Dossier : T‑951‑21
Référence : 2022 CF 1237
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 29 août 2022
En présence de madame la juge Strickland
dossier : T‑951‑21 |
ENTRE : |
MARILYN JOHNSTON |
demanderesse |
et |
LA BANDE INDIENNE D’OKANAGAN |
défenderesse |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] La Cour est saisie du contrôle judiciaire d’une décision prise le 10 mai 2021 [décision sur la demande de réexamen de 2021] par le chef et le conseil de la Bande indienne d’Okanagan [BIOK] [collectivement, le conseil], qui ont refusé de consentir, en vertu de l’article 12 de la Loi sur les Indiens, LRC (1985), c I-5 (la Loi), à ce que Mme Marilyn Johnston [demanderesse], qui est membre d’une autre bande indienne, soit admise au sein de la BIOK.
Contexte
[2] La BIOK, la défenderesse, est une bande indienne au sens de la Loi. Selon le paragraphe 10(1) de la Loi, la bande peut décider de l’appartenance à ses effectifs si elle en fixe les règles par écrit. Le cas échéant, la bande doit tenir sa propre liste de bande (art 10(10)). Si la bande n’a pas fixé ses propres règles d’appartenance, alors une personne a droit à ce que son nom soit consigné dans une liste de bande tenue pour cette dernière par le ministère des Services aux Autochtones [le ministère] si elle remplit les conditions prescrites (art 11). La BIOK, qui est une bande visée à l’article 11, n’a aucun code d’appartenance et sa liste de bande est tenue par le ministère. Nul n’a droit à ce que son nom soit consigné en même temps dans plus d’une liste de bande (art 13); cependant, selon l’article 12, toute personne peut demander que son statut de membre soit transféré à une autre bande si le conseil de la bande qui l’admet en son sein y consent.
[3] La demanderesse a été inscrite au registre des Indiens tenu par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (aujourd’hui le ministère des Services aux Autochtones), en vertu du paragraphe 6(2) de la Loi, le 16 novembre 1987, et elle a, en même temps, été inscrite en tant que membre de la BIOK en application de l’alinéa 11(2)b) de la Loi. Son droit d’être inscrite reposait sur le fait que son père, Frank Jack, était membre de la BIOK. Parmi les documents présentés à l’appui de sa demande d’inscription au registre des Indiens se trouvait une déclaration solennelle du 12 juin 1987 par laquelle Frank Jack confirmait qu’il était son père.
[4] La demanderesse affirme avoir été élevée par son grand‑père maternel, ainsi que par sa tante et son oncle, Raymond et Rhoda Simla, sur les terres de réserve de la BIOK. En 1976, la demanderesse a déménagé à Fort St. James, en Colombie-Britannique, où elle a commencé à travailler dans le domaine de la prestation de services sociaux. Le 22 janvier 1988, elle a écrit à la BIOK et à la bande indienne Nak’azdli Whut’en pour demander que son statut de membre de la première bande soit transféré à la seconde. Elle est toujours membre de la bande indienne Nak’azdli Whut’en.
[5] La demanderesse cherche à faire transférer son statut de membre à la BIOK depuis le 19 août 2002, date à laquelle elle a présenté sa première demande par lettre adressée à la BIOK. Ses efforts à cet égard feront l’objet d’un examen détaillé plus loin dans les présents motifs.
[6] En 2009, la demanderesse a déménagé dans la ferme de sa tante, Rhoda Simla, sur la réserve de la BIOK. Elle a poursuivi ses efforts pour recouvrer son statut de membre de la BIOK. Sa demande n’a cependant pas été traitée.
[7] Le 6 octobre 2010, la BIOK a adopté la Politique de transfert du statut de membre de la Bande indienne d’Okanagan [politique de transfert de 2010]. La demande présentée par la demanderesse afin de recouvrer son statut de membre de la BIOK a été examinée par l’administrateur de la BIOK, qui a conclu qu’elle répondait aux exigences de la politique de transfert de 2010 et en a informé le conseil. Toutefois, le 8 février 2012, le conseil a voté en faveur de la suspension des demandes de transfert de statut de membre [traduction] « jusqu’à ce que des précisions supplémentaires soient apportées à la politique de transfert du statut de membre »
.
[8] Le 13 novembre 2013, Rhoda Simla est décédée après avoir désigné la demanderesse comme seule bénéficiaire de sa succession, qui comprenait quatre lots de terre décrits de la façon suivante dans le dossier :
a)lot 144‑1, bloc 4, CLSR 80912 (intérêt total);
b)lot 9, bloc B, Fry Sketch 319‑36, parcelle 2 No Plan (intérêt total);
c)lot 10, bloc 4, Rem RSBC 551 (moitié indivise);
d)lot 10, bloc B, Fry Sketch 319‑36 No Plan (intérêt total).
[Terres de la succession de Mme Simla]
[9] Bien que la demanderesse fût la seule bénéficiaire de la succession, elle n’était pas membre de la BIOK de sorte que le droit à la possession ou à l’occupation des terres de la succession de Mme Simla qui se trouvaient dans la réserve de la BIOK ne pouvait lui être dévolu. Dans de telles circonstances, l’article 50 de la Loi sur les Indiens autorise le surintendant des affaires indiennes à offrir en vente ce droit au plus haut enchérisseur entre les membres de la bande et à verser le produit de la vente au légataire ou au descendant, selon le cas. S’il n’est reçu aucune soumission, le droit retourne à la bande, libre de toute réclamation de la part du légataire ou descendant, pour la valeur du bien‑fonds.
[10] Alors que la demande présentée par la demanderesse – afin que son statut de membre soit transféré à la BIOK – était toujours en attente d’une décision, le directeur principal de la BIOK a écrit à Affaires autochtones et Développement du Nord Canada (AADNC) (maintenant Services aux Autochtones Canada [SAC]) pour demander que les terres de la succession de Mme Simla soient vendues et que toute personne demeurant sur ces terres de façon illicite en soit expulsée. Les lots 145 bloc 4 et 144‑1 ont par la suite été vendus par AADNC [terres vendues de la succession de Mme Simla].
[11] La demanderesse réside sur les lots 9 et 10, bloc Fry Sketch avec sa fille et son petit‑fils [terres non vendues de la succession de Mme Simla].
[12] Le 27 septembre 2016, Lyle Brewer, membre du conseil de la BIOK, et Randy Marchand, membre du personnel de la BIOK, se sont présentés sur les terres non vendues de la succession de Mme Simla, accompagnés de membres du personnel de Russell Shortt Land Surveyors, dont Ray Marchand, qui avaient été embauchés par le conseil pour arpenter lesdites terres. La demanderesse leur a refusé l’accès. Selon le conseiller Brewer, elle leur a ordonné de quitter la propriété, demandé à voir les documents justifiant leur présence et affirmé qu’elle était propriétaire des terres en question. La demanderesse a également retiré le trépied de l’arpenteur‑géomètre de l’endroit où il se trouvait et l’a déplacé sur l’accotement de la route. Le conseiller Brewer a déclaré que la demanderesse était retournée à sa voiture et avait dit quelque chose comme [TRADUCTION] « Voulez-vous que j’aille chercher mon fusil à la maison? »
. Rien n'indique que le conseil a discuté de cet incident avec la demanderesse à l’époque.
[13] En février 2017, la demanderesse a écrit à AADNC pour lui demander d’intervenir dans sa demande de transfert de statut de membre à la BIOK, laquelle n’était toujours pas réglée. Le 14 septembre 2017, AADNC a accusé réception d’une lettre envoyée par la demanderesse le 18 mai 2017 et informé cette dernière que la demande de transfert qu’elle avait présentée en 2009‑2010 n’avait été ni acceptée ni refusée. AADNC (maintenant Affaires autochtones et du Nord Canada [AANC]) expliquait qu’il ne pouvait pas aider la demanderesse parce qu’il n’avait pas le pouvoir d’intervenir dans le processus de la BIOK.
[14] Le 27 septembre 2017, le conseil de la BIOK a adopté la Politique de transfert du statut de membre en vertu de l’article 12 [politique de transfert de 2017].
[15] Le 6 mars 2018, la BIOK a informé la demanderesse de ce nouveau fait. Le 16 avril 2018, la BIOK a écrit à la demanderesse pour l’informer de la nouvelle politique et lui dire que, pour que sa demande de transfert puisse aller de l’avant, elle devait fournir les documents mentionnés ou des renseignements à jour. La BIOK la dispensait cependant des frais de demande majorés et de l’obligation de soumettre une nouvelle demande. Elle lui disait que si elle n’avait pas reçu les documents requis au plus tard le 20 juin 2018, sa demande serait considérée comme inactive; elle ne serait pas traitée tant que la BIOK n’aurait pas reçu lesdits documents. La lettre mentionnait également que la demanderesse pouvait présenter des documents concernant son ascendance avec la BIOK ou le peuple Sylix. Toujours le 16 avril 2018, la Section du droit des autochtones du ministère de la Justice a écrit à la demanderesse pour l’informer que le conseil de la BIOK avait demandé à SAC de procéder à la vente des terres non vendues de la succession de Mme Simla, et que ces terres seraient vendues si elle ne faisait pas parvenir à SAC, au plus tard le 30 septembre 2018, des éléments de preuve établissant qu’elle était membre de la BIOK.
[16] Le 7 mai 2018, la BIOK a informé la demanderesse qu’il manquait toujours trois documents (lettres signées par la bande de Nal’azdli Whu’en et confirmant que la demanderesse ne détenait aucun certificat de possession concernant des terres de cette bande et n’avait aucune dette envers celle‑ci, ainsi qu’une photocopie de son certificat de statut d’Indien, car celui qu’elle avait soumis était périmé) et que si elle ne les avait pas reçus au plus tard le 20 juin 2018, sa demande serait considérée comme incomplète et refusée; le conseil ne consentirait donc pas au transfert de son statut de membre à la BIOK.
[17] Le 28 mai 2018, la demanderesse s’est présentée au bureau du conseil de bande de la BIOK pour faire renouveler son certificat de statut d’Indien pour les besoins de sa demande de transfert de statut (selon un courriel de Veronica Wilson, il semble que la demanderesse se soit d’abord présentée au bureau le 17 mai 2018 pour faire renouveler son certificat, et ce, sans incident). Dans un rapport d’incident du 29 mai 2018 [rapport d’incident de Mme Wilson] qu’elle a présenté, Veronica Wilson, agente de l’inscription des Indiens, indique avoir expliqué à la demanderesse que la version du certificat de naissance qu’elle avait en main ne suffisait pas et qu’il lui fallait présenter la version détaillée. Mme Wilson affirme que pendant cette interaction, la demanderesse [traduction] « a haussé le ton »
et lui a demandé de photocopier son certificat de naissance et de renouveler son certificat de statut d’Indien. Mme Wilson mentionne qu’elle s’est [traduction] « sentie menacée par le comportement agressif et grossier de la demanderesse »
. Rien n’indique que la BIOK a parlé de cet incident avec la demanderesse à l’époque.
[18] Le 15 juin 2018, Jason Shortt, arpenteur‑géomètre, a tenté d’accéder aux terres non vendues de la succession de Mme Simla afin d’arpenter les lieux à la demande du conseil. Le 25 octobre 2018, il a écrit au conseil pour lui dire que la demanderesse avait refusé que les arpenteurs‑géomètres réalisent les travaux sans ordonnance judiciaire [lettre de M. Shortt]. Rien au dossier ne permet de savoir pourquoi cette lettre a été envoyée quatre mois après la tentative d’accès de l’arpenteur‑géomètre.
[19] Une décision concernant la demande de transfert de statut de membre de la demanderesse a été rendue le 30 juillet 2018 sous forme de résolution du conseil de bande [décision de 2019]. Le conseil a refusé de consigner le nom de la demanderesse dans la liste de bande de la BIOK, au titre de l’article 12 de la Loi sur les Indiens et de la politique de transfert de 2017, parce que la demanderesse n’avait pas fourni les lettres signées qu’on lui avait demandées et dans lesquelles la bande indienne de Nak’azdli Whut’en confirmait qu’elle ne détenait aucun certificat de possession concernant des terres de cette bande et n’avait aucune dette envers celle‑ci (documents exigés en vertu des sous‑alinéas 6.1b)(ii) et 6.1b)(iii) de la politique de transfert de 2017). Le conseil a cependant précisé qu’une autre demande pourrait lui être soumise dans les cinq années suivant la date de la décision si la demanderesse fournissait les renseignements manquants.
[20] Le 18 septembre 2018, la demanderesse a fourni les deux lettres manquantes. Elle affirme avoir informé la BIOK qu’elle avait été retardée en raison des feux de forêt qui s’étaient déclarés près de la réserve de Nak’azdli et qui avaient forcé l’évacuation des résidents.
[21] Le 29 octobre 2018 et le 27 novembre 2018, Victor Rumbolt, qui était alors directeur principal de la BIOK, a écrit à la demanderesse pour l’informer que le conseil avait reçu les lettres manquantes et qu’il était en train d’examiner sa demande de transfert de statut de membre à la BIOK. Cependant, le conseil avait soulevé deux points lors de son examen initial. La demanderesse a été invitée à présenter d’autres observations sur ces points avant que le conseil ne prenne une décision définitive.
[22] Le premier point concernait son ascendance avec la BIOK. M. Rumbolt mentionnait dans sa lettre que la mère de la demanderesse n’était pas membre de la BIOK et que le nom de son père ne figurait pas sur son certificat de naissance. Les dossiers des membres de la BIOK indiquaient que, lorsque la demanderesse avait tenté de joindre la BIOK pour la première fois dans les années 1980, elle avait fourni au moins une déclaration solennelle au registraire des Indiens afin de confirmer que son père était membre de la BIOK. La BIOK n’en avait toutefois aucune copie. On lui demandait donc de fournir au plus tard le 13 novembre 2018 des copies de ces déclarations ainsi que tout autre renseignement ou document qu’elle aimerait que le conseil examine au sujet de son ascendance.
[23] Le deuxième point avait trait au comportement menaçant de la demanderesse envers le personnel et les invités de la BIOK. Des copies des courriels de MM. Brewer et Marchand (sans les noms), du rapport d’incident de Mme Wilson et de la lettre de M. Shortt étaient jointes à la lettre. Le conseil informait la demanderesse que, si elle le souhaitait, elle pouvait lui faire part de son point de vue sur ces incidents et la façon dont il devait en tenir compte pour statuer sur sa demande de transfert, en lui envoyant une lettre à cet effet au plus tard le 13 novembre 2018. La demanderesse a répondu par lettre en date du 3 décembre 2018.
[24] Par résolution du conseil de bande du 7 janvier 2019, le conseil a refusé d’ajouter le nom de la demanderesse sur la liste de la BIOK [décision de 2019]. Il a expliqué sa décision de la façon suivante :
[traduction]
La BIOK a reçu plusieurs signalements selon lesquels Mme Johnston aurait eu un comportement agressif et menaçant envers son personnel et ses invités. Elle aurait notamment menacé d’utiliser une arme à feu contre un membre de la BIOK, et n’aurait présenté ni excuse ni explication qui justifierait ce comportement. Elle a refusé d’assumer la responsabilité de ses gestes et nié avoir agi ainsi. En conséquence, nous ne croyons pas qu’elle apporterait une contribution positive à la BIOK.
[25] Le 17 septembre 2019, la BIOK a déposé un avis de poursuite civile à la Cour suprême de la Colombie-Britannique [CSCB]. Elle sollicitait notamment un jugement déclarant que la bande, en tant que propriétaire bénéficiaire des terres non vendues de la succession de Mme Simla, avait droit à l’ensemble des loyers, présents et futurs, provenant de ces terres depuis le décès de Rhoda Simla, à des dommages‑intérêts pour atteinte à la possession et appropriation illégitime, et à une ordonnance interdisant à la demanderesse d’entrer dans la réserve de la BIOK et d’accéder aux terres concernées.
[26] Le 17 janvier 2020, conformément à l’article 4.10 de la version 2017 de la politique de transfert alors en vigueur (adoptée le 25 septembre 2017 et modifiée le 14 novembre 2017), la demanderesse a formulé une protestation contre la décision de 2019 [protestation]. Selon l’article 4.10, le demandeur qui souhaite interjeter appel d’une décision prise par le chef et le conseil en vertu de la politique de transfert peut présenter une protestation au registraire des Indiens en application de l’article 14.2 de la Loi sur les Indiens.
[27] Le 4 août 2020, la BIOK a déposé une demande de procès sommaire à la CSCB. Elle sollicitait des mesures telles qu’un jugement déclarant que la bande, en tant que propriétaire bénéficiaire des terres non vendues de la succession de Mme Simla, avait droit à l’ensemble des loyers, présents et futurs, provenant de ces terres depuis le décès de Rhoda Simla, à des dommages‑intérêts pour atteinte à la possession et appropriation illégitime, et à une ordonnance interdisant à Mme Johnston, la défenderesse dans cette action, d’entrer dans la réserve de la BIOK et d’accéder aux terres non vendues de la succession Mme Simla [action pour atteinte à la possession].
[28] Le 17 août 2020, la demanderesse a déposé une demande reconventionnelle afin que l’action pour atteinte à la possession soit suspendue jusqu’à ce que sa protestation puisse être entendue.
[29] La CSCB a rendu sa décision sur la demande de procès sommaire et la demande de suspension, le 14 octobre 2020 (Bande indienne d’Okanagan v Johnston, 2020 BCSC 1749) [décision sur l’action pour atteinte à la possession]. La cour a ajourné la demande de procès sommaire de la BIOK pour ce qui est de l’action pour atteinte à la possession, et elle a suspendu l’instance pour une période d’un an.
[30] En décembre 2020, le conseil a modifié la politique de transfert de 2017 et supprimé le droit de protester auprès du registraire des Indiens.
[31] Par lettre du 11 janvier 2021, le chef de la BIOK, Byron Louis, a offert à la demanderesse de réexaminer la décision de 2019. Il a renvoyé à la protestation que la demanderesse avait déposée auprès du registraire des Indiens, dans laquelle l’avocat de celle‑ci faisait valoir qu’elle n’avait pas eu de possibilité suffisante de répondre aux déclarations des représentants et des invités de la BIOK au sujet de son comportement avant que le conseil prenne la décision de refuser sa demande. Le chef Louis a indiqué que le conseil souhaitait offrir à la demanderesse une autre occasion de répondre et de faire valoir son point de vue au conseil. Il a joint de nouveau à la lettre les documents précédemment fournis (courriels de MM. Brewer et Marchand, rapport d’incident de Mme Wilson et lettre de M. Shortt). Il a ajouté que le conseil tiendrait compte de tout autre renseignement et document que la demanderesse lui aurait envoyé au plus tard le 10 février 2021, et il l’a invitée à participer à une réunion du conseil (par Zoom) le 1er mars ou le 8 mars 2021, afin de présenter ses observations orales, si elle le souhaitait. Elle pouvait aussi se faire accompagner par un avocat, si elle le souhaitait. Le chef Louis a également mentionné que la politique de transfert de 2017 avait été modifiée en décembre 2020 de façon à supprimer le droit de protester auprès du registraire des Indiens.
[32] La demanderesse a d’abord refusé l’invitation à présenter des observations devant le conseil (par lettre du 21 janvier 2021). Cependant, dans une lettre du 10 février 2021, son avocat a informé le conseil qu’elle acceptait de participer à la réunion du conseil du 8 mars 2021, par Zoom, et demandait à ce que son avocat puisse aussi y participer. Dans cette même lettre, l’avocat de la demanderesse a présenté des observations écrites au conseil [observations de février]. En fin de compte, il a fait savoir au conseil, par lettre du 13 avril 2021, que la demanderesse ne voulait pas assister à la réunion du conseil en personne et demandait que le nouvel examen de sa demande de transfert soit fondé sur les observations de février. Il a ajouté que si le conseil avait des questions ou des préoccupations, la demanderesse et lui‑même seraient heureux d’y répondre par écrit.
[33] Par résolution du conseil de bande du 10 mai 2021, le conseil a de nouveau refusé de consentir au transfert du statut de membre de la demanderesse à la BIOK. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.
Dispositions législatives applicables
Loi sur les Indiens, LRC (1985), c I-5
12 À compter du jour qui suit de deux ans la date de sanction de la loi intitulée Loi modifiant la Loi sur les Indiens, déposée à la Chambre des communes le 28 février 1985, ou de la date antérieure choisie en vertu de l’article 13.1, la personne qui :
a) soit a le droit d’être inscrite en vertu de l’article 6 sans avoir droit à ce que son nom soit consigné dans une liste de bande tenue au ministère en vertu de l’article 11;
b) soit est membre d’une autre bande,
a droit à ce que son nom soit consigné dans la liste d’une bande tenue au ministère pour cette dernière si le conseil de la bande qui l’admet en son sein y consent.
[traduction]
1 OBJET
1.1. La présente politique a pour objet d’établir la procédure à suivre pour obtenir, en vertu de l’article 12 de la Loi sur les Indiens, le consentement du chef et du conseil à l’admission au sein de la Bande indienne d’Okanagan, de toute personne qui, selon le cas :
a) a le droit d’être inscrite en vertu de l’article 6 de la Loi sur les Indiens sans avoir droit à ce que son nom soit consigné dans la liste de la BIOK;
b) est membre d’une autre bande.
