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Date : 20220818


Dossiers : T-402-19

T-141-20

T-1120-21

Référence : 2022 CF 1212

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 août 2022

En présence de madame la juge McDonald

RECOURS COLLECTIFS

Dossier : T-402-19

ENTRE :

XAVIER MOUSHOOM, JEREMY MEAWASIGE (représenté par son tuteur à l’instance, Jonavon Joseph Meawasige),

JONAVON JOSEPH MEAWASIGE

demandeurs

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

Dossier : T-141-20

ENTRE :

ASSEMBLÉE DES PREMIÈRES NATIONS,

ASHLEY DAWN LOUISE BACH,

KAREN OSACHOFF, MELISSA WALTERSON,

NOAH BUFFALO-JACKSON (représenté par sa tutrice à l’instance, Carolyn Buffalo), CAROLYN BUFFALO, et DICK EUGENE JACKSON (aussi connu sous le nom

RICHARD JACKSON)

demandeurs

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

Dossier : T-1120-21

ENTRE :

ASSEMBLÉE DES PREMIÈRES NATIONS et ZACHEUS JOSEPH TROUT

demandeurs

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE PROVISOIRE ET MOTIFS

[1] Dans le cadre de la présente requête, déposée le 15 août 2022, les demandeurs sollicitent une ordonnance provisoire contre les non-parties comme suit :

  • (i) une ordonnance provisoire et interlocutoire interdisant à tout professionnel du droit, autre qu’un avocat du groupe désigné par la Cour, la demanderesse l’Assemblée des Premières Nations [APN] ou l’administrateur désigné par la Cour, Deloitte S.E.N.C.R.L./s.r.l., de publier une communication aux membres du groupe concernant les recours collectifs sans l’approbation préalable de la Cour, obtenue sur requête présentée par avis aux parties aux recours collectifs;

  • (ii) une ordonnance provisoire et interlocutoire obligeant, dès la signification de la présente ordonnance de la Cour, le retrait des sites Web de Consumer Law Group [CLG] et de tout autre site Web contenant des communications à des membres du groupe concernant les recours collectifs, en attendant que la Cour statue sur la requête en réparation des demandeurs dans la semaine du 21 novembre 2022, à moins que ces communications ne soient approuvées par la Cour, sur requête présentée par avis aux parties aux recours collectifs.

[2] À l’appui de leur requête, les demandeurs ont déposé les affidavits suivants :

  1. affidavit de Janice Ciavaglia, établi sous serment le 15 août 2022;

  2. affidavits de Wenxin Yu, établis sous serment le 15 août 2022;

  3. affidavit de Kenneth Dennis Brady Dixon, souscrit le 11 août 2022;

  4. affidavit de Kim Blanchette, souscrit le 15 août 2022.

[3] La requête a été signifiée à CLG, et cette dernière a déposé un affidavit d’Andrea Grass, souscrit le 16 août 2022. CLG a également déposé une lettre datée du 16 août 2022, acceptant l’ordonnance provisoire.

I. Contexte

[4] À titre de bref historique, les recours collectifs sous-jacents concernent des préjudices causés par la prestation discriminatoire de services à l’enfance et à la famille, et de services essentiels aux enfants des Premières Nations. Les membres du groupe sont des enfants et de jeunes adultes qui ont vécu en situation d’itinérance, souffert de toxicomanie, vécu avec des invalidités et eu des démêlés avec le système de justice pénale. Les membres du groupe qui appartiennent à une Première Nation sont décrits par l’APN comme étant [traduction] « certaines des personnes les plus vulnérables de la société canadienne ».

[5] Les parties ont conclu un accord de règlement final (ARF) le 30 juin 2022, qui, s’il est approuvé par la Cour, versera une indemnisation de 20 milliards de dollars aux membres du groupe. L’audience d’approbation de l’ARF devant la Cour est fixée au 19 septembre 2022.

