Date : 20220816
Dossier : IMM‑6659‑20
Référence : 2022 CF 1203
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 16 août 2022
En présence de monsieur le juge Roy
ENTRE :
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MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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demandeur
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et
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SHKELQIM PROTODUARI
MUSA PROTODUARI
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défendeurs
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre ou le demandeur) dépose la présente demande de contrôle judiciaire à la suite d’une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu qu’il n’y avait pas lieu d’annuler une de ses propres décisions. Par cette décision, datée du 31 août 1999, la SPR avait confirmé qu’il convenait d’accorder l’asile aux défendeurs, sans tenir une audience officielle. Selon ce que nous avons compris, il existait à l’époque un processus accéléré, et il semble que les défendeurs en ont bénéficié.
[2] La demande de contrôle judiciaire est déposée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi ou la LIPR].
I. Une question préliminaire
[3] La présente demande de contrôle judiciaire est la seconde par laquelle le ministre tente de faire annuler l’asile accordé aux défendeurs. La SPR a annulé l’asile le 10 juin 2014, après que le ministre en eut fait la demande en décembre 2011, soit plus de douze ans après que les défendeurs sont arrivés au Canada et que l’asile leur a été accordé.
[4] Notre Cour a fait droit à la demande de contrôle judiciaire de cette décision, sur consentement, le 29 janvier 2015, et elle a ordonné que l’affaire soit renvoyée à la SPR pour cause de violation de l’équité procédurale.
[5] La décision qui fait l’objet du présent contrôle, datée du 18 décembre 2020, est la nouvelle décision que notre Cour a rendue en 2015. L’affaire a été entendue par la SPR sur une période de cinq jours : le 17 décembre 2017, le 19 août 2019, le 27 janvier 2020, le 3 février 2020 et le 10 février 2020. Cette fois‑ci, toutefois, c’est le ministre qui sollicite le contrôle judiciaire de la décision finale de décembre 2020. Il semble que l’on ait soumis à la SPR diverses requêtes et oppositions, ce qui aide à justifier le temps qui s’est écoulé entre l’ordonnance renvoyant l’affaire à la SPR et la décision finale, rendue près de six ans plus tard.
II. Les faits
[6] Les défendeurs sont arrivés au Canada en avril 1999, à deux dates différentes. Ils sont père et fils. M. Musa Protoduari, né le 28 août 1945, est arrivé au Canada le 25 avril 1999. M. Shkelqim Protoduari est né le 5 août 1971 et il est arrivé au Canada le 5 avril 1999. Selon leurs formulaires de renseignements personnels (FRP) respectifs, ils ont voyagé depuis l’Albanie, leur pays d’origine, jusqu’en Espagne par camion, et par avion aux États‑Unis. Ils se sont ensuite rendus au Canada. Selon la décision de la SPR, le père est arrivé en juin 1999, mais cela semble inexact. Cela ne correspond pas à la date indiquée dans son FRP. En fait, les deux FRP portent un timbre indiquant deux jours différents en mai 1999, et la Cour s’est fiée aux documents figurant dans le dossier certifié du tribunal. Quoi qu’il en soit, la date de leur arrivée respective importe peu.
[7] Depuis lors, M. Shkelqim Protoduari a acquis la citoyenneté canadienne en mai 2004 et son père a conservé son statut de résident permanent au Canada.
[8] Les défendeurs ont fui l’Albanie en avril 1999 à la suite d’incidents survenus en 1997.
[9] Il ressort du dossier – et le demandeur y souscrit – que la famille Protoduari était bien en vue en Albanie, l’une des plus riches du pays. Cependant, la Seconde Guerre mondiale a vu un régime communiste devenir un satellite de l’Union soviétique. Les biens appartenant aux Protoduari ont été confisqués. Pendant les années qui ont suivi, Musa Protoduari a été arrêté à huit reprises.
[10] Cependant, après la chute du mur de Berlin, la situation a commencé à changer. Un parti politique nouvellement constitué, le Parti de l’Union démocratique d’Albanie (aussi appelé le Parti démocratique), a été élu pour gouverner l’Albanie en 1992. Il s’agissait d’un parti que la famille Protoduari soutenait activement. Elle est parvenue à récupérer ses biens, y compris des terres, et elle a bâti des entreprises lucratives dans sa ville natale d’Ura Vajgurore, dans le comté de Berat, une ville qui compte quelque 7 000 habitants. Il est admis que la famille, qui emploie 200 travailleurs environ, est redevenue notoire, prospère et très florissante. Elle a fait construire une villa sur la place principale d’Ura Vajgurore.
[11] Un autre fils de Musa Protoduari, Edmond, s’est présenté aux élections parlementaires de 1996, et son parti, le Parti démocrate d’Albanie, les a remportées. Cependant, ce parti était mêlé à des scandales financiers (opérations de type pyramidal) qui ont créé de graves troubles au début de 1997. Le demandeur parle de l’éclatement d’une guerre civile. Le gouvernement est tombé en mars 1997 et des élections, prévues pour le 29 juin 1997, ont été déclenchées. C’est le successeur du Parti communiste du travail, le Parti socialiste d’Albanie, qui a gagné les élections du 29 juin 1997.
[12] Pour les besoins de la présente analyse, il y a un certain nombre d’événements pertinents, dont l’existence est incontestée (observations finales du ministre devant la SPR, 6 mars 2020, au paragraphe 8) et qui sont survenus pendant la période d’agitation qui a précédé les élections :
le 22 avril 1997, des coups de feu ont été tirés sur Edmond Protoduari, qui était de nouveau candidat aux prochaines élections. Il n’a pas été blessé;
le 8 mai 1997, alors qu’il était debout sur le balcon de la villa familiale, Edmond a été touché par des coups de feu au‑dessus de la taille et il a été grièvement blessé. Il a été emmené à l’hôpital de l’endroit, mais il a ensuite été transféré à un hôpital de la capitale, Tirana, où il s’est finalement réfugié au domicile de l’oncle de sa fiancée;
il semble que Musa Protoduari avait pris des mesures pour protéger la villa et le secteur avoisinant. Dans la nuit du 25 mai 1997, la villa a été attaquée à l’arme lourde, comme des bazookas et des roquettes. L’un des quatre étages de la villa a, semble‑t‑il, été détruit. Shkelqim Protoduari a reconnu l’un des assaillants, qui était apparemment membre du [TRADUCTION]°
« Comité de sauvegarde de la nation »
; des coups de feu ont été échangés;peu après, les Protoduari ont décidé de quitter la villa pour une ville différente; ils n’étaient pas sur place quand les événements du 17 juin 1997 sont survenus;
le 17 juin 1997, deux rassemblements politiques ont eu lieu à Ura Vajgurore. À la suite de l’un d’eux, un convoi de 10 à 15 véhicules environ, dont les occupants étaient armés jusqu’aux dents, et accompagnés par des véhicules de police ont traversé le centre d’Ura Vajgurore. À la ville des Protoduari se trouvaient des personnes elles aussi armées, de même que d’autres personnes armées, ailleurs sur la place. Devant la villa se trouvait un char d’assaut. La preuve n’indique pas clairement comment l’échange de coups de feu a débuté, mais il a bel et bien eu lieu et a censément duré de 20 à 30 minutes. Une personne qui aidait à protéger la villa est parvenue à faire fonctionner le char d’assaut, qui a fait feu en direction du véhicule blindé de la police. Quatre agents de police ont perdu la vie; l’une des personnes qui défendaient la villa est décédée elle aussi. Il y a eu plusieurs blessés.