1.2. La présente politique décrit les circonstances dans lesquelles :
a) le chef et le conseil peuvent consentir à ce que le nom d’une personne soit consigné dans la liste de la BIOK en vertu de l’article 12 de la Loi sur les Indiens, sans obtenir le vote de la communauté;
b) le chef et le conseil soumettront une demande d’admission aux électeurs de la BIOK afin d’obtenir le vote de la communauté avant de consentir à ce que le nom d’une personne soit consigné dans la liste de la BIOK en vertu de l’article 12 de la Loi sur les Indiens.
2 PORTÉE
2.1. La présente politique s’applique aux Indiens inscrits au titre l’article 6 de la Loi sur les Indiens qui souhaitent que leur statut de membre soit transféré et que leur nom soit consigné dans la liste de la BIOK, conformément à l’article 12 de la Loi sur les Indiens.
3 DÉFINITIONS
[...]
3.2. Demandeur Personne qui demande le consentement du chef et du conseil en vertu de la présente politique afin de devenir membre de la bande au titre de l’article 12 de la Loi sur les Indiens.
3.3. Membre de la bande Personne dont le nom est consigné dans la liste des membres de la BIOK.
3.4. Chef et conseil Le chef et le conseil élus de la BIOK.
3.5. Vote de la communauté Le vote non contraignant donné en personne par les électeurs admissibles de la BIOK, à l’occasion d’un scrutin sollicité par le chef et le conseil, sur la question de savoir si le nom d’un demandeur devrait être ajouté à la liste des membres de la BIOK.
3.6 Frais de dépôt Frais ponctuels et non remboursables de 250 $ qu’un demandeur doit acquitter avant que la BIOK ne traite la demande qu’il a présentée en vertu de la présente politique.
3.7. AANC Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et tout ministère y succédant.
3.8. Administrateur du registre des Indiens Membre du personnel de la BIOK qui est chargé de tenir une liste des membres de la bande pour le compte du registraire des Indiens et de consigner le nom des Indiens inscrits pour le compte d’AANC.
[...]
3.10. Ascendance avec la BIOK Lien généalogique avec un membre actuel ou ancien de la bande.
3.11. Liste des membres de la BIOK Liste des membres de la Bande indienne d’Okanagan tenue en vertu de l’article 8 de la Loi sur les Indiens.
3.12. BIOK Bande indienne d’Okanagan.
[...]
3.14. Déclaration solennelle Déclaration solennelle qui répond aux exigences de l’article 41 de la Loi sur la preuve au Canada.
3.15. Documents à l’appui Documents soumis par le demandeur et documents mentionnés à l’article 7 de la présente politique.
[…]
3.16 Résident bien établi dans la communauté Personne qui réside dans l’une des réserves de la BIOK depuis au moins cinq ans consécutifs.
4 POLITIQUE
Demandeurs ayant une ascendance avec la BIOK ou le peuple Sylix
4.1. Le chef et le conseil peuvent, par résolution du conseil de bande, consentir à ce que le nom d’un demandeur soit consigné dans la liste des membres, sans obtenir le vote de la communauté, si le demandeur est inscrit en vertu de l’article 6 de la Loi sur les Indiens et, selon le cas :
a) s’il a déjà été inscrit en tant que membre de la bande, mais que son statut de membre a été involontairement transféré à une autre bande, notamment lorsqu’il était enfant;
b) s’il a déjà été inscrit en tant que membre de la bande, mais que son statut de membre a été volontairement transféré à une autre bande;
c) s’il a une ascendance avec la BIOK et qu’il fait la preuve de cette ascendance à la satisfaction du chef et du conseil;
d) s’il a une ascendance avec le peuple Sylix et qu’il fait la preuve de cette ascendance à la satisfaction du chef et du conseil, ou qu’il leur prouve qu’il est un résident bien établi dans la communauté et qu’il a encore des liens familiaux et communautaires avec la BIOK.
Autres demandeurs
4.2 Le chef et le conseil peuvent, par résolution du conseil de bande, soumettre une demande de transfert du statut de membre à un vote de la communauté si le demandeur :
a) ne répond pas aux critères énoncés à l’article 4.1 de la présente politique;
b) est un Indien inscrit en vertu de l’article 6 de la Loi sur les Indiens;
c) a fourni une preuve qu’il est un résident bien établi dans la communauté;
d) a fourni une preuve qu’il a encore des liens familiaux et communautaires avec la BIOK.
4.3 Sous réserve de l’article 4.4, le chef et le conseil peuvent, par résolution du conseil de bande, consentir à ce que le nom d’un demandeur soit consigné dans la liste des membres si le demandeur :
a) ne répond pas aux critères énoncés à l’article 4.1 de la présente politique;
b) est un Indien inscrit en vertu de l’article 6 de la Loi sur les Indiens;
c) a fourni, à la satisfaction du chef et du conseil, une preuve qu’il est un résident bien établi dans la communauté;
d) a fourni, à la satisfaction du chef et du conseil, une preuve qu’il a encore des liens familiaux et communautaires avec la BIOK.
4.4 Le chef et le conseil tiendront compte des résultats du vote de la communauté tenu en vertu de l’article 4.2 dans leur décision d’accorder ou non leur consentement au titre de l’article 4.3.
[...]
Refus de consentir à ce que le nom d’un demandeur soit consigné dans la liste des membres
4.6. Par résolution du conseil de bande, le chef et le conseil refuseront que le nom d’un demandeur soit consigné dans la liste des membres de la BIOK si le demandeur ne répond pas aux critères énoncés à l’article 4.1 ou à l’article 4.3.
4.7 La BIOK comprend l’obligation qu’elle a de ne pas faire de distinction fondée sur l’état de personne graciée et s’y conforme. Cependant, dans la mesure où la Loi canadienne sur les droits de la personne les y autorise, le chef et le conseil peuvent refuser de consentir à ce que le nom d’un demandeur soit consigné dans la liste des membres de la BIOK si, à leur avis, ce demandeur présente un risque pour la sécurité et le bien‑être collectif des membres de la BIOK en raison de ses activités criminelles.
4.8 Le chef et le conseil peuvent refuser de consigner dans la liste des membres de la BIOK le nom d’un demandeur qui détient un certificat de possession de terres situées dans la réserve d’une autre bande ou qui a une dette active envers une autre bande.
4.9 La personne qui se voit refuser sa demande d’inscription sur la liste de la BIOK doit attendre au moins cinq ans depuis sa dernière demande avant de pouvoir présenter une nouvelle demande, à moins qu’elle puisse fournir une nouvelle preuve de son ascendance avec la BIOK ou le peuple Sylix.
[...]
5 RESPONSABILITÉ
5.1. Il incombe à l’administrateur du registre des Indiens de faire des recommandations au chef et au conseil et de leur présenter des demandes complètes et tous les documents à l’appui.
5.2. Chaque demandeur doit fournir à l’administrateur du registre des Indiens les documents exigés par la présente politique. Les demandes incomplètes ne seront pas traitées.
6 PROCÉDURE
Exigences applicables aux demandeurs ayant une ascendance avec la BIOK ou le peuple Sylix
6.1. Dans le cas des demandes présentées en vertu de l’article 4.1 :
a) la demande de transfert du statut de membre qui est présentée à l’administrateur du registre des Indiens doit être signée et datée, et le demandeur doit l’accompagner des frais de dépôt et y joindre les documents suivants :
(i) une photocopie de son Certificat de statut d’Indien actuel,
(ii) l’original de son certificat de naissance détaillé,
(iii) s’il est membre d’une bande régie par l’article 10 de la Loi sur les Indiens, une lettre signée ou une résolution du conseil de bande de la bande d’origine confirmant qu’il en est membre;
b) le demandeur âgé de 18 ans ou plus doit fournir les renseignements suivants :
(i) une vérification du casier judiciaire,
(ii) une lettre signée par la bande d’origine attestant que le demandeur ne détient aucun certificat de possession de terres situées dans sa réserve,
(iii) une lettre signée par la bande d’origine attestant que le demandeur n’a aucune dette active envers elle;
c) le demandeur doit présenter une preuve de son ascendance avec la BIOK, le cas échéant, dont au moins l’un des documents suivants :
(i) un certificat de naissance détaillé,
(ii) un baptistaire détaillé,
(iii) une déclaration solennelle d’au moins un parent ou grand‑parent ayant une ascendance avec la BIOK, dans laquelle celui‑ci affirme qu’à sa connaissance, le demandeur a une ascendance avec la BIOK,
(iv) les déclarations solennelles de trois autres personnes ayant une ascendance avec la BIOK, dans lesquelles celles‑ci affirment qu’à leur connaissance, le demandeur a une ascendance avec la BIOK,
(v) toute autre preuve de l’ascendance du demandeur avec la BIOK que le chef et le conseil jugent satisfaisante;
d) le demandeur doit présenter une preuve de son ascendance avec le peuple Sylix, le cas échéant, dont au moins l’un des documents suivants :
(i) un certificat de naissance complet détaillé,
(ii) un baptistaire complet détaillé,
(iii) une déclaration solennelle d’au moins un parent ou grand‑parent ayant une ascendance avec le peuple Sylix, dans lequel celui‑ci affirme qu’à sa connaissance, le demandeur a une ascendance avec le peuple Sylix,
(iv) les déclarations solennelles de trois autres personnes ayant une ascendance avec le peuple Sylix, dans lesquelles celles‑ci affirment qu’à leur connaissance, le demandeur a une ascendance avec le peuple Sylix,
(v) toute autre preuve de l’ascendance du demandeur avec le peuple Sylix que le chef et le conseil jugent satisfaisante;
e) le demandeur doit présenter une preuve qu’il est un résident bien établi dans la communauté, le cas échéant, dont au moins l’un des documents suivants :
[...]
f) le demandeur doit présenter une preuve de ses liens familiaux et communautaires actuels avec la BIOK, le cas échéant, dont au moins l’un des documents suivants :
[...]
g) l’administrateur du registre des Indiens examinera les demandes complètes et présentera au chef et au conseil une recommandation à laquelle il joindra tous les documents à l’appui;
(h) après que l’administrateur du registre des Indiens aura présenté sa recommandation lors d’une réunion en règle du conseil, le chef et le conseil décideront, par résolution du conseil de bande, s’ils consentent ou non à ce que le demandeur devienne membre de la bande.
[...]
Exigences applicables aux autres demandeurs
6.2 Dans le cas où une demande est présentée en vertu de l’article 4.3 :
[...]
AVIS DE DÉCISION CONCERNANT L’APPARTENANCE À LA BANDE
6.9. Après que le chef et le conseil ont pris une décision définitive sur une demande, l’administrateur du registre des Indiens envoie une lettre officielle à chacun des demandeurs dans laquelle il est indiqué :
a) si la demande a été approuvée ou refusée;
b) les motifs de la décision du chef et du conseil;
c) la date de prise d’effet de l’approbation ou du refus.
[...]
La décision faisant l’objet du contrôle
[34] La résolution du conseil de bande qui constitue la décision sur demande de réexamen de 2021 commence par une série d’attendus formulés par le conseil. Le conseil déclare entre autres que la demande de statut de membre de la demanderesse est régie par l’alinéa 12b) de la Loi sur les Indiens et par la politique de transfert de 2017; que l’alinéa 12b) confère au conseil de bande un vaste pouvoir discrétionnaire quant à sa décision d’accepter ou de refuser une demande de transfert du statut d’un membre d’une autre bande pour qu’il soit admis en son sein; et que la politique de transfert de 2017 établit la procédure à suivre pour obtenir de la BIOK le consentement prévu à l’article 12 de la Loi sur les Indiens, y compris en ce qui concerne les anciens membres et les personnes ayant une ascendance avec la BIOK. Il ajoute cependant que la politique de transfert de 2017 ne limite pas le pouvoir du conseil de consentir au transfert du statut d’un membre de la BIOK, ou de le refuser, lorsque la procédure est suivie, ou les raisons pour lesquelles il peut ou non y consentir, mais qu’il ne peut pas consentir au transfert s’il n’est pas satisfait aux critères de l’article 4.1 ou de l’article 4.3. Par ailleurs, le conseil ne consent pas automatiquement à un transfert parce que le demandeur a fourni les documents mentionnés dans la politique de transfert de 2017. Il précise que le fait que ces critères soient remplis signifie seulement qu’il peut examiner la demande (ou que celle‑ci peut être présentée à la communauté dans le cas où un vote est requis) et qu’il conserve le pouvoir discrétionnaire de consentir ou non au transfert.
[35] Le conseil expose ensuite le contexte factuel dans lequel s’inscrit le réexamen. Entre autres faits, la demanderesse a obtenu son statut d’Indienne inscrite et de membre de la BIOK le 16 novembre 1987. Elle a ensuite demandé d’être admise au sein de la bande de Nak’azdli Whut’en le 22 janvier 1988 et, le 19 août 2002, elle a écrit à la BIOK pour demander que son statut soit transféré de la bande de Nak’azdli Whut’en à la BIOK. Le conseil ajoute qu’au cours de la période de 2002 à 2018, la demanderesse a fourni des documents et des observations écrites sur sa demande de transfert, et qu’elle lui a écrit à plusieurs reprises pour demander que sa demande soit traitée. La BIOK a également écrit à la demanderesse pour lui demander des renseignements manquants et l’inviter à fournir des renseignements au sujet de son ascendance. Le conseil indique qu’il a tenu compte dans sa décision de la correspondance entre la BIOK et la demanderesse au sujet de sa demande, ainsi que de tous les documents que la demanderesse avait fournis. Le conseil fait observer que la demanderesse a déménagé sur les terres de réserve de la BIOK en 2009 pour demeurer chez Rhoda Simla, membre de la BIOK, qui lui a par la suite légué ses terres. Il précise toutefois que la demanderesse n’a pas pu hériter de ces terres parce qu’elle n’était pas membre de la BIOK et que sa demande de transfert était toujours en suspens. Elle a continué de demeurer sur les terres de la succession Simla. Le conseil ajoute qu’il a pris connaissance des signalements faits par le conseiller, le personnel et le visiteur concernant le [traduction] « comportement menaçant, agressif ou obstructionniste »
de la demanderesse, « y compris »
des trois incidents dont il fait ensuite mention, à savoir ceux décrits dans les courriels de MM. Brewer et Marchand, le rapport d’incident de Mme Wilson et la lettre de M. Shortt. Puis, le conseil résume les étapes de la procédure qui ont mené au réexamen.
[36] Le conseil expose ensuite brièvement les observations de la demanderesse. Lorsqu’elle était enfant, elle passait ses fins de semaine et ses congés chez sa tante et son oncle, Rhoda et Raymond Simla, ainsi que chez d’autres membres de la BIOK, dans la réserve de la bande. Elle considérait sa tante comme sa mère et entretenait un lien étroit avec la communauté. Des membres de sa famille vivent toujours dans la réserve tandis que d’autres y sont inhumés. La demanderesse a fait valoir qu’elle avait demandé d’être admise au sein de la bande de Nak’azdi Whut’en parce qu’elle travaillait dans cette communauté dans le cadre d’un programme de services spécialisés aux victimes. Elle a toujours eu l’intention de revenir au sein de la BIOK et, lorsqu’elle a demandé que son statut de membre soit transféré, des employés de la BIOK l’ont informée qu’elle pourrait toujours redevenir membre de la bande. La demanderesse a déménagé sur les terres de sa tante et de son oncle en 2009, où elle réside avec sa fille cadette et son petit‑fils. Quant au comportement menaçant qu’elle aurait eu, la demanderesse a fait valoir ce qui suit :
-Pour ce qui est de l’incident rapporté par MM. Brewer et Marchand, elle était frustrée et préoccupée par le fait que le temps mis par la BIOK pour traiter sa demande de transfert de statut de membre puisse causer la vente des terres non vendues de la succession de Mme Simla. Elle a demandé à l’arpenteur‑géomètre de quitter les lieux et à la BIOK d’obtenir une ordonnance de la cour si elle voulait arpenter les terres. Elle a nié avoir menacé le conseiller Brewer avec une arme ou autrement. Elle ne possède aucune arme à feu.
-En ce qui concerne l’incident rapporté par Veronica Wilson, elle se souvient de son interaction avec cette dernière. Elle était frustrée par le délai d’examen de sa demande de transfert de statut de membre, mais elle n’a pas menacé Mme Wilson. La demanderesse est une aînée et elle était âgée de 70 ans à l’époque.
-Quant à l’incident rapporté par Jaron Shortt, elle a demandé à l’arpenteur‑géomètre de quitter les terres. Elle se souvient qu’un agent de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) était présent et qu’il s’était montré sensible à sa situation. Elle a demandé à la BIOK d’obtenir une ordonnance de la cour pour procéder à l’arpentage des terres.
[37] Le conseil indique également que dans sa protestation, à laquelle elle renvoie dans ses observations écrites, la demanderesse affirme que les membres du conseil avaient un parti pris parce qu’ils souhaitaient acquérir les terres de la succession de Mme Simla. Dans une des lettres qu’elle a fait parvenir au conseil, elle semble également reprocher à celui‑ci son impartialité parce qu’un parent du conseiller, Cecil Louis, avait acheté une partie des terres qui avaient déjà été vendues.
[38] Le conseil présente ensuite ses conclusions. Il mentionne qu’il a tenu compte de la preuve qui lui a été présentée au sujet de l’ascendance de la demanderesse avec la BIOK, et il admet que la déclaration solennelle de Frank Jack établit cette ascendance. Cependant, l’ascendance n’est qu’un des facteurs pouvant être considérés dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qu’a le conseil de consentir ou non à une demande de transfert de statut de membre. Par ailleurs, le conseil n’est pas obligé de consentir à la demande de transfert à cause de cette ascendance ou de l’appartenance passée de la demanderesse à la bande. Il explique que [traduction] « dans les circonstances »
, l’ascendance à elle seule ne justifiait pas de consentir au transfert du statut de membre de la demanderesse.
[39] Le conseil dit qu’il a tenu compte de la preuve du lien que la demanderesse avait avec la communauté, et il reconnaît que celle‑ci a dit avoir passé du temps avec sa tante et son oncle dans la réserve de la BIOK lorsqu’elle était enfant et qu’elle entretenait une étroite relation avec Mme Simla. Le conseil dit qu’il n’a aucune raison d’en douter.
[40] Le conseil dit n’avoir aucune preuve que, dans sa vie adulte, la demanderesse était engagée dans la communauté avant de devenir membre de la BIOK en 1987, statut auquel elle a renoncé seulement deux mois plus tard, en janvier 1988. Dans la demande de transfert de statut de membre qu’elle a présentée en janvier 1988, la demanderesse a indiqué qu’elle demeurait à Fort St. James depuis 11 ans et qu’elle estimait qu’en raison de cet éloignement, la BIOK ne pouvait pas l’apprécier à sa juste valeur. Outre la demande de transfert qu’elle a présentée en 2002 et le fait qu’elle réside sur les terres de la réserve depuis 2009, le conseil ne sait rien de son engagement dans la communauté avant ou après qu’elle se soit établie dans la réserve de la BIOK, et qu’on ne lui a présenté aucun élément de preuve en ce sens. Le conseil estime qu’il doit soupeser les prétentions de la demanderesse quant à son lien avec la communauté au regard de la brève période pendant laquelle elle a été membre de la BIOK, de sa volonté de renoncer à ce statut pour saisir d’autres occasions et de l’absence de preuve de son engagement dans la communauté en tant qu’adulte.
[41] Le conseil mentionne également qu’il doit examiner la question de la contribution possible de la demanderesse en tant que membre de la BIOK à la lumière des comportements agressifs ou menaçants qu’elle aurait eus envers les conseillers et les membres du personnel de la BIOK. Il dit qu’il a tenu compte des observations faites par la demanderesse à ce sujet, mais que celle‑ci n’avait fourni aucune version de ces incidents donnée par d’autres personnes. Le conseil dit avoir retenu la version du conseiller Lyle Brewer, laquelle a été confirmée par Randy Marchand, et celle de Mme Wilson qui, selon lui, n’avait aucun intérêt personnel dans l’affaire et avait présenté un rapport écrit peu après les incidents allégués. Le conseil a conclu que la demanderesse avait eu le comportement menaçant et agressif décrit par le conseiller Brewer et Mme Wilson. Il a reconnu que la demanderesse n’avait proféré aucune menace lors de l’incident signalé par M. Shortt, mais il a conclu qu’elle avait empêché les arpenteurs‑géomètres de procéder à l’arpentage des terres. Le conseil dit avoir tenu compte du fait que Randy Marchand avait communiqué avec la GRC le 27 septembre 2017, et que celle‑ci avait envoyé un agent pour accompagner les arpenteurs-géomètres, le 15 juin 2018, à la demande de la BIOK. Il ajoute que le conseiller Brewer a mentionné dans son récit que les représentants de la BIOK et les arpenteurs-géomètres avaient quitté les lieux après que la demanderesse les eut menacés, car ils avaient peur d’en venir aux mains et craignaient pour leur sécurité, ce qui montre que le comportement menaçant a été pris au sérieux.
[42] Le conseil fait observer que la demanderesse n’a pas produit de déclarations dans lesquelles d’autres personnes décrivent son caractère. Il a conclu que la demanderesse a démontré qu’elle avait un certain lien avec la communauté, mais qu’au vu des circonstances, y compris les incidents de comportement menaçant et agressif, il n’était pas convaincu qu’elle avait apporté une contribution positive à la communauté, ou qu’elle le ferait à l’avenir. Le conseil dit être encore préoccupé par le comportement menaçant et agressif de la demanderesse envers le conseiller Brewer et Mme Wilson, et il ne croit pas que la demanderesse pourrait apporter une contribution positive à la communauté. Dans ces circonstances, l’ascendance de la demanderesse et ses liens avec la communauté de la BIOK ne suffisent pas pour justifier que le conseil consente à son admission au sein de la BIOK.
