Dossier : IMM-4434-20
Référence : 2022 CF 1227
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 25 août 2022
En présence de monsieur le juge McHaffie
ENTRE :
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PARAMESWARAN SELLATHAMBI
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Parameswaran Sellathambi a présenté une demande d’asile fondée sur sa crainte d’être persécuté et maltraité par les autorités sri‑lankaises, y compris par l’armée sri‑lankaise. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) et la Section d’appel des réfugiées (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR) ont conclu que M. Sellathambi n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au motif qu’il manquait de crédibilité et qu’il n’avait pas établi des éléments centraux de sa demande d’asile. Dans la présente demande de contrôle judiciaire, M. Sellathambi fait valoir que la décision de la SAR est déraisonnable. En particulier, il conteste la façon dont cette dernière a traité les lettres qu’il a déposées en preuve et le fait qu’elle n’a pas tenu compte de son argument sur la persécution cumulative.
[2] Pour les motifs suivants, je conclus que la décision de la SAR est raisonnable. Elle a justifié de façon convaincante sa décision de n’accorder aucun poids à l’une des lettres et a raisonnablement souligné que les autres lettres ne permettaient pas de corroborer les allégations centrales à la demande d’asile de M. Sellathambi. Le fait que la SAR n’a pas analysé les arguments de M. Sellathambi concernant la persécution cumulative ne rend pas non plus sa décision déraisonnable, étant donné le caractère succinct et la nature de ces arguments dans le contexte de l’ensemble des observations présentées.
[3] La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.
II. Questions en litige et norme de contrôle
[4] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, M. Sellathambi soulève les questions suivantes :
La SAR a-t-elle commis une erreur dans son traitement de la preuve, à savoir une lettre d’un juge de paix et deux lettres de la mère du demandeur?
La SAR a-t-elle omis de tenir compte de l’effet cumulatif des risques de persécution?
[5] Ces questions concernent le fond de la décision et sont assujetties à la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23-25; Jayasinghe Arachchige c Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 509 au para 28. Une décision raisonnable en est une qui est justifiée, intelligible et transparente pour la personne visée par la décision, au regard des contraintes factuelles et juridiques imposées au décideur : Vavilov, aux para 99-101, 105-107, 125-128.
[6] Dans ses observations écrites, M. Sellathambi soutient également que la SAR a appliqué un critère trop exigeant dans son appréciation du risque auquel il serait exposé s’il était renvoyé au Sri Lanka en tant que demandeur d’asile débouté. Cet argument a été retiré à l’audition de la demande.
III. Analyse
A. La SAR a fait une analyse raisonnable de la preuve
(1) La demande d’asile de M. Sellathambi
[7] M. Sellathambi affirme avoir grandi dans la ville de Sampur, située dans le district sri-lankais de Trincomalee. Sa famille, d’origine tamoule, a déménagé à Vanni en 1990 pendant les combats engagés dans la région entre les Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul (les TLET) et l’armée nationale. À Vanni, le demandeur a été forcé de travailler pour les TLET. Il accomplissait des tâches telles que creuser des abris fortifiés et abattre des arbres. La famille du demandeur a pu retourner à Sampur quand les pourparlers de paix ont commencé en 2002. Par la suite, M. Sellathambi prétend avoir fait l’achat d’un camion et avoir commencé l’exploitation d’une entreprise de transport. À un certain moment, M. Sellathambi a eu besoin d’un préposé à l’entretien pour laver son camion. Il dit que les TLET l’ont forcé à embaucher un homme qui, comme il l’a appris plus tard, était le frère d’un militant TLET.
[8] Au milieu de 2005, alors qu’il revenait tard d’une livraison, M. Sellathambi affirme avoir été arrêté par l’armée sri-lankaise, qui l’accusait de transporter des matériaux pour les TLET. L’armée l’a détenu, torturé et sévèrement battu. Il a été relâché lorsqu’un ancien membre des TLET a confirmé qu’il ne faisait pas partie des TLET.
