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Date : 20220808


Dossier : T-1459-20

Référence : 2022 CF 1177

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 août 2022

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

ALEXANDRU-IOAN BURLACU

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] M. Alexandru-Ioan Burlacu, le demandeur, est un agent principal des programmes à l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] qui agit pour son propre compte dans la présente affaire. Il a demandé des précisions à son employeur pour savoir s’il pouvait préparer une divulgation d’actes répréhensibles au titre de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, LC 2005, c 46 [la LPFDAR] pendant ses heures de travail ou s’il devait demander congé. L’employeur a décidé que M. Burlacu devait préparer la documentation relative à la divulgation en dehors de ses heures de travail et qu’un congé ne serait pas approuvé à cette fin.

[2] À la suite du refus de l’employeur de lui accorder un congé, M. Burlacu a déposé le grief no 2019-3941-130335 [le grief no 335]. Il a allégué qu’en exigeant qu’il prépare une divulgation d’actes répréhensibles en dehors de ses heures de travail, l’employeur n’a pas respecté les valeurs et les comportements énoncés dans le Code de valeurs et d’éthique du secteur public [le Code], lequel fait partie, selon lui, de ses conditions d’emploi. Dans le grief, le demandeur a déclaré ce qui suit :

[traduction]
Par la présente, je dépose un grief, en vertu du paragraphe 208(1) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, pour contester le défaut de l’employeur d’incarner, à mon égard, les valeurs de « respect de la démocratie » et de « respect envers les personnes » et d’adopter les comportements attendus correspondants – comme l’exige le Code de valeurs et d’éthique du secteur public, et dont le respect est l’une de mes conditions d’emploi – en ne prenant pas de mesures pour intégrer les valeurs du secteur public à ses décisions, mesures, politiques, processus et systèmes concernant la présentation d’une divulgation d’actes répréhensibles, notamment en m’obligeant injustement à préparer une telle divulgation en dehors de mes heures de travail.

Par la présente, je demande que le présent grief soit accueilli et :

1. que l’employeur adopte une politique ou un processus concernant la présentation de divulgations d’actes répréhensibles qui reflète les valeurs du secteur public;

2. que l’on m’accorde jusqu’à 7,5 heures de travail ou de congé payé afin de préparer une divulgation d’actes répréhensibles;

3. que l’on me remette dans ma situation antérieure et m’accorde toute autre réparation que le décideur estimera juste.

[3] Après avoir résumé la nature du grief, la mesure corrective demandée et les circonstances, la décideuse au dernier palier [la décideuse] a rejeté le grief. Elle a conclu que le grief était essentiellement une demande de congé au titre de la convention collective :

[traduction]
Selon les lignes directrices internes sur les divulgations d’actes répréhensibles de l’ASFC :

La LPFDAR [la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles] vise à encourager les employés du secteur public à se manifester s’ils ont des raisons de croire qu’un acte répréhensible a été commis en milieu de travail ou le sera et, le cas échéant, à mettre ces employés à l’abri des représailles.

L’objet de la LPFDAR est d’aider les employés à faire part de leurs préoccupations relatives aux actes répréhensibles dont ils pourraient avoir été témoins dans le cadre de leur emploi.

L’objet véritable de votre grief est votre demande de congé payé au titre de l’alinéa 52.01b) de la convention collective. Comme la question concerne l’interprétation et l’application de la convention collective, le soutien d’un agent négociateur est nécessaire du fait que les congés payés ou non payés (autres motifs) sont régis par la convention collective.

Je conclus que l’employeur a respecté le Code de valeurs et d’éthique du secteur public, dans la mesure où la direction a effectué un examen des politiques applicables et des dispositions relatives aux congés lorsqu’elle a examiné votre demande et qu’elle avait pleinement le droit de refuser de vous accorder un congé discrétionnaire. Je souligne que la direction vous a donné accès à l’équipement et à l’information dont vous aviez besoin, mais qu’elle vous a informé que vous deviez préparer la plainte en dehors de vos heures de travail. Je juge cette entente raisonnable.

Compte tenu de ce qui précède, votre grief est rejeté et les mesures correctives que vous demandez ne seront pas mises en œuvre.

[4] M. Burlacu sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue au dernier palier au motif qu’elle est déraisonnable. Le défendeur fait valoir que la décision est raisonnable, mais soutient d’abord que la décision n’a pas été dûment présentée à la Cour.

[5] Pour les motifs qui suivent, je rejette la demande, car je juge que la décision contestée n’a pas été dûment présentée à la Cour. Par ailleurs, j’estime que la décision est tout de même raisonnable.

II. Analyse

[6] Le défendeur soutient que la question faisant l’objet du grief porte sur les droits de gestion des ressources humaines de l’employeur qui découlent de l’alinéa 7(1)e) et du paragraphe 11.1(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, c F-11, ainsi que des conditions prévues dans la convention collective. Il invoque le paragraphe 208(4) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, LC 2003, c 22, art 2 [la LRTSPF], qui prévoit que l’employé ne peut présenter de grief individuel portant sur l’interprétation ou l’application d’une convention collective qu’à condition d’avoir obtenu l’approbation de l’agent négociateur et d’être représenté par cet agent, ce qui n’est pas le cas en l’espèce :

Réserve

Limitation

(4) Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel portant sur l’interprétation ou l’application à son égard de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale qu’à condition d’avoir obtenu l’approbation de l’agent négociateur de l’unité de négociation à laquelle s’applique la convention collective ou la décision arbitrale et d’être représenté par cet agent.