[43] Le conseil a ensuite parlé des allégations de partialité soulevées par la demanderesse dans sa protestation et dans une lettre qu’elle a envoyée au conseil le 18 mai 2017, bien qu’elle n’en ait pas fait mention dans les dernières observations qu’elle lui a présentées. Il a rejeté ces allégations.
[44] Le conseil a décidé de refuser de consentir à la demande de transfert du statut de membre de la demanderesse.
Questions en litige et norme de contrôle
Question préliminaire
[45] La BIOK a déposé une requête en radiation de l’affidavit que la demanderesse a souscrit le 15 octobre 2021 [affidavit de Mme Johnston] et déposé à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire de la décision sur la demande réexamen de 2021. Cette requête sera considérée comme une question préliminaire dans les présents motifs.
Questions en litige
[46] Les questions soulevées par la demanderesse en l’espèce peuvent être reformulées de la façon suivante :
- La décision sur la demande de réexamen de 2021 est‑elle raisonnable?
- Y a‑t‑il eu manquement à l’obligation d’équité procédurale?
- Si la demanderesse obtient gain de cause sur la première ou la deuxième question, quelle réparation la Cour devrait‑elle ordonner?
[47] En ce qui concerne la première question, les parties soutiennent, et je suis d’accord avec elles, que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique.
[48] En effet, lorsqu’elle examine une décision administrative sur le fond, la cour de révision doit partir de la présomption que la norme de contrôle applicable à tous les aspects de cette décision est celle de la décision raisonnable, y compris l’interprétation que le décideur administratif a donné à sa loi habilitante (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 23 et 25; voir aussi Première nation Peters c Engstrom, 2021 CAF 243 au para 14).
[49] La cour de révision « doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit donc se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci »
(Vavilov, au para 99).
[50] S’agissant de la deuxième question, les questions d’équité procédurale doivent être examinées au regard de la norme de la décision correcte (voir Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43). Cela dit, dans l’arrêt Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [CP], la Cour d’appel fédérale a conclu que, même si l’exercice de révision est bien reflété, bien qu’imparfaitement, dans la norme de la décision correcte, les questions d’équité procédurale ne se prêtent pas nécessairement à une analyse fondée sur une norme de contrôle. La cour doit plutôt déterminer si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances. C’est‑à‑dire que « la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre »
(CP, aux para 54‑56; voir également Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35).
[51] Par la suite, la Cour d’appel fédérale a reformulé cet énoncé dans l’arrêt Première Nation d’Ahousaht c Canada (Affaires indiennes et du Nord), 2021 CAF 135 [Ahousaht] :
[14] La norme de contrôle qui s’applique aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte : Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502, para. 79. Ainsi qu’il est indiqué dans l’arrêt Vidéotron Ltée c. Canada (Services partagés), 2019 CAF 307, 313 A.C.W.S. (3d) 299, para 12 :
Les questions relatives à l’équité procédurale doivent être examinées selon la norme de la décision correcte. Même s’il est vrai qu’« aucune norme de contrôle n’est appliquée » lorsqu’un tribunal examine des questions liées à l’équité procédurale, car la question est alors de savoir « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances », l’examen fait par notre Cour de ces questions est [traduction] « particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2018] A.C.F. no 382, au para 54).
[52] Par conséquent, je comprends que la norme de contrôle applicable aux questions liées à l’équité procédurale est celle de la décision correcte, ou à tout le moins, essentiellement correcte.
Question préliminaire
[53] La BIOK a déposé une requête en radiation de l’affidavit de Mme Johnston, soutenant que celui‑ci [traduction] « vise à s’imposer comme une variante du dossier certifié du tribunal »
[DCT] et qu’il contient des « renseignements en double non admissibles », la plupart étant déjà au DCT, ainsi que de nouveaux éléments de preuve dont ne disposait pas le conseil lorsqu’il a pris la décision sur la demande de réexamen de 2021. Elle affirme également que le récit contenu dans l’affidavit dénature les faits exposés dans le DCT, c’est‑à‑dire qu’il s’agit d’une [traduction] « argumentation déguisée en preuve »
. La BIOK soutient que les passages de l’affidavit qui sont litigieux sont si nombreux et si inextricablement liés aux autres paragraphes qu’il est difficile de les dissocier, de sorte que l’affidavit doit être radié en entier. Subsidiairement, elle demande la radiation des passages litigieux.
[54] La demanderesse soutient que son affidavit contient des renseignements généraux et qu’elle y expose, en ordre chronologique, les faits pertinents sur lesquels repose en grande partie le dossier. Lorsque les faits relatés dans l’affidavit ne font pas partie du dossier, ils sont pertinents et non controversés, ne constituent pas du ouï‑dire, ne tiennent pas de l’argumentation ou de l’opinion, et ne sont pas préjudiciables.
Analyse
[55] Quiconque introduit une demande de contrôle judiciaire peut déposer les pièces documentaires qu’il entend utiliser à l’appui de sa demande (art 306 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles]). Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle (art 81(1) des Règles) et ils doivent « présenter les faits pertinents quant au litige sans commentaires ni explications »
(Canada (Procureur général) c Quadrini, 2010 CAF 47 au para 18 [Quadrini]). Les affidavits ne doivent pas contenir d’arguments, et les déclarants ne doivent pas interpréter la preuve qui a déjà été examinée par un tribunal ou tirer des conclusions négatives (Société Canadian Tire Ltée c Canadian Bicycle Manufacturers Association, 2006 CAF 56 aux para 9‑10 [Canadian Tire]). Et, bien qu’il puisse contenir des observations pures et simples propres à diriger la réflexion, l’affidavit n’est admissible que s’il vise à fournir des renseignements généraux à la cour de révision et qu’il ne s’engage pas dans une interprétation tendancieuse ou une prise de position (Delios c Canada (Procureur général), 2015 CAF 117 au para 45 [Delios]).
[56] Comme l’explique l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency, 2012 CAF 22 [Association des universités et collèges], pour se prononcer sur l’admissibilité d’un affidavit présenté à l’appui d’une demande de contrôle judiciaire, il faut garder à l’esprit les rôles différents que jouent le décideur administratif et la cour de révision. Le législateur a conféré au décideur administratif, et non à la cour, le pouvoir de trancher certaines questions de fond. Ces rôles étant définis, la cour ne saurait se permettre de tirer des conclusions de fait sur le fond de l’affaire. C’est pourquoi la règle générale veut que le dossier de preuve soumis à la cour lors d’un contrôle judiciaire soit limité au dossier de preuve dont disposait le décideur. Les éléments de preuve qui n’ont pas été soumis au décideur administratif et qui portent sur le fond de l’affaire ne sont pas admissibles, à quelques exceptions près.
[57] Il est reconnu qu’échappe à ce principe l’affidavit : qui contient des renseignements généraux susceptibles d’aider la cour à comprendre les questions qui sont pertinentes pour le contrôle judiciaire, mais sans aller jusqu’à contenir des éléments de preuve se rapportant au fond de la question déjà tranchée par le décideur administratif; qui porte à l’attention de la cour de révision des vices de procédure qui n’apparaissent pas dans le dossier de preuve du décideur administratif, de sorte que la cour peut ainsi s’acquitter de sa tâche d’examiner les questions d’équité procédurale; et qui fait ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le décideur administratif lorsqu’il a tiré une conclusion donnée (Association des universités et collèges, au para 20; Bernard c Canada (Agence du revenu du Canada), 2015 CAF 263 aux para 19-25 [Bernard]; Delios, au para 45; Henri c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 38 aux para 39‑41 [Henri]).
Renseignements en double
[58] La BIOK s’oppose fortement au fait qu’une grande partie de l’affidavit de Mme Johnston porte sur de l’information contenue dans le DCT. La BIOK a produit un tableau visant à démontrer que 22 des 36 pièces jointes à l’affidavit de Mme Johnston se trouvent en fait dans le DCT. La BIOK soutient que l’affidavit de Mme Johnston contient des renseignements qui sont déjà dans le DCT qu’elle a déposé, [traduction] « ce qui va à l’encontre de l’exigence voulant que la preuve par affidavit ne serve pas à ‟compléter le dossier ou à le remplacer” »
, citant l’arrêt Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général) 2017 CAF 116 au para 33 [Tsleil-Waututh].
[59] À mon avis, la BIOK interprète mal l’arrêt Tsleil-Waututh lorsqu’elle insinue qu’un demandeur ne saurait renvoyer à un document qui figure déjà au DCT et le joindre à l’affidavit qu’il a déposé à l’appui de sa demande. Le juge Stratas a réexaminé la règle générale selon laquelle, sous réserve de certaines exceptions, les éléments de preuve qui n’ont pas été soumis au décideur administratif ne sont pas admissibles devant la cour de révision. Il a également parlé de la règle relative aux renseignements généraux :
[29] Les demandeurs ne s’opposent pas à ce que les affidavits déposés par les défendeurs contiennent des renseignements généraux et des résumés. Après tout, au vu du matériel devant moi, il me semble que c’est également le cas de la plupart des affidavits déposés par les demandeurs.
[30] Or, les demandeurs soulèvent une objection relative à la proportion de renseignements généraux et de résumés dans les affidavits des défendeurs, à la nature argumentative de certaines déclarations et à la présence de ouï-dire et d’opinions. [...]
[31] Les principes applicables à la communication de renseignements généraux ou de résumés susceptibles d’aider la Cour dans un affidavit présenté dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire sont énoncés dans des arrêts comme Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, [2012] A.C.F. no 93 (QL), Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, [2015] A.C.F. no 549 (QL) et Bernard c. Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, [2015] A.C.F. no 1396 (QL).
[32] Selon cette jurisprudence, normalement, le dossier devant le décideur administrateur est la seule preuve admissible devant la cour siégeant en révision. Par contre, lorsque le décideur administratif a élaboré un dossier et que la preuve y est complexe, volumineuse ou les deux, l’affidavit présentant des résumés ou des déclarations sur des renseignements généraux est admissible devant la cour à seule fin de l’éclairer ou en guise d’introduction.
[33] Lorsque le décideur administratif a rassemblé un dossier de preuve, comme en l’espèce, les déclarations présentant des renseignements généraux et des résumés ne servent pas à compléter le dossier ou à le remplacer ni à discuter le fond de la question jugée par le décideur administratif. Elles ne sont admissibles qu’à une seule fin : expliquer le dossier et l’instance devant le décideur administratif dans le but d’éclairer la cour siégeant en révision. C’est ce qui ressort du passage suivant tiré de l’arrêt Association des universités (au paragraphe 20) :
Parfois, notre Cour admettra en preuve un affidavit qui contient des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire (voir, par ex. Succession de Corinne Kelley c. Canada, 2011 CF 1335, aux paragraphes 26 et 27; Armstrong c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1013, aux paragraphes 39 et 40; Chopra c. Canada (Conseil du Trésor) (1999), 168 F.T.R. 273, au paragraphe 9). On doit s’assurer que l’affidavit ne va pas plus loin en fournissant des éléments de preuve se rapportant au fond de la question déjà tranchée par le tribunal administratif, au risque de s’immiscer dans le rôle que joue le tribunal administratif en tant que juge des faits et juge du fond.
[34] Dans l’arrêt Delios, la Cour a précisé sa pensée (au paragraphe 45), ajoutant que les déclarations présentant des renseignements généraux et des résumés devraient éviter l’argumentation :
L’exception des « renseignements généraux » vise les observations pures et simples propres à diriger la réflexion du juge réformateur afin qu’il puisse comprendre l’historique et la nature de l’affaire dont le décideur administratif était saisi. Dans les procédures de contrôle judiciaire visant les décisions administratives complexes se rapportant à des procédures et des faits compliqués, étayées par des centaines ou des milliers de documents, le juge réformateur trouve utile de recevoir un affidavit qui passe brièvement en revue, d’une manière neutre et non controversée, les procédures qui se sont déroulées devant le décideur administratif, et les catégories de preuves que les parties ont présentées à l’administrateur. Dans la mesure où l’affidavit ne s’engage pas dans une interprétation tendancieuse ou une prise de position – rôle de l’exposé des faits et du droit –, il est recevable à titre d’exception à la règle générale.
[35] Dans l’arrêt Delios (au par. 46), la Cour a également réitéré la mise en garde faite dans l’arrêt Association des universités voulant qu’en fournissant des renseignements généraux, l’affidavit ne doive pas aller plus loin et qu’il ne « va pas plus loin en fournissant des éléments de preuve se rapportant au fond de la question déjà tranchée par le tribunal administratif, au risque de s’immiscer dans le rôle que joue le tribunal administratif en tant que juge des faits et juge du fond ».
[36] La référence dans l’arrêt Delios aux « observations pures et simples » est un clin d’œil aux nombreuses affaires dont notre Cour est saisie et au paragraphe 81(1) des Règles selon lequel les affidavits « se limitent aux faits » et sont dépourvus d’argumentation.
[37] Des demandeurs ont cité l’arrêt Canada (Procureur général) c. Quadrini, 2010 CAF 47, et sa mise en garde au paragraphe 18 selon laquelle les faits devraient être présentés « sans commentaires ni explications ». Cette phrase ne devrait pas être citée hors contexte. L’arrêt Quadrini met en garde contre l’argumentation controversée qui dépasse les limites de ce qui est permis. Parfois, un bon résumé du déroulement de l’instance devant le tribunal administratif peut contenir certaines explications et se révéler néanmoins admissible. Mais un affidavit ne saurait constituer un mémoire des faits et du droit.
[38] Dans l’arrêt Bernard, la Cour souligne le principe qui sous‑tend l’admissibilité d’un affidavit contenant des renseignements généraux souscrits dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire : il « facilite à la Cour la tâche consistant à contrôler une décision administrative (soit la tâche de voir à la primauté du droit) en relevant, récapitulant et mettant en évidence les éléments de preuve les plus utiles dans cette tâche » sans offrir de nouvelle preuve portant sur le fond de la question dont était saisi le décideur administratif (par. 23). Ainsi, ce principe « respecte les rôles propres au décideur administratif et à la cour de révision, les rôles du juge du fond et du juge de révision et, de ce fait, la séparation des pouvoirs » (par. 23). Je le répète, les renseignements généraux ne servent qu’à éclairer la cour siégeant en révision, ils ne peuvent fournir de preuve sur le déroulement de l’instance devant le décideur administratif : c’est le dossier dont disposait le décideur qui en fait foi.
[...]
[40] Je conclus que les déclarations présentant des renseignements généraux et des résumés à l’égard desquels les demandeurs soulèvent des objections sont admissibles à seule fin d’éclairer la Cour, à titre de cour de révision. Elles ne peuvent faire foi du déroulement véritable de l’instance devant le décideur administratif. Cette preuve se trouve exclusivement dans le dossier qui sera déposé à la Cour.
(Non souligné dans l’original)
[60] L’arrêt Tsleil-Waututh n’appuie pas la proposition selon laquelle, si des documents ont été versés au DCT, le demandeur ne peut en parler de façon neutre lorsqu’il expose l’historique ou le contexte de l’affaire en litige. L’arrêt Tsleil-Waututh établit plutôt que, s’il existe un DCT ou tout autre dossier, les déclarations présentant des renseignements généraux ou des résumés sont admissibles si elles visent expressément à expliquer le dossier et l’instance devant le décideur administratif de manière à pouvoir éclairer la cour siégeant en révision. Cela dit, elles ne remplacent pas la preuve versée au dossier.
[61] À mon avis, l’argument de la BIOK, selon lequel l’affidavit de Mme Johnston devrait être radié parce qu’il renvoie essentiellement aux documents du DCT et comporte donc des renseignements en double, ne saurait être accueilli. Par ailleurs, il est évident que si ces renseignements figurent à la fois dans le dossier et dans l’affidavit, il ne s’agit alors pas de nouveaux éléments de preuve : le conseil en disposait au moment de prendre sa décision. Je souligne que la demanderesse a fourni un tableau qui relie la plupart des paragraphes de son affidavit (par numéro de paragraphe) aux renseignements contenus dans le DCT (par numéro de page). Dans un autre tableau, elle a dressé une liste des autres paragraphes avec une description des renseignements qui y sont contenus. La demanderesse a précisé que ces renseignements sont d’ordre général et qu’ils ne sont ni controversés ni préjudiciables.
[62] Comme je l’ai mentionné, la jurisprudence établit que la preuve par affidavit qui présente des renseignements généraux peut, à titre d’exception à la règle générale, être admissible devant une cour de révision, mais que cette preuve ne doit pas aller plus loin. Elle ne peut pas se rapporter au fond de l’affaire soumise à l’examen du décideur administratif.
[63] Par conséquent, la question est celle de savoir si les renseignements contenus dans l’affidavit de Mme Johnston relèvent de cette exception, dans la mesure où ils ne se retrouvent pas également dans le DCT.
Renseignements généraux
[64] La BIOK affirme que la demanderesse [traduction] « bourre le dossier »
. Elle soutient qu’en reproduisant une grande partie du DCT et qu’en présentant des renseignements en double, non admissibles et inutiles, l’affidavit fournit de nouveaux éléments de preuve ainsi qu’un nouvel exposé et commentaire présentant des faits dont ne disposait pas le décideur et qui ne relèvent d’aucune des exceptions à la règle concernant les nouveaux éléments de preuve.
[65] Plus précisément, la BIOK soutient que l’affidavit de Mme Johnston est trop long et de portée trop générale pour être considéré comme une déclaration présentant des renseignements généraux ou un résumé du dossier soumis à l’attention du décideur administratif. Elle ajoute qu’une grande partie du contenu de cet affidavit provient d’un affidavit qui a déjà été déposé dans l’action pour atteinte à la possession que la BIOK a intentée contre la demanderesse.
[66] Bien que je ne considère pas que l’affidavit de Mme Johnston soit long ou de portée générale, je souligne que la demanderesse a demandé d’être admise à nouveau au sein de la BIOK en 2002, soit près de 20 ans avant la décision sur la demande de réexamen de 2021. Il n’est donc pas surprenant que son affidavit ait nécessité 71 paragraphes pour expliquer le contexte de la décision contrôlée. J’estime aussi que son affidavit est très utile en ce qu’il établit clairement et chronologiquement le contexte dans lequel s’inscrit la décision. Le récit que fait un demandeur des événements peut fournir des renseignements généraux et contextuels utiles qui ne se trouvent pas dans le dossier (Marcusa c Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1092 au para 20). C’est le cas en l’espèce.
[67] Je ne vois pas non plus pourquoi la BIOK s’inquiète du fait que l’affidavit déposé par la demanderesse dans l’action pour atteinte à la possession est semblable à celui qu’elle a déposé à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. Bien que certaines des questions soulevées dans ces deux instances puissent différer, elles découlent dans les deux cas de la même situation factuelle et concernent notamment les efforts déployés par la demanderesse pour être admise au sein de la BIOK et pour pouvoir hériter des terres en cause, les posséder et les occuper.
[68] La BIOK n’explique pas en quoi la similitude de la preuve par affidavit déposée par Mme Johnston dans les deux affaires pose un problème quant à l’admissibilité de sa preuve en l’espèce. À mon avis, ce qui préoccupe véritablement la BIOK, c’est la décision sur l’action pour atteinte à la possession qui se trouve dans le DCT et qui repose sur le même affidavit (ou « l’affidavit recyclé »
) que Mme Johnston a déposé dans le cadre de cette action (je souligne que l’affidavit que Mme Johnston a déposé dans cette affaire et auquel la BIOK s’oppose ne figure pas dans le DCT; la BIOK l’a plutôt versé au dossier de requête à titre de pièce à un affidavit souscrit par un parajuriste qui travaille pour l’avocat de la BIOK).
[69] La BIOK fait aussi valoir que la décision sur la demande de réexamen de 2021 a été rendue après le dépôt de l’action pour atteinte à la possession et la suspension de l’instance qui a suivi. C’est vrai, mais ça n’a aucun rapport avec sa requête en radiation de l’affidavit de Mme Johnston, d’autant plus que le conseil de bande devait avoir été informé de l’action intentée devant la CSCB. La BIOK soutient par ailleurs que le contrôle judiciaire doit être axé sur la question de savoir si la décision sur la demande de réexamen de 2021 était raisonnable et équitable sur le plan de la procédure. Je suis d’accord. Cependant, la BIOK ajoute que les questions relatives à l’atteinte à la possession sont fondamentalement différentes de celles soumises à l’examen de la Cour en l’espèce. Il se peut que ce soit le cas, mais cela fait simplement ressortir encore une fois que ce qui inquiète vraiment la BIOK, c’est l’incidence que pourrait avoir la décision sur l’action pour atteinte à la possession sur la présente instance. La BIOK n’explique pas pourquoi – au regard de l’action pour atteinte à la possession – l’affidavit que Mme Johnston a déposé à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire ne constitue pas des renseignements généraux.
[70] La BIOK fournit également un tableau en 12 points qui, selon elle, démontre que l’affidavit de Mme Johnston contient des renseignements qui auraient pu lui être transmis avant la décision sur la demande de réexamen de 2021, mais qui ne l’ont pas été. Ces renseignements sont donc inadmissibles.
