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Date : 20220812


Dossier : IMM-1662-20

Référence : 2022 CF 1191

Ottawa (Ontario), le 12 août 2022

En présence de l’honorable madame la juge Rochester

ENTRE :

KATERINE BOSEDE ONYEMALI

PRINCE DANIEL ONYEMALI

LISA AWULI ONYEMALI

EMMANUEL NKEMNELO ONYEMALI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] La demanderesse, Katerine Bosede Onyemali, et ses trois enfants nés entre 2003 et 2007 [les demandeurs associés] sont citoyens du Nigéria. Ensemble, les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision par la Section d’appel des réfugiés [SAR] rendue le 11 février 2020. Dans cette décision, la SAR rejette leur appel et confirme la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] dans laquelle la SPR conclut que les demandeurs n’ont ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention, ni celle de personnes à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] en raison de l’existence d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] dans les villes de Port Harcourt, Ibadan, ou Abuja, au Nigéria.

[2] Les demandeurs affirment craindre d’être persécutés par des membres de la famille de Famous Ossai Onyemali, le mari de la demanderesse et père des demandeurs associés, qui insistent pour que la fille de Mme et M. Onyemali, Lisa Awilu née en 2003, subisse une mutilation génitale féminine [MGF]. Les demandeurs affirment craindre également d’être victimes de violence conjugale par M. Onyemali et le mariage forcé de Lisa Awuli.

[3] La SAR a conclu que la question déterminante pour les fins de l’appel était celle d’une PRI.

[4] Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs soutiennent que la décision de la SAR est déraisonnable et devrait être annulée. Ils font valoir que la SAR a commis les erreurs susceptibles de contrôle suivantes : (i) la SAR a eu tort en rejetant les nouvelles preuves présentées; (ii) la SAR a erré en concluant que les demandeurs bénéficiaient d’une PRI au Nigéria; et (iii) la SAR a commis une erreur en confirmant la conclusion de la SPR que la demanderesse ne répond pas à la définition de réfugié au sens de la Convention. Au cours de l'audience, les demandeurs ont concentré leurs arguments sur la deuxième erreur alléguée, notamment la conclusion que les demandeurs bénéficiaient d’une PRI.

[5] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Norme de contrôle

[6] Après avoir examiné le dossier, je conviens avec les parties que les questions soulevées par les demandeurs sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[7] Pour être raisonnable, une décision doit être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 85). Il incombe aux demandeurs, les parties qui contestent la décision, de démontrer le caractère déraisonnable de la décision de la SAR (Vavilov au para 100). Pour pouvoir intervenir, la cour de révision doit être convaincue par la partie contestant la décision que celle-ci « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence », et que ces lacunes ou insuffisances reprochées « ne [sont] pas [...] simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » (Vavilov au para 100). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur ». La cour de révision doit juste être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient » (Vavilov aux para 102, 104).

[8] Je constate aussi que la norme de contrôle n’est pas différente en ce qui a trait à l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve devant la SAR aux termes du paragraphe 110(4) de la LIPR (Khelili c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2022 CF 188 au para 14).

III. Analyse

A. Admissibilité des nouvelles preuves

[9] Les demandeurs soulèvent la question des nouvelles preuves qu'ils ont tenté de soumettre à la SAR. Les demandeurs affirment que la SPR et la SAR ont traité Mme Onyemali comme une personne vulnérable, sans toutefois le déclarer. Les demandeurs affirment que, considérant l’aspect vulnérable de la demanderesse et son état psychologique, elle n’aurait pas normalement pu présenter ces preuves devant la SPR. Selon les demandeurs, la SAR aurait dû considérer ces aspects du dossier et accepter les preuves en question. De plus, les demandeurs affirment que, si la SAR avait accepté ces nouvelles preuves, elle aurait conclu que M. Onyemali avait la capacité et la motivation de retrouver les demandeurs dans les villes proposées comme PRI.

[10] La défenderesse répond que la SAR n’a commis aucune erreur en refusant d’admettre en preuve le dépôt des nouvelles preuves. La défenderesse soumet que (i) de nouveaux documents ne peuvent pas être utilisés pour compléter une preuve déficiente devant la SPR, et (ii) la Pièce A-3 ne contient aucune nouvelle preuve.

[11] Le paragraphe 110(4) de la LIPR est pertinent tout comme les critères des décisions Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh] et Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 [Raza], citées par la SAR.

[12] Le paragraphe 110(4) prévoit que:

Éléments de preuve admissibles

Evidence that may be presented

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[13] La Cour d’appel fédérale a précisé les exigences liées aux nouveaux éléments de preuve dans ses décisions Singh et Raza. La Cour d’appel fédérale rappelle qu’« [i]l ne fait aucun doute que les conditions explicites mentionnées au paragraphe 110(4) doivent être respectées », et que ces conditions « […] ne laissent place à aucune discrétion de la part de la SAR » (Singh aux para 34-35). La Cour d’appel fédérale a aussi conclu que les critères implicites dégagés dans l’arrêt Raza, celles de la crédibilité, la pertinence et la nouveauté, trouvent également application dans le cadre du paragraphe 110(4) (Singh aux para 38, 49).