(4) An employee may not present an individual grievance relating to the interpretation or application, in respect of the employee, of a provision of a collective agreement or an arbitral award unless the employee has the approval of and is represented by the bargaining agent for the bargaining unit to which the collective agreement or arbitral award applies.

[7] Le défendeur soutient que le grief concerne essentiellement les relations entre l’agent négociateur et l’employeur et qu’en tant que parties à la convention collective, l’instance de contrôle appropriée après une décision définitive rendue dans le cadre du processus de règlement des griefs est l’arbitrage devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral. Il fait valoir que le fait d’accueillir la présente demande élargirait la portée des griefs individuels prévue à l’article 208 de la LRTSPF au-delà de ce qui est prévu dans la loi.

[8] M. Burlacu reconnaît le droit de l’employeur d’approuver ou de refuser un congé et soutient que c’est la raison pour laquelle il a invoqué un manquement au Code pour justifier la présentation de son grief. Il renvoie au formulaire de grief, et plus particulièrement à la section 1A, où se trouve une case intitulée « Convention collective (s’il y a lieu) », qu’il a laissée vide lorsqu’il a rempli le formulaire. Il mentionne également les observations présentées à la décideuse, dans lesquelles il affirme expressément qu’il ne dépose pas un grief pour violation de la convention collective.

[9] Il ressort de ses observations et du dossier que M. Burlacu n’avait pas comme objectif ou intention de formuler le grief de manière à alléguer une violation de la convention collective. Cependant, les objectifs ou les intentions ne peuvent changer l’objet véritable du grief, qui est lié à l’application de la convention collective.

[10] Selon la jurisprudence, l’employeur ne peut pas choisir d’interpréter un grief comme bon lui semble (Burlacu c Canada (Procureur général), 2021 CF 610 [Burlacu 610]). De la même manière, l’employé s’estimant lésé ne peut se soustraire aux procédures et processus prescrits par la loi grâce à une formulation astucieuse lorsque la question soulevée porte sur des sujets visés par ces processus prescrits.

[11] Le grief no 335 porte sur des questions liées à l’interprétation de la convention collective et à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de gestion conféré par cette convention. Je tire cette conclusion sur les fondements suivants :

  1. L’article 52 de la convention collective applicable permet à l’employeur de M. Burlacu d’accorder, à sa discrétion, un congé payé ou non payé à des fins autres que celles indiquées dans la convention, et M. Burlacu a demandé un congé payé au titre de cet article;

  2. L’employeur a décidé de ne pas accorder à M. Burlacu du temps de travail ou un congé payé, de sorte que M. Burlacu a déposé un grief;

  3. Les mesures correctives demandées sont notamment d’avoir droit jusqu’à 7,5 heures de travail ou de congé payé et d’exiger de l’employeur qu’il adopte une nouvelle politique ou un nouveau processus concernant les divulgations présentées par les employés en vertu de la LPFDAR.

[12] Dans la décision Burlacu 610, la Cour n’était pas disposée à conclure que les demandes étaient prématurées, car l’existence d’autres moyens de répondre aux préoccupations du demandeur était incertaine. Cependant, en l’espèce, il est clair que le grief no 335 vise les décisions liées à l’application de la convention collective et que le paragraphe 208(4) de la LRTSPF s’applique. La décision contestée n’a pas été dûment présentée à la Cour.

[13] Bien que ce ne soit pas nécessaire, je me pencherai brièvement sur l’argument selon lequel la décision est déraisonnable.

[14] M. Burlacu soutient que, dans sa décision, la décideuse a déraisonnablement insisté sur la question du congé et n’a pas tenu compte de sa demande visant à ce que le temps passé à remplir le formulaire de divulgation soit considéré comme du temps de travail. Je suis d’accord que, dans ses motifs, la décideuse ne traite pas expressément de la question du temps de travail. Cependant, la principale question concernait le fait que l’employeur n’avait pas payé M. Burlacu pour le temps dont ce dernier avait besoin pour remplir le formulaire de divulgation. La décideuse s’est penchée sur cette question et y a répondu; je n’interviendrai donc pas pour ce seul motif.

[15] M. Burlacu soutient également que la décision ne satisfait pas aux exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité. Je ne suis pas de cet avis. La décision doit être interprétée dans son ensemble et à la lumière du dossier. Bien qu’elle ait raisonnablement conclu que le grief portait essentiellement sur l’interprétation et l’application de la convention collective, la décideuse s’est néanmoins penchée sur le fait que l’employeur n’aurait pas incarné les valeurs et les comportements énoncés dans le Code. Certes, les motifs à l’appui de la conclusion selon laquelle l’employeur avait respecté le Code étaient brefs, mais ils constituaient tout de même une explication logique et rationnelle à cette conclusion. Lorsqu’ils sont examinés dans le contexte de la décision dans son ensemble, les motifs possèdent les caractéristiques d’une décision raisonnable qui sont énoncées dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65.

III. Conclusion

[16] Pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée. Le défendeur a droit aux dépens, lesquels sont fixés à 250 $, honoraires et débours compris.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1459-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Des dépens d’un montant forfaitaire de 250 $ sont adjugés au défendeur.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sophie Reid-Triantafyllos


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1459-20

 

INTITULÉ :

ALEXANDRU-IOAN BURLACU c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 OCTOBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 AOÛT 2022

 

COMPARUTIONS :

Alexandru-Ioan Burlacu

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Jena Montgomery

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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