprise et d’un défaut de plaider les faits substantiels nécessaires, que les modifications relatives aux franchises ne devaient pas être autorisées parce que RE/MAX ne s’est pas acquittée de son fardeau de démontrer que ces modifications avaient une possibilité raisonnable de succès.

[31] Même si les mesures de réparation que demande RE/MAX dans son action, comme une injonction, pourraient, si elles étaient accordées, avoir une incidence sur le franchiseur/concédant de licence, SMI, et les franchisés/titulaires de sous-licence non identifiés, j’estime qu’il est difficile de savoir exactement dans quelle mesure, le cas échéant, RE/MAX aurait droit aux profits générés par les tiers, en l’absence de la levée du voile de la personnalité morale. Il faut établir une distinction entre la situation en l’espèce et celle dans l’affaire Simpson, où le concédant de licence et le licencié étaient tous deux parties au litige.

[32] Contrairement à ce qu’affirme RE/MAX, je ne suis pas convaincue non plus que la juge adjointe Ring a commis une erreur de droit ou une erreur manifeste et dominante lorsqu’elle s’est appuyée sur la décision de notre Cour dans l’affaire Specialized Desanders Inc. c Enercorp Sand Solutions Inc., 2018 CF 689 [Desanders] au para 38, pour conclure qu’elle ne pouvait pas examiner les éléments de preuve présentés par RE/MAX dans la requête fondée sur l’article 75, sauf aux seules fins décrites dans la décision Desanders. Ces éléments de preuve comprennent un document intitulé [traduction] « Contrat de franchise », qui a été produit par les défendeurs à la suite de l’interrogatoire préalable de Raman Dua, qui comportait des questions à propos des franchises. À mon avis, la tentative de RE/MAX de s’appuyer sur le contrat de franchise pour justifier les modifications relatives aux franchises qu’elle proposait renforce la conclusion de la juge adjointe Ring selon laquelle les modifications proposées ne contiennent pas les faits substantiels nécessaires pour établir une possibilité raisonnable de succès.

[33] RE/MAX fait valoir que le contrat de franchise aurait dû être admis en preuve afin de clarifier les modifications proposées : VISX, Inc. c Nidek Co., [1996] ACF no 1721 au para 16. Je ne suis pas convaincue, cependant, que l’admission du document aurait permis de clarifier les modifications proposées. Selon moi, ce document aurait brouillé davantage les cartes, parce qu’il s’agit d’un document non signé dans lequel le franchiseur désigné dans le titre et les premières pages est « SAVE MAX INTERNATIONAL INC. », mais « SAVE MAX REAL ESTATE INC. » à la ligne de signature du franchiseur, à la dernière page.

[34] Les défendeurs font également valoir, au sujet de la requête fondée sur l’article 51, que, dans les observations relatives à l’article 50 de la LMC qu’elle y présente, la demanderesse reformule ses arguments en fonction d’une nouvelle théorie juridique, selon laquelle une disposition déterminative peut être invoquée à l’appui d’allégations d’usurpation de marques de commerce et de commercialisation trompeuse. Les défendeurs soutiennent qu’il est évident que le paragraphe 50(1) a pour objet d’empêcher la radiation pour non-emploi d’une marque de commerce lorsque celle-ci est employée par le titulaire d’une licence octroyée par le propriétaire, mais ils n’ont fourni aucun précédent à l’appui de cette affirmation. D’après une simple lecture du paragraphe 50(1) et des mots « le même effet » (ou « the same effect » dans la version anglaise de cette disposition), je ne suis pas convaincue que l’objet de ce paragraphe est uniquement celui que prétendent les défendeurs. Cependant, je n’ai pas non plus besoin de trancher cette question dans le contexte de la requête fondée sur l’article 51, notamment parce que les observations des défendeurs, comme celles liées à la « nouvelle théorie juridique » de la demanderesse (selon les termes des défendeurs), n’ont pas été soulevées devant la juge adjointe Ring. Je suis d’accord avec mon collègue le juge Manson pour dire que la Cour ne doit pas examiner ce genre de question dans le cadre d’une requête fondée sur l’article 51 : ViiV Healthcare Company c Gilead Sciences Canada, Inc., 2019 CF 1579 [ViiV] au para 50.