[71] Prenons, par exemple, le paragraphe 21 de l’affidavit de Mme Johnston et la pièce I à laquelle il se rapporte. Mme Johnston dit au paragraphe 21 que sa demande de transfert de statut de membre a été présentée pour examen au conseil de bande de la BIOK en 2010, mais qu’elle a été mise en suspens à la suite d’une décision à huis clos. Elle dit avoir continué de faire des tentatives pour être admise au sein de la BIOK, mais que cette dernière ne traitait pas sa demande. Elle joint une lettre du 17 mars 2011 de la BIOK. C’est un avis qui commence par la mention « À qui de droit »
et dans lequel il est indiqué que la nouvelle politique de transfert du statut de membre élaborée par le chef et le conseil de la BIOK, entrée en vigueur le 6 octobre 2010, prévoit des frais de 50 $, et que les destinataires dudit avis doivent de nouveau présenter leur demande en y joignant les documents figurant sur la liste de vérification et acquitter les frais exigibles s’ils ne l’ont pas déjà fait.
[72] Il convient de souligner que, selon les observations de février présentées au conseil, la demanderesse a présenté une demande de transfert de statut de membre pour examen au conseil de la BIOK en 2010, mais que sa demande a été mise en suspens à la suite d’une décision à huis clos. Le conseil disposait de cette information lorsqu’il a pris la décision sur la demande de réexamen de 2021. Il ne s’agit pas d’un nouvel élément de preuve. Je fais également remarquer que la pièce I, soit l’avis général apparemment destiné aux personnes qui avaient déjà présenté une demande de transfert de statut de membre, ne prête pas à controverse. En effet, la BIOK a déposé un affidavit, souscrit le 15 octobre 2021 par Michael Fotheringham, son directeur principal [affidavit de M. Fotheringham], qui expose l’historique de la politique de transfert de la BIOK et confirme que la bande a approuvé la politique de 2010 le 6 octobre 2010.
[73] En outre, la BIOK conteste le paragraphe 28 de l’affidavit de Mme Johnston, dans lequel la demanderesse affirme que sa tante l’a désignée comme seule bénéficiaire de sa succession. La demanderesse a joint une copie du testament de sa tante comme pièce N. Je souligne que, selon les observations de février présentées au conseil, Rhoda Simla a nommé la demanderesse comme seule bénéficiaire de sa succession dans son testament du 21 décembre 2002. Il ne s’agit donc pas d’un nouvel élément de preuve, puisque le conseil disposait de ce renseignement lorsqu’il a pris la décision sur la demande de réexamen de 2021. De plus, le contenu du testament ne prête pas à controverse. Bien que le testament proprement dit n’ait pas été transmis au conseil (ou du moins versé au DCT), son contenu n’est pas contesté. J’estime, dans les circonstances, qu’en joignant comme pièce le testament à son affidavit, Mme Johnston n’a pas produit un « nouvel élément de preuve »
qui justifierait la radiation de son affidavit ou du paragraphe concerné. Le document peut être et sera écarté, mais son contenu n’est ni contesté ni controversé.
[74] La BIOK conteste également le paragraphe 35 de l’affidavit de Mme Johnston. Mme Johnston y dit avoir reçu une lettre dans laquelle AADNC l’informait que les lots 145 bloc 4 et 144‑1 bloc 4 (lots vendus de la succession Simla) avaient été vendus. Une lettre du 18 août 2015 provenant d’AADNC a été jointe comme pièce Q à cet égard. L’identification de ces lots et le fait qu’ils avaient été vendus ne sont pas des renseignements nouveaux. Les observations de février présentées au nom de la demanderesse indiquent également que deux des quatre parcelles faisant partie des terres que sa tante lui avait léguées avaient été vendues en vertu de l’article 50 de la Loi sur les Indiens. Là encore, ce renseignement n’est pas controversé. La BIOK cherchait à vendre ces terres et savait très bien qu’elles avaient été vendues. Il est possible que la lettre d’AADNC n’ait pas été présentée au conseil (quoique je me serais attendue à ce qu’un tel avis d’AADNC le soit), la vente des lots n’est pas une nouvelle information qui justifie la radiation de l’affidavit de Mme Johnston dans son ensemble ou du paragraphe concerné. La pièce jointe peut simplement être écartée.
[75] Enfin, à titre d’exemple, je souligne que, même si aux paragraphes 55, 56 et 57 de son affidavit, Mme Johnston renvoie au dépôt de sa protestation, à l’introduction de l’action pour atteinte à la possession et à la réponse à cette action qu’elle a déposée, ce ne sont pas là de nouveaux éléments de preuve. Par ailleurs, la BIOK a sans doute dans ses dossiers des copies des pièces jointes qui se rapportent à ces procédures. En fait, dans sa décision sur la demande de réexamen de 2021, le conseil parle des affirmations faites par la demanderesse dans sa protestation. Lesdits documents sont également joints comme pièces à l’affidavit déposé à l’appui des requêtes en radiation de la BIOK; de toute évidence, la BIOK était au courant de leur existence et de leur contenu.
[76] En somme, après avoir examiné tous les points soulevés par la BIOK, je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que les paragraphes contestés fournissent des renseignements contextuels généraux qui ne prêtent pas à controverse. Dans la mesure où la preuve par affidavit et les pièces qui y sont jointes ne se trouvent pas dans le DCT et ne fournissent pas le fondement nécessaire aux allégations de manquement à l’équité procédurale (Marcusa, au para 20), elles ne seront pas prises en compte dans l’examen de la présente demande de contrôle judiciaire.
[77] La BIOK soutient également que l’affidavit de Mme Johnston renferme des commentaires et des explications non admissibles, notamment aux paragraphes 2 à 12, où la demanderesse [traduction] « parle de son éducation, de ses possibilités de carrière et de ses choix de vie, y compris de son départ de la BIOK pour Fort St. James et de la raison de cette décision »
. Encore une fois, cependant, la plupart de ces renseignements, y compris la raison pour laquelle elle a transféré son statut de membre à la bande de Nak’azdli Whu’en en 1988, se trouvent dans les observations de février, dont le conseil a pris acte dans sa décision sur la demande de réexamen de 2021. Il est vrai, comme la demanderesse le concède, qu’au paragraphe 11, elle ajoute qu’elle était très respectée pour son travail dans le domaine des services aux victimes et que le détachement de la GRC du Fort St. James l’avait récompensée pour ses longues années de service; comme ces renseignements ne se trouvaient ni dans les observations de février ni ailleurs dans le DCT, ils seront ignorés. Il s’agit toutefois d’un accroc mineur.
[78] La BIOK conteste également les paragraphes 36 et 37 de l’affidavit de Mme Johnston, affirmant qu’ils fournissent de [traduction] « nouveaux commentaires »
. Cependant, le paragraphe 36 ne fait que reprendre le contenu des courriels de MM. Brewer et Marchand, qui ont été versés au DCT. Au paragraphe 37, la demanderesse nie avoir menacé de violence physique M. Brewer ou quelqu’un d’autre. Elle affirme qu’elle ne possède aucune arme à feu et qu’elle n’en possédait aucune en 2016. Elle avait 66 ans au moment de l’incident. Elle mesure 5’ 4”. Elle précise qu’elle n’a aucun antécédent de violence ou de comportement menaçant et qu’elle a dû désamorcer des situations tendues au cours de sa carrière. Elle voulait simplement que les arpenteurs‑géomètres quittent les terres non vendues de la succession de Mme Simla, car sa tante les lui avait léguées aux termes d’un testament valide. Dans la mesure où ces renseignements dépassent la simple description du contenu des observations de février au sujet de cet incident, je conviens qu’ils ajoutent des commentaires qui doivent être ignorés. Cependant, il ne s’agit pas d’un cas où la preuve par affidavit est « tendancieu[se], opiniâtre et prêt[e] à controverse »
et l’affidavit de Mme Johnston ne vise pas à « fournir à la Cour une appréciation de la preuve qui diffère de celle faite par »
le décideur, comme c’était le cas dans l’affaire Canadian Tire (aux para 10 et 12).
[79] Enfin, la BIOK conteste les paragraphes 44 à 67 de l’affidavit de Mme Johnston. Mme Johnston y décrit essentiellement les efforts qu’elle a faits depuis 2018 pour être admise au sein de la BIOK. La BIOK affirme que la demanderesse ajoute des commentaires inutiles, sans autre précision, sur le processus de demande et les interactions qu’elle aurait eues avec Veronica Wilson et Jason Shortt. À mon avis, il aurait été préférable que l’affidavit renvoie simplement aux renseignements que renferment à ce sujet les observations de février, mais il reste que le contenu de ces paragraphes se retrouve essentiellement dans ces observations. Dans la mesure où ledit contenu va au‑delà de ces observations, je n’en tiendrai pas compte, tout comme je ne tiendrai pas compte de toute autre preuve par affidavit qui ne se limite pas à décrire de façon neutre le contexte de l’affaire.
[80] S’appuyant à cet égard sur l’arrêt Canadian Tire, la BIOK soutient par ailleurs que dans son affidavit, Mme Johnson reprend essentiellement les observations de février formulées par son avocat sous forme d’exposé circonstancié à la première personne, et qu’en racontant à nouveau la même histoire en tant que témoin direct, la demanderesse interprète de manière inadmissible la preuve que le conseil avait examinée antérieurement.
[81] Il s’agit toutefois de l’histoire de la demanderesse. La demanderesse a le droit de déposer un affidavit à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. Qui plus est, et comme je l’ai mentionné, ce faisant, elle ne fait qu’établir le contexte factuel dont elle a une connaissance personnelle et dont le conseil disposait lorsqu’il a pris la décision sur la demande de réexamen de 2021. Ces renseignements se trouvent dans le DCT. Dans la mesure où certaines phrases, voire certains paragraphes, de son affidavit vont au‑delà du contexte factuel, ils seront ignorés.
[82] À cet égard, la demanderesse souligne que, dans l’arrêt Tsleil-Waututh, la Cour d’appel s’est penchée sur la question de savoir si certaines des déclarations présentant des renseignements généraux et des résumés contenues dans les affidavits des défendeurs étaient trop argumentatives ou renfermaient des opinions. Même si la cour a conclu après examen que, à certains égards, des déclarations présentant des renseignements généraux et des résumés figurant aux affidavits auraient dû être exprimées en termes plus cliniques, la plupart des points qualifiés d’argumentatifs ne l’étaient pas du tout. La cour a ajouté que la formation qui entendrait les demandes ne serait pas induite en erreur ou influencée par les déclarations argumentatives ou d’opinion. Le juge Stratas a conclu que les renseignements généraux et les résumés présentés par les déposants des défendeurs répondaient à l’objectif d’éclairer la formation sur le déroulement de l’instance devant le tribunal administratif, du moins du point de vue des défendeurs, sans la prédisposer en leur faveur. Par conséquent, il a refusé de radier des affidavits des défendeurs quelque renseignement général ou résumé que ce soit.
[83] Je suis d’avis que la présente situation est semblable. Bien que l’affidavit de Mme Johnston aurait pu être rédigé plus soigneusement de façon à ne rien ajouter aux renseignements déjà connus, ou de façon à ce qu’il se limite à une description neutre des événements ayant mené à la décision sur la demande de réexamen de 2021, la Cour peut ignorer ces quelques phrases ou paragraphes qui ne respectent pas ces règles.
Portée de la demande
[84] La BIOK s’attaque ensuite à la portée de l’affidavit de Mme Johnston au motif qu’elle ne coïncide pas avec celle de la réparation demandée. La BIOK soutient qu’étant donné que la demanderesse ne conteste que la décision sur la demande de réexamen de 2021, son affidavit est en grande partie non pertinent et traite de questions qui n’aident pas la Cour à statuer sur la demande – par exemple, les tentatives qu’elle a faites pour faire transférer son statut de membre.
[85] Toutefois, je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que l’historique de ses demandes de transfert de statut de membre est un élément contextuel essentiel de la décision faisant l’objet du contrôle, qui elle-même renvoie à certains de ces événements passés. La portée de la demande ne s’en trouve pas pour autant élargie, puisque les parties conviennent que la présente demande ne porte que sur la décision sur la demande de réexamen de 2021. Par ailleurs, la demanderesse affirme que cette décision est déraisonnable et constitue un manquement à l’équité procédurale. La preuve qu’elle a produite au sujet du délai de traitement en dit long, à tout le moins, sur cette dernière affirmation. Que ce délai soit ou non pertinent est une question de fond. Je souligne également que la BIOK soutient que [traduction] « la demanderesse ne saurait élargir arbitrairement la portée de la pertinence juridique en ajoutant des éléments de preuve »
, citant Merck Frosst Canada Inc. c Canada (Ministre de la Santé), [1997] ACF no 1847 aux para 8 et 9. Premièrement, je ne suis pas d’accord pour dire que c’est ce que fait la demanderesse. Deuxièmement, dans l’arrêt Merck, la Cour a conclu que la pertinence formelle était liée aux questions de fait qui opposent les parties. Dans une demande de contrôle judiciaire, l’avis introductif d’instance doit exposer le fondement juridique, plutôt que factuel, sur lequel repose la demande de contrôle, les questions en litige étant définies par les affidavits déposés par les parties. Par conséquent, le contre‑interrogatoire sur ces affidavits – lequel était en cause dans les paragraphes mentionnés par la BIOK – se limite aux faits attestés par les déposants. En l’espèce, la demanderesse affirme dans son avis de demande qu’il y a eu manquement à l’obligation d’équité procédurale et à la justice naturelle compte tenu du temps mis pour traiter sa demande. Dans son affidavit, elle dit entre autres que le conseil n’a pas tenu compte de ce délai lorsqu’il a évalué sa demande de transfert de statut de membre. Je souligne également que la BIOK a choisi de ne pas la contre‑interroger sur son affidavit.
Exception relative à l’équité procédurale
[86] La BIOK fait ensuite valoir que la plupart des éléments de preuve contenus dans l’affidavit de Mme Johnston n’établissent pas les manquements à l’équité procédurale dont Mme Johnston fait état dans son avis de demande. Par exemple, ce qu’elle déclare au sujet du délai de traitement n’est ni pertinent ni probant parce qu’il est question de son comportement antérieur et non d’un vice de procédure lié à la décision sur la demande de réexamen de 2021, qui est la seule décision visée par le contrôle. La BIOK dit que la demanderesse n’a présenté aucun élément de preuve tendant à démontrer qu’elle n’avait pas eu la possibilité de connaître le fondement sur lequel la décision sur la demande de réexamen de 2021 serait prise, ou que les éléments de preuve dont disposait la BIOK pour prendre sa décision n’étaient pas suffisants.
[87] À mon avis, la question du délai de traitement, et son rôle, le cas échéant, en ce qui concerne le niveau d’équité procédurale auquel a eu droit la demanderesse au cours du processus décisionnel relatif à la demande de réexamen de 2021, est une question de fond. Si le délai de traitement est jugé non pertinent, alors la preuve y afférente ne le sera pas non plus. À cet égard, la demanderesse soutient avoir démontré, et ce, au paragraphe 62 de son affidavit que, ironiquement, la BIOK cherche à faire radier, qu’elle n’avait pas eu la possibilité de connaître le fondement sur lequel la décision serait prise.
[88] La BIOK affirme par ailleurs que la demanderesse n’a présenté aucune preuve visant à démontrer en quoi les manquements à l’équité procédurale auraient compromis son droit d’obtenir une décision équitable. Encore une fois, il est question du bien‑fondé des arguments relatifs à l’équité procédurale que la demanderesse a invoqués, ainsi que du caractère suffisant de la preuve qu’elle a présentée à cet égard. À mon avis, la véritable préoccupation de la BIOK se reflète dans son observation selon laquelle il était à première vue préjudiciable pour la bande que la demanderesse [traduction] « confonde »
le contrôle de la décision sur la demande de réexamen de 2021 avec l’examen de questions complètement distinctes, dont l’action pour atteinte à la possession ou les décisions antérieures sur ses demandes de transfert de statut de membre, qui n’ont pas été contestées, et que [traduction] « le caractère raisonnable ou équitable de la décision sur la demande de réexamen de 2021 qui fait l’objet du contrôle ne saurait dépendre de questions distinctes de conduite ou autres »
. La Cour sait faire la différence et est en mesure d’évaluer la pertinence de ces questions, s’il y a lieu.
[89] Enfin, la BIOK soutient que la demanderesse ne conteste pas le niveau d’équité procédurale auquel elle a eu droit et qu’[traduction] « [qu’]il semble être admis que la bande a fait preuve à son égard du plus haut degré d’équité procédurale possible »
. C’est pourquoi rien ne justifie que la demanderesse présente des éléments de preuve tendant à faire valoir ses droits en l’espèce, puisqu’elle a eu droit au plus haut degré d’équité procédurale possible. La BIOK affirme que puisque la question n’est pas en litige, toute cette preuve n’est pas pertinente. La demanderesse n’est pas d’accord. Plus particulièrement, elle n’est pas d’accord avec la BIOK qui prétend l’avoir informée par lettre, avant la révision, des [traduction] « principales questions qui préoccupaient la bande au sujet de sa demande de transfert »
. Là encore, j’estime qu’il s’agit d’une question qui doit être examinée sur le fond et non être éliminée, comme le souhaiterait la BIOK, par la radiation de l’affidavit de Mme Johnston.
[90] En conclusion, je souligne que la demanderesse renvoie à l’arrêt Mayne Pharma (Canada) c Canada (Ministre de la Santé), 2005 CAF 50, dans lequel la Cour d’appel a déclaré que les plaideurs ne devaient pas prendre l’habitude de recourir systématiquement à des requêtes en radiation de la totalité ou d’une partie d’un affidavit, surtout lorsque la question porte sur la pertinence. Ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles où l’existence d’un préjudice est démontrée que ce type de requête est justifié (au para 13). Je souligne également que dans l’arrêt Quadrini, au paragraphe 18, la Cour d’appel fédérale a statué qu’« [e]n général, l’affidavit doit contenir des renseignements pertinents qui aideraient la Cour à trancher la demande, [et que] l’affidavit a pour but de présenter les faits pertinents quant au litige sans commentaires ni explications. La Cour peut radier des affidavits ou des parties de ceux‑ci lorsqu’ils sont abusifs ou n’ont clairement aucune pertinence, lorsqu’ils renferment une opinion, des arguments ou des conclusions de droit »
. Je souligne que la Cour d’appel fédérale a également conclu qu’il était de jurisprudence constante que le pouvoir discrétionnaire de radier un affidavit en partie ou en totalité doit être exercé avec modération et seulement dans des cas exceptionnels, et dans les cas où il est dans l’intérêt de la justice de le faire, par exemple, ou dans les cas où cela causerait un préjudice important à une partie (Canada (Bureau de régie interne) c Canada (Procureur général), 2017 CAF 43 au para 29).
[91] Pour les motifs qui précèdent, je ne suis pas convaincue que l’affidavit de Mme Johnston est abusif ou qu’il est « de toute évidence dénué de pertinence »
(Mayne Pharma, au para 18; Bande Indienne Coldwater c Canada (Procureur Général), 2019 CAF 292 au para 14). Je ne suis pas non plus convaincue que la Cour est en présence d’une circonstance exceptionnelle ou que la BIOK subira un préjudice si l’affidavit n’est pas radié. Dans la mesure où certaines parties de l’affidavit ajoutent des commentaires à la preuve présentée au conseil, elles seront ignorées.
[92] À mon avis, l’affidavit de Mme Johnston est admissible, car une grande partie de son contenu est déjà au dossier. Dans la mesure où ce n’est pas le cas, il est admissible parce qu’il fournit des renseignements généraux dans le seul but d’orienter la Cour (ou parce qu’il porte sur les allégations de manquement à l’équité procédurale). Comme le mentionne l’arrêt Tsleil‑Waututh, dans tout contrôle judiciaire d’une décision administrative où le décideur administratif disposait d’un dossier complet, la Cour peut, au besoin, consulter ce dossier, y compris les documents qui ont été déposés. En l’espèce, si un volet de l’instance devant le décideur administratif a une incidence sur une question qui doit être tranchée par la Cour, la Cour se fondera sur le dossier. Par conséquent, les déclarations présentant des renseignements généraux ou des résumés « n’auront aucunement d’incidence sur la décision de la Cour »
(Tsleil‑Waututh, au para 24).
[93] Cela étant, je refuse d’exercer mon pouvoir discrétionnaire de radier en tout ou en partie l’affidavit de Mme Johnston.
Question no 1 : La décision de 2021 était‑elle raisonnable?
Position de la demanderesse
[94] La demanderesse soutient que le conseil a mal interprété la politique de transfert de 2017. Elle affirme que, selon le libellé clair de la politique, elle avait droit à une décision favorable et aurait dû être admise au sein de la BIOK, puisqu’elle répondait aux critères énoncés à l’alinéa 4.1b) de la politique de transfert de 2017. La preuve selon laquelle elle est une résidente bien établie dans la communauté et a des liens avec la communauté de la BIOK ne s’applique qu’à l’alinéa 4.1d), et non à l’alinéa 4.1b) en vertu duquel elle a présenté sa demande.
[95] La demanderesse soutient également que le conseil a commis une erreur en tenant compte de facteurs non pertinents dans sa décision sur la demande de réexamen de 2021, dont les allégations de comportement menaçant, sa contribution à la communauté et son caractère. Ce faisant, il n’a pas tenu compte des contraintes particulières imposées par les articles 4.7 et 4.8 de la politique de transfert de 2017 – quant aux circonstances dans lesquelles il est possible de refuser une demande de transfert – et il a outrepassé les limites de sa compétence. Subsidiairement, si ces considérations sont jugées pertinentes, alors la demanderesse aurait dû avoir la possibilité d’y répondre dans sa demande.