[9] En janvier 2006, M. Sellathambi affirme avoir obtenu un contrat de livraison de provisions à la cantine de l’université de Trincomalee. Cependant, entre temps, les hostilités entre l’armée et les TLET se sont intensifiées, et l’armée a repris Sampur des mains des TLET en 2006. Par la suite, le préposé à l’entretien est parti sans préavis. Au cours des quelque neuf années suivantes, M. Sellathambi a vécu à Sampur et a continué d’exécuter son contrat avec l’université.
[10] Toutefois, le demandeur soutient qu’en 2015, l’armée a réattribué le contrat à un fournisseur cinghalais. Lorsqu’il a refusé de vendre son camion au nouveau fournisseur, le camion a été volé, et la police a refusé de recevoir sa plainte. Le 30 juin 2016, M. Sellathambi affirme que des militaires sont venus chez lui pour le questionner au sujet du préposé à l’entretien qu’il avait embauché au milieu des années 2000. Ils l’ont également questionné sur la poursuite à laquelle il affirme avoir participé et qui a été intentée contre le gouvernement relativement à des revendications de propriété foncière. La semaine suivante, il a reçu un appel anonyme au cours duquel une personne s’exprimant en tamoul, mais avec un accent cinghalais, l’a menacé de mort. Il s’est caché, puis a quitté le Sri Lanka à la fin du mois de juillet. Il s’est rendu en Malaisie muni de son propre passeport, puis est venu au Canada muni d’un faux passeport canadien.
[11] À l’appui de sa demande d’asile, M. Sellathambi a fourni des pièces d’identité, une [traduction] « attestation de résidence et de moralité »
délivrée par le chef du village, de nombreux éléments de preuve relatifs à la situation au Sri Lanka, une lettre d’un médecin qui confirme que ses cicatrices concordent avec le récit de sa détention et de son passage à tabac en 2005, et deux lettres de sa mère.
[12] Après l’audience, M. Sellathambi a présenté une lettre d’un juge de paix ainsi qu’une copie des cartes d’identité nationale de ses parents. La lettre du juge de paix, traduite en français dans la présente décision telle qu’elle était rédigée en anglais, indiquait ce qui suit :
[traduction]
Par la présente, j’atteste que M. Sellathambi Parameswaran qui habitait au no 65, Orr’s Hill Road, Trincomalee de l’année 2006 au milieu du mois de juillet 2016 .quand il était au Srilanka pendant cette période ,était un chauffeur de profession , et à cette période fréquemment il était recherché par des membres de l’Armée et un groupe civil armé . Il a eu peur en raison de toute chose qui pourra arriver à sa vie. Certaines fois il a reçu des menaces par téléphone .S’il est ici certainement sa vie sera en danger.
Pour cette raison pendant cette période il a vécu caché.
Ce sont ces incidents mentionnés ci-dessus sont vrais et corrects à ma connaissance.
[13] La SPR a rejeté la demande de M. Sellathambi, car elle a conclu que celui-ci n’était pas crédible pour plusieurs raisons. Après examen du témoignage de M. Sellathambi et des quelques documents à l’appui, la SPR n’a pas cru que M. Sellathambi i) avait eu un contrat avec l’université de Trincomalee, ii) avait participé à une poursuite en justice, iii) avait reçu la visite de l’armée sri-lankaise en 2016, qui l’avait interrogé sur son employé, ou iv) avait par la suite reçu des appels téléphoniques de menaces. Pour parvenir à cette conclusion, la SPR n’a accordé aucun poids à la lettre du juge de paix parce qu’elle était mal rédigée et qu’elle ne précisait ni comment son auteur connaissait personnellement le demandeur ni comment il avait pu confirmer les renseignements y figurant.
[14] En vertu de l’article 110 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), M. Sellathambi a interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la SAR. Il a soulevé plusieurs questions et a allégué que la SPR avait commis des erreurs dans son traitement de la preuve, dans ses conclusions quant à la crédibilité et dans sa décision sur le bien-fondé de la demande d’asile. À l’appui de son appel, M. Sellathambi a présenté plusieurs nouveaux documents sur la situation au Sri Lanka, que la SAR a admis en preuve, mais qui ne sont pas pertinents en l’espèce.