[13] Comme il a déjà été mentionné, les défendeurs sont partis se cacher après l’attaque menée contre leur villa à la fin de mai 1997. Le ministre reconnaît qu’ils n’étaient pas présents lors de l’incident du 17 juin 1997. Ce jour‑là, ont soutenu les défendeurs, ils ont vu à la télévision qu’il y avait eu ce qu’ils ont appelé dans leur FRP un [TRADUCTION]°« massacre »
à Ura Vajgurore, mais sans plus de détails (exposé circonstancié du FRP). Ils ont néanmoins été capables de rencontrer, le lendemain de l’incident, l’une des personnes qui avaient défendu la villa. Ils ont certainement dû parler des détails de la bataille, y compris de l’utilisation d’un char d’assaut. Ils sont allés se cacher dans les montagnes. Ils étaient terrifiés. On ne sait pas avec certitude combien de temps ils sont restés cachés. Il semble que cela ait duré près de deux ans, entre le milieu de l’année 1997 et leur départ pour le Canada en avril 1999. Comme la crise qui secouait le Kosovo créait une certaine confusion en Albanie en raison de l’arrivée de milliers de réfugiés, les défendeurs ont pu quitter le pays. Leur FRP parle d’un voyage en camion jusqu’en Espagne. Ils ont transité par l’Espagne et les États‑Unis avant d’arriver au Canada en avril 1999. Les deux défendeurs se sont vu accorder l’asile le 31 août 1999.
[14] Le 14 mars 1998, des mandats d’arrêt concernant les défendeurs ont été émis en Albanie. Un jugement les déclarant coupables a été rendu le 31 janvier 2000, longtemps après leur arrivée au Canada et la décision de leur octroyer l’asile le 31 août 1999. Le jugement de la Cour du district de Tirana, constituée d’une formation de trois juges, a été, selon la nouvelle « demande d’annulation du statut de réfugié »
datée de janvier 2018, rendu par le ministre pour les infractions suivantes :
[traduction]
Shkelqim Protoduari
« Le défendeur Shkelqim PROTODUARI est reconnu coupable de l’infraction criminelle consistant à créer un gang armé et à participer à ses activités et, en application de l’article 333 du Code criminel, il est condamné à une peine d’emprisonnement de 10 ans;
° Le défendeur Shkelqim PROTODUARI est reconnu coupable d’avoir commis, en tant que membre d’un gang armé, l’infraction criminelle de privation illégale de la liberté du citoyen Kastriot Bregu, une infraction décrite à l’article 110/2 du Code criminel, et, en application des articles 110/2 et 334/1 dudit Code, il est condamné à une peine d’emprisonnement de 6 (six) ans. […]
° Enfin, en application de l’article 55 du Code criminel à la totalité des peines qui lui sont infligées, le défendeur Shkelqim PROTODUARI est condamné à une peine d’emprisonnement de 13 ans. » (pièce M‑13);
Musa Protoduari
° « Le défendeur Musa PROTODUARI est reconnu coupable de l’infraction criminelle consistant à créer un gang armé et à participer à ses activités et, en application de l’article 333 du Code criminel, il est condamné à une peine d’emprisonnement de 15 ans.
° Le défendeur Musa PROTODUARI est reconnu coupable d’avoir commis, en tant que membre d’un gang armé, l’infraction de meurtre avec préméditation de l’agent de police Miltadh Koci, une infraction décrite à l’article 79/c du Code criminel, et, en application des articles 79/c et 334/3 dudit Code, il est condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité.
° Le défendeur Musa PROTODUARI est reconnu coupable d’avoir commis, en tant que membre d’un gang armé, l’infraction de meurtre avec préméditation de l’agent de police Arjan Shemuni, une infraction décrite à l’article 79/c du Code criminel, et, en application des articles 79/c et 334/3 dudit Code, il est condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité.
° Le défendeur Musa PROTODUARI est reconnu coupable d’avoir commis, en tant que membre d’un gang armé, l’infraction de meurtre avec préméditation de l’agent de police Asllan Selami, une infraction décrite à l’article 79/c du Code criminel, et, en application des articles 79/c et 334/3 dudit Code, il est condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité.
° Le défendeur Musa PROTODUARI est reconnu coupable d’avoir commis, en tant que membre d’un gang armé, l’infraction de meurtre avec préméditation de l’agent de police Ilia Bano, une infraction décrite à l’article 79/c du Code criminel, et, en application des articles 79/c et 334/3 dudit Code, il est condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité.
° Le défendeur Musa PROTODUARI est reconnu coupable d’avoir commis, en tant que membre d’un gang armé, l’infraction de meurtre avec préméditation de l’agent de police Thimi Tanku, une infraction décrite à l’article 79/c du Code criminel, et, en application des articles 79/c, 22 et 334/3 dudit Code, il est condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité.
° Le défendeur Musa PROTODUARI est reconnu coupable d’avoir commis, en tant que membre d’un gang armé, l’infraction de meurtre avec préméditation de l’agent de police Ylli Dhano, une infraction décrite aux articles 79/c et 22 du Code criminel, et, en application des articles 79/c, 22 et 334/3 dudit Code, il est condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité.
° Le défendeur Musa PROTODUARI est reconnu coupable d’avoir commis, en tant que membre d’un gang armé, l’infraction de meurtre avec préméditation de l’agent de police Ilir Bani, une infraction décrite à l’article 76 du Code criminel, et, en application des articles 76 et 334/3 dudit Code, il est condamné à une peine d’emprisonnement de 20 ans.
° Le défendeur Musa PROTODUARI est reconnu coupable d’avoir commis, en tant que membre d’un gang armé, l’infraction de privation illégale de la liberté du citoyen Kastriot Bregu, une infraction décrite à l’article 110/2 du Code criminel, et, en application des articles 110/2 et 334/1 dudit Code, il est condamné à une peine d’emprisonnement de 10 ans.
° Enfin, en application de l’article no 55 du Code criminel à la totalité des peines qui lui sont infligées, le défendeur Musa PROTODUARI est condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité. » (pièce M‑13);
[15] Le procès a eu lieu par contumace, en l’absence des défendeurs; un avocat nommé par l’État a représenté leurs intérêts, mais on ignore quel rôle il a joué. Le jugement du 31 janvier 2000 fait référence à un certain nombre d’accusés autres que les défendeurs, dont Edmond Protoduari et l’épouse de Musa, Fatbardha Protoduari. Les 10 premières pages du document long de 31 pages énumèrent les infractions reprochées. Les 7 dernières pages constituent la décision que la cour a rendue au sujet de la culpabilité, mais aussi de quelques acquittements, des divers accusés. C’est seulement entre les pages 11 et 24 que la cour relate les événements qui ont mené à la mort de quatre agents de police et d’un civil. Sont évoquées la disponibilité d’armes lourdes sur tout le territoire albanais ainsi que la situation extrêmement tendue dans le pays, notamment, bien sûr, à Ura Vajgurore. Cependant, ce jugement est plus une déclaration qu’une démonstration de culpabilité. Le lecteur ne sait jamais quels sont les éléments essentiels des crimes reprochés, ni quels sont les éléments de preuve précis qui étayent la conclusion de culpabilité. Rien ne prouve que les défendeurs étaient présents à l’endroit où sont survenus les événements du 17 juin 1997.
[16] Les défendeurs soutiennent catégoriquement qu’un entretien d’une durée d’au moins 45 minutes a eu lieu avec un agent d’audience au moment où la SPR a été saisie de leur demande d’asile. Ils ont répondu, disent‑ils, à chacune des questions posées. Cela a manifestement convaincu le décideur, car la qualité de réfugié leur a été accordée sans audience formelle. Leurs FRP (quasi identiques dans les deux cas) contenaient la réponse « oui »
à la question no 20, libellée comme suit : « Avez‑vous déjà été recherché […] par la police, l’armée ou toute autre autorité d’un pays […]? »
. La question no 21 demandait : [TRADUCTION]°« Avez‑vous déjà commis un crime ou une infraction, ou été reconnu coupable d’un tel acte, dans un pays quelconque? »
. Les deux défendeurs ont répondu que « non »
. À la question no 21, les FRP précisent que [TRADUCTION]°« [s]i vous avez répondu oui aux questions 20 ou 21, veuillez expliquer votre réponse »
. Ni l’un ni l’autre des défendeurs n’a donné une explication quelconque. Nous ne disposons pas dans le dossier des questions et des réponses que se sont échangés l’agent d’audience et les défendeurs. Ce que nous avons toutefois ce sont leurs FRP, qui contiennent les réponses aux questions nos 20 et 21, de même qu’un exposé circonstancié, long de trois pages, qui explique les événements qui sont survenus entre les mois de mars et de juin 1997, mais sans les détails sur le [TRADUCTION]°« massacre »
du 17 juin ni la raison pour laquelle les défendeurs étaient recherchés par la police. En fin de compte, après un entretien d’une durée de 45 minutes à une heure, les défendeurs se sont vu accorder l’asile sans audience.