[35] Dans les circonstances, je suis convaincue que la juge adjointe Ring n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a conclu que RE/MAX ne s’était pas acquittée de son fardeau de démontrer que les modifications proposées ont une possibilité raisonnable de succès, dans le contexte du lien allégué entre Save Max et SMI.

B. Critère de l’arrêt Canderel

[36] En ce qui concerne l’examen par la juge adjointe Ring du critère de l’arrêt Canderel, je ne suis pas convaincue qu’elle a commis une erreur de droit ou une erreur manifeste et dominante qui justifie l’intervention de la Cour.

[37] En appel, RE/MAX réaffirme que les modifications proposées, tant celles relatives aux franchises que celles relatives aux marques de commerce, viennent préciser la demande existante. Bien que les modifications soient fondées sur des renseignements qui ont été mis en lumière durant l’interrogatoire préalable de Raman Dua, qui a eu lieu 18 mois plus tôt, RE/MAX n’a proposé les modifications que lors de la préparation en vue du procès. La préparation au procès n’explique pas, selon moi, pourquoi les modifications n’ont pas été proposées à l’époque de l’interrogatoire préalable ou peu après, plutôt que peu de temps avant le procès. J’estime donc que la juge adjointe Ring a eu raison de conclure [traduction] « [qu’]un délai excessif et inexpliqué s’est écoulé avant le dépôt de la requête fondée sur l’article 75 », ce qui est un important facteur relatif à l’« intérêt de la justice » qui milite fortement contre l’autorisation des modifications proposées.

[38] De plus, même si je n’aurais peut-être pas décrit les modifications proposées comme un écart radical par rapport à la demande existante de RE/MAX qui élargit la portée de l’action, je conviens qu’elles s’en écartent tout de même, pour les mêmes motifs que ceux exposés par la juge adjointe Ring.

[39] Cela étant dit, je suis d’avis que la juge adjointe Ring a commis une erreur manifeste, mais pas dominante, lorsqu’elle a conclu que [traduction] « les modifications relatives aux marques de commerce proposent d’élargir la portée de l’action qui, plutôt que d’être axée seulement sur les activités relatives à l’immobilier résidentiel des défendeurs, toucherait également à leurs activités liées à l’immobilier commercial ». Les marques de commerce de RE/MAX, telles qu’elles sont actuellement revendiquées, ne sont pas, de manière générale, limitées en fonction des voies de commercialisation applicables (c.-à-d. l’immobilier résidentiel par rapport à l’immobilier commercial). À l’instar des modifications relatives aux franchises, les raisons données par RE/MAX pour justifier l’ajout des enregistrements nos TMA771851, pour le dessin-marque RE/MAX COMMERCIAL, et TMA1017770, pour le dessin-marque FOR SALE, reposent sur l’interrogatoire préalable de Raman Dua, au cours duquel celui-ci a été questionné sur la portée des activités commerciales des défendeurs. De même, aucune explication n’a été fournie pour justifier le délai excessif. Bien que l’enregistrement no TMA1017770 n’ait été délivré qu’après l’introduction de l’action, il est fondé sur un emploi de la marque de commerce au Canada bien avant ce moment et aurait pu être inclus dans l’allégation de commercialisation trompeuse.

[40] Enfin, RE/MAX affirme que les modifications proposées n’occasionneraient aucune étape supplémentaire, car a) elles s’appuieraient sur les renseignements obtenus jusqu’à maintenant par RE/MAX grâce au processus d’interrogatoire préalable, b) les renseignements sur lesquels elles reposent sont connus des défendeurs, et c) la défense des défendeurs est suffisamment vaste pour en traiter. Toutefois, je ne suis pas convaincue que la juge adjointe Ring a eu tort de conclure que les modifications causeraient manifestement un préjudice aux défendeurs que des dépens ne pourraient réparer en raison d’une myriade d’étapes procédurales engendrées par celles-ci, qui retarderaient considérablement le procès.