(2) Les conclusions de la SAR concernant la preuve
[15] La SAR a rejeté l’appel de M. Sellathambi. Elle a confirmé les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité de M. Sellathambi et a conclu que ce dernier n’avait pas établi qu’il était un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger.
[16] Dans son examen des arguments de M. Sellathambi concernant la preuve (ou l’absence de preuve), la SAR a souligné que, conformément au paragraphe 100(4) de la LIPR, la personne qui demande l’asile est tenue de fournir les renseignements et les documents exigés par les règles de la CISR. Elle a également fait remarquer que l’article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256, exige que le demandeur d’asile transmette des documents acceptables qui permettent d’établir les éléments de sa demande ou, s’il ne peut le faire, qu’il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour se procurer de tels documents. Elle a conclu que l’absence de documents acceptables sans explication raisonnable constitue un facteur important dans l’évaluation de la crédibilité d’un demandeur d’asile.
[17] Pour ce qui est des documents eux-mêmes, la SAR a souscrit à la décision de la SPR de n’accorder aucun poids à la lettre du juge de paix. Bien qu’elle n’ait pas fait siens les commentaires de la SPR selon lesquels la lettre est mal rédigée, la SAR a convenu que la lettre ne précisait ni si son auteur avait connu personnellement le demandeur ni comment il avait autrement confirmé les renseignements s’y trouvant. La SAR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le juge de paix ne connaissait pas personnellement M. Sellathambi et que la lettre « représent[ait] au mieux une preuve par ouï‑dire »
.
[18] La SAR a également fait remarquer que, lorsqu’un demandeur d’asile présente des éléments de preuve documentaire, il est raisonnable de s’attendre à ce que pareils documents corroborent les principaux éléments de son récit. Toutefois, la SAR a conclu qu’aucun des documents fournis par M. Sellathambi ne corroborait réellement les principales allégations de ce dernier, à savoir qu’il était un chauffeur de camion qui était harcelé parce qu’il était soupçonné d’entretenir des liens avec les TLET en raison d’un ancien employé. La SAR a souligné que, selon l’attestation signée par le chef du village, celui-ci connaissait M. Sellathambi depuis environ trois mois et déclarait qu’il était « fermier »
. Quant aux deux lettres de la mère du demandeur, la SAR a fait remarquer que, dans sa première lettre, la mère mentionnait seulement que le demandeur était toujours recherché par l’armée, sans fournir de raison, et que la question du camion n’était toujours pas réglée, mais qu’elle n’avait pu obtenir aucune copie d’un quelconque contrat avec l’université de Trincomalee. Dans sa deuxième lettre, elle mentionnait que « de nombreuses raisons [étaient] à l’origine [du] départ [de M. Sellathambi] du Sri Lanka »
et que les militaires continuaient de le rechercher, sans fournir d’autres détails.
[19] Après avoir examiné la preuve, la SAR a souscrit aux conclusions de la SPR selon lesquelles M. Sellathambi n’avait pas eu de contrat avec l’université de Trincomalee, n’avait pas reçu la visite de l’armée sri-lankaise, qui l’avait interrogé sur un ancien employé, et n’avait pas reçu d’appels téléphoniques de menaces en 2016. La SAR a également conclu que la poursuite en justice relativement à des revendications de propriété foncière n’était pas pertinente quant à l’allégation de M. Sellathambi selon laquelle il était soupçonné d’entretenir des liens avec les TLET en 2016 en raison de son ancien employé.