III. La décision faisant l’objet du présent contrôle
[17] Le ministre a cherché à faire annuler la décision du 31 août 1999, conformément à l’article 109 de la Loi, libellé comme suit :
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La première décision par laquelle la SPR a accueilli la demande du ministre d’annuler les demandes d’asile a été infirmée par notre Cour (le 29 janvier 2015) – et les parties ont souscrit à son ordonnance judiciaire – en raison de violations de l’équité procédurale.
[18] Même si les déclarations de culpabilité en Albanie ont été prononcées à la fin de janvier 2000, ce n’est que le 14 décembre 2011 que le ministre a déposé une première demande d’annulation de la décision d’accueillir les demandes d’asile. À la suite du jugement par lequel notre Cour a infirmé la première décision de la SPR en janvier 2015, une nouvelle demande a été déposée, mais seulement en janvier 2018.
[19] Il peut être utile de passer brièvement en revue la nouvelle demande d’annulation de la décision d’août 1999 par laquelle les demandes d’asile ont été accueillies pour mieux saisir les allégations et le contexte dans lequel a été rendue la décision qui fait l’objet du présent contrôle.
A. La demande d’annulation
[20] En toute déférence, on ne peut pas dire que la demande d’annulation soit un modèle de clarté. Le ministre soutient que la décision d’août 1999 résulte, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait. C’est ce qu’on peut lire au paragraphe 109(1) de la Loi. La demande d’annulation indique ensuite qu’elle comporte une requête en exclusion fondée sur l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés.
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Cela n’est pas révélateur non plus. L’article 98 de la Loi prévoit que « a) la personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger »
. C’est donc dire que si une personne a commis (aucune déclaration de culpabilité requise) un crime grave avant d’être admise au Canada, il lui est impossible de demander l’asile en vertu de l’article 98 parce qu’elle n’a pas la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger. En fait, le ministre demande à la SPR d’annuler son ordonnance d’août 1999 et de déclarer que les défendeurs n’ont pas accès au processus applicable aux réfugiés parce qu’ils ont commis un crime grave.
[21] Il y a ensuite une énumération des faits, qui s’étend sur 19 paragraphes, et les déclarations de culpabilité prononcées en Albanie à l’encontre des défendeurs. Les paragraphes portent sur le processus d’asile qui a été suivi depuis l’arrivée des défendeurs au Canada, en avril 1999.
[22] Dans ces 19 paragraphes, le ministre révèle ce qui suit :
Le 12 juin 2002, la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) a fait savoir aux autorités de l’immigration qu’un mandat d’arrêt a été lancé par la Cour d’appel de Tirana contre Musa Protoduari pour [TRADUCTION]°
« homicide volontaire et création d’une bande armée »,
une infraction pour laquelle il a été condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité;le 3 janvier 2007, une recherche sur Internet a mis au jour un [TRADUCTION]°
« mandat d’Interpol »
contre Musa Protoduari pour meurtre et crime organisé;en novembre 2007, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a reçu le jugement du 31 janvier 2000, lequel est considéré par la représentante du ministre comme une description détaillée des événements sur lesquels repose la demande d’asile;
l’auteur soutient que des tentatives ont été faites pour vérifier ce qui s’est passé depuis le jugement du 31 janvier 2000; il semble que celui‑ci n’a pas été annulé. Dans la demande d’annulation, les défendeurs sont priés de fournir des renseignements, car, est‑il dit, il est raisonnable de croire qu’ils ont accès aux informations les plus récentes concernant le procès tenu en Albanie.
[23] J’ai cherché en vain dans la demande d’annulation quelles peuvent être exactement les présentations erronées dont le ministre allègue l’existence. Les seules observations qui semblent être liées à l’alinéa Fb) de l’article premier parlent d’infractions qui, si elles avaient été commises au Canada, seraient punissables d’une peine d’emprisonnement d’au moins 10 ans. Le fait de n’avoir pas divulgué les événements qui ont mené aux déclarations de culpabilité a empêché la SPR d’évaluer comme il faut la demande d’asile : le ministre présume que les infractions ont été commises. Rien n’indique quelles sont les présentations erronées. Dans le meilleur des cas, le ministre laisse entendre qu’il est raisonnable de croire que les défendeurs ont omis d’importants renseignements dans leur exposé circonstancié, des renseignements qui, si la SPR en avait été informée, n’auraient pas donné lieu à un processus accéléré. L’issue aurait été nettement différente, dit la représentante du ministre. Face à une preuve que les défendeurs n’étaient pas présents le 17 juin 1997, il est indiqué dans la demande d’annulation que la preuve que ces derniers ont fournie corrobore également quelques éléments qui figurent dans la décision albanaise. La demande ne révèle pas de quoi il peut s’agir. La demande va jusqu’à laisser entendre que l’acquittement d’Edmond Protoduari semble confirmer que le procès a été équitable. En fait, d’autres décisions judiciaires ont depuis ce temps été favorables aux défendeurs. Ce que cela établit demeure incertain. En fin de compte, il reste au lecteur une allégation selon laquelle les défendeurs n’ont pas révélé qu’ils avaient participé aux événements du 17 juin 1997, même s’ils étaient absents des lieux au cours des trois semaines précédentes.
B. Les observations finales
[24] Les observations finales que le ministre a soumises à la SPR ne sont pas beaucoup plus révélatrices. Après avoir reconnu que les défendeurs [les intimés, dans la décision de la SPR] ont été jugés par contumace, la représentante du ministre avance cette thèse surprenante, au paragraphe 12 de ses observations finales écrites : [TRADUCTION]°« [é]tant donné que de nombreux coaccusés étaient présents en Cour, cela confère une valeur plus probante à cette version des événements survenus en 1997 que celle qui figure dans le FRP et qui, de l’avis du ministre, est plus intéressée »
. La thèse n’est pas expliquée davantage. La Cour est encore loin d’être sûre de ce que cela peut vouloir dire, car le ministre avait annoncé, au paragraphe 8 des observations, que [TRADUCTION]°« [l’]élément qui est contesté, c’est la question de savoir s’ils étaient au courant des procédures judiciaires lorsque la décision initiale […] a été rendue »
. Aucune preuve ne semble avoir été produite à l’appui de la déclaration. Le paragraphe 12 figure sous la rubrique [TRADUCTION]°« Valeur probante de la pièce M‑13 »
, qui n’est rien d’autre que la décision de la Cour du 31 janvier 2000. Sous cette même rubrique figure le paragraphe 16, où l’on peut lire que [TRADUCTION]°« le ministre est d’avis que les défendeurs n’ont pas établi que leur procès n’était pas équitable ou ne respectait pas la justice naturelle. Si ce procès était motivé par des considérations politiques, il est difficile d’expliquer pourquoi la personne la plus active sur le plan politique n’a pas été reconnue coupable »
. Cette remarque semble être une référence déroutante à Edmond Protoduari, touché par des coups de feu le 8 mai 1997, quelque 38 jours avant les tragiques événements du 17 juin. Le lien que cela peut avoir avec la connaissance de la tenue d’un procès au moment où la décision initiale a été rendue n’est pas expliqué.
