Date : 20220826
Dossier : IMM-6350-20
Référence : 2022 CF 1230
Ottawa (Ontario), le 26 août 2022
En présence de l’honorable madame la juge Rochester
ENTRE :
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MELAY, FABIO MUKENDI
MATONDO, OLGA VENGO
MELAY, IAN GABRIEL
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Contexte
[1] Fabio Mukendi Melay, et son épouse, Olga Vengo Matondo, et leur fils mineur Ian Gabriel Melay [les demandeurs] sont citoyens de l’Angola. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] rendue le 7 octobre 2020. Dans cette décision, la SPR a rejeté les demandes d’asile des demandeurs pour des raisons de crédibilité et a conclu que les demandeurs n’ont ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention, ni celle de personnes à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.
[2] Les demandeurs affirment craindre d’être persécutés par les autorités angolaises, incluant la police secrète, en raison de la participation du demandeur principal, M. Melay, dans un syndicat du secteur pétrolier et dans deux manifestations.
[3] Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs font valoir que la SPR a commis les erreurs susceptibles de contrôle suivantes : (i) la SPR a violé le principe d’équité procédurale; (ii) la SPR a eu tort en minant la crédibilité de M. Melay et en rejetant son témoignage parce qu’il n’est pas supporté par la preuve documentaire; (iii) la SPR a tiré des conclusions arbitraires et spéculatives quant au témoignage des demandeurs; et (iv) la SPR a commis une erreur dans la façon dont elle a traité la question de la disparition de l'oncle de M. Melay.
[4] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
II.
Questions en litige et norme de contrôle
[5] Les demandeurs ont soulevé de nombreuses questions que je reformulerai de la façon suivante :
a) La SPR a‑t‑elle violé le principe d’équité procédurale?
b) Est-ce que la décision de la SPR est raisonnable, et plus précisément est-elle raisonnable en ce qui concerne la crédibilité et l'appréciation de la preuve?
[6] En ce qui concerne la question de l’équité procédurale, la Cour d’appel fédérale a précisé dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [Chemin de fer Canadien Pacifique] que les questions d’équité procédurale ne se prêtent pas nécessairement à une analyse relative à la norme de contrôle applicable. Le rôle de la Cour est plutôt de se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique aux para 54-56; Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35).
[7] La norme de contrôle applicable aux décisions de la SPR portant sur la crédibilité et l’appréciation de la preuve est celle de la décision raisonnable. Pour être raisonnable, une décision doit être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov 2019, CSC 65 au para 85 [Vavilov]). Il incombe au demandeur, la partie qui conteste la décision, de démontrer le caractère déraisonnable de la décision de la SPR (Vavilov au para 100). Pour pouvoir intervenir, la cour de révision doit être convaincue par la partie contestant la décision que celle-ci « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence »
, et que ces lacunes ou insuffisances reprochées « ne [sont] pas [...] simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision »
(Vavilov au para 100). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur »
. La cour de révision doit juste être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient »
(Vavilov aux para 102, 104).
III.
Analyse
A.
Le manquement à l’équité procédurale
[8] Les demandeurs soutiennent que la conclusion de la SPR quant à leur crédibilité est arbitraire, car elle est fondée sur « des suppositions, spéculations, et des réponses aux questions que [la SPR] n’a jamais posé aux demandeurs »
. Les demandeurs soutiennent qu’ils n’ont pas eu l’opportunité de répondre aux préoccupations de la SPR concernant leur crédibilité, et que cela brime le principe de justice naturelle de l’équité procédurale.
[9] Les documents soumis à la SPR par les demandeurs incluaient deux articles en portugais qui n’étaient pas traduits. Les demandeurs affirment que ces deux articles en portugais sont une preuve non admissible puisqu’ils n’ont pas été traduits en français ou en anglais. Les demandeurs allèguent que la SPR n'aurait pas dû prendre en compte ces deux articles ou, a commis une erreur en ne les faisant pas traduire avant de les utiliser pour miner leur crédibilité.
[10] Le défendeur fait valoir que le fait que la SPR n’a pas questionné les demandeurs sur chaque aspect de leurs demandes n’a pas rendu le processus inéquitable. Le défendeur soutient (1) que les demandeurs savaient que leur crédibilité était en jeu; (2) que les conclusions de la SPR ont soit été soulevées lors de l’audience ou étaient évidentes à la face des documents soumis par les demandeurs; et (3) qu’il ne s’agissait pas de renseignements nouveaux que les demandeurs ne pouvaient raisonnablement connaître ou de preuve extrinsèque qu’ils ne connaissaient pas déjà ou n’avaient pas déjà soumis.
[11] En réponse à l’argument des demandeurs concernant les articles de presse en portugais, le défendeur soutient que les demandeurs exagèrent l’importance que la SPR a portée aux deux articles. De plus, le défendeur fait valoir que la langue maternelle des demandeurs est le portugais et les demandeurs pouvaient s’attendre à ce que la SPR s’y réfère puisqu’ils accompagnaient les documents que les demandeurs avaient déposés devant la SPR.