(3) La SAR a traité la preuve de façon raisonnable
a) La lettre du juge de paix
[20] M. Sellathambi soutient que la décision de la SAR de n’accorder aucun poids à la lettre du juge de paix était déraisonnable. Il cite la décision de la Cour rendue dans l’affaire Nagarasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 313. Dans cette affaire, le demandeur avait également déposé des éléments de preuve à l’appui de sa demande, dont une lettre d’une juge de paix sri-lankaise, une lettre d’un député sri-lankais et une lettre de sa mère. Le juge Ahmed a conclu que les lettres concordaient toutes avec le récit du demandeur et qu’à la lumière de cette preuve, la décision de l’agent de la qualifier d’« insuffisante »
sans fournir d’explication était déraisonnable : Nagarasa, au para 23. Le juge Ahmed a mentionné que l’agent était tenu d’expliquer pourquoi il n’était pas convaincu par la preuve et lui a particulièrement reproché son « excès de zèle […] dans le cadre de l’examen minutieux des lettres à la recherche de ouï-dire, de dates ou d’autres détails prétendument manquants »
: Nagarasa, au para 23.
[21] À mon avis, en dépit du fait que, dans les deux affaires, il est question d’une lettre d’un juge de paix sri-lankais, l’affaire Nagarasa n’est guère utile à M. Sellathambi. Il ne fait aucun doute que, comme l’a conclu le juge Ahmed, les décideurs administratifs doivent apprécier de façon raisonnable la preuve dont ils sont saisis et expliquer le fondement de leurs conclusions, des principes que la Cour suprême a confirmés par la suite : Vavilov, aux para 96, 99, 125-126. De même, les décideurs administratifs ne doivent pas effectuer une analyse trop zélée de la preuve ou manifester une vigilance excessive à la recherche de lacunes dans la preuve : Attakora c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 444 (CAF) au para 9; Shi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 196 au para 53.
[22] Toutefois, cela ne signifie pas qu’une lettre signée par un juge de paix doit nécessairement avoir une valeur probante dans tous les cas. M. Sellathambi a raison d’affirmer que la SAR n’a pas remis en question l’authenticité de la lettre qu’il a présentée. Cependant, la SAR a clairement expliqué pourquoi elle n’a pas conclu que la lettre du juge de paix avait une quelconque valeur, à savoir que rien n’indiquait que l’auteur avait une connaissance personnelle des renseignements contenus dans la lettre. Comme l’a reconnu M. Sellathambi lors de la plaidoirie, il était la seule source possible à l’origine de la déclaration du juge de paix selon laquelle il avait reçu des appels téléphoniques de menaces, même si le juge de paix affirmait que ces incidents étaient [traduction] « vrais et corrects à [s]a connaissance »
. De même, rien ne justifie la capacité du juge de paix d’attester la résidence et la profession de M. Sellathambi, ni le fait qu’il était régulièrement recherché par l’armée et d’autres personnes.
[23] À mon avis, dans son analyse, la SAR n’évalue pas la lettre en fonction de ce qu’elle ne dit pas, au sens décrit dans la décision Nagarasa, mais plutôt en fonction du fait qu’il s’agit d’une simple répétition des déclarations de M. Sellathambi par une personne qui ne semble avoir aucune raison de les corroborer. Il est fort possible que, comme le soutient M. Sellathambi, le juge de paix ait sincèrement cru ses déclarations et que ce soit pour cette raison qu’il était disposé à les attester. Toutefois, le fait qu’il les ait crues ne constitue pas une preuve, puisque rien n’indique pourquoi il en avait connaissance ou les croyait, ni pourquoi il était en mesure de les attester comme des faits.
[24] Je conclus donc que la SAR a justifié de manière raisonnable sa décision de n’accorder aucun poids à la lettre du juge de paix dans les circonstances.
b) Les lettres de la mère du demandeur
[25] M. Sellathambi soutient que la décision de la SAR d’écarter les lettres de sa mère parce qu’elles ne corroboraient pas tous les éléments de son récit, en particulier la motivation de l’armée sri-lankaise, était déraisonnable. Il cite la décision Kalonda, dans laquelle la Cour a jugé qu’il était déraisonnable de conclure qu’un demandeur n’est pas crédible parce qu’il ne sait pas pourquoi les autorités ont agi comme ils l’ont fait : Kalonda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 396 aux para 3-6.