[25] Le manque de précision est révélateur, selon moi. La représentante du ministre annonce que la principale question en litige est que les défendeurs étaient au courant de l’existence de procédures judiciaires avant que soit rendue la décision du 31 août 1999, et pourtant le jugement sur lequel se fonde le ministre a été prononcé quatre mois plus tard. Par conséquent, quelle est la chose qui, d’après le ministre, aurait dû être révélée avant le 31 août 1999, mais ne l’a pas été? Les observations écrites finales ne le disent pas.
[26] On s’attendrait à trouver, sous la rubrique [TRADUCTION]°« Présentations erronées sur un fait / réticence sur ce fait »
un énoncé clair et précis des présentations erronées ou de la réticence qui ont censément eu lieu. La représentante du ministre cherche plutôt à laisser entendre qu’il est douteux que les défendeurs n’étaient pas au courant des procédures engagées contre eux, car la mère de Musa Protoduari, âgée de 77 ans à l’époque, semblait être restée dans les environs d’Ura Vajgurore après que les défendeurs étaient allés se cacher. On ignore quand cette communication aurait eu lieu. En fait, on ne sait rien de la mère et de la capacité de communiquer avec son fils en raison de la qualité des communications en Albanie.
[27] La représentante du ministre semble s’être dite que M. Musa Protoduari aurait appris l’existence de son procès par sa mère, vraisemblablement avant le 31 août 1999. Cependant, même s’il y a eu quelques communications concernant l’existence de procédures, rien n’indique ce qui aurait été précisément communiqué avant le 31 août 1999. Les observations ne disent donc rien sur ce que l’on savait exactement, ni à quel moment, ce qui aurait permis de déterminer ce qui avait été présenté erronément ou retenu. En fait, la représentante du ministre conteste la crédibilité des défendeurs, qui disent avoir appris l’existence du procès plus tard, mais sans dire ce qui constitue la chose qui a été présentée erronément ou retenue avant le 31 août 1999. Cela pourrait finir par être une fausse piste si la divulgation que les défendeurs ont faite dans leur FRP au sujet des événements du 17 juin 1997 était complétée par l’entrevue avec un agent d’audience. Rien dans ce qui est indiqué dans les observations écrites sur ce que l’on savait en août 1999 ne permet de faire valoir qu’il y a eu des présentations erronées, et ce, malgré le fait que, dans leurs FRP respectifs, les défendeurs avaient signalé qu’ils étaient recherchés par la police, qu’il était question dans l’exposé circonstancié des événements du 17 juin 1997 (qui ne traitait pas de la mort des agents de police, mais qui faisait directement référence à un massacre qui avait eu lieu) et qu’un agent d’audience avait reçu des réponses des défendeurs pendant une période de 45 à 60 minutes.
[28] Tentant probablement de renforcer ce qui peut sembler être davantage une conjecture que des faits concrets, à savoir que les défendeurs étaient au courant de l’existence de procédures judiciaires, la représentante du ministre soutient que la mère de Musa Protoduari a rencontré l’avocat représentant les défendeurs que le tribunal avait nommé. Il a été confirmé à l’audition de la présente affaire que la date de cette rencontre, si elle a eu lieu, est inconnue. On ignore aussi de quoi ces personnes ont pu avoir parlé.
[29] En fait, les observations relatives aux présentations erronées sur un fait important et à la réticence sur ce fait ressemblent davantage à des suppositions selon lesquelles les défendeurs étaient forcément au courant de quelque chose, une chose qui n’est jamais énoncée, et, ensuite, à une tentative pour imposer aux défendeurs le fardeau de convaincre qu’ils ignoraient la chose quelconque qu’ils auraient dû divulguer. Nulle part ne peut‑on lire que la représentante du ministre a traité du FRP et, plus important encore, de l’audience tenue devant l’agent d’audience qui a mené à l’octroi de l’asile.
[30] C’est avec ces observations concernant le bien‑fondé de l’annulation de l’octroi de l’asile que la SPR a eu à se débattre.
[31] La représentante du ministre a ensuite fait part de ses observations sur ce qui a été appelé [TRADUCTION]°« l’exclusion 1Fb) »
. Là encore, il n’est pas facile de suivre le fil d’or qui relie les observations et, en particulier, de déterminer la corrélation entre l’annulation de l’asile en vertu de l’article 109 de la Loi et l’article 98 qui donne effet à la section F de l’article premier de la Convention.
[32] Il semble ressortir des observations que le jugement du 31 janvier 2000 est une preuve digne de foi que les défendeurs « ont été reconnus coupables d’infractions justifiant l’application de l’alinéa Fb) »
(observations soumises à la SPR, au paragraphe 39). Les observations citent trois brefs paragraphes du jugement, qui portent sur la défense de la villa, ainsi que des phrases extraites d’affidavits au sujet de la bataille armée qui a eu lieu le 17 juin 1997. Aucun des extraits que la représentante du ministre a choisis ne situe les défendeurs sur les lieux. En fait, ces extraits semblent confirmer que ces derniers ne s’y trouvaient pas.
[33] Les brèves observations consacrent tout de même deux paragraphes à la question de savoir si la poursuite était motivée par des considérations politiques ou non. Cela peut paraître plus important que lorsqu’on examine l’article 109, encore qu’il soit question à l’alinéa Fb) d’un crime grave de droit commun, par opposition à un procès qui revêtirait un caractère politique. Quoi qu’il en soit, il est allégué que la poursuite n’avait pas de motivation politique car Edmond Protoduari, présenté comme la [TRADUCTION]°« source première de tous ces problèmes politiques »
(paragraphe 37), a été acquitté des accusations. La représentante du ministre n’a pas développé sa position. Fondées exclusivement sur le jugement du 31 janvier 2000, les observations décrivent les [TRADUCTION]°« mesures prises par la famille Protoduari pour défendre sa villa »
(paragraphe 40). C’est là tout l’argument qui a été invoqué devant la SPR. Rien ne dénote, ni dans le jugement ni dans les observations du ministre, que les défendeurs ont pris part de quelque manière aux événements du 17 juin 1997, hormis le fait que des mesures ont été prises pour protéger la villa après que le fils Edmond a été atteint par balle sur le balcon le 8 mai 1997 et que la villa a été attaquée à coups de tirs de bazooka et de roquettes au milieu de la nuit du 25 mai 1997. Le ministre affirme, sans plus, que [TRADUCTION]°« [c]es extraits de la décision, considérés de pair avec plusieurs affidavits, confèrent une grande crédibilité aux descriptions des événements de juin 1997 qui figurent à la pièce M‑13 »
(paragraphe 44). Non seulement cet énoncé est‑il parfaitement tautologique, mais il ne semble pas traiter de la principale question en litige : si les défendeurs ont pris part, d’une manière ou d’une autre (peut‑être en tant que parties aux infractions), aux événements du 17 juin 1997 ou non.
[34] Tel est l’argument invoqué devant la SPR pour faire annuler la décision d’accueillir la demande d’asile en août 1999 et pour décider que les défendeurs tombent sous le coup de l’article 98 de la Loi, de sorte qu’ils ne peuvent pas avoir la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger.
C. La décision de la Section de la protection des réfugiés
[35] La SPR s’est dite non convaincue que le ministre s’était acquitté de son fardeau d’établir qu’il y avait lieu d’annuler, 20 ans plus tard environ, la décision d’accueillir une demande d’asile.
