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Date : 20220901


Dossier : IMM-3580-21

Référence : 2022 CF 1251

Ottawa (Ontario), le 1er septembre 2022

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

PAPA GOUMBO NIANG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Papa Goumbo Niang [M. Niang], demande le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [SAR], en date du 2 mai 2021, qui confirme le bien-fondé d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR]. La SPR et la SAR ont conclu que M. Niang n’était pas un témoin crédible et qu’il n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2] Pour les motifs exposés ci-dessous, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire. Je suis d’avis que M. Niang n’a révélé aucune erreur dans les motifs de la SAR qui rendrait la décision déraisonnable.

II. Contexte

[3] M. Niang prétend qu’il s’est converti à l’église des témoins de Jéhovah le 19 décembre 2015. Le 12 juillet 2017, M. Niang, accompagnant deux de ses maîtres et amis français dans un village en mission pour leur église, aurait été reconnu par un cousin qui en a informé sa famille. Depuis, M. Niang allègue recevoir des menaces de mort de la part de sa famille et de la secte mouride. En fait, le 17 août 2017, des membres de la secte mouride auraient brûlé la maison où ses deux amis français l’auraient caché. M. Niang aurait quitté le village pour se cacher dans une église jusqu’à l’obtention d’un visa pour le Canada. Le 3 avril 2018, M. Niang quitte Dakar pour Montréal et demande la protection du Canada.

[4] La SPR a rejeté la demande d’asile après avoir conclu qu’en raison de plusieurs problèmes importants de crédibilité concernant l’appartenance de M. Niang à l’église des témoins de Jéhovah, ce dernier n’était pas crédible. À cet effet, la SPR a questionné l’appelant concernant les modalités de sa conversion et ses connaissances au sujet de l’église des témoins de Jéhovah et a relevé que ses réponses étaient vagues, évasives et insatisfaisantes, et que ses connaissances étaient extrêmement limitées.

[5] La SAR a souscrit aux préoccupations de la SPR quant à la crédibilité de M. Niang. Après avoir écouté l’enregistrement de l’audience de M. Niang devant la SPR, la SAR a conclu que celui-ci avait offert un témoignage confus quant à des éléments au cœur de sa demande d’asile, et ce, bien que la SPR ait pris soin de répéter plusieurs fois ses questions et de récapituler ce qu’elle devait comprendre de ses explications. La SAR a conclu que la confusion et l’incohérence de M. Niang ne pouvaient expliquer l’absence d’explications claires et convaincantes quant aux modalités de sa conversion aux pratiques de l’église des témoins de Jéhovah, alors même que celui-ci a témoigné être membre de cette église depuis quatre ans. La SAR a constaté que la SPR, en se rendant compte au cours de l’audience que les connaissances de M. Niang concernant l’église qu’il prétendait avoir jointe étaient minimes, a entrepris de lui poser des questions élémentaires pour s’assurer de la véracité de ses prétentions. Enfin, la SAR a conclu qu’il était justifié pour la SPR, devant les réponses incohérentes et confuses de M. Niang, de douter sérieusement de sa crédibilité.

III. Question en litige et norme de contrôle

[6] La présente demande de contrôle judiciaire soulève une seule question : la décision de la SAR est-elle raisonnable? Les conclusions de la SAR portant sur la crédibilité de M. Niang doivent être examinées selon la norme de contrôle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17; Bouarif c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 49 au para 9 [Bouarif]).

IV. La décision de la SAR n’est pas déraisonnable

[7] M. Niang soutient que la SPR et la SAR ont commis des erreurs dans leurs conclusions concernant sa crédibilité relativement aux modalités de sa conversion et aux pratiques de l’église des témoins de Jéhovah. Il soutient qu’il aurait dû bénéficier de la présomption selon laquelle un témoignage rendu sous serment doit être considéré comme véridique en l’absence de raisons valables d’en douter, citant Maldonado c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 CF 302 (CA) [Maldonado], et que ses explications étaient sensées, logiques et spontanées.

[8] Concernant la question des modalités de sa conversion, M. Niang réfère aux paragraphes 16 et 17 de la décision de la SAR, lesquels mentionnent :

[16] La SPR a questionné l’appelant à savoir comment il était devenu témoin de Jéhovah. Celui-ci a témoigné qu’ils avaient des voisins qui étaient membres de l’église des Témoins de Jéhovah, il sortait avec eux et qu’il s’était ensuite converti aux Témoins de Jéhovah.

[17] La SPR a prié l’appelant, à plusieurs reprises, d’expliquer le processus qu’il avait dû entreprendre pour devenir témoin de Jéhovah. Ce dernier a répondu, en premier lieu, qu’il était devenu adepte et que les membres de sa famille avaient été mis au courant. Dans un second lieu, l’appelant témoigna qu’il sortait avec ses deux amis Témoins de Jéhovah et que c’est leur travail, qu’il a vu cela et il serait entré dans cette religion. Enfin, et après une troisième invitation à expliquer de façon précise les modalités de sa conversion, il a témoigné qu’il accompagnait ses amis qui partaient en banlieue.

[9] M. Niang relève que la SPR n’a pas précisé la preuve sur laquelle elle s’est fondée pour conclure qu’il existe une procédure pour devenir témoin de Jéhovah. Il soutient que la justification de la SAR, selon laquelle la SPR avait questionné longuement M. Niang au sujet de sa conversion pour arriver à la conclusion que ses explications étaient confuses et incohérentes, est déraisonnable. Il soutient que les conclusions de fait de la SPR ne peuvent reposer sur une preuve purement conjecturale et théorique (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Satiacum, [1989] ACF no 505 (QL), (1989), 99 NR 171 (CAF)) et, invoquant la décision Hassan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 250 (QL), que la SPR ne pouvait pas fonder sa décision sur ses propres hypothèses. Le demandeur soutient que la SAR a exigé de lui qu’il invente une procédure de conversion qu’il ne connaissait pas.