[96] Par ailleurs, le caractère raisonnable de la décision est également limité par les effets graves que la décision aura sur la demanderesse, qui sera en fait, dépossédée de sa maison ancestrale et ne pourra hériter des terres non vendues de Mme Simla.
[97] Enfin, la demanderesse soutient que la décision sur la demande de réexamen de 2021 n’est pas conforme à la raison d’être et à la portée de la politique de transfert de 2012, qui vise à promouvoir [traduction] « [le] traitement équitable des demandes de transfert de statut de membre à la BIOK »
et le « retour aux valeurs héréditaires ».
Position de la défenderesse
[98] La défenderesse soutient qu’il était raisonnable pour le conseil de donner au régime de la loi et de la politique une interprétation qui lui confère un vaste pouvoir discrétionnaire d’examiner et d’évaluer les demandes de transfert de statut de membre [traduction] « de façon rationnelle »
. Elle affirme que lorsqu’elle examine l’interprétation qu’un décideur administratif a faite de la loi, la cour de révision doit commencer par faire preuve de retenue et ne procéder qu’à une analyse préliminaire du texte, du contexte et de l’objet de la loi, pour ensuite examiner les motifs du décideur (citant Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 aux para 8‑20 [Mason]). Bien que les décideurs administratifs doivent appliquer la règle moderne d’interprétation des lois, ils ne sont pas tenus de procéder à une interprétation formaliste de la loi (citant l’arrêt Vavilov, aux para 119‑122).
[99] La défenderesse fait observer que l’interprétation du conseil était à la fois raisonnable et correcte à la lumière du régime établi par l’article 12 de la Loi sur les Indiens et du texte, du contexte et de l’objet de la politique de transfert de 2017. Il en est ainsi parce que l’article 12 de la Loi sur les Indiens confère au conseil de bande le vaste pouvoir discrétionnaire de consentir ou non aux demandes d’admission en son sein et parce que la politique de transfert de 2017 encadre le processus de demande de transfert que le conseil doit suivre, mais préserve le vaste pouvoir discrétionnaire que l’article 12 lui confère. La défenderesse souligne que : (i) la politique de transfert de 2017 a pour objet d’établir le processus à suivre pour obtenir le consentement du chef et du conseil qui est requis par l’article 12 de la Loi sur les Indiens, mais qu’elle ne mentionne aucun critère d’établissement de l’appartenance; (ii) l’objet de la politique de transfert de 2017 se reflète dans la structure de son article 4; (iii) le texte de l’article 4.1 de la politique de transfert de 2017 est de nature facultative plutôt qu’impérative; (iv) le libellé de la politique de transfert de 2017 est clair : le conseil de la BIOK n’est pas tenu de consentir à une demande même si celle-ci satisfait à toutes les exigences de l’article 6. La présentation des documents exigés est une condition préalable à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du conseil.
[100] La BIOK convient que la décision était importante et qu’elle a eu une grande incidence sur la demanderesse, et elle fait valoir qu’il s’agit là d’un élément contextuel à prendre en compte dans l’appréciation du caractère raisonnable de la décision et du degré d’équité procédurale à accorder. Cependant, l’incidence de la décision ne saurait transformer les lignes directrices de la politique en critères obligatoires. La défenderesse ajoute que la demanderesse exagère les effets de la décision sur la demande de réexamen de 2021, puisqu’elle a volontairement renoncé à son statut de membre de la BIOK en 1988. La BIOK fait observer que, même si la demande de transfert de la demanderesse était ultimement approuvée, la question de son droit à la possession des terres non vendues de la succession Mme Simla demeurerait non réglée, puisque la demanderesse n’était pas membre de la bande au moment du décès de Mme Simla. Elle ajoute cependant que la Cour n’a pas été dûment saisie de la question et ne devrait pas l’examiner. En fait, pour les besoins du présent contrôle judiciaire, [traduction] « l’occupation
de facto des terres de la succession de Mme Simla par la demanderesse ne devrait pas être considérée comme un droit légal duquel elle sera privée, de crainte que la Cour n’encourage les voies de droit extrajudiciaire »
.
[101] La BIOK qualifie d’obiter dicta les déclarations de la juge Watchuk au paragraphe 56 de la décision sur l’action pour atteinte à la possession (auquel renvoie la demanderesse au paragraphe 51 de ses observations écrites) et soutient qu’elles ne sont pas contraignantes ou convaincantes.
[102] Enfin, la défenderesse allègue que la décision sur la demande de réexamen de 2021 était conforme à la raison d’être et à la portée générale de l’article 12 de la Loi sur les Indiens et de la politique de transfert de 2017, et que la BIOK n’a pas tenu compte de facteurs non pertinents.
Analyse
[103] Le pouvoir du conseil qui sous‑tend la décision sur la demande de réexamen de 2021 découle de l’article 12 de la Loi sur les Indiens, qui permet au membre d’une bande de transférer son statut de membre à une autre bande « si le conseil de la bande qui l’admet en son sein y consent »
.
[104] Dans ses motifs, le conseil précise que l’alinéa 12b) de la Loi sur les Indiens confère au conseil de bande le vaste pouvoir discrétionnaire de consentir ou non au transfert du statut d’un membre d’une autre bande à sa bande. Bien que les tribunaux ne semblent pas avoir déjà interprété l’article 12 de la Loi sur les Indiens, il reste que, comme l’a souligné la défenderesse, le verbe « consent »
est utilisé sans réserve et n’est assujetti à aucune autre disposition de la Loi sur les Indiens, ce qui tend à indiquer que le législateur entendait conférer aux conseils de bande un large pouvoir discrétionnaire de consentir ou non à une demande de transfert de statut de membre (voir Canada (Procureur général) c Boogaard, 2015 CAF 150 aux para 41‑42 [Boogaard]; voir aussi Vavilov, au para 110).
[105] La défenderesse fait également référence à l’ouvrage Aboriginal Law in Canada, au para 1.1450, où l’on dit qu’en vertu de l’article 12, le conseil de bande peut admettre en son sein tout Indien inscrit ou membre d’une autre bande, mais que cette admission relève de [traduction] « la seule discrétion du conseil de bande »
(Jack Woodward, c.r., Aboriginal Law in Canada, (Toronto, Ontario : Thompson Reuters Canada) (feuilles mobiles mises à jour le 1er février 2022, envoi no 1)). Elle renvoie aussi au registre des débats de la Chambre des communes [Hansard] et affirme que l’adoption de l’article 12 de la Loi sur les Indiens en 1985, au moyen du projet de loi C‑31, témoigne de l’intention de donner à la bande le pouvoir de décider de l’appartenance à ses effectifs.
[106] Je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que le pouvoir discrétionnaire qu’a la bande d’accorder ou de refuser son consentement n’est pas limité par l’article 12 de la Loi sur les Indiens. Je conviens également que l’objectif général de l’article 12 de la Loi sur les Indiens (ou, plus généralement, des articles 8 à 12) est de conférer aux bandes le pouvoir de décider de l’appartenance à leurs effectifs. Par conséquent, le conseil n’a pas commis d’erreur dans son interprétation de l’article 12 de la Loi sur les Indiens et a raisonnablement conclu qu’il disposait du large pouvoir discrétionnaire d’accorder ou non le consentement prévu à cette disposition.
[107] Cela dit, il ne faut pas oublier que, si vastes soient‑il, les pouvoirs décisionnels discrétionnaires sont assujettis à des limites. Comme la Cour d’appel l’a dit dans l’arrêt Boogaard :
[53] En concluant qu’en l’espèce, le commissaire a droit à une très grande marge d’appréciation, je n’affirme pas un instant qu’il est à l’abri d’un contrôle. Son pouvoir discrétionnaire n’est pas absolu ou illimité. Même le plus vaste pouvoir conféré par la loi doit être exercé de bonne foi, conformément aux buts des dispositions, de la loi applicable et de la Constitution :
[traduction]
Dans une réglementation publique de cette nature, il n’y a rien de tel qu’un « pouvoir discrétionnaire » absolu et sans entraves, c’est‑à‑dire celui où l’administrateur pourrait agir pour n’importe quel motif ou pour toute raison qui se présenterait à son esprit; une loi ne peut, si elle ne l’exprime expressément, s’interpréter comme ayant voulu conférer un pouvoir arbitraire illimité pouvant être exercé dans n’importe quel but, si fantaisiste et hors de propos soit‑il, sans avoir égard à la nature ou au but de cette loi. La fraude et la corruption au sein de la commission ne sont peut‑être pas mentionnées dans des lois de ce genre, mais ce sont des exceptions que l’on doit toujours sous‑entendre. Le « pouvoir discrétionnaire » implique nécessairement la bonne foi dans l’exercice d’un devoir public. Une loi doit toujours s’entendre comme s’appliquant dans un certain objectif, et tout écart manifeste de sa ligne ou de son objet est tout aussi répréhensible que la fraude ou la corruption.
[108] Dans ses motifs, le conseil expose ensuite l’interprétation qu’il donne de la politique de transfert de 2017 :
[traduction]
7. La politique ne limite pas le pouvoir discrétionnaire du conseil de consentir ou non au transfert d’appartenance aux effectifs de la BIOK lorsque le processus est suivi, ni les motifs pour lesquels il peut accorder ou refuser son consentement, sauf qu’il ne peut pas donner son consentement si les critères énoncés aux articles 4.1 et 4.3 ne sont pas respectés.
8. Le conseil ne donne pas automatiquement son consentement dès lors qu’un demandeur a fourni les documents énumérés dans la politique. Le fait que ces critères soient remplis signifie seulement qu’il peut examiner la demande ou que celle‑ci peut être soumise au vote de la communauté, comme l’exige la politique. Le conseil conserve le pouvoir discrétionnaire de consentir ou non au transfert.
[109] De façon générale, la question devient alors celle de savoir si le vaste pouvoir discrétionnaire que confère au conseil l’article 12 de la Loi sur les Indiens est limité ou circonscrit par la politique de transfert de 2017.
[110] L’objet de la politique est exposé à l’article 1.2 de la politique de transfert de 2012 :
[TRADUCTION]
1.2. La présente politique décrit les circonstances dans lesquelles :
a) le chef et le conseil peuvent consentir à ce que le nom d’une personne soit consigné dans la liste de la BIOK en vertu de l’article 12 de la Loi sur les Indiens sans obtenir le vote de la communauté.
[soulignement ajouté]
[111] L’article 4.1 prévoit ce qui suit :
[TRADUCTION]
Le chef et le conseil peuvent, par résolution du conseil de bande, consentir à ce que le nom d’un demandeur soit consigné dans la liste des membres, sans obtenir le vote de la communauté, si le demandeur est inscrit en vertu de l’article 6 de la Loi sur les Indiens et, selon le cas :
a) s’il a déjà été inscrit en tant que membre de la bande, mais que son statut de membre a été involontairement transféré à une autre bande, notamment lorsqu’il était enfant;
b) s’il a déjà été inscrit en tant que membre de la bande, mais que son statut de membre a été volontairement transféré à une autre bande;
c) s’il a une ascendance avec la BIOK et qu’il fait la preuve de cette ascendance à la satisfaction du chef et du conseil;
d) s’il a une ascendance avec le peuple Sylix et qu’il fait la preuve de cette ascendance à la satisfaction du chef et du conseil, ou qu’il leur prouve qu’il est un résident bien établi dans la communauté et qu’il a encore des liens familiaux et communautaires avec la BIOK.
[nous soulignons]
[112] De par l’utilisation du mot « peuvent »
, l’article 4.1 permet au conseil d’exercer son pouvoir discrétionnaire de consentir à une demande de transfert si le demandeur répond à au moins un des critères énoncés aux alinéas 4.1a), b), c) ou d). Bien qu’ils ne s’appliquent pas en l’espèce, les articles 4.2 et 4.3 concernent les « autres demandeurs »
, c’est‑à‑dire ceux qui ne répondent à aucun des critères de l’article 4.1. Le libellé de ces dispositions est lui aussi de nature facultative, en ce sens que le conseil peut, par résolution du conseil de bande, soumettre une demande de transfert du statut de membre à un vote de la communauté et consentir à ce que le nom du demandeur soit consigné dans la liste des membres. En outre, l’article 4.4 dispose que le conseil tiendra compte des résultats du vote de la communauté dans sa décision « d’accorder ou de refuser »
son consentement au titre de l’article 4.3.
[113] Les alinéas 6.1a) et b) énumèrent les documents que le demandeur qui a une ascendance avec la BIOK ou le peuple Sylix doit soumettre lorsqu’il présente une demande au titre de l’article 4.1 :
[TRADUCTION]
6.1 Dans le cas des demandes présentées en vertu de l’article 4.1 :
a) la demande de transfert de transfert du statut de membre qui est présentée à l’administrateur du registre des Indiens doit être signée et datée, et le demandeur doit l’accompagner des frais de dépôt et y joindre les documents suivants :
(i) une photocopie de son Certificat de statut d’Indien actuel,
(ii) l’original de son certificat de naissance détaillé,
(iii) s’il est membre d’une bande régie par l’article 10 de la Loi sur les Indiens, une lettre signée ou une résolution du conseil de bande de la bande d’origine confirmant qu’il en est membre;
b) le demandeur âgé de 18 ans ou plus doit fournir les renseignements supplémentaires suivants :
(i) une vérification du casier judiciaire;
(ii) une lettre signée par la bande d’origine attestant que le demandeur ne détient aucun certificat de possession de terres situées dans sa réserve;
(iii) une lettre signée par la bande d’origine attestant que le demandeur n’a aucune dette active envers elle.
[soulignement ajouté]
[114] Cependant, bien que l’alinéa 6.1h) exige du conseil qu’il prenne une décision sur présentation d’une demande complète et d’une recommandation de l’administrateur du registre des Indiens (alinéa 6.1g)), il ne limite pas le pouvoir discrétionnaire qu’il a de décider de consentir ou non à la demande de transfert :
[TRADUCTION]
h) après que l’administrateur du registre des Indiens aura présenté sa recommandation lors d’une réunion en règle du conseil, le chef et le conseil décideront, par résolution du conseil de bande, s’ils consentent ou non à ce que le demandeur devienne membre de la bande.
[soulignement ajouté]
[115] Les critères énoncés aux articles 4.1, 4.3 et 6.1 sont essentiellement des conditions préliminaires que le demandeur doit respecter avant que le conseil n’exerce son pouvoir discrétionnaire d’accorder ou de refuser le transfert de statut de membre demandé.
[116] La politique sur le transfert de 2017 contient une disposition qui limite le pouvoir discrétionnaire du conseil, soit l’article 4.6. Or, cet article exige du conseil qu’il refuse de consigner le nom d’un demandeur dans la liste des membres de la BIOK, c’est-à-dire qu’il refuse son consentement, si le demandeur ne respecte pas les critères préliminaires des articles 4.1 ou 4.3. Les articles 4.7 et 4.8 prévoient expressément que le conseil « peut refuser »
une demande dans certaines autres circonstances. La politique de transfert de 2017 ne comporte aucune disposition exigeant que le conseil consente à une demande ou énonçant les circonstances dans lesquelles il doit y consentir. Soulignons qu’aucune disposition n’exige du conseil qu’il consente à une demande de transfert de statut de membre si les conditions préliminaires sont respectées. Cet élément, jumelé au libellé facultatif employé à l’alinéa 1.2a), à l’article 4.1 et ailleurs, indique que le pouvoir discrétionnaire que confère au conseil l’article 12 de la Loi sur les Indiens n’est pas limité par la politique, mis à part l’obligation que lui impose l’article 4.6. de refuser son consentement.
[117] En l’espèce, le directeur principal de la BIOK a confirmé dans une lettre du 29 octobre 2018 que la demanderesse avait fourni tous les documents qui manquaient en lien avec sa demande (alinéas 4.1b) et 6a) et b)). Il semble que la BIOK ait également obtenu de SAC une copie de la déclaration solennelle du père de la demanderesse que cette dernière avait présentée au Ministère avec sa demande initiale d’appartenance à la BIOK, qui a été acceptée en 1987 (preuve facultative de l’ascendance avec la BIOK, selon le sous‑alinéa 6c)(iii), mais que la BIOK a demandée à la demanderesse). J’estime donc que, puisqu’elle avait satisfait aux critères préliminaires des articles 4.1 et 6.1, la demanderesse était admissible au statut de membre de la BIOK en vertu de l’alinéa 4.1b) de la politique de transfert de 2017, et le conseil était tenu d’examiner sa demande et de prendre une décision à cet égard (alinéas 6.1g) et h)). Cependant, la politique ne limite pas le pouvoir discrétionnaire du conseil en exigeant que celui‑ci consente à une demande si les critères préliminaires sont respectés. Le conseil peut consentir ou non à une demande pourvu qu’il exerce son pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable. Par conséquent, je ne suis pas d’accord avec la demanderesse pour dire que, selon le libellé clair de la politique de transfert de 2017, elle avait le droit d’être admise au sein de la bande parce qu’elle satisfaisait aux conditions préliminaires des alinéas 4.1b) et 6.1a) et b). Je ne suis pas non plus d’accord avec elle pour dire que le conseil n’a pas tenu compte des exigences applicables.
[118] La demanderesse soutient également que les articles 4.7 et 4.8 de la politique de transfert de 2017 énoncent les circonstances dans lesquelles le conseil peut refuser une demande de transfert de statut de membre et que, parce qu’aucune d’elles ne s’appliquait à son cas, le conseil n’avait aucune raison de refuser de consentir à sa demande.
[119] L’article 4.7 dispose que, bien que la BIOK comprenne qu’elle ne doit pas faire de distinction fondée sur l’état de personne graciée, le conseil peut, dans la mesure où la Loi canadienne sur les droits de la personne l’y autorise, refuser d’admettre au sein de la BIOK le demandeur qui, à son avis, [traduction] « présente un risque pour la sécurité et le bien‑être collectif des membres de la BIOK en raison de ses activités criminelles »
. Il est vrai que rien au dossier ne montre que la demanderesse aurait fait l’objet d’une condamnation criminelle (qu’elle ait été graciée ou non), et le conseil n’a pas jugé non plus qu’elle présentait un risque en raison d’activités criminelles. L’article 4.8 dispose que le chef et le conseil peuvent refuser d’admettre au sein de la bande un demandeur qui possède un certificat de possession de terres situées dans la réserve d’une autre bande ou qui a une dette impayée envers une autre bande. Le dossier montre que la demanderesse a fourni des documents provenant de la bande de Nak’azdli Whu’en qui confirment qu’elle ne détenait aucun certificat de possession de terres et qu’elle n’avait aucune dette envers cette bande, et le conseil ne prétend pas que cette disposition n’a pas été respectée.
[120] Cependant, pour les motifs exposés ci‑dessus, je ne suis pas d’accord avec la demanderesse lorsqu’elle affirme que le conseil ne peut refuser une demande que sur le fondement des articles 4.7 et 4.8. Par ailleurs, bien qu’il ressorte clairement de ces dispositions que le conseil peut, à sa discrétion, refuser de donner son consentement dans les circonstances qui y sont décrites, il n’est pas tenu de le faire.
[121] Comme je l’ai mentionné, l’article 12 de la Loi sur les Indiens est muet quant aux facteurs que le conseil de bande peut prendre en considération pour accorder ou refuser son consentement. L’objet de la politique de transfert de 2017, qui est énoncé à son article 1.2, est d’établir la procédure à suivre pour obtenir le consentement du conseil, et de définir les circonstances dans lesquelles celui‑ci « peut consentir »
à une demande de transfert du statut de membre. La politique de transfert de 2017 n’entrave aucunement le pouvoir discrétionnaire du conseil, sauf qu’elle prévoit un cas où ce dernier peut ne pas consentir à un transfert de statut de membre (article 4.6). Autrement, il demeure loisible au conseil d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui sous‑tend l’article 12 de la Loi sur les Indiens. Dans la mesure où cet exercice est raisonnable, le conseil peut refuser une demande de transfert de statut de membre pour d’autres motifs.
[122] La demanderesse fait également valoir que le conseil a tenu compte d’éléments non pertinents – son comportement prétendument menaçant, sa contribution à la communauté et son caractère. Elle soutient que, ce faisant, le conseil n’a pas tenu compte des contraintes particulières imposées par la politique de transfert de 2017, et elle renvoie à cet égard au paragraphe 108 de l’arrêt Vavilov. En toute déférence, je ne suis pas d’accord.