[36] Après un bref historique de l’affaire, la SPR signale que la première conférence préparatoire, après que notre Cour a renvoyé l’affaire à la SPR, a eu lieu en décembre 2017, et qu’une nouvelle demande d’annulation à laquelle était joint un avis d’intervention pour exclusion suivant l’alinéa 1Fb) de la Convention a été déposée le 26 janvier 2018. Diverses requêtes ont été présentées pour le compte des défendeurs, dont une demandant la remise sine die de l’audience afin de pouvoir contester devant notre Cour des requêtes infructueuses, ainsi qu’une requête semblable visant à retenir les services d’un nouveau conseil. Il y a même eu une requête infructueuse qui visait à obtenir la récusation du commissaire. Le critère applicable en matière de récusation (Committee for Justice and Liberty et al c L’Office national de l’énergie et al., [1978] 1 RCS 369) n’ayant pas été satisfait, l’affaire a finalement été instruite.
[37] Examinant les observations présentées, la SPR signale que les défendeurs (Musa Protoduari était représenté par son fils, Gentjan Protoduari, qui était son représentant désigné) ont déclaré qu’il y avait eu une audience, qui n’était pas l’audience formelle, après le dépôt de leur demande d’asile. Il est dit qu’« [i]ls ont répété dans leurs observations écrites qu’ils avaient pris part à une [
TRADUCTION
]°“ audience d’une durée de 40 à 60 minutes ˮ pendant laquelle ils avaient [
TRADUCTION
]°« expliqué en détail et répondu à toutes les questions »
(décision de la SPR, para 38). Les défendeurs ont nié qu’il y avait dans leur villa des gardiens armés ou qu’ils disposaient d’un char d’assaut pour les protéger. En fait, ils avaient quitté les lieux trois semaines environ avant les événements tragiques. Ils ont soutenu que, en Albanie, l’appareil judiciaire est corrompu. Le jugement du 31 janvier 2000 continue d’être contesté, notamment devant la Cour de Strasbourg (la Cour européenne des droits de l’homme) qui, a‑t‑il été dit, a accepté d’entendre l’affaire, mais qu’elle ne l’avait pas encore été en date d’avril 2020 à tout le moins, date à laquelle les observations finales des défendeurs ont été présentées.
[38] Pour dire les choses simplement, les défendeurs ont fait valoir qu’ils avaient répondu à des questions avant que leur demande d’asile soit accueillie sans audience, qu’ils n’avaient rien à voir avec les événements tragiques du 17 juin 1997 et que le verdict prononcé contre eux, après un procès par contumace, était motivé par des considérations politiques devant une « structure judiciaire corrompue »
. Les observations qui ont été soumises à la SPR, et signées par les défendeurs, s’étendent sur 36 pages à interligne simple. Compte tenu de la décision de la SPR, il n’est pas nécessaire de les examiner très en détail.
[39] Quant aux observations du ministre, la SPR les résume comme suit : « [c’]est sur la foi des faits énoncés dans le jugement en question que le ministre a présenté sa première demande d’annulation, en décembre 2011, et la demande de novo actuelle. Le ministre a également demandé au tribunal actuel de refuser l’asile aux intimés Musa et Shkelqim en application de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention »
(décision de la SPR, para 32). Le ministre a soutenu que, malgré le fait qu’ils n’avaient pas été reconnus coupables au mois d’août 1999, quand l’asile leur a été accordé, les défendeurs ont néanmoins commis les infractions pour lesquelles ils ont été reconnus coupables cinq mois plus tard, et ils ont omis d’importants renseignements dans l’exposé circonstancié de leur FRP. Comme il a déjà été mentionné, les observations manquaient de détails sur les faits précis qui, est‑il allégué, ont été omis ou présentés erronément.
[40] La SPR avait en main l’équivalent d’un arbre décisionnel. La première question à examiner est celle de savoir si la décision d’août 1999 résulte, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait (para 109(1) de la Loi). Si la réponse est « non »
, cela clôt l’affaire, car la demande doit être rejetée. Si la réponse est « oui »
, la SPR examine alors l’exclusion prévue à l’article 98 de la Loi : « [l]a personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger »
. La troisième décision, si l’on atteint ce stade, consiste à savoir si la SPR estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve pour justifier l’asile (para 109(2) de la Loi).
[41] La SPR a conclu que le ministre n’avait pas prouvé l’existence de présentations erronées sur un fait important ou de réticence sur ce fait. C’était là le fardeau qui incombait au ministre. Le tribunal a également examiné si les défendeurs avaient commis un crime grave de droit commun avant d’être admis au Canada.
[42] La SPR n’a pas fait abstraction des incidents menant aux événements du 17 juin 1997. Elle a passé en revue de façon juste le jugement du 31 janvier 2000 (para 63 à 71 de la décision de la SPR).
[43] La conclusion selon laquelle il n’y a pas lieu d’annuler l’octroi de l’asile dépend de la question de savoir si la SPR était convaincue ou non que les défendeurs avaient non seulement fait un récit fidèle des événements du 17 juin 1997, ainsi que des diverses attaques survenues au printemps de 1997, mais aussi que les FRP étaient étoffés par l’entretien mené par un agent d’audience au cours duquel les défendeurs avaient déclaré qu’ils avaient « tout dit »
. Y a‑t‑il eu des présentations erronées sur un fait important, ou de la réticence sur ce fait, quand les défendeurs ont demandé l’asile avant qu’une décision de le leur accorder soit rendue en août 1999?
[44] La SPR a jugé convaincant le témoignage de Gentjan Protoduari, le représentant admis de son père, au paragraphe 80 de la décision :
[80] Les intimés ont également déclaré qu’ils avaient pris part à une audience en 1999. Gentjan, le représentant désigné de Musa, a aussi demandé l’asile en 1999. Il avait environ 15 ans au moment des événements survenus en Albanie, et 17 ans à l’époque de la demande d’asile. Il a témoigné de manière convaincante et il a affirmé au tribunal qu’ils avaient pris part à une audience comme celle d’aujourd’hui à l’époque de la première décision et que tout avait été expliqué à la CISR. Shkelqim a déclaré la même chose.
Il n’existe aucune preuve que l’on a établi et conservé un compte rendu de l’audience tenue devant un agent d’audience. Comme l’écrit le tribunal au paragraphe 82 : « [i]l n’existe aucun enregistrement ni transcription écrite permettant de corroborer leur témoignage, et nous ignorons en quoi consiste l’information additionnelle que les intimés auraient alors fournie »
.
[45] Cela semble avoir incité le tribunal à examiner les Règles de la section du statut de réfugié, DORS/93‑45, aux articles 9, 18 et 19, au moment de la décision. Le tribunal conclut qu’une conférence avec un agent d’audience a fort probablement eu lieu. Voici comment la SPR décrit le processus :
[83] Un examen attentif des Règles de la CISR en vigueur au moment où la décision initiale a été rendue (les Règles de la CISR) et le témoignage crédible des intimés confirment que ces derniers ont vraisemblablement été convoqués à une conférence avec un agent d’audience. Suivant lesdites règles, pendant l’examen d’un dossier :
L’agent d’audience peut enjoindre aux parties « de participer à une conférence préliminaire avec l’agent d’audience portant sur toute question relative à la revendication ».
L’agent d’audience doit informer le ministre s’il est d’avis qu’une revendication pourrait mettre en cause les sections E ou F de l’article premier de la Convention (exclusion).
Pendant la conférence, l’agent d’audience évalue le FRP et les documents de la personne en cause et « discute avec l’intéressé, au besoin, de toute autre question susceptible d’accélérer le règlement de sa revendication », entre autres choses.
À la fin de la conférence, l’agent d’audience rédige un rapport et recommande la tenue d’une audience ou, s’il est d’avis que le statut de réfugié au sens de la Convention pourrait être reconnu à l’intéressé sans la tenue d’une audience, transmet le dossier à un membre afin qu’il rende une décision définitive.
[46] Ce n’est pas tout. Le commissaire qui reçoit un dossier à trancher sans audience ne peut l’accepter sans poser de questions. Selon la SPR, le commissaire « devait [de nouveau] vérifier, avant de rendre sa décision définitive, qu’il n’y avait pas lieu d’informer le ministre ou que le ministre n’avait pas été invité à intervenir »
(para 84).
