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Date : 20220914

Dossier : IMM-1499-21

Référence : 2022 CF 1294

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 septembre 2022

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

MOH’D TAREQ YAHIA MOUSA ABU AL HOMMOS

REEMAN MOHAMMAD ABDEL RAHMAN AHMAD

SAIF MOHD TAREQ YAHIA ABU AL HOMMOS

FARES MOHAMMED YAHYA ABU ALHOMMOS

JENA MOH’D TARIQ YAHIA ABUALHOMMOS

JAWAD MOHD TARE ABU AL HOMMOS

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs forment une famille. Moh’d Tareq Yahia Mousa Abu Al Hommos (le demandeur principal) est l’époux de Reeman Mohammad Abdel Rahman Ahmad. Ils sont les parents de cinq enfants mineurs, dont quatre ont qualité de demandeurs dans la présente demande. Les demandeurs ont présenté une demande d’asile au Canada fondée sur leur crainte que leurs vies étaient en péril en Jordanie, pays dont ils sont ressortissants, après qu’une querelle eut éclaté entre le demandeur principal et sa famille relativement à la vente de terres dont il avait hérité. La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté leur demande d’asile. Puis, la Section d’appel des réfugiés [la SAR] les a déboutés de leur appel. Les demandeurs contestent ce rejet dans la présente demande de contrôle judiciaire.

[2] Les demandeurs ont fait valoir, devant la SAR et en l’instance, que leur droit à l’équité procédurale avait été bafoué durant l’audience devant la SPR du fait que la commissaire de la SPR a interrompu plusieurs fois leurs dépositions qui, de ce fait, en ont été écourtées. J’ai examiné la transcription de l’audience de la SPR et les motifs de la SAR et je n’ai décelé aucune violation de l’équité procédurale. Je ne vois aucune raison d’intervenir dans la décision de la SAR selon laquelle il n’y avait pas eu de violation de l’équité procédurale.

[3] Les demandeurs soutiennent également que les conclusions de la SAR en matière de crédibilité étaient chancelantes, surtout parce que son appréciation de la preuve manquait de sensibilité culturelle. Une grande partie des arguments présentés par les demandeurs sur ce point reposent sur des éléments de preuve exclus par la SAR — une décision que les demandeurs n’ont pas contesté dans le cadre du contrôle judiciaire. Ils ne m’ont pas convaincue que l’analyse de cette question par la SAR était déraisonnable.

[4] Enfin, les demandeurs font valoir que la SAR a négligé de prendre en compte que même si le demandeur principal n’était pas allé contre la volonté de sa famille au regard de l’héritage, il serait tout de même étiqueté de traître. Je ne partage pas l’avis voulant que la SAR ait omis de se pencher sur cet aspect de la demande d’asile.

[5] Pour les motifs énoncés ci-après, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

II. Contexte

[6] Les demandeurs sont Palestiniens et citoyens jordaniens. Leurs demandes d’asile sont fondées sur le désir allégué du demandeur principal d’aliéner sa portion des terres héritées à Jérusalem en faveur du plus haut enchérisseur, même si l’acheteur est un citoyen israélien. La position du demandeur principal s’inscrivait en faux contre les vues d’autres membres de sa famille élargie. Il aurait ensuite été menacé et agressé.

[7] La SPR a conclu que les allégations du demandeur n’étaient pas crédibles. Plus précisément, la SPR a statué que les demandeurs n’avaient pas réussi à établir, au moyen de témoignages crédibles ou de documents corroborants, des aspects centraux de leur demande d’asile, à savoir que le demandeur principal avait hérité de la terre en cause ainsi que le processus de vente la concernant.

[8] Les demandeurs ont interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR. Dans le cadre de leur appel devant celle-ci, ils ont déposé de nouveaux éléments de preuve. Ceux‑ci comprenaient un volumineux affidavit souscrit par le demandeur principal et un acte formaliste traduit relatif à l’héritage. La SAR a conclu que les nouveaux éléments de preuve étaient inadmissibles parce que les demandeurs n’avaient pas démontré que ceux-ci satisfaisaient aux exigences prévues au paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[9] La SAR a rejeté l’appel des demandeurs le 19 février 2021.

III. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[10] Les demandeurs soulèvent trois questions dans la présente demande de contrôle judiciaire : i) la SPR a-t-elle contrevenu au droit à l’équité procédurale des demandeurs durant l’audience en raison des interventions de la commissaire de la SPR ? ii) les conclusions tirées par la SAR quant à la crédibilité sont-elles raisonnables ? iii) la SAR a-t-elle fait abstraction d’un élément central de la demande d’asile des demandeurs ?

[11] Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a confirmé que, lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond, la norme de contrôle présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable. Les parties conviennent que je devrais appliquer la norme de contrôle de la décision raisonnable à mon analyse. Elles ne se sont pas étendues sur ce point.

[12] Sans doute, il pourrait ne pas aller de soi que de caractériser la première question (une violation de l’équité procédurale commise durant l’audience de la SPR) de question strictement circonscrite au bien-fondé de la décision de la SAR. Toutefois, la Cour a conclu dans un certain nombre de décisions que, lorsque la violation alléguée de l’équité procédurale est reliée à la procédure de la SPR, et que la SAR en a traité dans ses motifs (comme en l’espèce), la Cour apprécie ceux qui portent sur la violation alléguée selon la norme de la décision raisonnable (voir par exemple : Ahmad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 214 au para 13; Omirigbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 787 au para 25). Il existe d’autres décisions qui ont écarté cette approche (voir par exemple : Ambroise c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 62 aux para 8-10; Vardalia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 300 au para 20).

[13] Puisqu’aucune des parties n’a présenté d’observation substantielle sur ce point, et que ma décision ne dépend pas de la norme de contrôle, je n’ai pas besoin de trancher cette question. Comme je l’explique plus loin, je suis convaincue que le processus d’audience devant la SPR, qui a permis de constituer le dossier sur lequel s’est penchée la SAR, était équitable dans l’ensemble des circonstances (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54). Je suis également convaincue que la décision de la SAR sur cette question était raisonnable.

IV. Analyse

A. Aucune violation de l’équité procédurale durant l’audience de la SPR

[14] Les demandeurs plaident que la gestion brutale de l’audience a engendré une violation de l’équité procédurale parce que la SPR les a empêchés de présenter des éléments de preuve pertinents, ce qui les a privés de leur droit d’être entendu. Ils se fondent sur deux occasions où la SPR les aurait empêchés de produire des éléments de preuve pertinents.

[15] Dans le premier cas, la commissaire de la SPR aurait sommé le demandeur principal de répondre d’abord à sa question, après que celui-ci eut demandé d’expliquer quelque chose. Selon les demandeurs, il aurait alors été empêché de mettre en lumière le système d’héritage. Suivant les questions posées par la commissaire de la SPR, le conseil des demandeurs a expressément demandé au demandeur principal : [traduction] « Pouvez-vous expliquer comment le système d’héritage fonctionne en Palestine eu égard au legs du grand-père à ses petits-enfants ? ». En me fondant sur mon examen, je me rallie à l’évaluation faite par la SAR. Je ne vois pas comment le demandeur principal a été empêché de témoigner à cet égard.

[16] Dans le second cas, l’épouse du demandeur principal a interrompu la déposition de ce dernier pour savoir si elle pouvait expliquer le droit des successions à la commissaire de la SPR. Celle-ci a refusé de l’autoriser, car elle ne voulait entendre que le demandeur principal à ce moment-là, mais elle a ajouté que le conseil des demandeurs pourrait leur demander s’ils voulaient étayer davantage leur déposition. Au terme du témoignage du demandeur principal, la commissaire de la SPR a indiqué qu’elle n’avait pas d’autres questions pour son épouse, Mme Ahmad, l’autre demanderesse majeure. La Commissaire de la SPR a alors demandé au conseil des demandeurs ce qui suit : [traduction] « Avez-vous d’autres questions pour Mme Ahmad ? Je sais qu’elle voulait dire quelque chose plus tôt. Avez-vous des questions à lui poser ? ». Même après que le précédent conseil des demandeurs eut posé ses questions, la commissaire de la SPR a de nouveau interrogé Mme Ahmad : [traduction] « Avez-vous autre chose à dire madame ? ».