[123] Le paragraphe de l’arrêt Vavilov auquel la demanderesse renvoie porte sur le régime législatif applicable en tant que contrainte juridique imposée aux décideurs administratifs :
[108] Comme les décideurs administratifs tiennent leurs pouvoirs d’une loi, le régime législatif applicable est probablement l’aspect le plus important du contexte juridique d’une décision donnée. Le fait que les décideurs administratifs participent, avec les cours de justice, à l’élaboration du contenu précis des régimes administratifs qu’ils administrent, ne devrait pas être interprété comme une licence accordée aux décideurs administratifs pour ignorer ou réécrire les lois adoptées par le Parlement et les législatures provinciales. Ainsi, bien qu’un organisme administratif puisse disposer d’un vaste pouvoir discrétionnaire lorsqu’il s’agit de prendre une décision en particulier, cette décision doit en fin de compte être conforme « à la raison d’être et à la portée du régime législatif sous lequel elle a été adoptée » : Catalyst, par. 15 et 25‑28; voir aussi Green, par. 44. En effet, comme le faisait remarquer le juge Rand dans l’arrêt Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, p. 140, [traduction] « il n’y a rien de tel qu’une “discrétion” absolue et sans entraves », et tout exercice d’un pouvoir discrétionnaire doit être conforme aux fins pour lesquelles il a été accordé : voir aussi Congrégation des témoins de Jéhovah de St‑Jérôme‑Lafontaine, par. 7; Montréal (Ville) c. Administration portuaire de Montréal, 2010 CSC 14, [2010] 1 R.C.S. 427, par. 32‑33; Nor‑Man Regional Health Authority, par. 6. De même, la décision doit tenir compte de toute contrainte plus spécifique clairement imposée par le régime législatif applicable, telle que les définitions, les formules ou les principes prévus par la loi qui prescrivent l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire : voir Montréal (Ville), par. 33 et 40‑41; Canada (Procureur général) c. Almon Equipment Limited, 2010 CAF 193, [2011] 4 R.C.F. 203, par. 38‑40. Le régime législatif oriente également les approches acceptables en matière de prise de décisions : par exemple, lorsque le décideur dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire, il serait déraisonnable de sa part d’entraver un tel pouvoir discrétionnaire : voir Delta Air Lines, par. 18.
[124] À mon avis, cela n’aide pas la demanderesse, étant donné que l’article 12 de la Loi sur les Indiens confère aux conseils de bande un vaste pouvoir discrétionnaire et ne leur impose aucune contrainte lorsqu’ils prennent des décisions en matière d’appartenance à une bande. De plus, comme je l’ai mentionné, outre l’article 4.6, la politique de transfert de 2017 est rédigée en termes facultatifs, s’agissant de la décision d’accorder ou de refuser le consentement demandé. À l’exception des articles 4.7 et 4.8, la politique ne définit pas les facteurs dont le conseil peut tenir compte lorsqu’il examine une demande, et elle ne se veut pas non plus exhaustive quant à ces facteurs.
[125] Par conséquent, il n’était pas à première vue déraisonnable que le conseil tienne compte du comportement prétendument menaçant de la demanderesse, de sa contribution à la communauté et de son caractère, pour décider s’il devait consentir ou non à sa demande de transfert de statut de membre à la BIOK. Je dis « à première vue » parce que rien au dossier qui m’a été soumis ne concerne les décisions antérieures du conseil en matière de transfert d’appartenance. Il n’y a aucun moyen de connaître les facteurs qui devraient normalement entrer en ligne de compte dans une telle décision. Cependant, les facteurs considérés n’étaient pas non plus arbitraires, d’autant plus que le comportement prétendument menaçant de la demanderesse et son caractère pourraient présenter un risque pour les membres de la communauté de la BIOK et leur bien‑être (voir Munroe c Canada (Procureur général), 2021 CF 727 au para 57; voir aussi Association des Senneurs du Golf Inc. c Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 1999 CanLII 8744 (CF) aux para 30, 35).
[126] Malheureusement, la demanderesse n’a rien ajouté à ce sujet qui lui permette d’affirmer que l’appréciation que le conseil a faite de ces facteurs était déraisonnable dans le contexte de la décision qu’il devait prendre. Elle affirme toutefois que si ces facteurs étaient pertinents, elle aurait dû avoir la possibilité d’en parler dans sa demande. Il sera question de cet argument dans les motifs que je vais exposer sur la deuxième question, celle de l’équité procédurale.
[127] Je conviens avec la demanderesse que, parce que la décision du conseil aura de graves répercussions pour elle, je dois en tenir compte dans mon évaluation du caractère raisonnable de la décision sur la demande de réexamen de 2021 (et qu’il s’agit d’une question d’équité procédurale). Je rejette également l’observation de la BIOK selon laquelle la demanderesse [traduction] « exagère »
l’effet de la décision sur la demande de réexamen de 2021 parce qu’elle a volontairement renoncé à son statut de membre de la BIOK en 1988, ou comme l’a dit l’avocat lorsqu’il a comparu devant la Cour, qu’elle l’a [traduction] « abandonné »
. De ce fait, la défenderesse ne tient pas compte du fait que la demanderesse tente de redevenir membre de la BIOK depuis 2002 et, qui plus est, que l’alinéa 4.1b) de la politique de transfert de 2017 prévoit explicitement le retour des anciens membres qui sont volontairement devenus membres d’une autre bande.
[128] La BIOK soutient aussi, bien que la question ne soit pas soumise à l’examen de la Cour, que même si la demande de transfert de statut de membre de la demanderesse était finalement approuvée, la question du droit de cette dernière de posséder les terres non vendues de la succession de Mme Simla demeurerait ouverte, puisqu’elle n’était pas membre de la bande au moment du décès de Mme Simla. La BIOK ne peut pas jouer sur les deux tableaux. Si la Cour n’est pas saisie de la question, alors la BIOK ne peut pas faire valoir que la gravité des conséquences de la décision sur la demande de réexamen de 2021 pourrait en quelque sorte être atténuée par l’issue de cette question.
[129] Par ailleurs, comme il a été souligné dans l’analyse qui porte sur le volet de la prépondérance des inconvénients du critère tripartite relatif aux suspensions d’instance, contenue dans la décision sur l’action pour atteinte à la possession, si la BIOK avait traité rapidement la demande de transfert, ou du moins si elle l’avait fait en 2012, la demanderesse aurait été membre de la BIOK lorsque sa tante est décédée. Elle aurait reçu par legs les terres en cause en vertu de l’article 50 de la Loi sur les Indiens, sous réserve de l’approbation du ministre. [traduction] « L’absence de certitude concernant les lots en cause est attribuable au traitement tardif de la demande par la bande »
. De même, si la BIOK avait traité la demande de transfert avant le décès de la tante de la demanderesse, le principal incident sur lequel le conseil s’est appuyé pour refuser la demande de transfert en 2021 (le comportement prétendument agressif et grossier) ne se serait jamais produit, et la Cour ne tiendrait pas compte des graves répercussions de la décision sur la demande de réexamen de 2021 dans le présent contrôle judiciaire. Cela montre que les graves répercussions de la décision sur la demande de réexamen de 2021 auraient probablement pu être évitées.
[130] Cela dit, comme il est expliqué dans l’arrêt Vavilov, « [l]orsque la décision a des répercussions sévères sur les droits et intérêts de l’individu visé, les motifs fournis à ce dernier doivent refléter ces enjeux. Le principe de la justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées veut que le décideur explique pourquoi sa décision reflète le mieux l’intention du législateur, malgré les conséquences particulièrement graves pour l’individu concerné »
(Vavilov, au para 132). En l’espèce, la demanderesse ne prétend pas que la décision du conseil n’était pas justifiée, bien qu’elle n’accepte pas les motifs qui lui ont été fournis.
[131] La demanderesse prétend également que la décision sur la demande de réexamen de 2021 n’est pas raisonnable parce qu’elle n’est pas conforme à la raison d’être de la politique de transfert de statut de membre. Elle explique que la décision ne favorise pas le [traduction] « traitement équitable de ceux qui cherchent à être admis au sein de la BIOK »
et le « retour aux valeurs héréditaires »
. Cependant, la demanderesse cite la version précédente de la politique de transfert de statut de membre, c’est-à-dire la politique de transfert de 2010. La politique de transfert de 2017 s’appliquait à la décision de 2019 et à la décision sur la demande de réexamen de 2021, mais ne contient pas ce libellé. Son objet est énoncé à l’article 1.2 et, comme mentionné ci‑dessus, il consiste à établir la procédure à suivre pour obtenir le consentement du conseil, en vertu de l’article 12 de la Loi sur les Indiens, à l’admission d’une personne au sein de la BIOK, ainsi qu’à définir les circonstances dans lesquelles le conseil peut consentir à une telle admission (sans soumettre la décision au vote de la communauté). À mon avis, la demanderesse n’a pas établi que la décision sur la demande de réexamen de 2021 allait à l’encontre de l’objet de la politique de transfert de 2017.
[132] De plus, il est préférable d’examiner la prétention de la demanderesse selon laquelle elle n’a pas reçu un [traduction] « traitement équitable »
sous l’angle de l’obligation d’équité procédurale, et non comme s’il s’agissait d’une contrainte à l’égard du caractère raisonnable de la décision sur la demande de réexamen de 2021.
[133] En conclusion, « [l]a tâche du décideur administratif est d’interpréter la disposition contestée d’une manière qui cadre avec le texte, le contexte et l’objet, compte tenu de sa compréhension particulière du régime législatif en cause »
(Vavilov, au para 121; voir aussi les para 117‑120). Compte tenu de l’article 12 de la Loi sur les Indiens, de son historique et de ses effets, de l’objet et du libellé de la politique de transfert de 2017, ainsi que des motifs exposés par le conseil dans la décision sur la demande de réexamen de 2021, je conclus que le conseil n’a pas commis d’erreur dans son interprétation de la politique de transfert de 2017, à savoir que celle‑ci lui conférait le vaste pouvoir discrétionnaire d’accueillir ou de refuser la demande de transfert de statut de membre de la demanderesse à la BIOK, et qu’il pouvait tenir compte du comportement prétendument menaçant et agressif de la demanderesse. Cependant, comme nous le verrons plus tard, le conseil a manqué à son obligation d’équité procédurale en n’avisant pas la demanderesse qu’il avait également l’intention d’examiner son comportement en fonction d’autres facteurs.
Question no 2 : La décision sur la demande de réexamen de 2021 a‑t‑elle été prise en violation de l’obligation d’équité procédurale?
Position de la demanderesse
[134] La demanderesse soutient que la décision sur la demande de réexamen de 2021 a été prise en violation de l’obligation d’équité procédurale qui incombe au conseil, et ce, pour les raisons suivantes : la décision a été prise près de 20 ans après que la demanderesse eut demandé pour la première fois le transfert de son statut de membre, ce qui est déraisonnable (citant Blencoe c Colombie‑Britannique (Human Rights Commission)), 2000 CSC 44 aux para 106, 115, 121 [Blencoe]); la décision sur la demande de réexamen de 2021 a fait suite à deux autres décisions portant rejet de la demande de transfert de la demanderesse pour des motifs différents; la décision sur la demande de réexamen de 2021 a été prise après que la politique de transfert de 2017 eut été modifiée de manière à empêcher la demanderesse d’interjeter appel (protestation) de la décision; la décision sur la demande de réexamen de 2021 a été prise sans que la demanderesse ait eu la possibilité de savoir ce sur quoi la décision serait fondée; et le conseil a tenu compte de facteurs non pertinents sans donner à la demanderesse la possibilité de se défendre.
Position de la défenderesse
[135] La défenderesse soutient que la BIOK a accordé à la demanderesse le plus haut degré d’équité procédurale qui soit.
[136] Elle ajoute que la question du délai est théorique, qu’on ne peut y remédier et qu’elle déborde le cadre du présent contrôle judiciaire. Plus précisément, la défenderesse soutient que le délai de traitement déborde le cadre du présent contrôle judiciaire, qui concerne la décision sur la demande de réexamen de 2021, et que partant, tout délai attribuable aux conseils précédents de la BIOK est une question théorique. La question du délai est aussi théorique en raison des trois décisions rendues par la BIOK et, dans le cas d’une demande visant à obtenir un avantage, la seule mesure de réparation possible en cas de délai de traitement est d’ordonner qu’une décision soit prise, ce qui a eu lieu en l’espèce.
[137] La défenderesse soutient également que la décision sur la demande de réexamen de 2021 repose sur les mêmes motifs que la décision sur le fond de 2019. Il s’agissait de réexaminer la décision de 2019 afin de donner à la demanderesse la possibilité de répondre aux allégations de comportement agressif.
[138] La défenderesse soutient également que la demanderesse n’a pas expliqué en quoi la modification de la politique de transfert de 2017, qui lui enlevait le droit de formuler une protestation (appel) en vertu de l’article 14.2 de la Loi sur les Indiens, concerne l’équité procédurale. Elle ajoute qu’en modifiant la politique, la BIOK a donné aux demandeurs de transfert comme la demanderesse, un moyen direct et efficace d’obtenir le contrôle judiciaire des décisions de la bande.
[139] La BIOK soutient également que la demanderesse a reçu un préavis raisonnable et que la principale préoccupation qu’elle avait lorsqu’elle a pris la décision sur la demande de réexamen de 2021 était la même que celle qu’elle avait au moment de la décision de 2019 : les allégations concernant le comportement de la demanderesse.
Analyse
[140] Je tiens d’abord à souligner que, lorsqu’il a comparu devant moi, l’avocat de la demanderesse a indiqué que celle‑ci ne contestait plus la modification de la politique de transfert de 2017 qui lui enlevait le droit de protester en vertu de l’article 14.2 de la Loi sur les Indiens. Par conséquent, je n’examinerai pas cette question. Je conviens également avec la défenderesse que la question de savoir si le conseil a tenu compte des facteurs non pertinents dans sa décision sur la demande de réexamen de 2021 relève de l’examen du caractère raisonnable de cette décision, comme il en a été question ci‑dessus.
[141] Les principales questions en litige en l’espèce sont celle de savoir si la demanderesse connaissait la preuve qu’elle avait à réfuter et si elle a eu la possibilité d’y répondre, et celle des répercussions, s’il en est, du temps mis à traiter sa demande.
i. Avis et possibilité de répondre
[142] La décision de 2018 repose sur des motifs procéduraux, plus précisément sur le fait que la demanderesse n’avait pas soumis deux des documents exigés par la politique de transfert de 2017, soit les lettres par lesquelles la bande de Nak’azdli Whu’en confirmait que la demanderesse ne détenait aucun certificat de possession concernant l’une quelconque de ses terres et qu’elle n’avait aucune dette envers la bande (sous‑alinéas 6.1b)(ii) et (ii)). Cette décision ne concernait pas le fond de la demande. Une fois ces documents reçus, la décision de 2019 a été prise. Elle est fondée sur un motif tout à fait distinct, à savoir :
[traduction]
La BIOK a reçu plusieurs signalements selon lesquels Mme Johnston aurait eu un comportement agressif et menaçant envers son personnel et ses invités. Elle aurait notamment menacé d’utiliser une arme à feu contre un membre de la BIOK, et n’aurait présenté ni excuse ni explication qui justifierait ce comportement. Elle a refusé d’assumer la responsabilité de ses gestes et nié avoir agi ainsi. En conséquence, nous ne croyons pas qu’elle apporterait une contribution positive à la BIOK dans son ensemble.
[143] En bref, le conseil a refusé d’accorder son consentement parce qu’il a conclu que les explications au sujet du comportement prétendument agressif et menaçant de la demanderesse n’étaient pas suffisantes, ce qui l’a amené à croire que la demanderesse n’apporterait aucune contribution positive à la BIOK. Le comportement de la demanderesse est le seul facteur qui a mené à cette conclusion.
[144] Comme l’a souligné la défenderesse, la demanderesse déclare dans son affidavit que le motif invoqué au soutien de la décision de 2019 de refuser sa demande [traduction] « était que je ne contribuerais pas à la communauté en raison des allégations formulées contre moi par M. Brewer et Mme Wilson »
, c’est‑à‑dire en raison de son comportement prétendument menaçant et agressif.
[145] Après que la demanderesse eut déposé la protestation, le chef Louis lui a écrit pour lui dire que, dans la lettre de protestation, son avocat avait indiqué qu’elle n’avait pas eu de possibilité suffisante de répondre aux allégations formulées par des représentants et des invités de la BIOK au sujet de son comportement avant que le conseil décide de refuser sa demande, et que la BIOK souhaitait lui donner une autre occasion de répondre à ces allégations et de présenter son point de vue. Étaient joints à cette lettre les courriels de MM. Brewer et Marchand, le rapport d’incident de Mme Wilson et la lettre de M. Shortt. Le chef Louis précisait que le conseil tiendrait compte de tout autre renseignement ou document fourni par écrit, et il invitait aussi la demanderesse à assister à une réunion du conseil pour présenter oralement des observations, si elle le souhaitait.
[146] Par conséquent, l’offre de réexamen était clairement axée sur les allégations de comportement agressif et menaçant.
[147] À cet égard, la demanderesse a déclaré ce qui suit dans son affidavit :
[TRADUCTION]
62. Par lettre du 11 janvier 2021, Byron Louis, le chef de la BIOK, m’a offert de réexaminer ma demande de transfert de statut de membre et m’a aussi offert la possibilité de répondre aux allégations concernant le comportement que j’aurais eu envers les représentants et les invités de la BIOK. Il ne m’a pas demandé de de renseignements sur mon caractère, mes liens avec la communauté ou ma contribution à la communauté, passée ou future, non plus qu’il ne m’a dit que c’étaient là des facteurs jugés pertinents par le conseil [...]
[148] En réponse à l’offre de réexamen, les observations de février ont été présentées au nom de la demanderesse. Elles comprenaient des renseignements généraux, dont une explication des raisons pour lesquelles la demanderesse avait déménagé à Fort St. James, soit qu’elle avait d’abord travaillé aux services de lutte contre l’alcoolisme et la toxicomanie, puis aux services de probation, et plus tard aux services spécialisés d’aide aux victimes. La demanderesse a mentionné qu’elle avait transféré son statut de membre de la bande en 1988 afin de se protéger et de protéger sa famille, vu la nature de son travail, ainsi que pour renforcer sa crédibilité et accroître la confiance des gens dont elle s’occupait. Elle a également déclaré que lorsqu’elle avait transféré son statut de membre, des employés de la BIOK lui avaient dit qu’elle pourrait recouvrer son ancien statut, car elle avait l’intention de redevenir membre de la BIOK. Elle a aussi décrit les efforts qu’elle a faits à compter de 2002 pour recouvrer son statut de membre de la BIOK, avant d’enchaîner avec les événements qui ont suivi le décès de sa tante, dont la vente de deux des parcelles de terre que sa tante lui avait léguées et ses conditions de vie sur les terres non vendues de la succession de Mme Simla. La demanderesse a ensuite parlé des trois incidents de comportement prétendument agressif et menaçant.
[149] La décision sur la demande de réexamen de 2021 ne traitait pas de ces allégations et des explications fournies par la demanderesse. Mais elle en traitait dans le contexte d’autres facteurs :
-La demanderesse était seulement devenue membre de la bande en 1987; elle n’avait fourni aucune preuve de son engagement dans la communauté au cours de sa vie adulte, et le conseil ignorait si elle s’y était engagée, avant de devenir membre de la BIOK; elle avait renoncé à son statut de membre deux mois seulement après l’avoir obtenu.
-Ce n’est qu’en 2002 que la demanderesse a demandé à redevenir membre de la BIOK; le conseil ignorait si elle avait participé à la vie de la communauté avant ou après sa réinstallation dans la réserve en 2009, et il ne disposait d’aucun élément de preuve à cet effet. Le conseil a indiqué que la demanderesse avait produit des éléments de preuve selon lesquels elle avait des liens avec la communauté, mais qu’il devait les évaluer au regard de la brève période pendant laquelle elle avait été membre de la BIOK, de sa volonté de renoncer à ce statut pour saisir d’autres occasions et de l’absence de preuve qu’elle avait contribué ou participé à la vie de la communauté en tant qu’adulte.
-Le conseil a également déclaré que l’éventuelle contribution de la demanderesse devait être considérée au regard des signalements de comportement agressif ou menaçant dont elle faisait l’objet.
-Il a ajouté que la demanderesse n’avait produit aucune déclaration de tiers qui témoignerait de son caractère.
[150] Le conseil a conclu que la demanderesse avait démontré qu’elle avait un certain lien avec la communauté, mais qu’à la lumière des circonstances, y compris les incidents de comportement prétendument menaçant et agressif, il n’était pas convaincu qu’elle avait contribué ou qu’elle contribuerait de façon positive à la vie de la communauté. Il a mentionné qu’il demeurait préoccupé par ce comportement et qu’il ne croyait pas que la demanderesse apporterait une contribution positive à la vie de la communauté. Il a conclu que, dans ces circonstances, l’ascendance et les liens de la demanderesse avec la communauté ne suffisaient pas pour justifier qu’il consente à l’admettre au sein de la BIOK.
[151] Compte tenu de la lettre dans laquelle le chef de la bande proposait à la demanderesse de réexaminer la décision de 2019, en raison de la protestation (selon laquelle la demanderesse n’avait pas eu de possibilité suffisante de répondre aux allégations concernant son comportement avant que le conseil ne prenne sa décision), et lui disait qu’il souhaitait lui donner une autre occasion de répondre, je conviens que la demanderesse n’a pas été avisée suffisamment de la preuve qu’elle devait réfuter et, plus particulièrement, du fait que le conseil avait aussi l’intention d’évaluer son comportement au regard de ses contributions antérieures à la communauté et de son caractère. Le conseil a expressément souligné l’absence de preuve à cet égard. Et, bien que la demanderesse ait choisi de ne pas comparaître devant le conseil, son avocat a écrit à ce dernier, le 13 avril 2021, pour lui dire que, s’il avait des questions ou des préoccupations, la demanderesse lui répondrait volontiers par écrit. Je souligne que cette lettre ne se trouve pas dans le DCT; il est donc possible que le conseil n’en ait pas tenu compte ou ne soit pas au courant de son existence. Quoiqu’il en soit, elle est admissible puisqu’elle traite de la question d’équité procédurale soulevée par la demanderesse. En bref, la demanderesse n’a pas été informée du fait que l’absence de référence concernant son caractère, ou de preuve de sa participation à la vie de la communauté, entrerait en ligne de compte dans l’évaluation de son comportement prétendument menaçant et agressif.