C. Autorisation de présenter une nouvelle demande

[41] Je conviens avec les défendeurs que la demande de RE/MAX pour obtenir l’autorisation de présenter une nouvelle demande en vue de modifier sa déclaration n’a pas été formulée devant la juge adjointe Ring, ni par écrit ni de vive voix, ce qui en fait une nouvelle question en appel. Il incombe à la partie qui souhaite soulever une nouvelle question en appel de démontrer que la Cour devrait l’examiner sans que cela ne cause de préjudice à la partie adverse : Guindon c Canada, 2015 CSC 41 aux para 22-23; Viiv, précitée, au para 50. RE/MAX ne m’a pas convaincue que la Cour devrait examiner cette question.

V. Conclusion

[42] Pour les motifs qui précèdent, je ne suis pas convaincue que la situation justifie que notre Cour intervienne dans la décision discrétionnaire par laquelle la juge Ring a rejeté la requête fondée sur l’article 75 de RE/MAX. Je rejetterai donc la requête fondée sur l’article 51 de RE/MAX avec dépens payables par la demanderesse aux défendeurs, quelle que soit l’issue de la cause.

[43] Contrairement à ce que prévoient les Lignes directrices générales consolidées de la Cour fédérale datées du 8 juin 2022, les parties n’ont pas indiqué à la Cour si elles s’étaient entendues sur le montant des dépens. Je souligne que, dans une autre requête fondée sur l’article 51 déposée préalablement dans la présente instance, la partie gagnante a reçu une somme globale de 2 500 $, les parties ayant convenu que la partie gagnante aurait droit à des dépens d’un montant de 2 000 $ à 3 000 $. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant des dépens auxquels les défendeurs ont droit dans le cadre de la présente requête fondée sur l’article 51, elles pourront déposer de brèves observations ne dépassant pas deux pages dans les sept jours suivant la date de la présente ordonnance et des présents motifs. Dans le cadre de la préparation de leurs observations, le cas échéant, les parties sont priées de noter que je ne souscris pas à la position des défendeurs selon laquelle des dépens plus élevés sont justifiés. Je conviens avec RE/MAX que le moment où la requête fondée sur l’article 51 a été déposée était conforme aux RCF.

[44] Je précise que les motifs qui précèdent n’empêchent pas RE/MAX de déposer des éléments de preuve à l’appui de sa thèse et de la plaider au procès, y compris dans ses observations liminaires ou finales. Bien que, habituellement, les parties ne soient pas autorisées à présenter des observations sur des questions qui n’ont pas encore été plaidées, la Cour peut faire preuve de souplesse [traduction] « et permettre à une partie de soulever une question qui ne figure pas littéralement dans un acte de procédure si cela ne cause aucune injustice » : 101217990 Saskatchewan Ltd (District Brewing Company) c Lost Craft Inc, 2022 CF 1254 au para 9.


ORDONNANCE dans le dossier T-1049-18

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête fondée sur l’article 51 des Règles des Cours fédérales par laquelle RE/MAX a interjeté appel de l’ordonnance rendue le 12 août 2022 par la juge responsable de la gestion de l’instance, la juge adjointe Ring, est rejetée, avec dépens payables par RE/MAX, LLC à Save Max Real Estate Inc. et à Raman Dua, quelle que soit l’issue de la cause.

  2. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant des dépens, elles pourront déposer de brèves observations ne dépassant pas deux pages dans les sept jours suivant la date de la présente ordonnance et des présents motifs.

« Janet M. Fuhrer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Philippe Lavigne-Labelle


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1049-18

 

INTITULÉ :

RE/MAX, LLC c SAVE MAX REAL ESTATE INC. ET RAMAN DUA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER SEPTEMBRE 2022

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE FUHRER

 

DATE DES MOTIFS ET DE L’ORDONNANCE :

LE 7 SEPTEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Karen F. MacDonald

Renaud Garon Gendron

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Sandon Shogilev

Daniel Cappe

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Christopher S. Wilson

Karen F. MacDonald

Renaud Garon Gendron

Dylan Braam

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Andrew Brodkin

Sandon Shogilev

Daniel Cappe

Jordan Scopa

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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