[10] Je ne peux pas souscrire à la prétention de M. Niang.

[11] Comme le rappelait le juge LeBlanc dans Exantus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1118 au paragraphe 13, la présomption de véracité d’un témoignage donné sous serment expliquée dans Maldonado s’applique tant qu’il n’y a pas de raison valable de mettre en doute le témoignage d’un demandeur.

[12] Toutefois, comme l’a relevé la SAR, la SPR a rejeté le témoignage de M. Niang comme étant insuffisant et non crédible sur la question de sa conversion, car elle estimait qu’il est raisonnable de croire qu’une église comme celle des témoins de Jéhovah ait une procédure pour en devenir membre. Ce faisant, la SPR a posé des questions ouvertes qu’elle a répétées à plusieurs reprises pour s’assurer de la compréhension de M. Niang et lui permettre de fournir ses explications. Or, celui-ci n’a pas été en mesure d’expliquer qu’il avait suivi une telle procédure, ni même qu’il en existe une.

[13] À nouveau, comme le juge LeBlanc l’a souligné dans la décision Cerisier c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1315 au paragraphe 7, citant Toma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 121 au paragraphe 11, la SPR est habilitée à tirer des conclusions défavorables sur la crédibilité d’un demandeur d’asile « en raison d’incohérences dans le témoignage et d’invraisemblances perçues dans la mesure où celles-ci reposent sur des inférences raisonnables » et a ainsi évaluer une demande d’asile « en fonction de la vraisemblance, du bon sens et de la rationalité ».

[14] Contrairement à ce que prétend M. Niang, la SAR n’a pas fondé sa conclusion sur une preuve conjecturale et théorique, mais bien sur l’inférence raisonnable que toute religion possède une procédure de conversion. La SAR a conclu que le demandeur aurait dû être en mesure de fournir des explications satisfaisantes sur son expérience de conversion, ce à quoi elle était raisonnablement en droit de s’attendre.

[15] Dans l’ensemble, je ne relève rien de déraisonnable dans les conclusions de la SAR quant à cette question.

[16] Par ailleurs, M. Niang soutient que la conclusion de la SPR selon laquelle ses explications étaient incohérentes, répétitives et non convaincantes aurait dû prendre en considération ses traits de personnalité et ses antécédents culturels (Bains c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 FTR 312 (CF 1re inst.) [Bains]). M. Niang allègue qu’il est analphabète, timide et qu’il possède une faible connaissance du français. Dans ce contexte, M. Niang soutient qu’il a offert un témoignage crédible et fourni des explications conformes à son niveau d’instruction. M. Niang soutient finalement que cet argument a été présenté devant la SAR et que cette dernière n’en a pas tenu compte dans sa décision.

[17] Selon moi, les motifs du juge Cullen dans Bains ne sont d’aucun secours pour soutenir l’argument de M. Niang. Dans cette affaire, la Cour fédérale avait considéré l’argument du demandeur selon lequel sa conduite telle que présentée dans son témoignage ne devait pas être jugée sous le prisme des standards occidentaux. La Cour avait ensuite souligné qu’elle n’était pas vraiment en mesure de commenter la conduite du demandeur, sinon pour supposer que, si la SPR avait appliqué des standards occidentaux pour parvenir à ses conclusions, cette même conduite aurait bien pu être perçue négativement. Ainsi, il ne s’agissait pas de la conduite du demandeur au moment de l’audience, comme en l’instance, mais bien de celle au moment des faits relatés dans son témoignage.

[18] Cela étant dit, il est vrai que la décision de la SAR est silencieuse sur les caractéristiques personnelles de M. Niang et leur potentiel impact sur la façon dont il a livré son témoignage. Cependant, je ne peux pour autant souscrire à l’argument de M. Niang. La Cour a déjà établi qu’un demandeur alléguant être persécuté en raison de ses croyances religieuses doit être en mesure d’établir des connaissances de base relatives à ces croyances (Bouarif au para 10). Or, même si j’accepte comme plausible le fait que M. Niang ait démontré des connaissances limitées concernant l’église des témoins de Jéhovah en raison de son manque d’éducation formelle, cet argument échoue à expliquer son incapacité à relater sa propre expérience de manière convaincante. Après avoir examiné la transcription, rien n’indique que le niveau de français de M. Niang l’ait empêché de comprendre les questions qui lui étaient posées. Celui-ci a également répondu de manière tout à fait cohérente et substantielle sur d’autres aspects de sa demande. Cependant, celui-ci n’a jamais été en mesure de traiter de la question de sa conversion de manière précise et conséquente.

[19] Selon moi, l’absence d’explication satisfaisante de M. Niang à cet égard est déterminante et confirme les préoccupations de la SPR et de la SAR quant à sa crédibilité. De plus, puisque l’argument soutenu ici par M. Niang est essentiellement le même devant la SAR, je suis d’avis que la SAR n’a pas commis d’erreur en ne l’abordant pas spécifiquement dans sa décision.

[20] Les arguments de M. Niang ne mettent au jour aucune erreur susceptible de contrôle. La SAR a énoncé en détail les motifs de ses conclusions sur la crédibilité de M. Niang et je conclus que sa décision était raisonnable.

V. Conclusion

[21] Je rejetterais la demande de contrôle judiciaire.

 


JUGEMENT au dossier IMM-3580-21

LA COUR STATUE que:

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y aucune question à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3580-21

 

INTITULÉ :

PAPA GOUMBO NIANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 AOÛT 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1er septembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Me Mohamed Diaré

Pour le demandeur

Me Mario Blanchard

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Mohamed Diaré, avocat

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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