[152] Je ne suis pas d’accord avec la BIOK qui prétend que la décision sur la demande de réexamen de 2021 était fondée sur un seul motif important – la crainte que la demanderesse n’apporte aucune contribution positive à la communauté en raison de son comportement menaçant et agressif – et que les autres motifs n’ont joué aucun rôle important dans la décision, mais n’étaient que de simples explications données par le conseil alors qu’il examinait le comportement de la demanderesse. En fait, dans une autre partie des observations de la BIOK, on peut lire que la demanderesse [traduction] « a reçu un avis amplement suffisant du fait que la principale préoccupation de la BIOK sur laquelle reposerait la décision de 2021 serait la même que celle soulevée dans la décision de 2019, à savoir les allégations concernant son comportement »
(renvoi fait au paragraphe 32 de la décision sur l’action pour atteinte à la possession, où il est question des motifs invoqués au soutien de la protestation, notamment que la demanderesse prétendait qu’elle n’avait pas eu la possibilité de contester les allégations de comportement inapproprié).
[153] Je reconnais que la demanderesse a été informée de la réunion du conseil et qu’elle a eu la possibilité de présenter des observations par écrit et en personne si elle le souhaitait, et d’être représentée par un avocat, mais ce qui me préoccupe, c’est qu’elle n’a pas été avisée du fait que le conseil entendait tenir compte dans son examen de la demande de transfert de statut de membre à la BIOK, non seulement des incidents de comportement prétendument menaçant, mais aussi d’autres facteurs qu’on ne lui avait pas mentionnés, tels que son caractère et sa participation antérieure à la vie de la communauté. <
[154] Il me semble que si le conseil jouit d’un vaste pouvoir discrétionnaire qui lui permet de tenir compte de tout facteur raisonnable pour décider s’il doit consentir ou non à une demande de transfert de statut de membre, il serait logique que, suivant les exigences de l’équité procédurale, il doive communiquer clairement aux demandeurs tous les facteurs qu’il a l’intention de prendre en compte dans son réexamen. À cet égard, j’aimerais aussi souligner que, lorsque le conseil a proposé de réexaminer sa décision, il n’a pas dit que la demanderesse n’avait pas satisfait aux conditions préliminaires ou que sa demande était incomplète. Les motifs du réexamen ont été définis par la lettre du chef Louis, et non par la suffisance de la demande initiale présentée par la demanderesse.
[155] À mon avis, la BIOK a manqué à son obligation d’équité procédurale en n’avisant pas la demanderesse qu’elle avait l’intention, non seulement d’examiner les observations que celle‑ci avait présentées en réponse aux allégations de comportement agressif et menaçant formulées contre elle, mais aussi de les soupeser au regard d’autres facteurs non précisés. La demanderesse a ainsi été privée de la possibilité de présenter, si elle l’avait voulu, une preuve de son caractère et de ses contributions antérieures à la communauté, et d’expliquer pourquoi les incidents qu’on lui reprochait n’auraient aucune incidence sur ses contributions futures à la communauté. Cela diffère de la décision de 2019, dans laquelle le conseil avait refusé la demande parce qu’il avait conclu que le comportement prétendument agressif et menaçant de la demanderesse n’avait pas été suffisamment expliqué, ce qui l’avait amené à croire que la demanderesse ne contribuerait pas positivement à la communauté de la BIOK. Cette brève décision ne laissait pas croire à la demanderesse que d’autres facteurs que celui de son comportement antérieur étaient en cause et pouvaient être déterminants. Il en va de même de la lettre dans laquelle le chef de la bande a offert de réexaminer cette décision. En bref, la demanderesse ne connaissait pas la preuve qu’elle avait à réfuter pas plus qu’elle n’a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre (CP, au para 56).
[156] Je dois aussi tenir compte en l’espèce des répercussions très graves que la décision sur la demande de réexamen de 2021 a eues sur la demanderesse, et je repousse les observations de la BIOK qui visent à minimiser ces répercussions. Non seulement la décision sur la demande de réexamen de 2021 a empêché la demanderesse de devenir membre de la BIOK, mais elle a aussi ouvert la porte à la vente des terres non vendues de la succession Mme Simla, sur lesquelles la demanderesse vit depuis 2009, et vit aujourd’hui avec sa fille et son petit‑fils. Plus les répercussions sont graves pour les personnes visées, plus les protections procédurales doivent être importantes (voir Conseil national des musulmans canadiens c Canada (Procureur général) 2022 CF 1087 au para 201; voir aussi Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 au para 25).
ii. Délai
[157] La BIOK affirme que le [traduction] « délai historique »
n’est d’aucune pertinence pour le présent contrôle judiciaire, alors que de son côté, la demanderesse pense le contraire.
[158] Je ne suis pas d’accord avec la BIOK pour dire que, parce qu’une décision a finalement été prise au sujet du transfert du statut de membre de la demanderesse, la question du délai devient à tous égards [traduction] « théorique »
. Si la demanderesse avait demandé un bref de mandamus pour contraindre le conseil à prendre une décision, alors sa demande serait peut‑être devenue théorique une fois la décision rendue. Mais ce n’est pas le cas et ce n’est pas non plus la réparation qui est recherchée en l’espèce. Et, comme l’a dit la cour d’appel dans l’arrêt Ratzlaff c British Columbia (Medical Services Commission) (1996), BCJ No 36 (BCCA) (QL) au para 23, [traduction] « lorsque la partie concernée, en l’occurrence l’appelante, fait valoir que le délai est tel qu’il équivaut à un abus de pouvoir, j’estime qu’il faut tenir compte de la longueur totale du délai pour déterminer s’il équivaut à un cas d’oppression ou à un abus de pouvoir »
.
[159] Je résume ci‑dessous les principaux événements qui ont mené à la décision sur la demande de réexamen de 2021 :
-En août 2022, la demanderesse a demandé pour la première fois le transfert de son statut de membre à la BIOK. Elle déclare dans son affidavit qu’elle a été informée que la BIOK était en voie d’adopter une nouvelle politique de transfert du statut de membre, qu’elle a tenté plusieurs fois au cours des années suivantes de changer son statut de membre et que l’administrateur du registre des membres lui a dit que la BIOK attendait de recevoir 20 demandes avant d’entamer le processus de traitement.
-Dans son affidavit, M. Fotheringham décrit l’historique de la politique de transfert du statut de membre de la BIOK. M. Fotheringham a été embauché par la BIOK en décembre 2018 et il occupe le poste de directeur principal depuis 2020. Il déclare qu’à ce titre, il s’est familiarisé avec la [traduction]
« mémoire institutionnelle »
de la BIOK, bien qu’il n’explique pas comment il l’a fait. M. Fotheringham dit qu’avant l’entrée en vigueur de la politique de 2010, tous les demandeurs devaient être approuvés par référendum avant que la BIOK puisse consentir au transfert de leur statut, peu importe qu’ils aient déjà été membres de la bande ou aient une ascendance avec celle‑ci. Vu les coûts des référendums, la BIOK a, pendant de nombreuses années, y compris pendant la période visée par la demande en cause, et ce, jusqu’à l’adoption de la politique de transfert de 2017, exigé des demandeurs qu’ils contribuent aux coûts des référendums en payant des frais de demande. La BIOK tenait un référendum seulement lorsque le nombre de demandes était suffisant pour en couvrir les coûts.-L’affidavit de M. Fotheringham confirme que, le 20 juillet 2004, le conseil s’est réuni et a examiné une lettre dans laquelle la demanderesse demandait le transfert de son statut de membre. On peut lire dans le procès‑verbal de cette réunion, qui est joint comme pièce à l’affidavit, que le chef et le conseil ont convenu que James Louie, commis à l’inscription, suivrait la politique en vigueur de la bande (sans plus de précision) et répondrait à la demanderesse pour lui rappeler le contenu de cette politique. Dans son affidavit, M. Fotheringham déclare que les membres de son personnel et lui n’ont pas pu trouver la lettre que M. Louie a envoyée à la demanderesse.
-Est également joint comme pièce à l’affidavit de M. Fotheringham le procès‑verbal d’une réunion du conseil tenue le 14 juillet 2009, au cours de laquelle la demande de transfert de la demanderesse a de nouveau fait l’objet d’une discussion. On peut y lire que la bande avait adopté une politique sur le transfert du statut de membre (sans autre précision), mais que les membres avaient récemment voté contre l’adoption d’un code d’appartenance. Il était prévu qu’un examen de la politique soit effectué, et que l’agent responsable de l’inscription fasse une présentation pour expliquer la procédure à suivre. Edmund Gus assurerait par la suite un suivi auprès de James Louie au sujet du processus référendaire entourant le transfert du statut de membre et la situation des demandes en attente.
-Est aussi joint comme pièce à l’affidavit de M. Fotheringham, le procès‑verbal d’une réunion du conseil tenue le 21 juillet 2009, dans lequel il est mentionné que la demanderesse a participé à cette réunion à titre de visiteuse. Il y est aussi mentionné que la demanderesse avait également participé à la réunion précédente du conseil, mais qu’elle avait parlé avec James Louie, l’agent responsable de l’inscription des Indiens, et qu’il n’était pas au courant de la situation. La demanderesse a dit au conseil qu’elle aimerait que son dossier soit traité le plus rapidement possible pour les raisons mentionnées à la dernière réunion. Le procès‑verbal indique ensuite que, la dernière fois qu’il a été question du référendum et de la demande, le conseil a demandé que la question soit transmise à l’agent responsable de l’inscription pour qu’il présente un plan sur le coût global du référendum que les demandeurs devraient assumer, que les fonds de la bande ne pourraient être utilisés pour couvrir les dépenses, et que ces renseignements n’ont jamais été fournis. Le conseil mentionne qu’il a essayé d’expliquer le processus référendaire et le coût d’un tel processus, mais qu’en raison des politiques d’AANC et des compressions budgétaires, les demandes en suspens s’étaient accumulées. Un dossier d’information serait fourni par James Louie, et Edmund Gus ferait un suivi auprès de ce dernier afin de présenter au conseil, sous forme de note d’information, le processus référendaire et une estimation des coûts y afférents. Le conseil a demandé qu’une réunion du comité de gouvernance soit tenue le jeudi 30 juillet 2009 et a indiqué que le processus, le coût et le plan proposé seraient examinés, et que la demanderesse recevrait une réponse à la suite de cette réunion. Dans son affidavit, M. Fotheringham déclare que les membres de son personnel et lui-même ont été incapables de trouver le compte rendu de la réunion du 20 juillet 2009 et la réponse qui aurait été envoyée à la demanderesse.
-Dans son affidavit, M. Fotheringham déclare que le conseil a approuvé la politique de 2010, le 6 octobre 2010.
-Dans son affidavit, Mme Johnston indique que sa demande a été présentée au conseil pour examen en 2010, mais qu’elle a été mise en suspens à la suite d’une décision prise à huis clos.
-M. Fotheringham a joint comme pièces à son affidavit des lettres du 13 octobre 2011 dans lesquelles la demanderesse accuse réception du nouveau règlement administratif (vraisemblablement la politique de transfert de 2010), demande que le conseil se penche sur son dossier (c’est‑à‑dire sa demande de transfert de statut de membre), et mentionne qu’elle serait heureuse d’assister à une réunion du conseil. Il a aussi joint une lettre dans laquelle on demande à Sherry Louis d’inscrire la demande de transfert de statut de membre de la demanderesse à l’ordre du jour de la prochaine réunion du conseil.
-M. Fotheringham a joint comme pièces à son affidavit une lettre du 14 octobre 2011 de Veronica Wilson, qui écrit qu’elle a examiné le dossier de la demanderesse et qu’il contenait tous les formulaires requis, à l’exception d’une lettre de référence (vérification de solvabilité) du service de comptabilité de la bande d’origine (Nak’azdli Whu’en), et elle demande si la demanderesse aimerait que la BIOK en fasse la demande.
-M. Fotheringham a joint comme pièce à son affidavit le procès‑verbal d’une réunion du conseil tenue le 8 février 2012, à laquelle la demanderesse a participé à titre de visiteuse. La demande de transfert du statut de membre de la demanderesse a de nouveau fait l’objet d’une discussion, car il est inscrit au procès‑verbal [traduction]
« documentation pertinente : RCB à examiner/dossier à distribuer »
, puis qu’aucune décision ne serait prise devant les visiteurs. Le procès‑verbal indique ensuite que le processus de transfert avait changé au cours de la dernière année : les transferts reposaient maintenant sur la descendance directe, celle‑ci devant être clairement établie au moment de la présentation de la demande, et les politiques et les procédures se devaient d’être explicites. Le conseil a ensuite accepté de suspendre toutes les demandes de transfert de statut de membre jusqu’à ce que [traduction]« des précisions supplémentaires soient apportées à la politique de transfert du statut de membre »
. Dans son affidavit, M. Fotheringham dit qu’il croit que la RCB dont il est question dans le procès‑verbal est la note de service du 13 janvier 2012, que Veronica Wilson a présentée au chef et au conseil, laquelle porte sur la demande de transfert de la demanderesse (cette note se trouve dans le DCT). Mme Wilson y explique que la demanderesse a satisfait à toutes les exigences applicables aux demandes de transfert à la BIOK et que si cette demande est acceptée par le conseil, elle demanderait au chef et au conseil de préparer et de signer une RCB indiquant que la demanderesse était admise au sein de la BIOK. Mme Wilson soumettait aussi un projet de RCB.-La tante de la demanderesse est décédée le 3 novembre 2013. Aucune décision sur le transfert du statut de membre de la demanderesse n’avait encore été prise.
-Le 6 août 2014, alors qu’aucune décision n’avait été prise, Ken McGregor, alors directeur principal de la BIOK, a écrit à SAC pour lui demander que les terres de la succession de Mme Simla soient vendues et que toute personne demeurant sur lesdites terres de façon illicite en soit expulsée.
-Le ou vers le 18 août 2015, alors qu’aucune décision n’avait été prise, deux des lots faisant partie des terres de la succession de Mme Simla ont été vendus.
-Dans son affidavit, Mme Johnston décrit les diverses communications qu’elle a eues avec AADNC afin que celle‑ci intervienne en faveur de sa demande de transfert.
-M. Fotheringham a joint comme pièce à son affidavit une note d’information adressée au conseil, le 23 octobre 2017. Cette note porte sur l’approbation de la politique de transfert de 2017 et l’ébauche d’une lettre adressée
« à qui de droit »
et destinée aux personnes qui souhaitaient demander le transfert de leur statut de membre à la BIOK. Dans son affidavit, M. Fotheringham reconnaît qu’une copie de la version finale de cette lettre, signée par le chef Louis et datée du 15 novembre 2017, est jointe comme pièce à l’affidavit de Mme Johnston [pièce T]. À cette note d’information est aussi jointe l’ébauche d’une lettre type – nom à insérer – informant le destinataire que la politique de transfert de 2017 avait été approuvée et qu’il devait payer les frais exigibles. Dans son affidavit, M. Fotheringham reconnaît que la version finale de cette lettre a été envoyée aux demandeurs de transfert de statut de membre et qu’une copie de la lettre adressée à la demanderesse, datée du 6 mars 2018, est jointe comme pièce à l’affidavit de cette dernière [pièce U] et qu’à cette lettre est annexée une copie de la politique de transfert de 2017.-Le 16 avril 2018, SAC a informé la demanderesse que le conseil lui avait demandé de vendre les terres non vendues de la succession de Mme Simla, et que le Ministère accéderait à cette demande si la demanderesse ne lui fournissait pas, au plus tard le 30 septembre 2018, une preuve satisfaisante qu’elle était membre de la BIOK.
-Par lettres du 16 avril et du 7 mai 2018, la BIOK a informé la demanderesse que la documentation qu’elle avait envoyée était incomplète, car elle n’avait pas fourni de lettres attestant qu’elle ne détenait aucun certificat de possession et n’avait aucune dette envers la bande de Nak’azdli Whu’en.
-La décision de 2018 par laquelle sa demande est rejetée en raison des deux lettres manquantes est datée du 20 juillet 2018.
-La demanderesse dit qu’elle a fourni la documentation manquante en septembre 2018 (ce qui n’est pas contesté).
-Le 27 novembre 2018, la demanderesse a reçu une lettre de Victor Rumboldt, alors directeur principal de la BIOK, qui lui demandait des renseignements supplémentaires au sujet de son ascendance (une copie de la déclaration solennelle de son père) et l’invitait à répondre aux allégations de comportement agressif et menaçant au plus tard le 12 décembre 2018.
-Le 17 septembre 2019, avant de prendre une décision sur le fond de la demande de transfert de statut de membre de la demanderesse, la BIOK a déposé un avis de poursuite civile.
-Le 7 janvier 2019, la BIOK a rendu la décision de 2019 par laquelle elle rejetait la demande de transfert de statut de membre de la demanderesse.
-Le 14 janvier 2020, la demanderesse a déposé sa protestation en vertu du paragraphe 14.2(1) de la Loi sur les Indiens.
-Le 4 août 2020, la BIOK a déposé son avis de demande de procès sommaire à la CSCB.
-Le 14 août 2020, la demanderesse a déposé une demande reconventionnelle à la CSCB afin d’obtenir une suspension des procédures en raison de sa protestation.
-Le procès sommaire a été ajourné et la suspension a été accordée le 14 octobre 2020.
-Le 14 novembre 2017, la BIOK a modifié la politique de transfert de 2017 afin de supprimer l’article 4.10, qui donnait aux demandeurs la possibilité de protester en vertu de l’article 14.2 de la Loi sur les Indiens. Lorsque M. Fotheringham a été interrogé sur son affidavit, on lui a demandé d’expliquer pourquoi cet article avait été supprimé, ce à quoi il a répondu que c’était [traduction]
« parce que le conseil comprenait clairement qu’il avait seul le pouvoir de décider qui pouvait être admis comme membre ou non et que ce processus d’appel lui retirait ce pouvoir »
. La BIOK a donné une explication différente dans ses observations écrites, que l’avocat de la demanderesse a acceptée lorsqu’il a comparu devant moi.-Le 11 janvier 2021, la BIOK a offert de réexaminer la décision de 2019.
-La décision sur la demande de réexamen de 2021 a été rendue le 21 mai 2021.
[160] Cette chronologie des événements laisse peu de doute quant au fait que le temps mis pour prendre une décision a été considérable. De plus, entre 2002 et mai 2018 – une période de 16 ans –, le délai était entièrement imputable à la BIOK. On ne m’a présenté aucun élément de preuve tendant à démontrer que la BIOK aurait demandé à la demanderesse de contribuer au coût d’un référendum ou qu’elle aurait tenu un référendum pendant cette période.
[161] Cependant, dans ses observations écrites, la demanderesse ne précise pas en quoi ce délai – outre son existence – équivaut à un manquement à l’équité procédurale ou à un abus de procédure. Elle affirme simplement que la BIOK a manqué à son obligation d’équité procédurale de façon flagrante parce que la décision a été rendue après un délai déraisonnable et, sans plus, elle cite l’arrêt Blencoe c Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44 aux para 106, 115 et 121.
[162] Dans l’arrêt Blencoe, la Cour suprême du Canada devait déterminer si le délai écoulé pouvait constituer un déni de justice naturelle ou un abus de procédure, même si l’intimé n’avait subi aucun préjudice sur le plan de la preuve. La Cour suprême était disposée à reconnaître qu’un délai inacceptable pouvait constituer un abus de procédure dans certaines circonstances, même lorsque l’équité de l’audience n’avait pas été compromise. Elle a toutefois souligné que rares étaient les longs délais qui satisfaisaient à ce critère préliminaire, et que, pour constituer un abus de procédure dans les cas où il n’y avait eu aucune atteinte à l’équité de l’audience, le délai devait être manifestement inacceptable et avoir directement causé un préjudice important (para 115). Il y a abus de procédure lorsque les procédures sont injustes au point qu’elles sont contraires à l’intérêt de la justice (para 120). Par ailleurs :
121 Pour qu’il y ait manquement à l’obligation d’agir équitablement, le délai doit être déraisonnable ou excessif (Brown et Evans, op. cit., à la p. 9‑68). Le délai ne constitue pas en soi un abus de procédure. La personne visée par des procédures doit établir que le délai était inacceptable au point d’être oppressif et de vicier les procédures en cause. Bien que je sois disposé à reconnaître que le stress et la stigmatisation résultant d’un délai excessif peuvent entraîner un abus de procédure, je ne suis pas convaincu que le délai écoulé en l’espèce était « excessif ».
122 La question de savoir si un délai est devenu excessif dépend de la nature de l’affaire et de sa complexité, des faits et des questions en litige, de l’objet et de la nature des procédures, de la question de savoir si la personne visée par les procédures a contribué ou renoncé au délai, et d’autres circonstances de l’affaire. Comme nous l’avons vu, la question de savoir si un délai est excessif et s’il est susceptible de heurter le sens de l’équité de la collectivité dépend non pas uniquement de la longueur de ce délai, mais de facteurs contextuels, dont la nature des différents droits en jeu dans les procédures.