[17] Les demandeurs soutiennent que la commissaire de la SPR ne pouvait s’en tenir à « faire allusion » à la précédente tentative de témoignage de la demanderesse et qu’elle aurait dû en faire davantage pour recueillir cette déposition. Je ne suis pas de cet avis. Cet exemple ne corrobore pas la thèse des demandeurs selon laquelle la production de leur preuve a été entravée par la conduite de la commissaire de la SPR. Il reflète plutôt que celle-ci a pris les mesures nécessaires pour veiller à ce que la demanderesse ait l’occasion de témoigner.

[18] Je ne décèle aucun fondement pour dire que le droit à l’équité procédurale des demandeurs a été bafoué du fait qu’ils ont été empêchés de présenter leur demande d’asile. Je tire la même conclusion en appliquant la norme de la décision raisonnable. Je conclus que la SAR s’est penchée sur les extraits pertinents de la transcription mis en exergue par les demandeurs et a raisonnablement conclu que « la capacité [des demandeurs] à présenter leur cas n’a pas été injustement réduite ». Il n’y a aucune raison de remettre en question cette conclusion.

[19] Je constate, tout comme la SAR, que les demandeurs semblaient alléguer l’incompétence de leur précédent conseil, qui les avait représentés durant l’audience devant la SPR. Celui-ci n’a pas reçu d’avis à cet égard, contrairement aux règles en vigueur, et les demandeurs n’ont pas présenté leurs arguments en vue d’obtenir réparation.

B. Aucune raison de modifier la conclusion quant à la crédibilité.

[20] Les demandeurs contestent l’appréciation faite par la SAR de la crédibilité de leur demande d’asile. Par conséquent, je conclus que l’évaluation de la SAR sur cette question est raisonnable. Les demandeurs n’ont pas démontré que la SAR « s’est fondamentalement mépris[e] sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » (Vavilov, précité, au para 126).

[21] La SAR a conclu que le témoignage du demandeur principal « n’était pas suffisamment cohérent ou crédible pour établir » son droit à la propriété en cause. Par conséquent, la SAR a jugé qu’il était approprié pour la SPR de s’enquérir de l’existence de documents corroborants. La SAR a conclu que la SPR avait offert aux demandeurs de nombreuses occasions d’expliquer l’absence de documents corroborants quant à cet aspect central de leur demande d’asile. La SAR n’a pas été convaincue par leurs explications. Elle a également conclu que des incohérences parsemaient le témoignage du demandeur principal. Je ne vois aucune raison de modifier ces conclusions.

[22] Je conclus que les prétentions des demandeurs relatives au manque de sensibilité culturelle de la SPR et de la SAR ne font pas écho aux motifs rédigés par la SAR. Celles-ci sont fondées sur de nouveaux éléments de preuve (l’affidavit du demandeur principal et un acte formaliste traduit relatif à l’héritage) qui n’étaient pas versés au dossier de la SAR puisque cette dernière ne les avait pas admis conformément au paragraphe 110(4) de la LIPR. Dans le cadre du contrôle judiciaire, les demandeurs n’ont pas contesté la décision de la SAR d’exclure ces documents. Par conséquent, je ne vois aucune raison de me pencher maintenant sur eux.

C. Aucun fondement pour conclure qu’un aspect de leur demande d’asile a été mis de côté

[23] Les demandeurs font valoir que la SAR a fait abstraction d’un élément important de leur demande d’asile. Ils avancent que lorsque la SAR a conclu, tout comme la SPR, que les demandeurs ne risquaient pas de subir les préjudices énoncés à l’article 97 s’ils renonçaient à leurs intérêts fonciers, elle a négligé de tenir compte du fait qu’ils continueraient d’être exposés à un risque de préjudice parce que le demandeur principal est vu comme un traître par sa famille. Contrairement à ce qu’affirment les demandeurs, la SAR a tenu compte de cet argument et n’a pas souscrit à l’avis que les demandeurs avaient établi un risque de préjudice sur ce fondement.

[24] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n’a soulevé de question grave de portée générale à certifier, et j’estime que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1499-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1499-21

 

INTITULÉ :

MOH’D TAREQ YAHIA MOUSSA ABU AL HOMMOS ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 février 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 septembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Mary Jane Campigotto

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Leanne Briscoe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Campigotto Law Firm

Avocats

Windsor (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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