[6] Avant l’audience d’approbation de l’ARF, la Cour a approuvé le plan d’avis élaboré par l’avocat du groupe afin de fournir aux membres du groupe des renseignements détaillés sur l’ARF. Cet avis devrait être publié d’ici le 19 août 2022.

[7] Entre-temps, et avant l’approbation de l’ARF par la Cour, CLG, qui n’est pas un avocat du groupe et qui n’a pas participé aux recours, a publié des renseignements sur le [traduction] « règlement » sur deux sites Web et a invité les membres du groupe à [traduction] « [p]articiper à ce recours collectif ». Leurs sites Web offrent des ententes d’honoraires conditionnels et demandent aux membres du groupe de fournir des renseignements personnels, y compris des renseignements sur les [traduction] « dommages ou symptômes subis ».

[8] Les demandeurs affirment que les communications sur le site Web de CLG contiennent des renseignements trompeurs au sujet des recours collectifs, de l’entente de règlement potentielle et du potentiel processus de demande. Les sites Web de CLG ne mentionnent pas l’avocat du groupe ou l’identité de ce dernier. De plus, les demandeurs allèguent que la sollicitation d’ententes d’honoraires conditionnels et la demande de renseignements sur les dommages ou symptômes subis par les membres du groupe sont abusives, traumatisantes et contraires aux diverses mesures de protection prévues dans l’ARF et le plan d’avis.

[9] Lors de l’audition de la présente requête, le conseiller juridique de CLG a confirmé que les renseignements relatifs aux recours collectifs ont été retirés de leurs sites Web. Une audience visant à déterminer la mesure dans laquelle un non-avocat du groupe peut communiquer et dialoguer avec les membres du groupe au sujet du processus de demande est fixée au 21 novembre 2022. Avant cette audience, CLG a informé la Cour qu’elle ne s’opposait pas à l’ordonnance provisoire demandée par les demandeurs.

II. Question en litige

[10] La seule question en litige est celle de savoir si la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire et rendre l’ordonnance provisoire.

III. Analyse

[11] La réparation demandée par les demandeurs relève de la compétence plénière de la Cour pour gérer ses propres procédures (Dugré c Canada (Procureur général), 2021 CAF 8 au para 20).

[12] De plus, comme l’alinéa 385(1)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, le prévoit :

385 (1) Sauf directives contraires de la Cour, le juge responsable de la gestion de l’instance ou le protonotaire visé à l’alinéa 383c) tranche toutes les questions qui sont soulevées avant l’instruction de l’instance à gestion spéciale et peut :

385 (1) Unless the Court directs otherwise, a case management judge or a prothonotary assigned under paragraph 383(c) shall deal with all matters that arise prior to the trial or hearing of a specially managed proceeding and may

a) donner toute directive ou rendre toute ordonnance nécessaires pour permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible;

(a) give any directions or make any orders that are necessary for the just, most expeditious and least expensive outcome of the proceeding;

[13] L’affidavit de Janice Ciavaglia, présidente-directrice générale de l’APN, explique comment les membres des Premières Nations ont été exploitées et traumatisées de nouveau dans le cadre d’autres règlements de recours collectifs, comme la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens (CRPI). Elle déclare ce qui suit aux paragraphes 15 et 17 de son affidavit :

[traduction]

15. L’APN et son avocat du groupe ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour s’assurer que le processus de demande prévu dans ce règlement proposé réduirait au minimum le risque de nouveau traumatisme pour les demandeurs, qu’il serait aussi accessible que possible et qu’il n’exigerait pas la représentation par un avocat pour présenter une demande avec succès. Il n’y a aucune évaluation individualisée qui exige une explication narrative des circonstances du demandeur ou du préjudice subi afin d’établir le droit à une indemnisation. Tout montant supplémentaire de l’indemnisation est fondé sur des facteurs objectifs. Le règlement est conçu conformément aux leçons tirées du processus d’indemnisation de la CRPI, qui ont été documentées dans un rapport du Centre national pour la vérité et la réconciliation […]