[47] En conséquence, la SPR signale que les défendeurs, dans leurs FRP, ont indiqué sans équivoque qu’ils étaient recherchés en 1999 et qu’ils ont fourni les faits essentiels dans leur exposé circonstancié. Le tribunal est également convaincu qu’une audience a eu lieu. Voici ce qu’on peut lire dans la décision :
[85] À la lumière des observations susmentionnées, après un examen attentif par le tribunal des Règles de la CISR en vigueur au moment où la première décision a été rendue et après avoir pris connaissance des témoignages et des observations écrites des intimés, qui maintiennent avoir pris part à une [TRADUCTION]°« audience » d’une durée de 45 à 60 minutes, le tribunal conclut que les intimés ont à tout le moins pris part à une conférence avec un agent d’audience, qu’ils ont alors fourni de l’information supplémentaire, que l’agent d’audience a recommandé que leur demande d’asile soit accueillie sans audience et que, après vérification, le membre concerné a donné son aval.
[48] Pour conclure le syllogisme, le tribunal reconnaît que, au vu de ce qui avait déjà été révélé dans les FRP et du fait qu’un entretien assez long avait eu lieu avec un agent d’audience, ce qui devait être révélé l’avait été :
[88] L’agent d’audience et le membre concerné étaient tous deux des professionnels au fait des lois en matière d’asile. Or, les deux ont conclu, après examen des dossiers et des déclarations des intimés, qu’il n’y avait pas lieu d’informer le ministre d’une possible exclusion au titre de l’article 98 de la LIPR. Rien dans la preuve ne permet d’établir que les intimés ont induit le tribunal en erreur au moment où la première décision a été rendue, car la CISR avait en main tous les faits dont elle avait besoin pour trancher la demande d’asile et elle n’a pas jugé bon d’informer le ministre d’une possible exclusion au titre de l’alinéa Fb) de l’article premier.
[89] Les conclusions susmentionnées nous mènent à conclure que la première décision n’a pas résulté de présentations erronées, car les intimés ont communiqué tous les faits pertinents concernant leurs demandes d’asile. En soi, ce facteur suffirait à rejeter la demande d’annulation, mais le tribunal va maintenant aborder la question de l’exclusion à titre subsidiaire.
En fait, les FRP obligeaient de poser d’autres questions sur les événements du 17 juin 1997 et sur la divulgation selon laquelle les défendeurs étaient recherchés par la police. Ces questions, une fois que les défendeurs y ont répondu, ont mené à l’octroi de la demande d’asile, sans audience.
[49] Comme il est indiqué à la fin du paragraphe 89 de la décision de la SPR, le tribunal a décidé de traiter de la question de l’exclusion. La SPR se dit convaincue que « le dossier des intimés a été évalué par l’agent d’audience et par un membre de la CISR, et aucun des deux n’a jugé bon d’informer le ministre d’une possible exclusion en application de l’alinéa Fb) de l’article premier, et ce, même si les intimés ont révélé qu’ils étaient recherchés par les autorités de leurs pays et qu’ils ont fourni tous les détails pertinents »
(para 100). La SPR conclut en disant qu’elle serait arrivée à la même conclusion qu’en 1999 parce qu’elle aurait pris en compte, notamment, les conditions régnant dans le pays à l’époque.
[50] La SPR a aussi fait les commentaires suivants dans une section de la décision intitulée « Politique et corruption »
:
l’Albanie était en crise avant les élections de juin 1997. Le gouvernement était tombé au mois de mars de cette année;
les intimés avaient été victimes d’une attaque en avril et en mai, Edmond Protoduari avait été grièvement blessé par des coups de feu, et la villa familiale avait été attaquée à l’arme lourde, comme des bazookas et des roquettes, et elle avait été partiellement détruite;
le ministre a souligné que les Protoduari avaient embauché des gardiens pour protéger leur villa. La SPR indique que la famille était en droit d’embaucher des gardiens dans un pays qui se trouvait au bord d’une guerre civile, où il ne régnait que le chaos;
selon des reportages journalistiques datant de la même époque que le procès, celui‑ci était motivé par des considérations politiques. Dans sa décision, la SPR mentionne des articles de presse, dont un qui indique que
« le procès a été ordonné par les politiques au pouvoir en Albanie, il était contrôlé par eux, les accusés n’ont pas été interrogés par les enquêteurs et de nombreuses personnes ont été convoquées comme témoins, mais elles ont refusé d’être manipulées »
(para 105);le tribunal albanais s’est fondé sur les déclarations de témoins qui se trouvaient à l’étranger ou qui étaient décédés. Un témoin expert a déclaré que cette expertise était incomplète;
le juge présidant la formation de trois membres qui a instruit l’affaire a été destitué en 2019 en raison de ses accointances avec le crime organisé. L’enquêteur‑chef chargé de l’affaire a été arrêté en 2001 et inculpé d’infractions relatives à la drogue.
L’accumulation de ces éléments de preuve amène la SPR à tirer des conclusions sur la corruption et le peu de fiabilité de l’appareil judiciaire albanais. Cela, dit‑elle, « corrobore les allégations des intimés quant à une manipulation possible et à la corruption de la police et du système judiciaire albanais, alors et encore aujourd’hui »
(para 110).
[51] Probablement dans l’optique de faire ressortir davantage le peu de fiabilité de l’appareil judiciaire albanais, la SPR signale également que, d’après une note consignée en août 2006 dans le système établi à l’époque pour enregistrer toutes les mesures prises dans les affaires d’immigration, on peut lire ce qui suit dans le SSOBL (Système de soutien des opérations des bureaux locaux) :
Veuillez prendre note que le Canada ne poussera pas plus avant les démarches d’extradition dans ce dossier. Que ce soit par la forme ou par le fond, la preuve produite ne répond pas aux exigences juridiques canadiennes en matière d’extradition. De plus, le système de justice albanais n’est pas suffisamment adéquat pour satisfaire aux exigences énoncées dans la Charte.
[Non souligné dans l’original.]
Le passage du texte qui est souligné émane de la SPR et la note complète figure telle quelle au paragraphe 112 de sa décision.
[52] Le ministre s’était fondé exclusivement sur la décision du tribunal albanais du 31 janvier 2000 pour la demande déposée en vertu du paragraphe 109(1) de la Loi. Cela a été considéré comme insuffisant. Le décideur indique qu’il « ne peut se fier au seul jugement rendu en janvier 2000 pour conclure que les intimés n’auraient pas pu être admis au bénéfice de la protection accordée aux réfugiés en application de l’alinéa Fb) de l’article premier au moment où la première décision a été rendue »
(para 115).
[53] Essentiellement, la demande d’annulation de la décision d’accueillir la demande d’asile a été rejetée parce que le ministre n’avait pas établi que les défendeurs avaient « négligé de révéler tous les faits pertinents quant à un objet pertinent au moment où la première décision a été rendue […] »
(décision de la SPR, para 116).
IV. Les arguments et l’analyse
[54] Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, le ministre conteste la décision par laquelle la SPR a [TRADUCTION]°« conclu que les défendeurs n’avaient pas obtenu leur statut après avoir fait preuve, directement ou indirectement, de réticence sur un fait important quant à un objet pertinent, au sens du paragraphe 109(1) de la
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés
(motifs du Tribunal, para 89) »
(argumentation écrite du demandeur, au paragraphe 2). Ce même argument est réitéré au paragraphe 37 de l’argumentation écrite du demandeur : [TRADUCTION]°« L’unique question en litige dans la présente affaire consiste à savoir si les défendeurs ont obtenu la qualité de réfugié après avoir, directement ou indirectement, fait des présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou fait montre de réticence sur ce fait, le tout conformément au paragraphe 109(1) de la LIPR »
. On se souviendra que la SPR avait elle‑même considéré que la question liminaire était la possibilité de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait. Notre Cour examinera donc cette question, qui, à mon avis, est déterminante aux fins de la demande de contrôle judiciaire.