[26] Toutefois, selon ma lecture de la décision, la SAR était préoccupée par l’absence d’éléments de preuve à l’appui d’aspects importants de la demande de M. Sellathambi compte tenu de ses réserves quant à la crédibilité de ce dernier. La Cour a critiqué le fait d’écarter sans explication des éléments de preuve qui corroborent certains aspects d’un récit simplement parce qu’ils ne démontrent pas certains autres aspects : Belek c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 205 au para 21. Cependant, la SAR n’a pas accordé peu de poids au contenu des lettres de la mère du demandeur en raison de ce qu’elles ne disaient pas. Elle a plutôt fait remarquer que ni les lettres de la mère ni les autres éléments de preuve ne corroboraient les principales allégations de M. Sellathambi selon lesquelles il était un chauffeur de camion qui était soupçonné d’entretenir des liens avec les TLET. La SAR a souligné que, lorsqu’un demandeur présente des éléments de preuve documentaire personnels, ceux-ci devraient porter sur les principaux éléments de son récit. La Cour a reconnu que certains éléments du récit peuvent être suffisamment centraux pour qu’il soit raisonnable de se demander pourquoi la preuve n’y fait pas référence : St-Sulne c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 619 au para 15; Belek c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 196 au para 16; Tahzibi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 42 aux para 14-15.
[27] M. Sellathambi fait remarquer à juste titre que, dans la première lettre, sa mère parle d’un certain rôle dans l’industrie du camionnage, quoiqu’indirectement, en mentionnant la « question du camion »
ainsi que de ses efforts pour obtenir les documents de l’université de Trincomalee. Les deux lettres mentionnent que l’armée lui a rendu visite, à la recherche de M. Sellathambi. La SAR a relevé ces aspects dans les lettres. Toutefois, comme l’a fait remarquer la SAR, la mère du demandeur ne fournit aucun détail concernant les visites de l’armée et ne mentionne rien des principales allégations du demandeur, à savoir que l’armée lui a rendu visite en juin 2016 après qu’il a perdu le contrat avec l’université, qu’elle l’a interrogé sur son ancien employé et qu’elle le soupçonnait d’entretenir des liens avec les TLET, puis qu’il a ensuite reçu des appels téléphoniques anonymes de menaces. La mère du demandeur indique plutôt vaguement que [traduction] « de nombreuses raisons sont à l’origine de son départ du Sri Lanka »
.
[28] Le rôle de la Cour n’étant pas d’effectuer sa propre appréciation de la preuve, mais simplement d’examiner si l’évaluation que la SAR a faite de la preuve est raisonnable, je conclus que M. Sellathambi ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer que la décision de la SAR était déraisonnable : Vavilov, aux para 100, 125-126.
B. Il était raisonnable de la part de la SAR de ne pas tenir compte de la persécution cumulative
[29] En appel devant la SAR, M. Sellathambi a considéré que l’une des questions à trancher consistait à savoir si la SPR avait commis une erreur en [Traduction] « ne tenant pas compte de la persécution cumulative, des raisons impérieuses et du profil résiduel »
. Il a présenté des observations sur chacune de ces trois notions, entre autres. La SAR s’est penchée sur la question des « raisons impérieuses »
et du « profil résiduel »
, en les considérant respectivement comme les deuxième et troisième motifs d’appel. Elle n’a toutefois pas examiné celle de la persécution cumulative. M. Sellathambi soutient que c’était déraisonnable.
[30] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a souligné que les principes de la justification et de la transparence exigent que les motifs du décideur administratif « tiennent valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées par les parties »
: Vavilov, au para 127. Le fait de ne pas « s’attaquer de façon significative »
aux questions clés ou aux arguments principaux peut rendre la décision déraisonnable : Vavilov, au para 128.