[…]

17. Ainsi, les parties à l’entente de règlement proposée ont négocié un élément crucial en nommant des « navigateurs » qui seront financés par le Canada. Les navigateurs offriront un soutien communautaire et adapté à la culture afin d’aider les membres à remplir les documents requis et à présenter une demande complète. Ce service sera gratuit pour les demandeurs et aucune partie du montant de leur indemnisation ne sera touchée. La participation d’avocats étrangers aux collectivités d’établissement et de Premières Nations, agissant comme « remplisseurs de formulaires », est inacceptable pour l’APN et soulève un risque sérieux de nouveau traumatisme et de revictimisation. Cela peut également dissuader certains membres du groupe à participer au processus de demande en raison des expériences antérieures des membres des Premières Nations et de l’héritage du processus de mise en œuvre de la CRPI.

[14] Les questions soulevées dans le cadre d’autres règlements de recours collectifs des Premières Nations sont examinées plus en détail dans les affaires Fontaine Estate v Canada, [2014] MJ no 159 et Fontaine v Canada (Attorney General), 2016 ONSC 5359.

[15] En ce qui concerne l’exactitude et la fiabilité des renseignements sur le site Web du CLG, l’affidavit de Kenneth Dennis Brady Dixon en dit long. M. Dixon est membre d’une Première Nation et affirme qu’il était au courant des recours collectifs et qu’il avait communiqué avec l’avocat du groupe pour discuter de l’affaire. Toutefois, lorsqu’il a vu l’annonce de CLG, il croyait que c’était ainsi que l’indemnisation était versée et qu’il devait signer l’entente de CLG pour demander une indemnisation. Lorsque son frère lui a dit que l’entente déclarait que CLG réclamerait 25 % de l’indemnisation, il a de nouveau communiqué avec l’avocat du groupe, seulement après avoir appris que CLG n’était pas associé au recours collectif.

[16] Le plan d’avis prévoit ce qui suit :

[traduction]

[…] Le plan est conçu pour informer les membres du groupe de l’autorisation du recours collectif et de l’audience d’approbation du règlement d’une façon qui tient compte des traumatismes et qui est adaptée à la culture, et pour leur donner la possibilité de voir, de lire ou d’entendre l’avis d’autorisation et l’audience d’approbation du règlement, de comprendre leurs droits et de répondre s’ils le désirent […]

Le plan d’avis vise à adopter une approche à multiples facettes proportionnée, adaptée à la culture, pertinente, et qui tient compte des traumatismes pour diffuser les avis […] [Notes de bas de page omises.]

[17] Conformément aux objectifs du plan d’avis, il est essentiel que les détails de l’ARF proposé soient communiqués avec sensibilité et précision aux membres du groupe. Cela permettra aux membres du groupe de prendre des décisions éclairées au sujet de leurs droits et du processus de demande. Il est important de noter que les membres du groupe seront informés du fait qu’ils n’auront pas besoin de retenir les services d’un avocat pour présenter une demande.

[18] Par conséquent, jusqu’à ce que le plan d’avis ait été communiqué aux membres du groupe, le fait de permettre à un conseiller juridique qui n’est pas un avocat du groupe de fournir des renseignements sur l’ARF proposé d’une manière qui ne relève pas de la compétence de la Cour présente un risque grave pour les recours collectifs.

[19] Compte tenu de ce qui précède et du critère juridique applicable établi dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 (tel que cité dans l’arrêt Google Inc c Equustek Solutions Inc, 2017 CSC 34 au para 25 [Equustek]), je suis convaincu que :

  1. il y a une question sérieuse à trancher compte tenu de l’historique d’activité d’éviction visée par des règlements de recours collectifs des Premières Nations;

  2. les membres du groupe subiront un préjudice irréparable si le plan d’avis n’est pas communiqué d’une manière qui est adaptée à la culture et qui tient compte des traumatismes;

  3. la prépondérance des inconvénients penche en faveur de l’octroi de la réparation.