[55] Nul ne conteste que la norme de contrôle est la décision raisonnable. Il est présumé que cette norme s’applique chaque fois qu’une cour de justice contrôle une décision administrative (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653 [Vavilov] au para 16). Il est possible de la réfuter (Vavilov, au para 17), mais aucune des situations permettant de le faire n’a été soulevée. En fait, les parties sont d’accord et la Cour y souscrit.
[56] Il incombe au ministre d’établir que la décision du décideur est déraisonnable. Ce dernier se doit de convaincre la cour de révision que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence »
(Vavilov, au para 100).
[57] Il appartenait au ministre, en premier lieu, d’établir que la décision d’accueillir une demande d’asile devrait être annulée pour cause de présentations erronées sur un fait important, ou de réticence sur ce fait. Le ministre avait à convaincre la Cour que la qualité de réfugié aurait dû être annulée malgré la preuve soumise à la SPR que, entre les FRP et la divulgation faite par la suite devant un agent d’audience, les présentations erronées sur un fait important, ou la réticence sur ce fait, avaient été établies : pour dire les choses simplement, le ministre est tenu d’établir que la décision de refuser d’annuler est déraisonnable.
[58] Comme l’a prescrit la Cour suprême du Canada, dans le cadre d’un contrôle judiciaire l’accent doit être mis sur la décision proprement dite; le rôle de la Cour consiste à contrôler le caractère raisonnable de la décision qui a été rendue, et non à trancher l’affaire sur le fond. Les cours de justice doivent s’abstenir de trancher les questions en litige elles‑mêmes (Vavilov, au para 83). Il a été réitéré à maintes reprises que la cour de révision a pour point de départ le principe de la retenue judiciaire (Vavilov, au para 13) et qu’elle se doit d’adopter une attitude de respect (Vavilov, au para 14).
[59] Selon mon estimation, le demandeur demande à la Cour de considérer de manière différente le fond de la présente affaire. Il souligne quelques éléments, en laissant entendre que le décideur en a fait abstraction, sans prendre en compte l’essentiel de la décision rendue. Par exemple, il blâme les FRP, aux paragraphes 52 et 54 de son argumentation écrite, pour ne pas avoir fait référence à l’assassinat de quatre agents de police ou aux mandats d’arrestation de mars 1998. La SPR est toutefois arrivée à la conclusion que l’entretien mené avec l’agent d’audience avait fourni de plus amples renseignements, ce qui était suffisant pour éviter toute allégation de présentations erronées ou de réticence. Le fait que les défendeurs étaient recherchés par la police n’a pas été caché aux agents qui ont examiné leurs demandes d’asile : il est difficile de ne pas relever cette mention, car elle occupe une place assez importante dans les FRP. Dans le même ordre d’idées, l’exposé circonstancié est très explicite, surtout lorsqu’il fait référence au [TRADUCTION]°« massacre d’Ura Vajgurore »
. Cela aurait certainement attiré l’attention d’agents d’immigration professionnels, a expliqué la SPR. Après avoir examiné avec soin les règles de la CISR qui étaient en vigueur à l’époque, le décideur s’est dit convaincu que la conférence mentionnée par les défendeurs a eu lieu et il infère que, au cours d’un entretien d’une durée de 45 à 60 minutes, ces questions ont forcément été examinées. Le ministre n’a pas traité de ce qui se situe au cœur de la décision de la SPR. En fait, rien dans le présent dossier ne dénote le contraire.
[60] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême souligne que la décision doit être interprétée à la lumière du dossier et du contexte administratif. C’est donc dire qu’une cour de révision tiendra compte de l’expertise institutionnelle et de l’expérience d’un décideur administratif. Au paragraphe 94 de l’arrêt Vavilov, les juges majoritaires écrivent que « [la cour de révision] peut considérer, […] la preuve dont disposait le décideur, les observations des parties, les politiques ou lignes directrices accessibles au public dont a tenu compte le décideur et les décisions antérieures de l’organisme administratif en question »
. En l’espèce, les observations ne présentent pas un moyen clair de relever une forme quelconque de présentations erronées sur un fait important, ou de réticence sur ce fait, et notre Cour se doit d’accorder une attention respectueuse à l’expertise établie du décideur pour ce qui est de rendre la décision.
[61] Dans le même ordre d’idées, le ministre fait valoir que la référence du tribunal au fait que les demandeurs étaient en droit d’embaucher des gardiens pour protéger leurs biens est une question qui n’est pas en litige. Je ne suis pas d’accord. La référence faite aux gardiens est compatible avec les circonstances qui régnaient au printemps de 1997, ce qui est un facteur pertinent; ces circonstances expliquent pourquoi il y avait des personnes armées après les attaques menées en avril et en mai 1997. Le demandeur émet plutôt l’hypothèse que [TRADUCTION]°« la question en litige consiste à savoir si les gardiens que la famille Protoduari a embauchés ont tué quatre agents de police en se servant d’un char d’assaut et d’armes à feu et le fait que la SPR n’était pas au courant de cette histoire quand elle a accordé l’asile aux défendeurs en 1999 »
(argumentation écrite, au paragraphe 56). Cela n’explique pas pourquoi les défendeurs, partis trois semaines plus tôt, auraient été responsables de la confrontation, qui s’était soldée par de nombreux morts. Comme il a été souligné plus tôt, le dossier n’établissait pas que le ministre avait relevé ce qu’étaient les présentations erronées sur un fait important, ou la réticence sur ce fait. Par ailleurs, la question en litige est la divulgation faite en août 1999 au sujet des événements de juin 1997, et non si les défendeurs étaient coupables de quoi que ce soit, car cela n’aurait pas pu être révélé avant le prononcé d’un verdict. L’accent doit être mis sur la décision faisant l’objet du présent contrôle, dans laquelle il a été conclu que, selon la prépondérance des probabilités, un entretien d’une durée de 45 à 60 minutes avec un agent d’immigration professionnel, un entretien fondé sur les FRP, s’est soldé par une décision d’accueillir la demande d’asile. Le demandeur n’établit pas en quoi la décision est déraisonnable : jamais il ne traite de la décision et, en particulier, de l’entretien, qui a manifestement été décisif. Comme la Cour suprême l’a conclu dans l’arrêt Vavilov, une décision intrinsèquement cohérente, assortie d’une analyse rationnelle, et justifiée au regard des faits et du droit, sera raisonnable et « [l]a norme de la décision raisonnable exige de la cour de justice qu’elle fasse preuve de déférence envers une telle décision »
(para 85).
[62] Il me semble que la présente affaire se résume à une thèse toute simple. Il est bien établi en droit que le paragraphe 109(1) exige, comme notre Cour l’a écrit dans la décision Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Gunasingam, 2008 CF 181 au paragraphe 7 : « a) il doit y avoir eu des présentations erronées sur un fait important ou une réticence sur ce fait; b) ce fait doit se rapporter à un objet pertinent; et c) il doit exister un lien de causalité entre, d’une part, les présentations erronées ou la réticence, et, d’autre part, le résultat favorable obtenu »
. Il faut qu’il y ait, en tout premier lieu, des présentations erronées sur un fait important ou une réticence sur ce fait. Dans la présente affaire, nous ignorons quelles auraient été les présentations erronées ou la réticence en question en août 1999, sur la foi de ce qui était un dossier peu étoffé. En fait, il semble que l’on ait évité avec soin cette question. Comme l’a écrit le juge de Montigny, qui siégeait à notre Cour à cette époque, dans la décision Mansoor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 420 [Mansoor], la conclusion selon laquelle il y a eu des présentations erronées ou de la réticence « attire le plus haut degré de retenue, car elle est fondée sur une appréciation de la crédibilité de M. Mansoor ainsi que sur l’évaluation des éléments de preuve des deux parties »
(para 24). Le demandeur n’a pas établi en quoi l’évaluation des éléments de preuve était déraisonnable.