[14] Dans le présent cas, la SAR offre une décision étayée dans laquelle transparaît une analyse des critères du paragraphe 110(4) de la LIPR et de la jurisprudence. La SAR se penche sur l’entièreté des trois nouveaux documents et elle a détaillé à tout coup pourquoi chaque pièce est écartée. Compte tenu de l'analyse de la SAR et les documents qui lui ont été soumis, je conclus que les demandeurs n’ont pas réussi à relever d’erreur susceptible de contrôle dans la décision de la SAR de rejeter les nouvelles preuves.

B. La possibilité de refuge intérieur

[15] Les demandeurs affirment que la SAR a erré en concluant à l’existence de la PRI.

[16] Le test pour l’identification d’une PRI, tel qu’il a été énoncé par la Cour d’appel fédérale est résumé par la juge en chef adjointe Gagné dans Jean Baptiste c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1106:

[20] Afin de déterminer s’il existe une possibilité de refuge interne dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile, il faut d’abord se demander si « les circonstances dans la partie du pays où le demandeur aurait pu se réfugier sont suffisamment sécuritaires pour permettre à l’appelant de jouir des droits fondamentaux de la personne ». Ensuite, il faut se demander si « la situation dans cette partie du pays [est] telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur, compte tenu de toutes les circonstances, de s’y réfugier. »

[17] Effectivement, c’était aux demandeurs de convaincre la SPR et la SAR, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existait pas de PRI ou que cette PRI était déraisonnable dans les circonstances (Gallo Farias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1035 au para 34).

[18] Les demandeurs affirment que les questions posées par la SPR concernant les PRI lors de l’audience étaient plutôt vagues. Les demandeurs affirment que la SAR aurait dû être consciente du fait que la SPR n'avait pas approfondi le sujet du caractère raisonnable de la PRI et n’avait pas pris suffisamment en compte la situation de santé mentale de Mme Onyemali.

[19] Le défendeur fait valoir que la preuve était insuffisante pour conclure que M. Onyemali avait la motivation et la capacité de les retracer dans les PRI proposées et par conséquent, la SAR n’a pas commis une erreur. Le défendeur souligne que les demandeurs n’ont pas contesté devant la SAR (i) que la famille de M. Onyemali aurait ni la capacité ni la motivation de les retracer dans les villes identifiées comme PRI; et (ii) les conclusions de la SPR quant au deuxième volet de l’analyse à l’effet qu’il était raisonnable pour les demandeurs, compte tenu de leurs circonstances personnelles, de s’installer dans les PRI identifiées. Le défendeur soutient que, basé sur Abdulmaula c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 14 [Abdulmaula], le caractère raisonnable de la décision de la SAR ne peut être contesté en invoquant une question qui ne lui a pas été soumise.

[20] Je suis d’accord avec le défendeur. Les conclusions de la SPR qui n’ont pas été contestées en appel par les demandeurs ne peuvent pas constituer le fondement du contrôle judiciaire de la décision de la SAR (Akintola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 971 au para 21; Abdulmaula aux para 13-16). Les demandeurs n’ont pas contesté la conclusion de la SPR selon laquelle il était raisonnable de s’attendre à ce qu’ils puissent se réinstaller dans les endroits proposés comme PRI. Par conséquent, les demandeurs ne sont pas permis de la contester dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

[21] Les demandeurs font valoir que la SAR aurait dû examiner ce point, même s'il n'était pas contesté, car un nouveau document avait été inclus dans le cartable national de documentation [CND] en novembre 2019 et la décision a été rendue le 11 février 2020. Notamment, le document numéro 5.9 intitulé « NGA106362.EF Nigéria : information indiquant si les femmes qui dirigent leur propre ménage sans bénéficier du soutien d’un homme ou de leur famille peuvent trouver un logement et un emploi à Abuja, à Lagos, à Ibadan ou à Port Harcourt; information sur les services de soutien offerts par le gouvernement aux ménages dirigés par des femmes » [Document 5.9 2019]. Les demandeurs allèguent que le Document 5.9 2019 « contredit complètement » ce qui était précédemment dans le CND. Les demandeurs affirment que la SAR a, par conséquent, commis une erreur en se fondant sur le guide jurisprudentiel Décision TB7-19851 [Guide] alors qu'elle aurait dû se fonder sur le Document 5.9 2019.

[22] Je ne suis pas convaincue que la SAR a commis une erreur pour les raisons suivantes.