[20] Par conséquent, à mon avis, il est juste et équitable, dans les circonstances, d’exercer la compétence de la Cour et d’accorder l’injonction demandée contre les non-parties (Equustek, au para 28).

IV. Conclusion

[21] La requête des demandeurs est accueillie.

 


ORDONNANCE PROVISOIRE dans les dossiers T-402-19, T-141-20 et T-1120-21

LA COUR ORDONNE que :

  1. il est interdit à tout professionnel du droit, autre qu’un avocat du groupe désigné par la Cour, la demanderesse l’Assemblée des Premières Nations ou l’administrateur désigné par la Cour, Deloitte S.E.N.C.R.L./s.r.l., de publier une communication aux membres du groupe concernant les recours collectifs sans l’approbation préalable de la Cour, obtenue sur requête présentée par avis aux parties aux recours collectifs;

  2. dès la signification de la présente ordonnance, les sites Web de Consumer Law Group et tout autre site Web contenant des communications à des membres du groupe concernant les recours collectifs soient retirés, en attendant que la Cour statue sur la requête en réparation des demandeurs dans la semaine du 21 novembre 2022, à moins que ces communications ne soient approuvées par la Cour, sur requête présentée par avis aux parties aux recours collectifs.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-402-19

 

INTITULÉ :

XAVIER MOUSHOOM, JEREMY MEAWASIGE (représenté par son tuteur à l’instance, Jonavon Joseph Meawasige), JONAVON JOSEPH MEAWASIGE c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

DOSSIER :

T-141-20

INTITULÉ :

ASSEMBLÉE DES PREMIÈRES NATIONS, ASHLEY DAWN LOUISE BACH, KAREN OSACHOFF, MELISSA WALTERSON, NOAH BUFFALO-JACKSON (représenté par sa tutrice à l’instance, Carolyn Buffalo), CAROLYN BUFFALO et DICK EUGENE JACKSON (aussi connu sous le nom RICHARD JACKSON) c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

DOSSIER :

T-1120-21

INTITULÉ :

ASSEMBLÉE DES PREMIÈRES NATIONS et ZACHEUS JOSEPH TROUT c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 août 2022

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DES MOTIFS :

Le 18 août 2022

 

COMPARUTIONS :

David Sterns

Mohsen Seddigh

Robert Kugler

 

POUR LES DEMANDEURS

Xavier Moushoom, Jeremy Meawasige (représenté par son tuteur à l’instance, Jonavon Joseph Meawasige), Jonavon Joseph Meawasige

 

D. Geoffrey Cowper, c.r.

Dianne G. Corbiere

Peter N. Mantas

 

POUR LES DEMANDEURS

Assemblée des Premières Nations, Ashley Dawn Louise Bach, Karen Osachoff, Melissa Walterson, Noah Buffalo-Jackson (représenté par sa tutrice à l’instance, Carolyn Buffalo), Carolyn Buffalo et Dick Eugene Jackson (aussi connu sous le nom Richard Jackson)

 

Jeff Orenstein

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

Jonathan Tarlton

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SOTOS LLP

Toronto (Ontario)

KUGLER KANDESTIN

Montréal (Québec)

MILLER TITERLE + CO.

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

Xavier Moushoom, Jeremy Meawasige (représenté par son tuteur à l’instance, Jonavon Joseph Meawasige), Jonavon Joseph Meawasige

NAHWEGAHBOW, CORBIERE

Rama (Ontario)

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Assemblée des Premières Nations, Ashley Dawn Louise Bach, Karen Osachoff, Melissa Walterson, Noah Buffalo-Jackson (représenté par sa tutrice à l’instance, Carolyn Buffalo), Carolyn Buffalo et Dick Eugene Jackson (aussi connu sous le nom Richard Jackson)

 

CONSUMER LAW GROUP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

pour le défendeur

 

 

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