[63] Comme j’ai tenté de le montrer, les éléments de preuve n’étaient pas exemplaires et les observations présentées à la SPR manquaient de précisions quant à ce qui constituait réellement des présentations erronées ou de la réticence, au vu de la preuve qu’il y avait eu un entretien qui avait duré près d’une heure et dont l’objet consistait forcément à étoffer les motifs justifiant une demande d’asile à la lumière des FRP qui révélaient que les défendeurs étaient recherchés par la police et qu’il y avait eu un [TRADUCTION]°« massacre »
en juin 1997.
[64] La thèse du demandeur était, semble‑t‑il, la suivante : après l’arrivée des défendeurs au Canada, un jugement d’un tribunal albanais a conclu qu’ils étaient criminellement responsables d’infractions censément commises le 17 juin 1997. Mais ce jugement n’établissait aucune responsabilité directe. Ces infractions auraient été commises par d’autres personnes présentes à la villa. Le demandeur souhaitait que la SPR déduise quelque chose de ce jugement. Il est difficile de savoir ce que cette chose devait être en août 1999. Que les défendeurs étaient au courant qu’un mandat d’arrestation avait été émis contre eux? Ils ont déclaré dans leurs FRP qu’ils étaient recherchés par la police. Cela nécessitait un suivi et une audience a eu lieu devant un agent d’audience. Que des personnes avaient perdu la vie le 17 juin 1997? Leur exposé circonstancié, qui faisait partie de leurs FRP, faisait état d’un massacre survenu à Ura Vajgurore. Pour la cour de révision, la question en litige n’est pas que la décision constitue la seule solution possible (ce qui transformerait la norme de contrôle en la norme de la décision correcte), ou que notre Cour souscrit au fond de l’affaire (ce qui usurperait le rôle du décideur). Il s’agit plutôt d’être convaincu que le demandeur a établi que la décision manque de raisonnabilité. Malgré les vaillants efforts de son avocat, le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait dans le cadre du présent dossier.
[65] Ce qui, allègue‑t‑on, n’a pas été révélé dans le FRP a été, de l’avis de la SPR, contré par un entretien qui a forcément porté sur les faits divulgués par les défendeurs, à savoir qu’ils étaient recherchés par la police et qu’un [TRADUCTION]°« massacre »
avait eu lieu le 17 juin 1997. La décision de la SPR, bien qu’imparfaite, repose sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle. Elle est intelligible et transparente; et elle est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques auxquelles le décideur était soumis. Avec égards, le ministre n’a jamais établi en quoi la décision de la SPR était déraisonnable. Tel était son fardeau. Dire qu’on n’est pas d’accord avec une décision ne rend pas celle‑ci déraisonnable.
[66] La SPR a conclu qu’il n’y avait pas eu de violation du paragraphe 109(1) de la Loi et que, de ce fait, il n’était pas nécessaire à strictement parler d’examiner plus avant la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et l’article 98 de la Loi. C’est là, selon moi, la bonne approche à suivre. La décision que l’on rend sur une demande fondée sur l’article 109 n’exige pas qu’elle soit associée à la décision en matière d’exclusion que prévoit l’article 98. Les décisions Mansoor et Otabor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 830, notamment, confirment cette thèse. À l’inverse, il est possible de solliciter l’annulation de l’asile et d’obtenir ensuite l’exclusion conformément à l’article 98 (Aleman c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2002 CFPI 710; Hersy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 190). En l’espèce, le ministre a conclu son argumentation écrite en ces termes : [TRADUCTION]°« Il n’est nul besoin d’examiner en détail une question subsidiaire en l’espèce »
. L’avocat du ministre a réitéré cette position de manière non équivoque à l’audition de la demande de contrôle judiciaire. Celle‑ci devait être examinée sur le fondement de l’article 109 de la Loi. Cela était approprié.
[67] Le ministre n’est pas parvenu à convaincre la Cour que la décision de refuser d’annuler la décision d’accorder l’asile était déraisonnable. Il s’ensuit que l’asile continue d’être en vigueur.
[68] Il est inutile d’examiner d’autres arguments possibles que les défendeurs ont avancés, car l’unique motif pour contester le refus d’annuler, soit son caractère déraisonnable, a échoué. Cela tranche la question dont la Cour était saisie. Il n’est nul besoin d’examiner les autres questions que les défendeurs ont soulevées dans le présent contrôle judiciaire au sujet de la demande du ministre concernant l’article 109.
V. Conclusion
[69] La demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Les défendeurs ont non seulement réclamé des dépens contre le demandeur, mais ils demandent aussi que ces dépens soient adjugés sur la base avocat‑client.
[70] Les Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22 prévoient expressément qu’une demande de contrôle judiciaire ne donne pas lieu à des dépens. Il existe toutefois une exception en cas de « raisons spéciales »
.
[71] Les défendeurs font valoir que l’affaire a subi des délais déraisonnables et que jamais elle n’aurait dû être engagée. Selon ce que j’ai compris, ils se fondent sur la note consignée dans le SSOBL, et reproduite au paragraphe 51 des présents motifs. Cette note rend compte d’une décision prise, vraisemblablement au ministère de la Justice, à savoir qu’une demande d’extradition concernant le défendeur Musa Protoduari ne répondait pas aux exigences canadiennes en matière d’extradition sur le plan de la preuve et que le système de justice albanais n’était pas suffisamment adéquat pour satisfaire aux exigences énoncées dans la Charte. Il n’y a aucune autre information qui est susceptible d’éclairer davantage la Cour.
[72] Je ne suis pas convaincu que les délais, dont certains sont imputables aux défendeurs, justifient l’adjudication de dépens en l’espèce (Law Society of Saskatchewan c Abrametz, 2022 CSC 29), et encore moins sur la base avocat‑client. Je dis la même chose au sujet du volet « extradition »
. Dire que les instances en matière d’extradition et d’immigration sont soumises à des règles et à des principes différents n’a rien de nouveau. Dans la présente affaire, les renseignements concernant une demande d’extradition sont quasi inexistants. En fait, il n’était pas nécessaire d’examiner la question, car le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau initial d’établir que la décision visée par le présent contrôle, dans laquelle il a été conclu qu’il n’y avait pas eu de présentations erronées sur un fait important quant à l’objet pertinent, ou de réticence sur ce fait, était déraisonnable. Il n’y a aucun moyen de vérifier, dans le cadre du présent dossier, la demande d’extradition elle‑même, ni les motifs pour ne pas y donner suite, à partir d’une note consignée dans un système d’information tenu par le ministère de l’Immigration.
[73] Le fondement de la demande de contrôle judiciaire du ministre était la décision de la SPR de refuser d’annuler sa décision d’août 1999. Il n’a pas été établi que la décision de la SPR de refuser d’annuler sa décision d’accueillir une demande d’asile en raison de présentations erronées sur un fait important, ou de réticence sur ce fait, était déraisonnable. Je ne vois pas de « raisons spéciales »
, au sens des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, qui justifieraient une adjudication de dépens. De ce fait, aucuns dépens ne seront adjugés.
[74] Après consultation, les parties ont indiqué qu’elles ne proposeraient aucune question à certifier en vertu de l’article 74 de la Loi. Aucune question n’est donc certifiée.
JUGMENT dans le dossier IMM‑6659‑20
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Yvan Roy »
Juge
Traduction certifiée conforme
Caroline Tardif
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑6659‑20
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INTITULÉ :
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MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c SHKELQIM PROTODUARI ET AL
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 3 NOVEMBRE 2021
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE ROY
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DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :
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LE 16 AOÛT 2022
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COMPARUTIONS :
Daniel Latulippe
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POUR le demandeur
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Lorne Waldman
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POUR LES DÉFENDEURS
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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POUR le demandeur
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Waldman & Associates
Toronto (Ontario)
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POUR LES DÉFENDEURS
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