[23] Premièrement, la SAR n’a pas fondé son analyse sur le Guide. La seule référence dans la décision au Guide est la suivante : « Par ailleurs, bien que la SPR mentionne dans ses motifs avoir appliqué le guide jurisprudentiel quant aux demandeurs d’asile craignant la MGF au Nigéria, la SAR constate que la SPR s’est livrée à sa propre analyse quant à l’existence d’une PRI viable pour les appelants au Nigéria ».

[24] Deuxièmement, le Guide a été révoqué seulement en avril 2020, deux mois après la décision de la SAR.

[25] Troisièmement, les sujets abordés dans le Document 5.9 2019, notamment les difficultés subies par les femmes qui dirigent leur propre ménage, sur lequel les demandeurs s’appuient, se retrouvent également dans le Guide et le document auquel ce dernier fait référence intitulé « NGA103907.EF Nigéria : information indiquant si les femmes qui sont à la tête d’un ménage et qui ne bénéficient pas du soutien d’un homme ou de leur famille peuvent trouver un logement et un emploi dans les grandes villes du Nord, telles que Kano, Maiduguri et Kaduna, et dans les villes du Sud, telles que Lagos, Ibadan et Port Harcourt; information sur les services de soutien gouvernementaux offerts aux ménages dirigés par des femmes » [Document 5.9 2013]. Je ne suis pas d'accord que le Document 5.9 2019 contredit complètement le Guide et ce qui était précédemment dans le CND, comme le prétendent les demandeurs. Les difficultés subies par les femmes qui dirigent leur propre ménage étaient détaillées dans le Document 5.9. 2013 dans le CND. Si les demandeurs avaient souhaité soulever le caractère raisonnable de la PRI, ils auraient dû le faire devant la SAR à l'époque. La SAR n'était pas obligée de soulever cette question d’office.

C. “Raisons impérieuses” pour ne pas être retourné au Nigéria

[26] Dans leurs soumissions écrites, les demandeurs affirment que la SAR aurait dû faire une analyse en vertu du paragraphe 108(4) de la LIPR parce que la demanderesse a subi un traumatisme « épouvantable » ou « atroce », qu’elle subira à nouveau si elle retournait au Nigéria où habite son mari.

[27] Je ne suis pas convaincue que la SAR a commis une erreur comme allèguent les demandeurs. Premièrement, l’exception relative aux raisons impérieuses, prévue au paragraphe 108(4) de la LIPR, n’a pas été soulevée par les demandeurs devant la SAR. Le défaut, pour un demandeur, de soulever une question devant la SAR porte un coup fatal à sa capacité à invoquer cette question dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Abdulmaula aux para 13-16).

[28] Deuxièmement, les circonstances dans lesquelles une évaluation des raisons impérieuses doit être menée sont absentes en l’espèce. Notre Cour a confirmé que pour que le paragraphe 108(4) de la LIPR trouve application, « le demandeur doit déjà avoir eu la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger » (Castillo Mendoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 648 aux para 2728; Krishan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1203 aux para 7677). La décision de la SAR n’est pas fondée sur une demande du ministre de constater la perte du statut de réfugié en vertu du paragraphe 108(4) de la LIPR, ni sur des circonstances maintenant disparues et en vertu desquelles les demandeurs auraient pu obtenir le statut de réfugié. La SAR a expressément expliqué que, selon elle, la SPR n’a pas remis en question l’existence de la violence conjugale et familiale passée et « n’a pas conclu à l’absence de liens avec la Convention », mais a déterminé que la question déterminante était celle de la PRI.

D. Santé mentale de Mme Onyemali

[29] Au cours de l'audience, du temps a été consacré à un certain nombre d'événements qui ont eu lieu après que la SAR ait rendu sa décision. En particulier, la demande de la CISR de Vancouver que l'avocate de Mme Onyemali lui remette la décision en personne étant donné que Mme Onyemali avait déjà eu des idées suicidaires dans le passé, la réaction sévère de Mme Onyemali à la décision, et le rôle que l'avocate a dû jouer dans la gestion de cette crise.

[30] Bien que j'éprouve une grande sympathie pour Mme Onyemali et son avocate, ces événements n'ont pas d'incidence sur le caractère raisonnable de la décision de la SAR, qui doit être évaluée selon le critère énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Vavilov.

IV. Conclusion

[31] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-1662-20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée;

  2. L'intitulé de la cause est modifié pour que le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration soit désigné comme le défendeur approprié; et

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Vanessa Rochester »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1662-20

INTITULÉ :

KATERINE BOSEDE ONYEMALI ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 AOÛT 2022

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS :

LE 12 AOÛT 2022

COMPARUTIONS :

Constance Connie Byrne

Pour leS demandeurS

Zoé Richard

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Connie Legal Inc.

Montréal (Québec)

Pour leS demandeurS

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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