[12] Ayant examiné les arguments soulevés par les demandeurs, j’estime que les demandeurs ne se sont pas déchargés de leur fardeau de démontrer une contravention à l’équité procédurale. Oui, le tribunal aurait pu procéder différemment en ce qui concerne la mention des deux articles portugais, mais je ne pense pas que cela constitue une erreur suffisante pour infirmer la décision. En d'autres termes, compte tenu de toutes les circonstances, je ne trouve pas que la procédure ait été inéquitable.
B.
Le caractère raisonnable de la décision : la crédibilité des demandeurs et l’appréciation de la preuve
[13] Les conclusions relatives à la crédibilité d’un demandeur et l’appréciation de la preuve commandent un degré élevé de retenue de la part de la Cour. Comme l’ont indiqué mes collègues, les juges Simon Fothergill, Shirzad A. Ahmed et Nicholas McHaffie, l’appréciation de la crédibilité fait partie du processus de recherche des faits, et les décisions quant à la crédibilité appellent la déférence dans le cadre du contrôle (Fageir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 FC 966 au para 29 [Fageir]; Tran c Canada (Citoiyenneté et Immigration), 2021 CF 721 au para 35 [Tran]; Azenabor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1160 au para 6). Les décisions quant à la crédibilité constituent « l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits [...] et elles ne sauraient être infirmées à moins qu’elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve »
(Fageir au para 29; Tran au para 35; Edmond c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 644 au para 22).
[14] Il est bien établi que, à défaut de circonstances exceptionnelles, les cours de révision doivent s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur »
(Vavilov au para 125).
[15] Les erreurs que les demandeurs allèguent sont effectivement que la SPR a essentiellement rejeté le témoignage de M. Melay parce qu’il n’est pas supporté par la preuve documentaire et que la SPR a tiré des conclusions arbitraires et spéculatives quant au témoignage des demandeurs.
[16] Le défendeur soutient que la SPR a clairement identifié et expliqué les contradictions, lacunes et incohérences dans la preuve et le témoignage des demandeurs, et entre la preuve des demandeurs et le cartable national. Le défendeur soutient qu’il était raisonnable que la SPR tire une opinion négative quant à la crédibilité des demandeurs du fait qu’ils n’ont pas fourni de la preuve qu’ils auraient raisonnablement pu obtenir afin de soutenir des éléments centraux de leur récit.
[17] À mon avis, les demandeurs demandent à la Cour de soupeser à nouveau la preuve et de tirer une conclusion différente. Les demandeurs peuvent ne pas être d’accord avec les conclusions de la SPR, mais il n’appartient pas à la Cour de réexaminer ou de soupeser à nouveau la preuve afin de tirer des conclusions qui leur seraient favorables (Vavilov au para 125; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59).
[18] Oui, la SPR a commis une erreur en référant à un vol intérieur de Cabinda à la capitale plutôt qu’a un bateau de Cabinda à Soyo et ensuite d'un avion pour la capitale, Luanda. Cependant, la Cour suprême du Canada conseille que « les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision. Il ne conviendrait pas que la cour de révision infirme une décision administrative pour la simple raison que son raisonnement est entaché d’une erreur mineure »
(Vavilov au para 100). La Cour suprême déconseille fortement « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur »
(Vavilov au para 102).
[19] Selon mon examen, les motifs de la SPR, dans leur ensemble et dans le contexte des éléments de preuve pertinents, font état d’une analyse rationnelle, et ne révèlent pas une faille décisive dans la logique globale (Vavilov aux para 102‑103). Par conséquent, je conclus que selon les arguments que présentent les demandeurs sur le caractère raisonnable de la décision, ils demandent en réalité à la Cour d’apprécier à nouveau les éléments de preuve pertinents, alors que la Cour suprême exige que les cours de révision s’abstiennent de le faire (Vavilov au para 125).
IV.
Conclusion
[20] Je suis convaincue que, lorsque lue de façon globale et contextuelle, la décision de la SPR répond à la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Vavilov. De plus, les demandeurs n’ont pas réussi à faire la preuve d’un manquement à l’équité procédurale. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification, et la Cour est d’avis que la cause n’en soulève aucune.
JUGEMENT au dossier IMM-6350-20
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée;
L'intitulé de la cause est modifié pour que le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration soit désigné comme le défendeur approprié; et
3. Il n’y a aucune question à certifier.
« Vanessa Rochester »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-6350-20
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INTITULÉ :
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MELAY, FABIO MUKENDI ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 13 AVRIL 2022
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JUGEMENT ET motifs :
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LA JUGE ROCHESTER
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DATE DES MOTIFS :
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LE 26 AOÛT 2022
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COMPARUTIONS :
Pacifique Siryuyumusi
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Pour leS demandeurS
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Sarah Chênevert-Beaudoin
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Pacifique Siryuyumusi
Ottawa (Ontario)
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Pour leS demandeurS
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Procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
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Pour le défendeur
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