[31] Parallèlement, la Cour suprême a insisté sur le fait que les cours de révision ne peuvent s’attendre à ce que les décideurs administratifs « répondent à tous les arguments ou modes possibles d’analyse »
: Vavilov, au para 128, citant Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 25. Après avoir examiné les observations présentées par M. Sellathambi à la SAR, je conclus que cette dernière n’était pas tenue de traiter expressément des arguments de M. Sellathambi concernant la persécution cumulative pour rendre une décision raisonnable.
[32] Dans leur ensemble, les observations présentées par M. Sellathambi à la SAR à propos de la persécution cumulative étaient les suivantes :
[Traduction]
Persécution cumulative
83. Le lieu n’est pas dans les motifs
84. De plus, la SPR a commis une erreur en n’examinant pas la question de savoir si la protection de l’appelant était justifiée au regard de motifs cumulatifs, en grande partie en raison de la torture qu’il a subie en 2005.
85. Les facteurs pertinents dont la [SPR] n’a pas tenu compte parmi ceux qu’elle a rejetés sont les suivants :
- L’appelant a des cicatrices
- Il a vécu de nombreuses années à Vanni pendant la période des TLET et à [Sampur], qui a été reprise par l’armée des mains des TLET
il sera expulsé du Canada et est un demandeur d’asile débouté
il a été forcé de travailler pour les TLET de 2002 à 2005 (voir le paragraphe 26)
il a été détenu et torturé en 2005 (voir le paragraphe 26)
Le demandeur a peur de retourner au Sri Lanka et a peur des autorités gouvernementales
[33] Ces courts paragraphes constituent l’un des dix-sept arguments distincts que M. Sellathambi a présentés à la SAR dans ses observations de soixante-et-onze paragraphes. Dans ce contexte, il est difficile de considérer cet argument comme l’une des « questions et préoccupations centrales »
soulevées par M. Sellathambi : Vavilov, au para 127. Je ne peux donc pas conclure qu’il était déraisonnable de la part de la SAR de ne pas traiter de façon distincte la question de la persécution cumulative.
[34] Il convient également de souligner qu’étant donné le caractère succinct des observations présentées par M. Sellathambi, la nature de ses arguments sur la « persécution cumulative »
et l’allégation suivant laquelle la SPR a commis une erreur sont quelque peu imprécises. Certains des « facteurs »
invoqués par M. Sellathambi, comme ses préoccupations quant à son statut de demandeur d’asile débouté et sa crainte de retourner au Sri Lanka, ne sont pas des incidents de persécution ou de discrimination qui seraient normalement examinés dans le contexte d’une crainte de persécution cumulative (ou de la discrimination cumulative équivalant à de la persécution). La SAR a tenu compte de ces facteurs lorsqu’elle a examiné les autres arguments de M. Sellathambi, dont ceux relatifs à l’exception fondée sur des « raisons impérieuses »
prévue au paragraphe 108(4) de la LIPR et à son profil résiduel en tant que demandeur d’asile débouté. M. Sellathambi ne conteste pas ces aspects de la décision.
[35] Abstraction faite de ces facteurs, l’argument sur la « persécution cumulative »
semble être que l’effet cumulatif des incidents de 2005 et des événements plus récents de 2016 devrait être pris en compte. Toutefois, il s’agit essentiellement du motif principal de la demande d’asile de M. Sellathambi, à savoir que l’armée sri-lankaise s’intéressait à lui en 2016 en raison de liens présumés avec les TLET qui remontaient à 2005. La SAR n’a tout simplement pas cru son récit et, pour cette raison, a rejeté sa demande.
IV. Conclusion
[36] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM-4434-20
LA COUR STATUE :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
« Nicholas McHaffie »
Juge
Traduction certifiée conforme
Sophie Reid-Triantafyllos
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-4434-20
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INTITULÉ :
|
PARAMESWARAN SELLATHAMBI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
lE 11 AVRIL 2022
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE MCHAFFIE
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 25 AOÛT 2022
|
COMPARUTIONS :
Micheal Crane
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Alex Kam
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Micheal Crane
Avocat
Toronto (Ontario)
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
|
POUR LE DÉFENDEUR
|