[163] Dans la décision Fabbiano c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1219 au para 8 [Fabianno], le juge O’Reilly explique la notion d’abus de procédure comme suit :
[8] Un abus de procédure est un principe de common law dont peuvent se prévaloir les tribunaux pour mettre un terme à des procédures qui sont devenues inéquitables ou oppressives, notamment lorsqu’un délai inacceptable a causé un préjudice important (Blencoe c Colombie‑Britannique (Commission des droits de la personne), [2000] 2 RCS 307, au paragraphe 101). Ainsi, la question fondamentale qui se pose est la suivante : le délai « compromet[‑t‑il la capacité d’une partie à répondre à la plainte[?] » (au paragraphe 102). Un tribunal peut aussi accorder une réparation lorsqu’une procédure est devenue oppressive pour d’autres raisons, notamment dans le cas où une personne poursuit sa vie en croyant raisonnablement qu’aucune autre action ne serait prise contre elle (Ratzclaff c British Columbia (Medical Services Commission) (1996), BCJ No 36 (CA C‑B) (QL), au paragraphe 23).
[164] J’aimerais d’abord souligner que la demanderesse n’a pas expressément soulevé la question de savoir si le délai était ou non excessif, bien que, pris dans son contexte, on pourrait croire qu’il l’était (Blencoe, au para 122; Faroon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 931 au para 53).
[165] Ensuite, dans ses observations écrites, la demanderesse n’explique pas en quoi elle a été lésée par le délai. Cependant, lorsqu’il a comparu devant moi, son avocat a fait valoir que le délai avait été très préjudiciable parce que, si la demande de sa cliente avait été traitée en 2011, alors que celle‑ci satisfaisait à toutes les exigences – selon les dossiers de la BIOK – aucune question n’aurait été soulevée quant à son droit d’hériter des terres de Mme Simla, et aucun des incidents motivés par sa frustration, sur le fondement desquels sa demande de transfert a plus tard été refusée, ne serait survenu.
[166] Plus important encore, la demanderesse ne prétend pas clairement qu’il y a eu abus de procédure, attribuable au délai, de sorte que le processus est devenu si oppressif que la décision sur la demande de réexamen de 2021 devrait être annulée pour ce motif. C’est‑à‑dire que le délai « était inacceptable au point d’être oppressif et de vicier les procédures en cause »
, ce qui n’est pas sans lien avec les réparations qu’elle cherche à obtenir, comme nous le verrons plus loin.
[167] Au bout du compte, je reconnais que le délai était probablement excessif et qu’il a probablement causé préjudice à la demanderesse, mais cette dernière n’a tout simplement présenté aucune observation, fondée sur le dossier et le droit, qui permettrait de conclure que ce délai équivaut à un abus de procédure. Ses observations sont en général axées sur sa perception globale des actions ou omissions cumulatives du conseil, dont le délai. C’est‑à‑dire que la demanderesse invoque essentiellement la mauvaise foi de la BIOK et souligne, par exemple, que même si sa demande de transfert de statut de membre était en attente, la BIOK a cherché à vendre deux des lots faisant partie des terres de la succession de Mme Simla, et les a en fait vendus; avant de rendre la décision de 2019; la BIOK a déposé un avis de poursuite civile et, après que la demanderesse eut présenté sa protestation, elle a déposé sa demande de jugement sommaire. Or, la demanderesse ne présente aucune analyse liée à la mauvaise foi qui reposerait sur les faits et le droit.
Réparation
[168] La question du délai est également liée à la réparation. La Cour n’est pas saisie d’un cas type où la suspension de l’instance permettrait de remédier à une procédure abusive – la demanderesse ne cherche pas la suspension permanente d’un processus qu’elle a amorcé, c.‑à‑d. l’examen de sa demande de transfert de statut de membre à la BIOK.
[169] La demanderesse sollicite plutôt un jugement déclaratoire, ainsi qu’un bref de certiorari annulant la décision sur la demande de réexamen de 2021 et une ordonnance de mandamus enjoignant au conseil de consentir au transfert de son statut de membre et d’en aviser le registraire des Indiens ou, à défaut, enjoignant au conseil de rendre une décision qui soit raisonnable, équitable et conforme aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale.
[170] La défenderesse s’appuie sur la décision Marsh c Zaccardelli, 2006 CF 1466 [Marsh] au para 40, pour soutenir que la demanderesse aurait dû solliciter une ordonnance de mandamus enjoignant au conseil de rendre une décision, et que, comme elle ne l’a pas fait, elle est essentiellement responsable du délai. Dans la décision Marsh, la Cour a conclu que la preuve n’établissait pas que le délai en cause était suffisant pour vicier les procédures, comme l’exige le critère de l’arrêt Blencoe. Elle a ensuite cerné une considération de principe – à savoir que la question du délai avait seulement été soulevée devant l’arbitre – et souligné que la réparation habituellement accordée à la personne qui est lésée par le temps mis pour arriver à une décision est un mandamus ou la suspension des procédures (selon que la personne en cause est la partie requérante ou la partie intimée). La Cour s’est dite préoccupée par le fait que la demanderesse n’avait pris aucune mesure pour accélérer le cours des choses ou pour exiger la décision en question, mais qu’elle avait simplement attendu que cette décision soit rendue et qu’après avoir appris qu’une décision défavorable avait été rendue, elle avait affirmé que l’arbitre avait cessé d’avoir compétence à cause du délai. La Cour a ajouté :
[42] Cet avis cadre bien avec les remarques de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Gill c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1984] 2 C.F. 1025. En effet, dans le contexte de ce qui a été qualifié de « retard extraordinaire mis par les bureaucrates », la Cour a dit :
Ce qui ne veut cependant pas dire qu’à mon avis, l’administration peut, par sa simple inaction, anéantir des droits qu’on a, de toute évidence, voulu conférer. Il se peut que l’obligation d’agir équitablement récemment dégagée, et imposée maintenant à l’administration, comporte celle de ne pas tarder déraisonnablement; ou, vu sous un angle plus positif, il se peut que l’obligation procédurale d’agir équitablement comporte celle d’agir dans un délai raisonnable. Il ne s’ensuit nullement toutefois que l’inexécution de cette obligation justifie l’annulation de l’acte tardif lorsqu’enfin il a lieu. Sûrement le recours approprié doit consister à obliger à agir avec diligence plutôt qu’à annuler l’acte qui, bien que tardif, peut néanmoins être fondé.
[Non souligné dans l’original.]
[43] Quant à la seconde raison, qui se rapporte à la nature de la réparation demandée, dans le contexte du délai et du préjudice invoqués par Mme Marsh, il serait illogique de simplement annuler la décision de l’arbitre et de renvoyer l’affaire pour qu’un autre décideur reprenne celle‑ci depuis le début. De fait, c’est la raison pour laquelle Mme Marsh demande plutôt à la Cour d’accorder la réparation qu’elle a sollicitée devant l’arbitre, telle qu’elle est plus particulièrement énoncée ci‑dessus au paragraphe 18.
[171] Il est vrai que, à la différence de l’affaire Marsh, la demanderesse n’a pas demandé de bref de mandamus pour contraindre le conseil à statuer sur sa demande de transfert de statut de membre, mais qu’elle a de toute évidence déployé beaucoup d’efforts au fil des ans pour que le conseil prenne une décision. Cela dit, je reconnais qu’il pourrait être contre‑productif d’annuler une décision pour cause de délai, si c’est pour ensuite simplement renvoyer l’affaire pour réexamen et prolonger encore plus le délai. Lorsqu’il a comparu devant moi, l’avocat de la demanderesse a reconnu que c’était le cas. Il semblerait d’ailleurs que ce soit la raison pour laquelle la demanderesse sollicite aussi des ordonnances de mandamus à titre de mesures de redressement dans la présente demande de contrôle judiciaire.
[172] Cependant, comme la défenderesse le souligne, pour obtenir une ordonnance de mandamus, la demanderesse doit satisfaire au critère énoncé dans l’arrêt Apotex Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742 (CAF) [Apotex] (voir aussi Canada (Procureur général) c Arsenault, 2009 CAF 300 au para 32). La défenderesse soutient que la demanderesse ne saurait satisfaire à ce critère. Bien que la demanderesse soit muette à cet égard, je conviens que la question est litigieuse, du moins pour ce qui concerne la nature discrétionnaire de la décision du conseil. C’est‑à‑dire que, lorsque l’obligation dont on demande l’exécution forcée est discrétionnaire, un mandamus ne peut être accordé si le pouvoir discrétionnaire du décideur est « illimité »
, « absolu »
, « permissif »
ou « facultatif »
. Un mandamus ne peut pas non plus être accordé pour orienter l’exercice d’un [traduction] « pouvoir discrétionnaire limité »
dans un sens donné.
[173] Comme j’ai conclu que le conseil disposait d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour statuer sur les demandes de transfert de statut de membre, la demanderesse ne saurait se prévaloir du recours en mandamus pour obtenir de la Cour qu’elle ordonne au conseil de consentir à sa demande de transfert de statut de membre. Il en est ainsi parce que la politique de transfert de 2017 n’impose au conseil aucune obligation expresse d’agir d’une certaine façon, sauf celle d’examiner les demandes complètes conformément au processus établi. Un mandamus ne peut pas être accordé pour orienter l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire dans un sens donné (voir Lemaigre c Nation Dénée de Clearwater River, 2015 CF 601 aux para 21‑23).
[174] Je suis également en désaccord avec la demanderesse qui soutient que nous sommes en présence d’une situation, décrite dans l’arrêt Vavilov dans le contexte du pouvoir discrétionnaire de réparation des cours de révision, où il serait approprié de refuser de renvoyer l’affaire au conseil. La Cour suprême a conclu ce qui suit :
[141] Donner effet à ces principes dans le contexte de la réparation signifie que, lorsque la décision contrôlée selon la norme de la décision raisonnable ne peut être confirmée, il conviendra le plus souvent de renvoyer l’affaire au décideur pour qu’il revoie la décision, mais à la lumière cette fois des motifs donnés par la cour. Quand il revoit sa décision, le décideur peut alors arriver au même résultat ou à un résultat différent : voir Delta Air Lines, par. 30‑31.
[142] Cependant, s’il convient, en règle générale, que les cours de justice respectent la volonté du législateur de confier l’affaire à un décideur administratif, il y a des situations limitées dans lesquelles le renvoi de l’affaire pour nouvel examen fait échec au souci de résolution rapide et efficace d’une manière telle qu’aucune législature n’aurait pu souhaiter : D’Errico c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 95, par. 18-19 (CanLII). L’intention que le décideur administratif tranche l’affaire en première instance ne saurait donner lieu à un va‑et‑vient interminable de contrôles judiciaires et de nouveaux examens. Le refus de renvoyer l’affaire au décideur peut s’avérer indiqué lorsqu’il devient évident aux yeux de la cour, lors de son contrôle judiciaire, qu’un résultat donné est inévitable, si bien que le renvoi de l’affaire ne servirait à rien : voir Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada‑Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, p. 228‑230; Renaud c. Québec (Commission des affaires sociales), [1999] 3 R.C.S. 855; Groia c. Barreau du Haut‑Canada, 2018 CSC 27, [2018] 1 R.C.S. 772, para 161; Sharif c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 205, par. 53‑54 (CanLII); Maple Lodge Farms Ltd. c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2017 CAF 45, par. 51‑56 et 84 (CanLII); Gehl c. Canada (Attorney General), 2017 ONCA 319, 138 O.R. (3d) 52, par. 54 et 88. Les préoccupations concernant les délais, l’équité envers les parties, le besoin urgent de régler le différend, la nature du régime de réglementation donné, la possibilité réelle ou non pour le décideur administratif de se pencher sur la question en litige, les coûts pour les parties et l’utilisation efficace des ressources publiques peuvent aussi influer sur l’exercice par la cour de son pouvoir discrétionnaire de renvoyer l’affaire — tout comme ces facteurs peuvent influer sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de casser une décision lacunaire : voir Mines Alerte Canada c. Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, [2010] 1 R.C.S. 6, par. 45‑51; Alberta Teachers, par. 55.
[175] Nous ne sommes pas en présence d’une situation où un résultat donné est inévitable et, par conséquent, il ne serait pas indiqué de refuser de renvoyer l’affaire au conseil pour qu’il la réexamine à la lumière des présents motifs.
[176] Cela dit, ce que la demanderesse demande en fait, c’est que la décision sur la demande de réexamen de 2021 soit annulée et que la Cour ordonne au conseil de consentir au transfert de son statut de membre. Cependant, la décision du conseil était de nature discrétionnaire et la Cour ne peut pas se substituer au conseil (voir Orr c Alook, 2012 CF 590 au para 21; voir aussi Bruno c Canada (Commission d’appel en matière électorale de la Nation Crie de Samson), 2006 CAF 249 au para 23). À mon avis, la réparation appropriée consiste à annuler la décision sur la demande de réexamen de 2021 et à renvoyer l’affaire au conseil pour qu’il procède à un nouvel examen, conformément aux présents motifs.
Conclusion
[177] J’ai conclu que la demanderesse avait été privée de son droit à l’équité procédurale parce que le conseil ne l’avait pas informée qu’il avait l’intention non seulement d’examiner les observations qu’elle avait présentées en réponse aux allégations de comportement agressif et menaçant dont elle faisait l’objet, mais aussi de les évaluer au regard d’autres facteurs inconnus. Il s’ensuit que la demanderesse n’a pas eu la possibilité de présenter une preuve, l’eût‑elle voulu, concernant son caractère et ses contributions antérieures à la communauté, et d’expliquer pourquoi les incidents reprochés n’auraient aucune incidence sur ses contributions futures à la communauté.
[178] Cela étant, la décision sur la demande de réexamen de 2021 doit être annulée et l’affaire doit être renvoyée au conseil pour nouvel examen.
[179] À cet égard, avant de procéder au nouvel examen, le conseil devra informer la demanderesse de tous les facteurs qu’il aura l’intention de considérer dans l’évaluation des allégations de comportement menaçant et agressif dont elle fait l’objet et lui donner la possibilité de présenter des observations et des déclarations de tiers, et de soumettre des documents au sujet de ces facteurs. Le conseil devra procéder au réexamen sans tarder.
Dépens
[180] À ma demande, après l’audience, les parties ont présenté de brèves observations écrites sur les dépens que j’examinerai maintenant.
Position de la demanderesse
[181] La demanderesse soutient que des dépens avocat‑client sont appropriés parce qu’il a fallu plus de 19 ans à la BIOK pour parvenir à une décision définitive au sujet de sa demande de transfert de statut de membre, et que la BIOK a agi de manière répréhensible, scandaleuse ou outrageante comme en témoignent les faits suivants : alors que la demande de la demanderesse était en attente (principalement en raison de l’inaction de la BIOK), la BIOK a pris des mesures offensives pour vendre les terres dont la demanderesse aurait hérité si elle avait été membre de la bande; après que la demanderesse eut déposé sa protestation, la BIOK a déposé une demande de procès sommaire afin qu’elle soit expulsée des terres concernées; la demanderesse a alors dû retenir les services d’un avocat pour déposer une demande reconventionnelle de suspension d’instance; la BIOK n’a eu de cesse d’invoquer de nouveaux motifs pour refuser la demande de transfert et elle s’est finalement appuyée sur des allégations de comportement menaçant et agressif (dont elle était au courant depuis plusieurs années) sans pourtant n’avoir jamais discuté de ses préoccupations à ce sujet avec la demanderesse.
[182] Subsidiairement, la demanderesse sollicite des dépens majorés sous forme de somme globale correspondant à 50 % de ses frais réels, c’est‑à‑dire 87 346,46 $, moins 20 %, soit les coûts de l’instance devant la CSCB. Ou encore, la demanderesse demande des dépens calculés selon le tarif de la somme 15 310,19 $ et joint à sa demande une note de frais. Elle fait valoir que, si elle n’obtient pas gain de cause, aucuns dépens ne devraient être adjugés à la BIOK, compte tenu du délai important, qui est presque entièrement attribuable à la BIOK, et du fait que le comportement menaçant et agressif qu’on lui reproche est attribuable à ce délai.
Position de la défenderesse
[183] La BIOK reconnaît qu’il y a asymétrie entre elle et la demanderesse, et elle affirme qu’elle est prête à renoncer aux dépens (si elle a gain de cause) afférents à la demande et à la requête connexe, à condition qu’aucuns dépens ne soient adjugés contre elle (si elle n’obtient pas gain de cause).
[184] La BIOK soutient qu’elle a exercé son vaste pouvoir discrétionnaire de manière juste et raisonnable et que sa décision appartient aux issues raisonnables. Cependant, la BIOK ne souhaite pas causer de difficultés financières à la demanderesse advenant que la demande de contrôle judiciaire de celle‑ci soit rejetée et qu’elle soit condamnée aux dépens. La BIOK prétend que la façon dont elle a agi à l’égard de la demande de transfert de la demanderesse et dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire ne justifie pas qu’elle soit condamnée aux dépens. La BIOK soutient que les faits de l’affaire militent en faveur d’une ordonnance n’accordant pas de dépens ou d’une ordonnance selon laquelle les parties assument leurs propres dépens.
Analyse
[185] Selon le paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, la Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer. Dans l’exercice de ce pouvoir, la Cour peut prendre en compte les facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles, notamment le résultat de l’instance, l’importance et la complexité des questions en litige, le fait que l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance justifie une adjudication particulière des dépens, la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance, et toute autre question qu’elle juge pertinente. La Cour peut fixer tout ou partie des dépens en se reportant au tarif B et adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés (paragraphe 400(4) des Règles).
[186] En ce qui concerne l’adjudication des dépens sur une base avocat‑client, la Cour suprême du Canada a établi la règle générale selon laquelle les dépens sur cette base ne sont que très rarement accordés, sauf par exemple dans le cas d’une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante d’une partie, ou si des raisons d’intérêt public le justifient (Mackin c Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances), [2002] 1 CSC 405 au para 86; Québec (Procureur général) c Lacombe 2010 CSC 38 au para 67).
[187] À mon avis, l’octroi de dépens sur la base avocat‑client n’est pas justifié en l’espèce. Et bien qu’il y ait déséquilibre entre les ressources financières de la demanderesse et celles de la BIOK (ce que cette dernière reconnaît), ce facteur à lui seul ne suffit pas pour justifier l’octroi de dépens sur la base avocat‑client (voir, de façon générale, Whalen c Première Nation no 468 de Fort McMurray, 2019 CF 1119 [Whalen]).
[188] Cependant, la demanderesse a eu gain de cause relativement à la requête en radiation de la BIOK et à sa demande de contrôle judiciaire. La requête en radiation était, à mon avis, en grande partie mal fondée. Par ailleurs, je crois comprendre que la BIOK est d’avis que, parce qu’elle considère que la décision relative au réexamen de 2019 était juste et raisonnable, aucuns dépens ne devraient être adjugés contre elle et les dépens ne devraient pas suivre l’issue de la cause. J’ai cependant conclu que la BIOK avait manqué à son obligation d’équité procédurale et j’estime que les dépens devraient suivre l’issue de la cause, comme c’est normalement le cas. Je ne vois aucune raison pour laquelle la demanderesse n’aurait pas droit à ses dépens, contrairement à ce que prétend la BIOK, d’autant plus que cette dernière reconnaît qu’il y a déséquilibre financier.
[189] La demanderesse affirme que ses frais réels s’élèvent à 87 346,46 $ moins 20 %, soit 69 877,17 $. Selon la colonne III du tableau du tarif B, ses frais s’élèvent à 15 310,19 $.
[190] Dans l’affaire Whalen, comme en l’espèce, la demanderesse sollicitait les dépens sur la base avocat‑client ou, subsidiairement, elle demandait une somme globale ou l’adjudication des dépens à un niveau supérieur à ceux habituellement adjugés. Dans ce jugement, le juge Grammond a rappelé les objectifs et les principes généraux qui sous‑tendent l’adjudication des dépens, ainsi que les circonstances dans lesquelles il peut être justifié d’adjuger les dépens sur la base avocat‑client. Il a finalement conclu que des dépens adjugés selon le tarif ne seraient pas suffisants et que l’adjudication d’une somme globale selon un barème supérieur serait justifiée. Les sommes globales ne doivent pas être fixées « de façon arbitraire »
, et les tribunaux ont conclu qu’elles correspondent à un pourcentage allant de 25 à 50 % des frais effectivement engagés par la partie ayant obtenu gain de cause (Whalen, au para 33; Nova Chemicals Corporation c Dow Chemical Company, 2017 CAF 25 au para 17; Garner c Première Nation Union Bar, 2021 CF 657 au para 53).
[191] À mon avis, une approche semblable est appropriée en l’espèce, et j’accorde à la demanderesse la somme globale de 25 000 $.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑951‑21
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
La décision sur la demande de réexamen de 2019 sera annulée et l’affaire sera renvoyée au chef et au conseil de la Bande indienne d’Okanagan pour qu’ils procèdent à un réexamen en tenant compte des présents motifs.
La Bande indienne d’Okanagan doit verser à la demanderesse la somme globale de 25 000 $, tout compris, à titre de dépens.
« Cecily Y. Strickland »
Juge
Traduction certifiée conforme
Édith Malo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
T‑951‑21 |
INTITULÉ :
|
MARILYN JOHNSTON c LA BANDE INDIENNE D’OKANAGAN |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Par vidéoconférence au moyen de Zoom
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 20 juillet 2022
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE STRICKLAND
|
DATE DES MOTIFS :
|
Le 29 août 2022
|
COMPARUTIONS :
Alfred C. Kempf |
Pour la demanderesse |
Claire Truesdale Jason Harman |
Pour la défenderesse |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Pushor Mitchell LLP
Kelowna (Colombie-Britannique)
|
Pour la demanderesse |
JFK Law LLP Avocats-procureurs Vancouver (Colombie‑Britannique) |
Pour la défenderesse |